Analyse


Faut-il traiter l’hypothyroïdie infraclinique chez la femme enceinte ?


15 06 2018

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien, Sage-femme
Analyse de
Casey BM, Thom EA, Peaceman AM, et al. Treatment of subclinical hypothyroidism or hypothyroxinemia in pregnancy. N Engl J Med 2017;376:815-25. DOI: 10.1056/NEJMoa16062


Conclusion
La supplémentation en hormone thyroïdienne chez la femme enceinte en hypothyroïdie infraclinique (TSH isolément augmentée découverte lors d’un dépistage systématique) versus placebo ne semble améliorer ni le déroulement de la grossesse ni le développement psychomoteur et cognitif ultérieur de l’enfant, du moins quand elle est entamée relativement tardivement dans la grossesse comme c’est le cas dans cette étude.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le guide de pratique clinique (GPC) belge sur le suivi de la grossesse n’aborde pas la question du dépistage ou du traitement des dysfonctions thyroïdiennes pendant la grossesse. Un GPC européen, datant de 2014, recommande de suppléer en hormones thyroïdiennes les femmes enceintes en hypothyroïdie infraclinique (recommandation forte) mais reconnaît l’absence de preuves de qualité sur la question. Un tout récent GPC américain recommande lui de considérer la supplémentation, notamment en fonction du taux d’anticorps anti-TPO. L’étude ici analysée ne permet pas de trancher la question.



Minerva n’a jamais abordé la question de l’hypothyroïdie, encore moins en cas de grossesse. Si le traitement supplétif à base d’hormone thyroïdienne semble unanimement recommandé en cas de découverte d’une hypothyroïdie franche (TSH élevée et T4 abaissée) (1), l’intérêt de traiter une hypothyroïdie « frustre » (TSH isolément augmentée), dite infraclinique, qui est retrouvée chez jusqu’à 3% des femmes enceintes (1) et qui est associée à divers problèmes pendant la grossesse ainsi qu’à un possible retard de développement psychomoteur et cognitif chez l’enfant (2), reste sujette à débat.

 

Une étude clinique randomisée de 2017 se penche sur la question (3). 677 femmes (âge moyen 27,7 ans), enceintes d’une grossesse monofoetale, s’étant présentées pour un suivi prénatal avant 20 semaines de gestation dans 15 centres de seconde ligne et ayant une TSH supérieure à 4mU/l lors d’un dépistage systématique (et donc sans signe clinique), ont été randomisées pour recevoir 100 microgrammes de L-thyroxine (dose ajustée mensuellement) ou un placebo. De manière intéressante, les ajustements de dose étaient simulés dans le groupe placebo pour respecter le secret d’attribution chez les patientes. L’insu a également été correctement assuré pour l’équipe de recherche et par la suite les examinateurs. Le dessin d’étude comportait une période d’inclusion de 7 jours à l’issue de laquelle seules les patientes suffisamment observantes (≥50%) ont été randomisées, ce qui en diminue le caractère pragmatique et diminuerait la validité externe d’éventuelles différences observées.

Le critère de jugement primaire était le QI des enfants évalué avec le Wechsler Preschool and Primary Scale of Intelligence III à l’âge de 5 ans. Le score médian est de 97 (avec IC à 95% de 94 à 99) dans le groupe L-thyroxine et de 94 (avec IC à 95% de 92 à 96) dans le groupe placebo (différence non significative, p = 0,71). Les critères de jugement secondaires comprenaient d’autres échelles de développement psychomoteur adaptées à d’autres âges (les enfants étaient examinés annuellement) et une série de conditions néonatales et aucun n’est statistiquement significatif. L’étude étudiait également l’effet du traitement supplétif versus placebo en cas d’hypothyroxinémie isolée. Les résultats sur les mêmes critères d’évaluation se sont également révélés négatifs mais ne seront pas discutés dans le cadre de cette analyse courte.

Les critères d’inclusion autorisaient des grossesses entre 8 et 20 semaines de gestation et l’âge gestationnel moyen a été de 16,7 semaines. La proportion de patientes testées pendant le premier trimestre, et donc supplées précocement, dont les fœtus sont potentiellement plus susceptibles de bénéficier de l’intervention étant donné qu’à ce stade la glande thyroïde fœtale n’est pas encore active, n’est pas rapportée. Une analyse en sous-groupe est évoquée (comme négative) mais pas discutée. Un éditorial connexe à l’article dans le même numéro du NEJM conclut sur cette base que la question reste ouverte et, en vertu d’une balance risque bénéfice de l’intervention jugée favorable, se positionne en faveur de la supplémentation (4). 

 

Conclusion 

La supplémentation en hormone thyroïdienne chez la femme enceinte en hypothyroïdie infraclinique (TSH isolément augmentée découverte lors d’un dépistage systématique) versus placebo ne semble améliorer ni le déroulement de la grossesse ni le développement psychomoteur et cognitif ultérieur de l’enfant, du moins quand elle est entamée relativement tardivement dans la grossesse comme c’est le cas dans cette étude.

 

Pour la pratique 

Le guide de pratique clinique (GPC) belge sur le suivi de la grossesse n’aborde pas la question du dépistage ou du traitement des dysfonctions thyroïdiennes pendant la grossesse (5). Un GPC européen, datant de 2014 (6), recommande de suppléer en hormones thyroïdiennes les femmes enceintes en hypothyroïdie infraclinique (recommandation forte) mais reconnaît l’absence de preuves de qualité sur la question. Un tout récent GPC américain recommande lui de considérer la supplémentation, notamment en fonction du taux d’anticorps anti-TPO (1). L’étude ici analysée ne permet pas de trancher la question.

 

 

Références 

  1. Alexander EK, Pearce EN, Brent GA, et al. 2017 Guidelines of the American Thyroid Association for the Diagnosis and Management of Thyroid Disease During Pregnancy and the Postpartum. Thyroid 2017;27:315-89. DOI: 10.1089/thy.2016.0457
  2. Haddow JE, Palomaki GE, Allan WC, et al. Maternal thyroid deficiency during pregnancy and subsequent neuropsychological development of the child. N Engl J Med 1999;341:549‑55. DOI: 10.1056/NEJM199908193410801
  3. Casey BM, Thom EA, Peaceman AM, et al. Treatment of subclinical hypothyroidism or hypothyroxinemia in pregnancy. N Engl J Med 2017;376:815-25. DOI: 10.1056/NEJMoa1606205
  4. Cooper DS, Pearce EN. Subclinical hypothyroidism and hypothyroxinemia in pregnancy – still no answers. N Engl J Med 2017;376:876-7. DOI: 10.1056/NEJMe1615312
  5. Dekker N, Goemaes R, Neirinckx J, et al. Zwangerschapsbegeleiding. Domus Medica 2012. Available from: https://www.domusmedica.be/varia/docman-alles/publiek/praktijkdocumenten/richtlijnen/731-zwangerschapsbegeleiding-1.html (site consulté le 14/03/2018)
  6. Lazarus J, Brown RS, Daumerie C, et al. 2014 European thyroid association guidelines for the management of subclinical hypothyroidism in pregnancy and in children. Eur Thyroid J 2014;3:76-94. DOI: 10.1159/000362597

 

 


Auteurs

Kang T.
Département de Médecine générale, ULiège
COI :

Henrard G.
Département de Médecine générale, ULiège
COI :

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