Analyse


Quelle est l’efficacité de l’amitriptyline en cas de douleur neuropathique ?


18 05 2016

Professions de santé

Analyse de
Moore RA, Derry S, Aldington D, et al. Amitriptyline for neuropathic pain in adults. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 7.


Conclusion
Cette synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration n’a trouvé que des preuves de faible qualité concernant l’efficacité de l’amitriptyline versus placebo pour le traitement de la douleur neuropathique. La place de l’amitriptyline parmi les autres traitements actifs dans cette indication n’est pas claire.


 

La douleur neuropathique est due à une lésion du système nerveux central ou périphérique occasionnée par le diabète sucré (polyneuropathie diabétique), un herpès (névralgie post-herpétique), une amputation, une opération chirurgicale ou un traumatisme, un accident vasculaire cérébral ou une atteinte de la moelle épinière, une névralgie du trijumeau, un syndrome de Guillain-Barré, un cancer, un syndrome douloureux régional complexe ou le VIH. C’est un type de douleur chronique important, avec une prévalence d’environ 7%. Certaines formes, comme la douleur neuropathique diabétique et la douleur neuropathique post-opératoire, se rencontrent cependant de plus en plus fréquemment (1).

Minerva avait analysé en 2010 (2) une RCT (3) qui montrait une plus-value, statistiquement significative mais cliniquement peu pertinente, de l’association de nortriptyline et de gabapentine versus chacun de ces deux traitements en monothérapie pour le traitement de la polyneuropathie diabétique, alors qu’aucun bénéfice significatif n’était montré dans la faible population de neuropathie post-herpétique (2,3). Dans une autre analyse publiée en 2012 (4), nous avions discuté du manque d’efficacité de la prégabaline par rapport à un placebo pour le traitement de la douleur neuropathique centrale après AVC (5). Dans la polyneuropathie diabétique, l’action favorable à court terme (12 semaines) de 60 mg de duloxétine versus placebo a été montrée (6,7). La place de l’oxycodone comme traitement de deuxième choix après les antidépresseurs tricycliques et les anticonvulsivants dans le traitement de la douleur neuropathique devait encore être confirmée (8,9). Enfin, une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration publiée en 2006 (10) avait montré une plus grande efficacité du tramadol versus placebo dans le traitement de la douleur neuropathique (11). En 2015, nous avions toutefois attiré l’attention sur les effets indésirables graves des opiacés en cas de traitement à long terme de la douleur chronique (12,13).

Une récente synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration (14) a inclus 17 études cliniques randomisées (n = 1342) qui ont comparé pendant au minimum 4 semaines l’efficacité de l’amitriptyline versus placebo ou un autre traitement actif chez des patients présentant une douleur neuropathique au moins modérée. 8 études croisées et 9 études avec groupes parallèles ont inclus un nombre médian de respectivement 36 et 84 patients. La plupart des études présentaient un risque de biais élevé (sur le plan de la randomisation, des sorties d’étude, du rapport de données insuffisantes). Aucune étude ne remplissait les critères pour le niveau de preuves de grade 1 (au moins 200 participants dans le groupe de comparaison, groupes parallèles, minimum 8 semaines de suivi, analyse en ITT avec remplacement des valeurs manquantes par la valeur initiale (méthode BOCF, alias baseline observation carried forward), réduction d’au moins 50% de la douleur) ou pour le niveau de preuves de grade 2 (au moins 200 participants, suivi d’une durée de 4 à 8 semaines, analyse en ITT avec remplacement des valeurs manquantes par la dernière valeur disponible (méthode LOCF, alias last observation carried forward), réduction d’au moins 30% de la douleur) pour étayer l’utilisation de l’amitriptyline dans cette indication. Pour le traitement de la polyneuropathie diabétique (N = 5 études) et de la névralgie post-herpétique (N = 5 études), l’amitriptyline n’était pas plus efficace que les autres principes actifs. Seule une petite étude croisée (n = 84) a montré que l’amitriptyline était, de manière statistiquement significative, plus efficace que le placebo pour le traitement de la polyneuropathie diabétique (15). Pour différentes formes de douleur neuropathique prises ensemble, une étude (n = 70) a montré que l’amitriptyline était, de manière statistiquement significative, plus efficace que le placebo (16). Lorsque les 4 études placebo-contrôlées (n = 382) pour les étiologies les plus classiques de la douleur neuropathique (polyneuropathie diabétique, névralgie post-herpétique et « douleur mixte ») sont rassemblées, un avantage statistiquement significatif en faveur de l’amitriptyline est montré (RR de 2,0 avec IC à 95% de 1,5 à 2,8 et un nombre de sujets à traiter (NNT) de 5 avec IC à 95% de 3 à 9). Il s’agit probablement d’une surestimation du fait de la mauvaise qualité des études, mais cela montre bien qu’un effet réel est néanmoins possible pour certains patients. Par contre, malgré la rareté des effets indésirables graves, 55% des patients qui étaient sous amitriptyline ont développé au moins un effet indésirable versus 36% des patients qui recevaient un placebo (RR de 1,5 avec IC à 95% de 1,3 à 1,8 et nombre nécessaire pour nuire (NNH) de 5 avec IC à 95% de 4 à 9). La dose idéale d’amitriptyline ne peut être déterminée car elle varie dans les études de 10 mg à 150 mg par jour.

Vu qu’il s’agit d’un médicament considéré depuis de nombreuses années comme traitement de première intention en cas de douleur neuropathique, il est très décevant de constater qu’il existe aussi peu de faits probants. En effet, le GPC de NICE recommande entre autres l’amitriptyline comme traitement de premier choix pour la douleur neuropathique en première ligne (17). Les recommandations d’EBMPracticeNet considèrent également l’amitriptyline ou la nortriptyline comme traitement de premier choix pour les névralgies (18). Au vu des résultats présentés ici, une vaste étude clinique randomisée est nécessaire pour pouvoir se prononcer sur l’efficacité réelle de ce médicament. Comme il s’agit d’un médicament relativement vieux (et bon marché), il est peu vraisemblable que cette étude ne soit jamais menée.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration n’a trouvé que des preuves de faible qualité concernant l’efficacité de l’amitriptyline versus placebo pour le traitement de la douleur neuropathique. La place de l’amitriptyline parmi les autres traitements actifs dans cette indication n’est pas claire.

 

 

Références

  1. Hall GC, Morant SV, Carroll D, et al. An observational descriptive study of the epidemiology and treatment of neuropathic pain in a UK general population. BMC Fam Pract 2013;14:28.
  2. Hans G. Nortriptyline et gabapentine pour la douleur périphérique ? MinervaF 2010;9(10):118-9.
  3. Gilron I, Bailey JM, Tu D, et al. Nortriptyline and gabapentin, alone and in combination for neuropathic pain: a double-blind, randomised controlled crossover trial. Lancet 2009;374:1252-61.
  4. Chevalier P. Prégabaline pour les neuropathies centrales post AVC ? Minerva bref 28/02/2012.
  5. Kim JS, Bashford G, Murphy K, et al. Safety and efficacy of pregabalin in patients with central post-stroke pain. Pain 2011;152:1018-23.
  6. Feron J-M. Duloxétine : efficace pour les douleurs neuropathiques, les douleurs chroniques ou la fibromyalgie ? MinervaF 2014:13(9):106-7.
  7. Lunn MP, Hughes RA, Wiffen PJ. Duloxetine for treating painful neuropathy, chronic pain or fibromyalgia. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 1.
  8. Devulder M. L’oxycodone efficace pour traiter la neuropathie diabétique. MinervaF 2004;3(8):124-5.
  9. Gimbel JS, Richards P, Portenoy RK. Controlled-release oxycodone for pain in diabetic neuropathy: a randomised controlled trial. Neurology 2003;60:927-34.
  10. Hollingshead J, Dühmke RM, Cornblath DR. Tramadol for neuropathic pain. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 3.
  11. Hans G. Tramadol pour la douleur neuropathique. MinervaF 2007;6(7):100-1.
  12. De Cort P. Douleur chronique : prescrire des opiacés ? [Editorial] MinervaF 2015;14(4):39.
  13. Chou R, Turner JA, Devine EB, et al. The effectiveness and risks of long-term opioid therapy for chronic pain: a systematic review for a national institutes of health pathways to prevention workshop. Ann Intern Med 2015;162:276-86.
  14. Moore RA, Derry S, Aldington D, et al. Amitriptyline for neuropathic pain in adults. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 7.
  15. Max MB, Lynch SA, Muir J, et al. Effects of desipramine, amitriptyline, and fluoxetine on pain in diabetic neuropathy. N Engl J Med 1992;326:1250–6.
  16. Vrethem M, Boivie J, Arnqvist H, et al. A comparison a amitriptyline and maprotiline in the treatment of painful polyneuropathy in diabetics and nondiabetics. Clin J Pain 1997;13:313-23.
  17. Neuropathic pain in adults: pharmacological management in non-specialist settings. NICE, last updated: December 2014.
  18. Douleur chronique. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 9/1/2010; dernière revue: 22/02/2016.



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