Analyse


Quelle est la pression artérielle cible à atteindre chez les patients avec coronaropathie stable ?


15 03 2017

Professions de santé

Médecin généraliste
Analyse de
Vidal-Petiot E, Ford I, Greenlaw N, et al; CLARIFY Investigators. Cardiovascular event rates and mortality according to achieved systolic and diastolic blood pressure in patients with stable coronary artery disease: an international cohort study. Lancet 2016;388:2142-52. DOI: 10.1016/S0140-6736(16)31326-5


Conclusion
Cette vaste étude de cohorte prospective conclut qu’il n’est pas recommandé, chez les patients atteints d’une coronaropathie ischémique stable, de vouloir faire baisser la pression artérielle systolique sous 120 mmHg et la pression artérielle diastolique sous 70 mmHg.



 

Minerva a récemment commenté l’étude SPRINT et avait conclu que la valeur cible de pression artérielle systolique à atteindre chez les patients non diabétiques présentant un risque cardiovasculaire élevé était de < 120 mmHg (1,2). Nous avions attiré l’attention sur la survenue de complications (entre autres l’insuffisance rénale) et sur la composition très hétérogène de la population de l’étude. En effet, seulement 20% des participants avaient des antécédents cardiovasculaires personnels. On ignorait quelle proportion de patients souffrait de coronaropathie. La valeur cible du traitement de la pression artérielle dans ce groupe de patients spécifiques reste un sujet de discussion. L’étude CAMELOT (3,4), une étude contrôlée avec placebo, a traité 1 997 patients normotendus atteints d’angor (pression artérielle moyenne 129/78 mmHg) pendant 2 ans avec de l’amlodipine ou un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC). On a observé une diminution statistiquement significative du nombre total de revascularisations coronaires et d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque. Par ailleurs, plusieurs études post hoc (5) parlent de l’éventualité d’une « courbe en J » dans le contrôle de la pression artérielle. La pression artérielle diastolique détermine la pression de perfusion du myocarde pendant la diastole et il est donc possible qu’une ischémie apparaisse en cas d’hypotension artérielle chez les patients dont la fonction coronaire est compromise. 

Une récente étude de cohorte prospective, menée auprès de 22 672 patients (âge moyen de 65,2 ans) qui avaient une coronaropathie stable (6), apporte-t-elle des éclaircissements à cet     égard ? La pression artérielle de départ non traitée, qui était en moyenne de 133,7/78,2 mmHg, a diminué d’un peu moins de 2 mmHg durant la période d’observation de 5 ans. Cette petite diminution n’a rien d’étonnant car il ne s’agissait pas d’une étude d’intervention : les patients continuaient à prendre leur traitement habituel. Les investigateurs ont calculé la différence en termes de critères de jugement cardiovasculaires après une durée moyenne de 5 ans dans 5 groupes avec différentes pressions artérielles systoliques initiales (< 120 mmHg, > 150 mmHg et 3 groupes intermédiaires) et dans 5 groupes avec différentes pressions artérielles diastoliques initiales (< 60 mmHg, > 90 mmHg et 3 groupes intermédiaires). Comme toutes les caractéristiques de départ (à l’exception de la survenue d’un AVC et le taux de HDL-cholestérol) étaient significativement différentes d’un groupe à l’autre (ce qui est prévisible dans une étude de cohorte), les auteurs ont effectué, par étapes, de nombreuses analyses de régression multiple suivant le modèle de hasards proportionnels de Cox.

Le calcul du rapport de hasards (hazard ratio, HR) pour le critère de jugement primaire (composite comprenant décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde et AVC) par sous-groupe de pression artérielle s’est déroulé de manière remarquable. Le HR corrigé était de 2,48 (IC à 95% de 2,14 à 2,87) pour une pression artérielle systolique (PAS) > 150 mmHg, de 1,51 (IC à 95% de 1,32 à 1,73) pour une PAS entre 140 et 149 mmHg et de 1,56 (IC à 95% de 1,36 à 1,81) pour une PAS < 120 mmHg. Le même résultat a été constaté pour la pression artérielle diastolique (PAD). Si la PAD était > 90 mmHg, le HR corrigé était de 3,72 (IC à 95% de 3,15 à 4,38). Pour une PAD initiale < 70 mmHg, le HR était de 1,41 (IC à 95% de 1,27 à 1,57). Un graphique des pressions artérielles versus HR pour le critère de jugement primaire a montré, tant pour la PAS que pour la PAD, une courbe en J parfaite, avec comme valeur minimale (HR = 1) respectivement 130 mmHg et 78 mmHg. Une même courbe en J a été observée pour la PAS et pour la PAD versus HR pour la mortalité cardiovasculaire, la mortalité totale, l’infarctus du myocarde et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque, mais pas pour les AVC. Le risque d’AVC demeurait significativement plus important avec une pression artérielle plus élevée, que ce soit la PAS ou la PAD, mais pas avec une PAS inférieure à 120 mmHg ni avec une PAD inférieure à 70 mmHg. Sur le graphique, cela correspond à un glissement de la courbe en J vers la gauche. Il est également remarquable que, pour les patients âgés de plus 75 ans, on observe les mêmes résultats, hormis qu’il n’y avait pas de risque significativement accru dans le groupe dont la PAS se situait entre 140 et 149 mmHg, ni dans le groupe dont la PAD se situait entre 60 et 69 mmHg. Sur le graphique, cela correspond à un aplatissement de la courbe en J.

Bien qu’il s’agisse d’une étude descriptive, nous ne pouvons pas ignorer ces résultats d’autant plus que les études d’intervention sont (encore) insuffisantes pour ce groupe de patients spécifiques. D’après cette étude, tant la pression artérielle systolique, augmentée ou diminuée, que la pression artérielle diastolique, augmentée ou diminuée (PAS > 140 mmHg et PAD > 80 mmHg et PAS < 120 mmHg et PAD < 70 mmHg) sont associées à une augmentation des critères de jugement cardiovasculaires chez les patients atteints d’une coronaropathie stable. La valeur cible pour le traitement de l’hypertension artérielle reste donc < 140/90 mmHg (7,8).

 

Conclusion

Cette vaste étude de cohorte prospective conclut qu’il n’est pas recommandé, chez les patients atteints d’une coronaropathie ischémique stable, de vouloir faire baisser la pression artérielle systolique sous 120 mmHg et la pression artérielle diastolique sous 70 mmHg.

 

Références 

  1. De Cort P. Contrôle standard ou intensif de la pression artérielle en cas de risque cardiovasculaire accru chez les patients non diabétiques. MinervaF 2016;15(10):250-3.
  2. The SPRINT Research Group. A randomized trial of intensive versus standard blood-pressure control. N Engl J Med 2015;373:2103-16. DOI: 10.1056/NEJMoa1511939
  3. De Cort P. Antihypertenseurs chez des patients normotendus mais avec une ischémie coronarienne. MinervaF 2006;5(6):91-4.
  4. Nissen SE, Tuzcu EM, Libby P, et al. Effect of antihypertensive agents on cardiovascular events in patients with coronary disease and normal blood pressure: the CAMELOT study: a randomized controlled trial. JAMA 2004;292:2217-26. DOI: 10.1001/jama.292.18.2217
  5. Verdecchia P, Angeli F, Mazzotta G, et al. Aggressive blood pressure lowering is dangerous: the J-curve: con side of the argument. Hypertension 2014;63:37-40. DOI: 10.1161/HYPERTENSIONAHA.113.01018
  6. Vidal-Petiot E, Ford I, Greenlaw N, et al; CLARIFY Investigators. Cardiovascular event rates and mortality according to achieved systolic and diastolic blood pressure in patients with stable coronary artery disease: an international cohort study. Lancet 2016;388:2142-52. DOI: 10.1016/S0140-6736(16)31326-5
  7. INAMI. L'usage rationnel des médicaments en cas d'hypertension artérielle. Réunion de consensus du 05-11-2015. Conclusions. Rapport du jury.
  8. De Cort P, Christiaens T, Philips H, et al. Hypertension. Recommandation de Bonne Pratique médicale. SSMG-Domus Medica 2009. Opvolgrapport 2013. Huisarts Nu 2009;38:340-61.

 

 




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