Analyse


Faut-il tenir compte de la variabilité de la pression artérielle ?


15 03 2016

Professions de santé

Analyse de
Muntner P, Whittle J, Lynch AI, et al. Visit-to-visit variability of blood pressure and coronary heart disease, stroke, heart failure, and mortality: a cohort study. Ann Intern Med 2015;163:329-38.


Conclusion
Cette étude de cohorte suggère que les fluctuations de la pression artérielle constituent un facteur de risque supplémentaire de mortalité et de morbidité cardiovasculaires chez les personnes hypertendues. La recherche doit se poursuivre pour déterminer l’utilité clinique de ce facteur de risque potentiel.


 

Tous les médecins constatent que la pression artérielle d’un même patient peut varier d’une mesure à l’autre. Connaître le nombre idéal de mesures, dont la moyenne approcherait la « véritable » pression artérielle du patient, a été l’un des premiers buts scientifiques de la recherche portant sur ses fluctuations (1). Ensuite, des rapports sont apparus sur l'impact possible de cette fluctuation sur des critères de jugement forts. Rotwell et al. ont constaté dès 2010 (2) dans différentes études de cohorte, que la variabilité de la pression artérielle exprimée sous forme de déviation standard (DS) de mesures successives de la pression artérielle systolique (PAS), après correction pour tenir compte de toutes les variables disponibles, était un prédicteur puissant des accidents vasculaires cérébraux (AVC) et de coronaropathie chez les patients hypertendus. La probabilité (exprimée en rapport de hasards) de faire un accident vasculaire dans le groupe avec la variabilité la plus forte, comparé à celui avec la variabilité la plus faible était de 4,84 (avec IC à 95% de 3,03 à 7,74 ; p < 0,0001) dans l’étude UK-TIA (United Kingdom Transient Ischaemic Attack, étude portant sur les accidents ischémiques transitoires (AIT) au Royaume-Uni), de 1,78 (avec IC à 95% de 1,21 à 2,62) dans l’étude européenne de prévention des AVC (European Stroke Prevention Study) et de 3,35 (avec IC à 95% de 1,63 à 6,87) dans l’étude Dutch-TIA (étude portant sur les AIT aux Pays-Bas). Carr et al. ont aussi pu montrer en 2012 (3) chez des patients âgés souffrant d’hypertension artérielle (HTA) (n = 4396) que la variabilité de la pression artérielle était un facteur prédictif indépendant des AVC (risque relatif (RR) de 1,15 avec IC à 95% de 1,01 à 1,31). À partir de résultats d’études semblables est née l’hypothèse que fonder le traitement de l’HTA sur les seules mesures classiques de la pression artérielle n’était pas une méthode suffisamment précise pour prévenir de manière optimale les complications cardiovasculaires de l’HTA et qu’il y avait intérêt à tenir compte d’autres facteurs, tels que la variabilité de la pression artérielle.

 

Une récente analyse post hoc (4) de l’étude ALLHAT (5,6) est intéressante à ce sujet. ALLHAT, une vaste étude multicentrique randomisée en double aveugle américano-canadienne incluant 623 centres, a examiné l'effet de la chlortalidone (n = 15255), de l’amlodipine (n = 9048) et du lisinopril (n = 9054) chez des patients âgés de plus de 50 ans (âge moyen : 67 ans) présentant une HTA associée à au moins un autre facteur de risque de coronaropathie. Les patients atteints d’insuffisance cardiaque sévère (fraction d’éjection < 35%) étaient exclus. Une analyse de cohorte prospective (n = 25814) a comparé (après en moyenne 4,9 ans (DS 1,4 an)) 4 critères de jugement cardiovasculaires forts (infarctus du myocarde fatal et non fatal, mortalité globale, AVC et insuffisance cardiaque) dans les quintiles supérieur et inférieur de la variabilité de la PAS (définie comme la DS de 7 mesures de la pression artérielle effectuées par les investigateurs chez un même sujet entre le 6e et le 28e mois après la randomisation). En ne tenant pas compte des 6 premiers mois, il a été possible d’éviter le biais dû à la première phase de transition associée à une plus grande diminution de la pression artérielle (et de ses fluctuations ?) suite à l’instauration du médicament. Les patients qui avaient fait un AVC au cours des 28 premiers mois de l’étude n’ont pas été inclus dans l’analyse.

 

Après correction pour tenir compte de toutes les covariables possibles, ainsi que pour la PAS moyenne, on a observé, dans le quintile supérieur de la variabilité de la PAS (DS ≥ 14,4 mmHg), un risque significativement plus élevé d’apparition de critères de jugement cardiovasculaires que dans le quintile inférieur (DS < 6,5 mmHg) pris comme référence. Le rapport de hasards était de 1,30 (avec IC à 95% de 1,06 à 1,59 ; p < 0,006) pour l’infarctus du myocarde fatal et non fatal ; de 1,58 (avec IC à 95% de 1,32 à 1,90 ; p < 0,0001) pour la mortalité globale ; de 1,46 (avec IC à 95% de 1,06 à 2,01 ; p < 0,013) pour les AVC et de 1,25 (avec IC à 95% de 0,97 à 1,61 ; p < 0,084) pour l’insuffisance cardiaque. Les auteurs ont mentionné des résultats semblables pour les fluctuations de la pression artérielle diastolique, mais ceux-ci ne sont pas discutés dans l’article. L’association entre la variabilité de la PAS et la prévention des AVC et de l’infarctus du myocarde fatal ou non fatal suivait une courbe en J, tandis que l’association avec la mortalité totale et l’insuffisance cardiaque se rapprochait plus d’une droite. Cependant, pour le quintile inférieur, les intervalles de confiance (repris uniquement dans un graphique) sont tellement larges qu’il n’est pas permis de se prononcer de manière définitive à ce sujet. En outre, il convient de noter qu’il n’y avait pas d’association entre la variabilité de la PAS et les AVC chez les patients qui étaient traités par du lisinopril ou de l’amlodipine. Toutefois, comme les participants étaient en nombre insuffisant, les résultats de cette analyse de sous-groupe pourraient tout aussi bien être dus au hasard.

 

Les mécanismes physiopathologiques impliqués dans l’association entre les fluctuations de la pression artérielle et les critères de jugement cardiovasculaires ne sont pas encore connus. L’utilité pour le clinicien ne peut pas non plus être appréhendée tant qu’une méthode uniformisée pour mesurer les fluctuations de la pression artérielle ne sera pas disponible et que l’on n’aura pas montré la possibilité de réduire la mortalité et la morbidité en traitant ce facteur de risque potentiel. Il faudra donc s’armer de patience...

 

Conclusion

Cette étude de cohorte suggère que les fluctuations de la pression artérielle constituent un facteur de risque supplémentaire de mortalité et de morbidité cardiovasculaires chez les personnes hypertendues. La recherche doit se poursuivre pour déterminer l’utilité clinique de ce facteur de risque potentiel.

 

 

Références

  1. Celis H, De Cort P, Fagard R, Thijs L, Staessen JA. For how many days should blood pressure be measured at home in older patients before steady levels are obtained? J Hum Hypertens 1997;11:673-7.
  2. Rothwell PM, Howard SC, Dolan E, et al. Prognostic significance of visit-to-visit variability, maximum systolic blood pressure, and episodic hypertension. Lancet 2010; 375:895-905.
  3. Carr MJ, Bao Y, Pan J, et al. The predictive ability of blood pressure in elderly trial patients. J Hypertens 2012;30:1725-33.
  4. Muntner P, Whittle J, Lynch AI, et al. Visit-to-visit variability of blood pressure and coronary heart disease, stroke, heart failure, and mortality: a cohort study. Ann Intern Med 2015;163:329-38.
  5. De Cort P. L'étude ALLHAT: les diurétiques en premier choix pour traiter l'hypertension artérielle. MinervaF 2003;2(5):73-6.
  6. The ALLHAT Officers and Coordinators for the ALLHAT Collaborative Research Group. Major outcomes in high-risk hypertensive patients randomized to angiotensin-converting enzyme inhibitor or calcium channel blocker vs diuretic. The Antihypertensive and Lipid-Lowering Treatment to prevent Heart Attack Trial (ALLHAT). JAMA 2002;288:2981-97.



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