Analyse


L’effet de l’insuline glargine, prescrite par un pharmacien dans le cadre d’un programme structuré de 6 mois, persiste-t-il après un an ?


15 06 2016

Professions de santé

Analyse de
Al Hamarneh YN, Sauriol L, Tsuyuki RT. After the diabetes care trial ends, now what? A 1-year follow-up of the RxING study. BMJ Open 2015;5:e008152.


Conclusion
Cette étude présentant de réelles limites méthodologiques n’apporte pas d’élément neuf renforçant l’indication ou la prescription banalisée d’une insuline glargine, ni d’argument nous aidant à mieux impliquer le pharmacien dans notre contexte de soins. La difficulté de trouver, au-delà d’interventions ponctuelles, des modèles de soins capables de maintenir des résultats à long terme avec des bénéfices cliniques réels pour les patients (critères de jugement forts), dans le traitement de maladies chroniques comme le diabète de type 2 reste considérable.


 

 

Cette analyse est à considérer dans le contexte de l’utilité d’ajout d’une injection d’insuline basale chez des patients diabétiques de type 2, insuffisamment contrôlés par leur traitement de base (antidiabétiques oraux), problème déjà commenté dans Minerva (1-4). En 2010, nous avions conclu que l’ajout d’analogues d’insuline à la metformine et à un sulfamidé hypoglycémiant en cas de contrôle insuffisant d’un diabète de type 2 permettait de diminuer significativement le taux d’HbA1c, mais ceci sans différence entre les schémas utilisés. Nous avions également fait remarquer qu’un schéma insulinique basal provoque moins d’hypoglycémies et de prise de poids (5,6).

 

La question clinique abordée dans cette étude comporte 2 volets : la prescription d’insuline est faite (et suivie pendant 6 mois) par le pharmacien (l’intervention), et c’est la persistance à 1 an de l’effet de cette intervention qui est examinée ici (7).

L’intervention est décrite dans un premier article (8), qui doit être attentivement résumé pour comprendre la portée et les limites de l’article analysé ici. Il s’agit d’une étude dite pragmatique (9), non-randomisée, sans groupe contrôle ou groupe avec comparaison : 100 patients, choisis par les pharmaciens, diabétiques de type 2 (âge moyen de 64 ans (ET 10,4) ; 58% d’hommes) ont été inclus dans une série de pharmacies canadiennes (Alberta). Le diagnostic de diabète de type 2 était posé depuis au moins 6 mois, un traitement oral était en cours mais l’HbA1c était comprise entre 7,5 et 11%. Les patients acceptant dès lors de s’injecter de l’insuline pouvaient être sélectionnés et suivis. Les facteurs d’exclusion étaient classiques. L’HbA1c était mesurée à la pharmacie. 10 unités d’insuline glargine étaient injectées au coucher, la dose étant ajustée selon un schéma lié à la glycémie à jeun. Le patient était revu systématiquement à 7 reprises en 26 semaines (6 mois). Durant ce suivi, de nombreuses médications hypoglycémiantes ont été soit arrêtées, soit initiées, à l’initiative du pharmacien, qui en informait le médecin traitant. Les résultats montrent que l’HbA1c a diminué de manière statistiquement significative à 6 mois, de 9,1% à 7,3%, soit une diminution de 1,8% en moyenne (avec IC à 95% de 1,4 à 2,0% ; p < 0,001).

 

C’est l’effet à moyen terme de cette intervention des pharmaciens qui est analysé dans l’article actuel 7). 83 patients de la cohorte initiale ont pu être analysés un an après la fin de l’intervention (soit à 18 mois de la prescription). 73 patients étaient encore sous insuline glargine (à raison de 37,4 unités en moyenne, mais avec 30,8 d’ET, ce qui implique une dispersion considérable dans la répartition). L’HbA1c a augmenté de manière statistiquement significative de 7,3% à 8,1%, soit une différence de 0,8% en moyenne (p < 0,001). L’analyse statistique est critiquable, puisqu’il n’y a pas d’ajustement de l’erreur α; le test correct eut été une analyse de variance (ANOVA).

De plus, les auteurs calculent qu’à 18 mois, soit 12 mois après la fin de l'intervention, le risque de présenter un événement cardiovasculaire au cours des 10 prochaines années est passé de 26,7% (ET 14,5) à la fin de l'intervention à 30,75% (ET 15,5). Il n’y a pas mention de l’évolution du poids ni de la fréquence des hypoglycémies ni du mode d’administration (seringues ou stylos). Les auteurs concluent que, compte tenu du fait qu’ils ont prouvé l’efficacité de l’intervention à 6 mois, l’observation d’une dégradation des résultats de l’HbA1c à 18 mois suggère l’intérêt d’un suivi systématique de ce type de patients par les pharmaciens.

 

Conclusions critiques

Ce travail semble ne rien apporter de neuf pour nos praticiens :

  • l’insuline glargine répond au choix de vouloir diminuer l’HbA1c. Le choix d’une molécule pour laquelle un long recul d’utilisation est disponible et avec un profil d’effets indésirables peu fréquent, est l’idéal. L’insuline glargine n’est pas le médicament qui correspond au mieux à ces critères car son recul d’utilisation est plus faible (10). Elle améliore néanmoins la glycémie moyenne, même à long terme (11), chez des patients diabétiques de type 2.
  • la difficulté de trouver, au-delà d’interventions ponctuelles, des modèles de soins capables de maintenir des résultats à long terme dans le traitement de maladies chroniques comme le diabète de type 2 est considérable. Une excellente synthèse méthodique récente insiste sur l’importance de la prise en compte des facteurs organisationnels et humains, la qualité de la communication de l’information, l’acceptabilité de l’intervention tant pour le patient que pour le clinicien et sur la formation des cliniciens aux changements pratiques induits par les suivis de maladies chroniques (12).
  • les pharmaciens devraient bien entendu être inclus dans de pareils programmes, en première ligne de soins (13). Dans cette étude, les pharmaciens sont CDE (Certified Diabetes Educators), ce qui implique 800 heures de formation de terrain en 3 ans, et un examen de (re)certification tous les 5 ans (14) ; ce n’est donc pas uniquement le statut de pharmacien qui importe ici. De plus, le partage des rôles entre le pharmacien et le médecin généraliste n’est pas clair dans cette étude.
  • mais attention : l’article analysé est construit sur l’affirmation qu’améliorer la glycémie moyenne mesurée par l’HbA1c (un critère de jugement intermédiaire) modifie le risque cardiovasculaire. Ce risque est évalué par une diminution du UK Prospective Diabetes Study (UKPS) calculator. Ce qui importe pour le patient et le clinicien, ce sont des résultats en termes de diminution de mortalité globale et de diminution de macroangiopathie. Aucune étude d’intervention n’a montré cela, sauf peut-être pour la metformine (15), et le gain sur la microangiopathie, réel, est faible (16). Il faut donc replacer cela dans la perspective plus large de la prévention des maladies cardiovasculaires (17,18) : de larges programmes de prévention seront peut-être plus efficaces et moins coûteux que l’utilisation à tout va de nouveaux médicaments, encore faudra-t-il le prouver sur le long terme, sur des critères de jugement cliniques forts, et accessibles à l’ensemble de la population concernée.

Notons que les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts. Un auteur (S.L.) est membre de Sanofi-Canada.

 

Conclusion

Cette étude présentant de réelles limites méthodologiques n’apporte pas d’élément neuf renforçant l’indication ou la prescription banalisée d’une insuline glargine, ni d’argument nous aidant à mieux impliquer le pharmacien dans notre contexte de soins. La difficulté de trouver, au-delà d’interventions ponctuelles, des modèles de soins capables de maintenir des résultats à long terme avec des bénéfices cliniques réels pour les patients (critères de jugement forts), dans le traitement de maladies chroniques comme le diabète de type 2 reste considérable. 

 

Références

  1. Van Crombrugge P. Quel schéma insulinique initier pour un diabète de type 2 ? MinervaF 2008;7(6):88-9.
  2. Holman RR, Thorne KI, Farmer AJ, et al; 4-T Study Group. Addition of biphasic, prandial, or basal insulin to oral therapy in type 2 diabetes. N Engl J Med 2007;357:1716-30.
  3. Nobels F, Poelman T. Chez les patients présentant un diabète de type 2 insuffisamment contrôlé par des antidiabétiques oraux, faut-il ajouter un traitement avec un analogue de l’insuline biphasique ou un analogue de l’insuline à action prolongée ? MinervaF 2014;13(10):125-6.
  4. Rys P, Wojciechowski P, Siejka S, et al. A comparison of biphasic insulin aspart and insulin glargine administered with oral antidiabetic drugs in type 2 diabetes mellitus – a systematic review and meta-analysis. Int J Clin Pract 2014;68:304-13.
  5. Van Crombrugge P. Quel schéma insulinique initier pour un diabète de type 2 ? MinervaF 2010;9(5):54-5.
  6. Holman RR, Farmer AJ, Davies MJ, et al; 4-T Study Group. Three-year efficacy of complex insulin regimens in type 2 diabetes. N Engl J Med 2009;361:1736-47.
  7. Al Hamarneh YN, Sauriol L, Tsuyuki RT. After the diabetes care trial ends, now what? A 1-year follow-up of the RxING study. BMJ Open 2015;5:e008152.
  8. Al Hamarneh YN, Charrois T, Lewanczuk R, Tsuyuki RT. Pharmacist intervention for glycaemic control in the community (the RxING study). BMJ Open 2013;3:e003154.
  9. Michiels B .Quelle est la grande particularité des essais cliniques pragmatiques? MinervaF 2014;13(10):129.
  10. Prescrire Rédaction. Traitement hypoglycémiant du diabète de type 2 (2ème partie). Choisir un hypoglycémiant après la metformine : dans l’incertitude, et selon les effets indésirables. Rev Prescrire 2014;34(274):915-23.
  11. Gerstein HC, Bosch J, Dagenais GR, et al; ORIGIN Trial Investigators. Basal insulin and cardiovascular and other outcomes in dysglycemia. N Engl J Med 2012;367:319-28.
  12. Davy C, Bleasel J, Liu H, et al. Factors influencing the implementation of chronic care models: a systematic literature review. BMC Fam Pract 2015;16:102.
  13. McAdam-Marx C, Dahal A, Jennings B, et al. The effect of a diabetes collaborative care management program on clinical and economic outcomes in patients with type 2 diabetes. J Manag Care Spec Pharm 2015;21:452-68.
  14. The Canadian Diabetes Educator Certification Board (CDECB). URL: http://www.cdecb.ca/. (Site consulté le 28/04/2016.)
  15. Prescrire Rédaction. Diabète de type 2 et metformine. Premier choix en monothérapie : preuves d’efficacité fragile mais effets indésirables acceptables. Rev Prescrire 2014;34:519-23.
  16. Gilbert RE, Mann JF, Hanefeld M, et al; ORIGIN trial investigators. Basal insulin glargine and microvascular outcomes in dysglycaemic individuals: results of the Outcome Reduction with an Initial Glargine Intervention (ORIGIN) trial. Diabetologia 2014,57:1325-31
  17. Kraushaar LE, Krämer A. Are we losing the battle against cardiometabolic disease? The case for a paradigm shift in primary prevention. BMC Public Health 2009;9:64.
  18. Nieuwlaat R, Schwalm JD, Khatib R, Yusuf S. Why are we failing to implement effective therapies in cardiovascular disease? Eur Heart J 2013;34:1262-9.



Ajoutez un commentaire

Commentaires