Analyse


Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine sont-ils efficaces dans la fibromyalgie ?


15 03 2016

Professions de santé

Analyse de
Walitt B, Urrútia G, Nishishinya M, et al. Selective serotonin reuptake inhibitors for fibromyalgia syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 6.


Conclusion
Cette synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration confirme que les ISRS n’ont pas d’effet favorable sur les principaux symptômes de la fibromyalgie et qu’ils ne doivent être envisagés que dans le cadre du soulagement des symptômes dépressifs de ces patients.


 

A plusieurs reprises, l’efficacité des antidépresseurs dans la fibromyalgie a été évoquée dans Minerva. Nous avions conclu (1) sur base d’une étude clinique randomisée contrôlée (RCT) publiée en 2002 (2) que la fluoxétine, un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS), versus placebo, améliorait les symptômes de dépression, mais était sans influence sur la douleur. Une autre RCT publiée en 2009 (3) avait toutefois montré un soulagement statistiquement significatif de la douleur avec la duloxétine, un inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA), à raison de 60 mg/jour, versus placebo, mais la pertinence clinique de cette observation restait indéterminée. De plus l’effet diminuait au cours du traitement (4). Une synthèse méthodique avec méta-analyse de la Cochrane Collaboration publiée en 2014 (5) avait montré une diminution de 50% de la douleur après 12 semaines chez un nombre plus important de patients recevant de la duloxétine à raison de 60 mg/jour versus placebo (RR 1,57 avec IC à 95% de 1,20 à 2,06 ; nombre de sujets à traiter (NST) de 8 avec IC à 95% de 4 à 21). Mais l’évolution des capacités fonctionnelles n’avait pas été examinée, et une seule étude parmi les six études incluses n’avait pas été financée par le fabricant (6). Une méta-analyse publiée en 2008 (7) portant sur l’effet de tous les antidépresseurs dans la fibromyalgie avait montré un effet favorable sur la douleur, la fatigue, les troubles du sommeil et la dépression. L’effet du soulagement de la douleur était le plus important avec les antidépresseurs tricycliques (ATC) (différence moyenne standardisée (DMS) de - 1,64 avec IC à 95% de - 2,57 à - 0,71), tandis qu’il était cliniquement peu pertinent avec les ISRS (DMS de - 0,39 avec IC à 95% de - 0,77 à - 0,01) et avec les IRSNA (DMS de - 0,36 avec IC à 95% de - 0,46 à - 0,25). Nous avions ainsi conclu, dans deux analyses différentes que seule l’amitriptyline à court terme a un effet modéré sur la douleur associée à la fibromyalgie (8,9). Une autre méta-analyse en réseau publiée en 2013 n’avait pas non plus montré de différence significative entre les ATC, les ISRS et les IRSNA quant au soulagement de la douleur et quant à l’amélioration de la qualité de vie (10). 

Une récente synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration publiée en 2015 (11) portant sur l’efficacité des ISRS dans la fibromyalgie a inclus 7 études contrôlées par placebo (n = 383) : 2 avec du citalopram, 3 avec de la fluoxétine (dont une ayant déjà fait l’objet d’une discussion dans Minerva (1)) et 2 avec de la paroxétine. La durée moyenne des études était de 8 semaines. Malgré une sélection sévère qui n’a retenu que 7 études sur 4372, la qualité des études incluses reste relativement douteuse. Par exemple, le compte rendu des critères de jugement est incomplet pour 5 des 7 études. Une différence absolue de 10% (avec IC à 95% de 1 à 20%) quant au nombre de patients chez qui la douleur était soulagée de 30% a été observée pour les ISRS versus placebo. Les ISRS étaient également plus efficaces versus placebo pour diminuer les symptômes de dépression (en moyenne, diminution de 7,6% des points sur une échelle de dépression de 0 à 10 (avec IC à 95% de 2,7 à 13,8%)) et pour entraîner une « amélioration globale sur le plan clinique (14% avec IC à 95% de 6 à 23%). Mais ces résultats statistiquement significatifs sont considérés par les auteurs comme étant peu pertinents sur le plan clinique, et le score GRADE qui leur est attribué est donc très faible. Aucune différence statistiquement significative n’a été observée pour la fatigue et les troubles du sommeil. Les auteurs concluent que, d’un point de vue clinique, les ISRS ne sont pas plus efficaces qu’un placebo pour ce qui est des principaux symptômes de la fibromyalgie (douleur, fatigue, bien-être global et troubles du sommeil), mais qu’ils peuvent être envisagés pour traiter les symptômes de dépression. Les critères du diagnostic de fibromyalgie ont été revus par Wolfe, qui les a étendus. Auparavant, on utilisait des critères purement dichotomiques concernant la douleur (musculaire) (existence d’un nombre défini de points douloureux (tender points)).

Avec Wolfe, les critères sont plus larges, plus réalistes, et portent sur un spectre de troubles (spectrum disorder) où le bien-être général, les troubles de la concentration et une liste de 42 symptômes différents ont plus d’importance que « l'indice de douleur généralisée » (Widespread Pain Index (WPI)) (12). Le choix de ces critères est étayé par les résultats favorables et cliniquement pertinents des études avec fitness, exercices d’endurance typiques (13) et thérapie comportementale cognitive accompagnée au téléphone associés à de la mise en condition (14). Tant que l’étiologie de la fibromyalgie ne sera pas connue, l’approche et le traitement concerneront une affection physique insuffisamment expliquée sur le plan somatique (Somatic Unexplained Physical Complaints). En pratique, les principaux éléments de la stratégie restent l’information et l’augmentation du niveau d’activité et de prise en charge à des moments déterminés au moyen d’un programme individualisé (15).

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration confirme que les ISRS n’ont pas d’effet favorable sur les principaux symptômes de la fibromyalgie et qu’ils ne doivent être envisagés que dans le cadre du soulagement des symptômes dépressifs de ces patients.

 

 

Références

  1. De Cort P. La fluoxétine est-elle efficace en cas de fibromyalgie? MinervaF 2004;3(3):41-3.
  2. Arnold LM, Hess EV, Hudson JI, et al. A randomized, placebo-controlled, double-blind, flexible dose study of fluoxetine in the treatment of women with fibromyalgia. Am J Med 2002;112:191-7.
  3. Russell IJ, Mease PJ, Smith TR, et al. Efficacy and safety of duloxetine for treatment of fibromyalgia in patients with or without major depressive disorder: results from a 6-month, randomized, double-blind, placebo-controlled, fixed-dose trial. Pain 2008;136:432-44.
  4. Chevalier P. La duloxétine pour réduire la douleur liée à une fibromyalgie ? MinervaF 2009;8(2):18-9.
  5. Feron JM. Duloxétine : efficace pour les douleurs neuropathiques, les douleurs chroniques ou la fibromyalgie? MinervaF 2014;13(9):106-7.
  6. Lunn MP, Hughes RA, Wiffen PJ. Duloxetine for treating painful neuropathy, chronic pain or fibromyalgia. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 1.
  7. Üçeyler N, Häuser W, Sommer C. A systematic review on the effectiveness of treatment with antidepressants in fibromyalgia syndrome. Arthritis Rheum 2008;59:1279-98.
  8. Chevalier P. Antidépresseurs pour traiter les symptômes de la fibromyalgie (bis). MinervaF 2009;8(8)115.
  9. Chevalier P. Antidépresseurs pour la fibromyalgie. MinervaF 2009;8(4):50.
  10. Nüesch E, Häuser W, Bernardhy K, et al. Comparative efficacy of pharmacological and non-pharmacological interventions in fibromyalgia syndrome: network meta-analysis. Ann Rheum Dis 2013;72:955-62.
  11. Walitt B, Urrútia G, Nishishinya M, et al. Selective serotonin reuptake inhibitors for fibromyalgia syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 6.
  12. Wolfe F, Clauw DJ, Fitzcharles MA, et al. The American College of Rheumatology preliminary diagnostic criteria for fibromyalgia and measurement of symptom severity. Arthritis Care Res (Hoboken) 2010;62:600-10.
  13. De Cort P. La pratique du fitness pour le traitement de la fibromyalgie. MinervaF 2003;2(6):100-1.
  14. Crismer A. Fibromyalgie : efficacité de traitements non médicamenteux sur la douleur ? MinervaF 2012;11(7):82-3.
  15. Hartman OT, Blankenstein AH, Molenaar AO, et al. NHG-standaard Somatisch Onvoldoende verklaarde Lichamelijke Klachten (SOLK). Huisarts Wet 2013:56:222-30.



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