Analyse


Prédire le risque thromboembolique artériel et hémorragique sous anticoagulation pour FA


15 02 2017

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Wang SV, Franklin JM, Glynn RJ, et al. Prediction of rates of thromboembolic and major bleeding outcomes with dabigatran or warfarin among patients with atrial fibrillation: new initiator cohort study. BMJ 2016;353:i2607. DOI: 10.1136/bmj.i2607


Conclusion
Cette recherche propose d’enrichir les scores prédictifs de thromboembolie artérielle (CHADS2 et CHA2DS2-VASc par exemple) et d’hémorragies (HAS-BLED par exemple) en cas de traitement anticoagulant (warfarine ou dabigatran) d’une FA sur la base de données d’observation de populations traitées dans la pratique quotidienne, ce qui pourrait permettre un choix individualisé d’un traitement anticoagulant mieux validé. Ce type de démarche se heurte aux limites des études d’observation mais confirme la valeur prédictive limitée de ces scores.



 

Anticoagulant oral en cas de FA : bénéfice versus risque

L’anticoagulation en cas de fibrillation auriculaire (FA) a fait l’objet de nombreuses analyses dans la revue Minerva (voir la synthèse dans le dossier « Anticoagulation orale : nouveaux médicaments » sur ce site) (1).

L’efficacité de cette anticoagulation orale a été estimée globalement à 60% pour la prévention des AVC (2) mais également avec un risque hémorragique accru.

Plusieurs scores ont été proposés pour prédire le risque thromboembolique artériel (AVC) chez les patients avec FA, principalement les scores CHADS2 et CHA2DS2-VASc, et le risque hémorragique en cas de traitement anticoagulant par antagoniste de la vitamine K (AVK), score HAS-BLED en particulier. Nous avons déjà insisté sur les limites prédictives de ces scores, particulièrement pour ce qui est du risque hémorragique (3,4) et sur la différence de sécurité des anticoagulants (AVK comme Nouveaux anticoagulants Oraux (NACOs)) dans le cadre d’études versus pratique courante (5,6). Rappelons aussi que ces scores ont été développés dans des populations non traitées ou traitées (pour une partie de la population) par AVK. Ils ne tiennent pas compte de l’effet spécifique d’un médicament sur le risque prédit.

 

Prédiction du bénéfice et du risque

La recherche de scores plus prédictifs, plus individualisables, du risque thromboembolique artériel en cas de FA, pour mieux apprécier le bénéfice potentiel d’un traitement anticoagulant versus son risque hémorragique, est une question bien actuelle.

Wang et al. (2016) (7) ont évalué, dans une base de données d’une société d’assurance privée étatsunienne comportant 14 millions de sujets américains, l’incidence d’AVC et d’hémorragie chez des sujets initiant entre 2009 et 2013 un traitement anticoagulant pour FA. Parmi les 21 934 patients inclus, 30% étaient sous dabigatran et 70% sous warfarine. Les données en nombre d’évènements sont donc (beaucoup) plus fournies pour la warfarine que pour le dabigatran, ce qui est d’autant plus important qu’il existe des différences de caractéristiques des patients suivant le traitement reçu : par exemple, 29% de patients avec antécédent d’hémorragie pour les patients sous warfarine versus 16% des patients sous dabigatran ; 14% des patients sous dabigatran versus 23% des patients sous warfarine présentaient une FA valvulaire.

 

Ces auteurs ont comparé le risque thromboembolique artériel dans leur cohorte avec celui qui avait été observé dans la RCT RE-LY avec le dabigatran (8,9) selon le score sur les échelles classiques citées plus haut. En l’absence de données scorées différenciées et chiffrées connues pour le score HAS-BLED dans l’étude RE-LY, ils ont utilisé les données de l’étude ARISTOTLE (10,11) pour la prédiction du risque hémorragique.

Partant de l’hypothèse que l’estimation du risque thromboembolique et hémorragique dans des populations d’étude (fort) sélectionnées reflèterait mal le risque au sein des populations dans lesquelles ce traitement est réellement instauré dans la pratique, ils ont comparé le risque observé dans les RCTs avec celui qui pouvait être calculé sur base des données d’observation en leur possession pour leurs affiliés, sur base des mêmes scores prédictifs. Leur modèle tenait ainsi compte pour le risque thromboembolique artériel du sexe, de l’âge (65-74 ans ou ≥75 ans), d’un antécédent d’AVC/AIT thromboembolique, d’une insuffisance cardiaque congestive, d’une hypertension artérielle, d’un diabète, d’une pathologie vasculaire. Le modèle pour le risque de saignement majeur tenait compte d’indicateurs pour les sujets âgés de plus de 65 ans : hypertension artérielle, insuffisance rénale, insuffisance hépatique, antécédent d’AVC ou d’hémorragie (ou prédisposition à une hémorragie), prise d’un médicament avec risque hémorragique, trouble lié à l’alcool, INR labile.

Ils ont calculé l’index C de Harrell pour évaluer le pouvoir discriminatoire entre les différents modèles de prédiction du risque. Un modèle avec une capacité de discriminer identique au hasard entre personnes présentant un évènement et celles n’en présentant pas, a un score C de Harrell de 0,5. Un modèle permettant une discrimination parfaite a un score de 1,0. Ils calculent ainsi des indices de discrimination du score CHADS2 pour les thromboembolies pour les personnes initiant un traitement par dabigatran de 0,59 et de 0,66 pour la warfarine pour les données de la RCT, et respectivement de 0,52 et 0,70 pour le modèle basé sur leurs données d’observation. Ce dernier modèle est donc plus discriminant … pour la warfarine uniquement, probablement par manque de données pour le dabigatran.

Pour ce qui est de la prédiction du risque hémorragique, le modèle établi par ces auteurs montre clairement l’insuffisance du score HAS-BLED en termes de prédiction des hémorragies survenant dans la réalité quotidienne, pour le dabigatran et plus encore pour la warfarine, particulièrement chez les sujets avec score HAS-BLED ≥ 3 (sous-estimation de l’ordre de 4 évènements hémorragiques majeurs par 100 patients/année).

 

L’estimation ne va pas de soi

Les modèles élaborés par ces auteurs reposent sur des données d’observation, avec toutes les limites de ce type de données. Citons entre autres : des évènements comptabilisés sans adjudication centrale, des facteurs de risque (entre autres hémorragiques) pouvant être moins bien enregistrés, des facteurs confondants non identifiés, etc.

Les calculs des auteurs nous rappellent les faiblesses des scores prédictifs actuellement proposés, particulièrement pour le risque hémorragique, dans une population un peu ou fort différente de celles incluses dans les études. La recherche des auteurs se limite à la comparaison entre le dabigatran et la warfarine, et ne peut être extrapolée aux autres NACOs. D’autres études d’observation montrent des différences en efficacité/sécurité entre les différents NACOs dans la pratique quotidienne pour le traitement de la FA non valvulaire (12).

En l’absence de comparaison directe entre différents NACOs, les nombreuses méta-analyses réalisées (classiques ou en réseau), incluant une partie ou toutes les RCTs (choix sélectif et/ou en fonction de la date de recherche dans la littérature) ne permettent pas de tirer de conclusions utiles pour la pratique pour le choix préférentiel d’un NACO dans la FA, principalement en raison de l’hétérogénéité clinique des populations incluses et, souvent, de l’hétérogénéité des résultats des études (13).

 

Conclusion

Cette recherche propose d’enrichir les scores prédictifs de thromboembolie artérielle (CHADS2 et CHA2DS2-VASc par exemple) et d’hémorragies (HAS-BLED par exemple) en cas de traitement anticoagulant (warfarine ou dabigatran) d’une FA sur la base de données d’observation de populations traitées dans la pratique quotidienne, ce qui pourrait permettre un choix individualisé d’un traitement anticoagulant mieux validé. Ce type de démarche se heurte aux limites des études d’observation mais confirme la valeur prédictive limitée de ces scores.

 

 

Références 

  1. Minerva. Anticoagulation orale : nouveaux médicaments. Dossier thématique. Synthèse. Dernière mise à jour le 29/03/2014.
  2. Camm AJ, Lip GY, De Caterina, R, et al; ESC Committee for Practice Guidelines-CPG; Document Reviewers. 2012 focused update of the ESC Guidelines for the management of atrial fibrillation: an update of the 2010 ESC Guidelines for the management of atrial fibrillation. Developed with the special contribution of the European Heart Rhythm Association. Eur Heart J 2012;33:2719-47. DOI: 10.1093/eurheartj/ehs253
  3. Chevalier P. FA et anticoagulants : évaluer le risque hémorragique. Minerva bref 15/11/2014.
  4. Roldán V, Marín F, Manzano-Fernández S, et al. The HAS-BLED score has better prediction accuracy for major bleeding than the CHADS2 or CHA2DS2-VASc scores in anticoagulated patients with atrial fibrillation. J Am Coll Cardiol 2013;62:2199-204. DOI: 10.1016/j.jacc.2013.08.1623
  5. Chevalier P. FA et TEV : efficacité comparative des NAO et de la warfarine. MinervaF 2013;12(3):28-9.
  6. Adam SS, McDuffie JR, Ortel TL, Williams JW Jr. Comparative effectiveness of warfarin and new oral anticoagulants for the management of atrial fibrillation and venous thromboembolism. Ann Intern Med 2012;157:796-807. DOI: 10.7326/0003-4819-157-10-201211200-00532
  7. Wang SV, Franklin JM, Glynn RJ, et al. Prediction of rates of thromboembolic and major bleeding outcomes with dabigatran or warfarin among patients with atrial fibrillation: new initiator cohort study. BMJ 2016;353:i2607. DOI: 10.1136/bmj.i2607
  8. Chevalier P. Dabigatran versus warfarine en cas de fibrillation auriculaire. MinervaF 2010;9(6):74-5.
  9. Connolly SJ, Ezekowitz MD, S. Yusuf, et al; RE-LY Steering Committee and Investigators. Dabigatran versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2009;361:1139-51. DOI: 10.1056/NEJMoa0905561. Erratum in: N Engl J Med 2010;363:1877.
  10. Chevalier P. FA et nouveaux anticoagulants oraux : l’apixaban. Minerva bref 28/10/2011.
  11. Granger CB, Alexander JH, McMurray JJ, et al; ARISTOTLE Committees and Investigators. Apixaban versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2011;365:981-92. DOI: 10.1056/NEJMoa1107039
  12. Larsen TB, Skjoth F, Nielsen PB, et al. Comparative effectiveness and safety of non-vitamin K antagonist oral anticoagulants and warfarin in patients with atrial fibrillation : propensity weighted nationwide cohort study. BMJ 2016;353:i3189. DOI: 10.1136/bmj.i3189
  13. Steinberg BA. Non-vitamin-K oral anticoagulants reduce mortality, stroke and intracranial haemorrhage when compared with warfarin in randomised trials of patients with non-valvular atrial fibrillation. Evid Based Med 2014;19:182. DOI: 10.1136/ebmed-2014-110004

 




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