Analyse


Le liraglutide est-il sans risque au plan cardiovasculaire dans le traitement du diabète de type 2, ou a-t-il même un effet cardioprotecteur ?


15 02 2017

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Marso SP, Daniels GH, Brown-Frandsen K, et al. Liraglutide and cardiovascular outcomes in type 2 diabetes. N Engl J Med 2016;375:311-22. DOI: 10.1056/NEJMoa1603827


Conclusion
Pour le prescripteur, s’il semble raisonnable d’affirmer que le liraglutide ne présente pas une augmentation du risque cardiovasculaire, il n’est cependant pas possible de conclure actuellement sereinement à un avantage de la prescription de liraglutide en termes de risque cardiovasculaire chez les patients atteints de diabète de type 2 à haut risque cardiovasculaire. Son effet hypoglycémiant et son action sur le poids ne pouvant être mis en doute, la décision de prescription doit évidemment également prendre en compte le coût de cette molécule.


 


Minerva a déjà abordé le lien entre le traitement du diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires et plus récemment et spécifiquement de la place de l’empagliflozine dans notre arsenal thérapeutique (1,2). Rappelons que le lien épidémiologique entre le diabète de type 2 et l’athéromatose classique et son cortège de complications cliniques n’est pas douteuse. Cette observation découle d’études transversales ou de cohortes (3,4).

A ce propos, une revue des apports essentiels de la cohorte de Framingham (FHS) vient d’être publiée (5). En premier lieu, la filiation obésité (d’un phénotype particulier) et l’athéromatose, avec le développement « en parallèle » d’une intolérance glucidique associée, de ce qu’il est convenu d’appeler, malgré l’imprécision du terme, un « syndrome métabolique », dont la composante dernière-née est le foie stéatosique non-alcoolique. En second lieu, une « fraction attribuable dans la population » qui lie le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires peut être calculée : elle est estimée à 7,3% pour les femmes et 5% pour les hommes. Le concept de fraction attribuable dans la population (FAP) (6) a une utilité évidente pour l'établissement de priorités dans les politiques de santé, justifiant d’éventuelles études d’intervention.

Ces études d’intervention (contrôle de la glycémie, avec l’HbA1c comme substitut) ont été décevantes ; pire, une augmentation d’évènements cardiovasculaires a été observée dans l’étude ACCORD (7) à l’occasion d’un contrôle intensif de la glycémie, et avec la rosiglitazone (8). Ceci a conduit le régulateur nord-américain (FDA) à exiger des études cliniques de sécurité cardiovasculaire pour les nouvelles classes de médicaments hypoglycémiants (9).

 

Dans cette optique, Marso et al. ont publié en 2016 (10) une étude randomisée en double aveugle qui a comparé le liraglutide (un incrétinomimétique) à un placebo. L’objectif était d’atteindre une HbA1c ≤ 7% dans les 2 groupes et il était donc admis d’ajouter d’autres antidiabétiques (AD) si nécessaire. Le délai de mesure préspécifié était de 36 mois. 9340 patients ont été inclus : âge moyen de 64 ans, durée moyenne du diabète de type 2 de 12,8 ans (HbA1c moyenne de 8,7%, BMI moyen à 32,5 kg/m2) et à haut risque CV (soit 50 ans et ayant déjà présenté une maladie cardiovasculaire, soit 60 ans et ayant au moins un facteur de risque associé). 410 centres de 32 pays ont été impliqués, et le suivi médian a été de 3,8 ans. Les patients étaient inclus après une période d’observation sous placebo de 15 jours. Le critère de jugement primaire était un critère de jugement composite : mort d’origine cardiovasculaire, infarctus du myocarde non mortel, ou accident vasculaire cérébral non mortel. Les patients du groupe placebo ont reçu significativement plus d’insuline (43% versus 29%) et d’autres AD (3% versus 1%) que ceux du groupe liraglutide. L’HbA1c dans le groupe liraglutide était plus bas que dans le groupe placebo à 36 mois : DM de -0,40% (avec IC à 95% de -0,45 à -0,34). Le niveau de contrôle glycémique atteint n’était donc pas identique pour les patients du groupe placebo versus les patients du groupe liraglutide. La perte de poids par rapport aux valeurs initiales a été en moyenne plus importante dans le groupe liraglutide que dans le groupe placebo : -2,3 kg (avec IC à 95% de 2,5 à 2,0). Les résultats montrent que 13% des patients dans groupe liraglutide versus 14,9% dans groupe placebo ont présenté le critère de jugement primaire, soit un HR de 0,87 (avec IC à 95% de 0,78 à 0,97) : différence statistiquement significative en borne de non-infériorité doit, sur avis d’experts, être choisie comme étant égale à la moitié de la borne de supériorité.">non-infériorité (marge fixée à 1,3) (11) et en supériorité (p = 0,01). Cette dernière analyse a été effectuée au sein d’une procédure garantissant la stabilité du probabilité d’erreur de type-I (α) est fixée par le chercheur. Le plus souvent on utilise α = 0,05; cela signifie que l’on accepte 5% de risque que la différence observée soit à tort déclarée « significative ». L’erreur de type-I est donc en relation avec le seuil de signification choisi (valeur p).">risque α.

 

Ces résultats suggèrent donc un effet favorable du liraglutide sur le critère de jugement composite d’évènements cardiovasculaires, avec un NNT de 66 à 3,8 ans et un NNT de 98 à 3,8 ans pour le critère décès de toute cause.

Ces résultats sont inattendus et en contradiction avec ce qui est connu. Il n’existe à ce jour pas d’explication plausible liée à la molécule elle-même (12). Il faut donc retourner à l’examen critique des données disponibles de cette étude. Premièrement le protocole prévoyait une cible de l’HbA1c de 7% et les investigateurs avaient une certaine liberté thérapeutique pour atteindre cette cible : ajout d’autres AD, recours à l’insuline. On observe dès lors dans le groupe contrôle une surprescription significative d’hypoglycémiants par rapport au groupe liraglutide, et un excès d’hypoglycémies. Une hypothèse pourrait donc être que le déséquilibre du traitement hypoglycémiant entre les deux groupes soit responsable des chiffres observés d’évènements cardiovasculaires, via peut-être un mécanisme lié à l’hypoglycémie (13). Il est possible aussi que ces AD aient augmenté, au moins partiellement, le risque cardiovasculaire dans le groupe placebo. Notons également une absence d’information sur le tabagisme. Il est donc très difficile de savoir si le bénéfice observé est attribuable au seul liraglutide et il n’est pas possible de conclure à partir de cette seule étude que le liraglutide a un effet cardioprotecteur réel. Par ailleurs, il est irritant de voir le NNT proposé par les auteurs pour le critère primaire composite sans son intervalle de confiance (recalculé par le groupe bibliographique d’une récente conférence de consensus de l’INAMI à 39-285) (14) : sur la base d’un seul essai, en statistiques fréquentistes, aucune valeur de cet intervalle de confiance n’est plus probable que l’autre. Notons également qu’il y a eu un nombre significativement plus élevé de sorties d’étude dans le groupe liraglutide versus placebo pour effets indésirables. Enfin, ces résultats ne peuvent pas être extrapolés à l’ensemble des patients atteints de diabète de type 2, étant donné les critères de recrutement : seuls des patients à haut risque cardiovasculaire ont été inclus. La validité externe de cette étude est particulièrement limitée.

 

Conclusion

Pour le prescripteur, s’il semble raisonnable d’affirmer que le liraglutide ne présente pas une augmentation du risque cardiovasculaire, il n’est cependant pas possible de conclure actuellement sereinement à un avantage de la prescription de liraglutide en termes de risque cardiovasculaire chez les patients atteints de diabète de type 2 à haut risque cardiovasculaire. Son effet hypoglycémiant et son action sur le poids ne pouvant être mis en doute, la décision de prescription doit évidemment également prendre en compte le coût de cette molécule.

 

 

Nom de marque 

  • liraglutide : Victoza®

 

Références 

  1. Zinman B, Wanner C, Lachin JM, et al; EMPA-REG OUTCOME Investigators. Empagliflozin, cardiovascular outcomes, and mortality in type 2 diabetes. N Engl J Med 2015;373:2117-28. DOI: 10.1056/NEJMoa1504720
  2. Wens J. Empagliflozine : quel effet sur la morbidité et la mortalité cardiovasculaires chez les patients atteints de diabète de type 2. MinervaF 2016;15(4):98-101.
  3. Haffner SM, Lehto S, Rönnemaa T, et al. Mortality from coronary heart disease in subjects with type 2 diabetes and in nondiabetic subjects with and without prior myocardial infarction. N Engl J Med 1998;339:229-34. DOI: 10.1056/NEJM199807233390404
  4. Beckman JA et al. Diabetes and vascular disease: pathophysiology, clinical consequences, and medical therapy: part II. Eur Heart J 2013;34:2444-52. DOI: 10.1093/eurheartj/eht142
  5. Long MT, Fox CS. The Framingham Heart Study - 67 years of discovery in metabolic disease. Nat Rev Endocrinol 2016;12:177-83. DOI: 10.1038/nrendo.2015.226
  6. Levine B. What does the population attributable fraction mean? Prev Chron Dis 2007,4, A14. Available from http://www.cdc.gov/pcd/issues/2007/jan/06_0091.htm
  7. Gerstein AC, Miller ME, Byington RP, et al; Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes Study Group. Effects of intensive glucose lowering in type 2 diabetes. N Engl J Med 2008;358:2545-59. DOI: 10.1056/NEJMoa0802743
  8. Nissen SE, Wolski K. Effect of rosiglitazone on the risk of myocardial infarction and death from cardiovascular causes. N Engl J Med 2007;356:2457-71. DOI: 10.1056/NEJMoa072761
  9. Regulatory watch: FDA issues guidance for cardiovascular risk assessment of novel anti-diabetic agents. Nat Rev Drug Discov 2009;8:99. DOI: 10.1038/nrd2823
  10. Marso SP, Daniels GH, Brown-Frandsen K, et al. Liraglutide and cardiovascular outcomes in type 2 diabetes. N Engl J Med 2016;375:311-22. DOI: 10.1056/NEJMoa1603827
  11. Chevalier P. Etude de non infériorité : intérêt, limites et pièges. MinervaF 2009;8(7):100.
  12. Ussher JR, Drucker DJ. Cardiovascular actions of incretin-based therapies. Circ Res 2014;114:1788-803. DOI: 10.1161/CIRCRESAHA.114.301958
  13. Weiss IA, Valiquette G, Schwarcz MD. Impact of glycemic treatment choices on cardiovascular complications in type 2 diabetes. Cardio Rev 2009;17:165-75. DOI: 10.1097/CRD.0b013e3181a7b34c
  14. INAMI. L’usage rationnel des agonistes du récepteur du GLP-1 en cas de diabète de type 2. Réunion de consensus - 17 novembre 2016.

 




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