Analyse


Lombalgies aiguës : associé au naproxène, le diazépam ne donne pas de meilleurs résultats qu’un placebo


15 04 2018

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Friedman BW, Irizarry E, Solorzano C et al. Diazepam is no better than placebo when added to naproxen for acute low back pain. Ann Emerg Med 2017;70:169-176.e1. DOI: 10.1016/j.annemergmed.2016.10.002


Conclusion
Chez les patients avec une lombalgie aiguë, non traumatique et sans radiculopathie, cette RCT de bonne qualité méthodologique montre que le diazépam associé au naproxène, versus placebo associé au naproxène, n’améliore ni les résultats fonctionnels ni la douleur, ni à 1 semaine, ni à 3 mois.


Que disent les guides de pratique clinique ?
En cas de lombalgie aiguë non compliquée, à côté des messages de réassurance et d’éducation au mouvement, les objectifs d’une prise en charge thérapeutique sont la maîtrise des symptômes, la prévention des récidives en apprenant les règles d’économie vertébrale et une reprise rapide des activités. Durant cette période, l’évolution étant le plus souvent favorable, il faut éviter une médicalisation excessive qui pourrait favoriser le passage à la chronicité. Plusieurs GPC recommandent qu’en cas de recours à un traitement médicamenteux pour une lombalgie aiguë non compliquée, le premier traitement pharmacologique soit un AINS associé ou non avec un antalgique classique. Cependant, comme le GPC « douleur chronique » publié en 2017 le rappelle fort justement, le risque gastro-intestinal, ainsi que les risques cardiovasculaire et rénal, doivent également être pris en considération. Les AINS devraient être prescrits à la plus faible dose possible et pour de courte durée. La RCT analysée ici ne remet pas en question la recommandation concernant les AINS, mais ne montre aucun intérêt clinique du diazépam associé à un AINS dans la lombalgie aiguë sans complication, ni à 1 semaine, ni à 3 mois, tant en termes de fonctionnalité que de douleur.



Minerva avait déjà montré l’intérêt limité des AINS dans le traitement des lombalgies aiguës (1-4), mais ne s’était jamais intéressé à la place des myorelaxants dans cette indication, alors qu’en pratique les benzodiazépines continuent à être prescrites par certains prestataires, en première intention, associées aux AINS. 

 

L’étude de Friedman publiée en 2017 (5) est une étude randomisée en double aveugle qui a inclus un total de 114 patients se présentant dans deux services d’urgence pour une lombalgie aiguë (< 2 semaines), sans radiculopathie ni traumatisme, dont l’intensité devait être supérieure à 5 points sur l’échelle Roland-Morris. Dans le groupe intervention, 57 patients ont reçu un traitement par naproxène (20 comprimés de 500 mg, à prendre 1 à 2 x/jour pendant 10 jours) associé à du diazépam (28 comprimés de 5 mg, 1 à 2 comprimés à prendre PO toutes les 12 heures pendant 1 semaine). En comparaison 57 autres patients ont reçu la même dose de naproxène associé à 28 comprimés de placebo. Tous les participants ont reçu la même séance d’information sur le mal de dos durant 10 minutes lors de leur passage aux urgences. Le critère de jugement primaire était l’impact de la lombalgie sur les capacités du patient, évalué par le questionnaire Roland-Morris, à leur sortie du service d’urgence et une semaine après. Une différence de 5 points (sur une échelle de 24) devait être observée entre les 2 évaluations pour être cliniquement significative. Les critères de jugement secondaires suivants ont été évalués 1 semaine après le passage aux urgences : la pire douleur ressentie sur les dernières 24 heures, la fréquence de la douleur sur les dernières 24 heures, l’utilisation des analgésiques, la satisfaction par rapport au traitement, le nombre de jours nécessaires à une reprise normale des activités, la fréquence des visites chez un soignant pour la lombalgie. Après 3 mois, nouvelle évaluation par le questionnaire Roland-Morris, ainsi que pour les autres critères de jugement utilisés après 1 semaine. Les effets indésirables des médicaments (douleur abdominale, fatigue, vertige) ont également été évalués.

Après une semaine, le score moyen selon le questionnaire Rolland-Morris chez les patients ayant reçu naproxène et diazépam s’est amélioré de 11 points (avec IC à 95% de 9 à 13), tout comme celui des patients ayant reçu naproxène et placebo qui s’est aussi amélioré de 11 points (avec IC à 95% de 8 à 13). Le nombre de patients ayant ressenti une douleur modérée à sévère était de 18 sur 57 dans le groupe diazépam (32% avec IC à 95% de 21 à 45%) versus 12 sur 55 dans le groupe placebo (22% avec IC à 95% de 13 à 35%).

Après 3 mois, 6 des 50 patients ayant reçu le diazépam (12% avec IC à 95% de 5 à 24%) ont reporté une douleur modérée à sévère, versus 5 des 53 patients sous placebo (9% avec IC à 95% de 4 à 21%). Des effets indésirables ont été rapportés par 12 des 57 patients sous diazépam (21% avec IC à 95% de 12 à 33%) et par 8 des 55 patients sous placebo (15% avec IC à 95% de 7 à 26%).

La méthodologie de recherche par étude randomisée en double aveugle, avec analyse des résultats en intention de traiter, est réalisée de façon tout à fait classique. Les auteurs ont choisi d’utiliser l’échelle d’évaluation du statut fonctionnel de Roland-Morris, qui semble aussi performante que l’autre échelle de référence pour les lombalgies, à savoir l’échelle d’Oswestry (6). Le nombre de patients perdus de vue est équivalent dans les 2 groupes (7 dans le groupe intervention et 4 dans le groupe comparaison). Une des limites de l’étude est qu’elle a été réalisée dans 2 services d’urgence - et pas dans une pratique de médecine générale - et seulement dans une zone socio-économiquement défavorisée. Cependant les facteurs sociaux n’ont qu’une influence très limitée par rapport aux facteurs psychologiques dans le pronostic à plus long terme de la lombalgie (7). Le fait que le degré de contracture musculaire n’ait pas été évalué pourrait aussi être critiqué : cela aurait- en théorie - permis de trier les patients qui auraient pu tirer un meilleur bénéfice du traitement par diazépam. Mais d’une part la contracture musculaire est un symptôme très difficile à mesurer objectivement et d’autre part on ignore si le bénéfice potentiel du diazépam est dû à un effet myorelaxant ou plutôt à un effet sédatif / anxiolytique. 

L’analyse de la littérature montre une évolution chronologique intéressante dans les messages quant à cette indication particulière des benzodiazépines. Le GPC Lombalgie de la SSMG publié en 2001 (8) recommandait l’usage des myorelaxants dans le traitement pharmacologique de la lombalgie, mais ce GPC n’a plus été mis à jour depuis 2001. EBPracticeNet s’inspire d’une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration relativement ancienne (9) pour affirmer que les myorelaxants, dont les benzodiazépines, sont plus efficaces que le placebo pour soulager les lombalgies, mais qu’ils ne sont pas plus efficaces que les AINS, et que la combinaison de relaxants musculaires avec un AINS n'apporte aucun avantage supplémentaire. Il rappelle également les nombreux effets indésirables avec une balance bénéfice/risque restant incertaine. Par contre, le KCE a publié un rapport en 2017 sur le sujet (10) et recommande clairement de ne plus prescrire de myorelaxant pour les lombalgies, en s’inspirant notamment des messages du GPC NICE qui déconseille les anticonvulsivants (benzodiazépines) (11) dans cette indication. La Revue Prescrire abondait déjà dans le même sens lorsque le tétrazépam a été retiré du marché en 2013 (12). L’American College of Physicians dans une revue systématique de 2017 (13) donne encore une place au tétrazépam dans les lombalgies chroniques mais signale que les preuves manquent pour utiliser les benzodiazépines dans les douleurs aiguës.

 

Conclusion

Chez les patients avec une lombalgie aiguë, non traumatique et sans radiculopathie, cette RCT de bonne qualité méthodologique montre que le diazépam associé au naproxène, versus placebo associé au naproxène, n’améliore ni les résultats fonctionnels ni la douleur, ni à 1 semaine, ni à 3 mois.

 

Pour la pratique 

En cas de lombalgie aiguë non compliquée, à côté des messages de réassurance et d’éducation au mouvement, les objectifs d’une prise en charge thérapeutique sont la maîtrise des symptômes, la prévention des récidives en apprenant les règles d’économie vertébrale et une reprise rapide des activités (14,15). Durant cette période, l’évolution étant le plus souvent favorable, il faut éviter une médicalisation excessive qui pourrait favoriser le passage à la chronicité. Plusieurs GPC (15,16) recommandent qu’en cas de recours à un traitement médicamenteux pour une lombalgie aiguë non compliquée, le premier traitement pharmacologique soit un AINS associé ou non avec un antalgique classique. Cependant, comme le GPC « douleur chronique » publié en 2017 (17) le rappelle fort justement, le risque gastro-intestinal, ainsi que les risques cardiovasculaire et rénal, doivent également être pris en considération. Les AINS devraient être prescrits à la plus faible dose possible et pour de courte durée.

La RCT analysée ici ne remet pas en question la recommandation concernant les AINS, mais ne montre aucun intérêt clinique du diazépam associé à un AINS dans la lombalgie aiguë sans complication, ni à 1 semaine, ni à 3 mois, tant en termes de fonctionnalité que de douleur.

 

 

Références  

  1. Chevalier P. AINS pour les lombalgies. MinervaF 2008;7(5):72-3.
  2. Roelofs PD, Deyo RA, Koes BW, et al. Non-steroidal anti-inflammatory drugs for low back pain. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 1. DOI: 10.1002/14651858.CD000396.pub3
  3. Van Wambeke P. Diclofénac et/ou manipulations vertébrales pour les lombalgies aiguës. MinervaF 2008;7(7):104-5.
  4. Hancock MJ, Maher CG, Latimer J, et al. Assessment of diclofenac or spinal manipulative therapy, or both, in addition to recommended first-line treatment for acute low back pain: a randomised controlled trial. Lancet 2007;370:1638-43. DOI: 10.1016/S0140-6736(07)61686-9
  5. Friedman BW, Irizarry E, Solorzano C, et al. Diazepam is no better than placebo when added to naproxen for acute low back pain. Ann Emerg Med 2017;70:169-176.e1. DOI: 10.1016/j.annemergmed.2016.10.002
  6. Chiarotto A, Maxwell LJ, Terwee CB, et al. Roland-Morris Disability Questionnaire and Oswestry Disability Index: which has better measurement properties for measuring physical functioning in nonspecific low back pain? Systematic review and meta-analysis. Phys Ther 2016;96:1620-37. DOI: 10.2522/ptj.20150420
  7. Nicholas MK, Linton SJ, Watson PJ, Main CJ; “Decade of the Flags” Working Group; Early identification and management of psychological risk factors (“yellow flags”) in patients with low back pain: a reappraisal. Phys Ther 2011;91:737-53. DOI: 10.2522/ptj.20100224
  8. Les lombalgies communes. Recommandations de bonne pratique. SSMG Mise à jour: 27/02/2001.
  9. van Tulder MW, Touray T, Furlan AD, et al. Muscle relaxants for non-specific low-back pain. Cochrane Database Syst Rev 2003, Issue 2. DOI: 10.1002/14651858.CD004252
  10. Van Wambeke P, Desomer A, Ailliet L, et al. Guide de pratique clinique pour les douleurs lombaires et radiculaires. Résumé. Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2017. KCE Reports 287Bs. D/2017/10.273/34.
  11. Nationale Institute for Health and Care Excellence. Low back pain and sciatica in over 16s : assessment and management. NICE guideline [NG59]. Published date: November 2016.
  12. Prescrire Rédaction. Dernière minute - tétrazépam vers un retrait du marché européen. Rev Prescrire 2013;33:420.
  13. Qaseem A, Wilt TJ, McLean RM, Forciea MA; Clinical Guidelines Committee of the American College of Physicians. Noninvasive treatments for acute, subacute, and chronic low back pain: a clinical practice guideline from the American College of Physicians. Ann Intern Med 2017;166:514-30. DOI: 10.7326/M16-2367
  14. Référentiel concernant la rééducation en cas de lombalgie commune. HAS 2011. URL: https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2011-05/actes_kine_lombalgies_-_argumentaire_v2.pdf.pdf
  15. Lombalgie. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 30/06/2017.
  16. National Guideline Clearinghouse (NGC). Noninvasive treatments for acute, subacute, and chronic low back pain: a clinical practice guideline from the American College of Physicians. Guideline summary. Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ), 4/04/2017. Disponible sur : https://www.guideline.gov
  17. Henrard G, Cordyn S, Chaspierre A, et al. GPC Prise en charge de la douleur chronique en première ligne de soins. Date de publication: 29/06/2017. Disponible sur : http://www.ebp-guidelines.be/home

 

 




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