Analyse


Le traitement de l’hypertension artérielle est-il plus efficace s’il s’appuie sur le profil de risque cardiovasculaire global ?


01 12 2018

Professions de santé

Médecin généraliste
Analyse de
Karmali KN, Lloyd-Jones DM, van der Leeuw J, et al. Blood pressure-lowering treatment strategies based on cardiovascular risk versus blood pressure: a meta-analysis of individual participant data. PLOS Med 2018;15:e1002538. DOI: 10.1371/journal.pmed.1002538


Conclusion
Une analyse post-hoc de 11 études randomisées contrôlées nous permet de conclure qu’un traitement hypotenseur s’appuyant sur le profil de risque cardiovasculaire global est probablement plus efficace pour la prévention des événements cardiovasculaires qu’un traitement guidé par la pression artérielle systolique.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Les guides de pratique clinique européens et les directives américaines les plus récentes pour le traitement de l’hypertension artérielle recommandent de tenir compte du profil de risque cardiovasculaire global du patient à l’instauration d’un traitement hypotenseur et lors de son adaptation. La recommandation belge de 2007 pour la gestion du risque cardiovasculaire global (Globaal Cardiovasculair risicobeheer) (en révision) et le rapport de suivi de la recommandation de Domus Medica pour l’hypertension artérielle préconisent d’instaurer un traitement non médicamenteux et médicamenteux rigoureux en cas de pression artérielle très élevée (pression artérielle systolique > 180 et/ou pression artérielle diastolique > 110), tout comme en cas de prévention secondaire et de SCORE > 10%. L’étude dont il a été question ici montre que, même si la pression artérielle est très élevée, le traitement sera plus efficace s’il s’appuie sur le profil de risque cardiovasculaire global que sur la pression artérielle systolique.



Minerva s’est déjà posé la question de savoir si un traitement du risque cardiovasculaire global s’appuyant sur un outil correctement élaboré pour estimer ce risque (outil SCORE, QRISK...) apporte un gain clinique par rapport à un traitement basé sur un facteur de risque isolé (par ex. la pression artérielle) (1,2). Il n’existe pas de preuve scientifique sérieuse à ce sujet. Seule une étude de simulation suggère un avantage des outils d’estimation du risque (3). Par ailleurs, une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration, publiée en 2017, a montré qu’une stratégie s’appuyant sur les tables de risque cardiovasculaire n’apporte pas de bénéfice clinique par comparaison avec une prise en charge classique, mais qu’elle entraîne une augmentation (inutile) de l’utilisation des statines et des antihypertenseurs (4,5).

 

En 2018, une publication semble intéressante à ce propos (6). Ses auteurs ont effectué une analyse post-hoc à partir des données individuelles des participants de 11 études sélectionnées portant sur l’hypertension artérielle (n = 47872) avec un suivi de 4 ans en moyenne. Les critères d’inclusion étaient : un antihypertenseur versus un placebo, ou un traitement antihypertenseur plus intensif versus un traitement antihypertenseur moins intensif ; un suivi d’au moins 1000 patients-années ; la présence de toutes les données pour le calcul du risque cardiovasculaire global (RCVG). Pour chaque percentile de la pression artérielle et du stade de RCVG, le risque d’événements cardiovasculaires à 5 ans a été comparé entre le groupe traitement et le groupe placebo ou entre les groupes plus ou moins traités intensivement. Un plus grand nombre d’événements cardiovasculaires ont pu être évités avec la stratégie d’un traitement s’appuyant sur le RCVG qu’avec la stratégie simplement guidée par la pression artérielle systolique (PAS) : l’aire sous la courbe pour la stratégie basée sur le RCVG était 0,71 (IC à 95% de 0,70 à 0,72) vs 0,54 (IC à 95% de 0,53 à 0,55) pour le traitement basé sur la pression artérielle systolique. Il s’ensuit que, pour éviter un même nombre d’événements cardiovasculaires dans les groupes de percentile qui correspondent pour le RCVG et pour l’augmentation de la pression artérielle, on devrait, avec la stratégie s’appuyant sur le RCVG, traiter 29% de patients en moins (IC à 95% de 26% à 31%) qu’avec un traitement basé sur une PAS ≥ 150 mmHg et 3,8 % de patients en moins (ce qui n’est pas statistiquement significatif) qu’avec un traitement basé sur une PAS ≥ 140 mmHg. En d'autres termes, pour le même nombre de patients traités, 16% (IC à 95% de 14% à 18%) et 3,1% (IC à 95% de 1,5% à 5%) évitent davantage d'événements cardiovasculaires avec une stratégie basée sur le GCVR que lorsque tout le monde serait traité sur base d’une pression artérielle respectivement supérieure à 150 mmHg et 140 mmHg. Une analyse de sous-groupe apporte des nuances : en cas de diabète, il n’y a pas de différence selon que l’on suive une stratégie thérapeutique ou l’autre, et les patients ayant des antécédents cardiovasculaires s’en sortent mieux avec un traitement basé simplement sur la PAS. Ce dernier point s’explique peut-être par le fait que ces patients sont systématiquement traités comme faisant partie d’un « groupe à haut risque ».

Nous soulignons qu’il s’agit d’une analyse secondaire d’études portant sur l’hypertension artérielle qui sont le plus souvent anciennes, avec des populations sélectionnées et diverses stratégies thérapeutiques (hétérogénéité non mentionnée) et qu’aucun patient inclus n’avait été traité sur la base de son RCVG. Chez tous les patients, c’est finalement la pression artérielle qui a été utilisée pour décider du traitement. En outre, dans 4 des 11 études incluses, le taux de cholestérol était une donnée manquante, qui a été remplacée par l’IMC. La stratégie pour le calcul du risque cardiovasculaire est décrite, mais n’est pas conforme à un outil de risque existant.

Malgré ces limitations, cette étude apporte une (première) preuve scientifique valable concernant le fait que le risque relatif d’une augmentation de la pression artérielle est constant pour les différents degrés d’hypertension artérielle, mais que le risque absolu peut varier d’un facteur 20 lorsque l’on tient compte des autres facteurs de risque cardiovasculaire, à savoir l’âge, la prévention secondaire et un SCORE > 10%. Une validation prospective de ces résultats par une nouvelle vaste étude serait idéale, mais on ne l’attend pas avant un certain temps.

 

Conclusion

Une analyse post-hoc de 11 études randomisées contrôlées nous permet de conclure qu’un traitement hypotenseur s’appuyant sur le profil de risque cardiovasculaire global est probablement plus efficace pour la prévention des événements cardiovasculaires qu’un traitement guidé par la pression artérielle systolique.

 

Pour la pratique

Les guides de pratique clinique européens (7) et les directives américaines les plus récentes pour le traitement de l’hypertension artérielle (8) recommandent de tenir compte du profil de risque cardiovasculaire global du patient à l’instauration d’un traitement hypotenseur et lors de son adaptation. La recommandation belge de 2007 pour la gestion du risque cardiovasculaire global (Globaal Cardiovasculair risicobeheer) (9) (en révision) et le rapport de suivi de la recommandation de Domus Medica pour l’hypertension artérielle (10) préconisent d’instaurer un traitement non médicamenteux et médicamenteux rigoureux en cas de pression artérielle très élevée (pression artérielle systolique > 180 et/ou pression artérielle diastolique > 110), tout comme en cas de prévention secondaire et de SCORE > 10%. L’étude dont il a été question ici montre que, même si la pression artérielle est très élevée, le traitement sera plus efficace s’il s’appuie sur le profil de risque cardiovasculaire global que sur la pression artérielle systolique.

 

 

Références 

  1. De Cort P. QRISK3, la nouvelle mise à jour de l’instrument britannique pour le calcul du risque cardiovasculaire. MinervaF 2017;16(8):197-9.
  2. Hippisley-Cox J, Coupland C, Brindle P. Development and validation of QRISK3 risk prediction algorithms to estimate future risk of cardiovascular disease: prospective cohort study. BMJ 2017;357:j2099. DOI: 10.1136/bmj.j2099
  3. Sussman J, Vijan S, Hayward R. Using benefit-based tailored treatment to improve the use of antihypertensive medications. Circulation 2013;128:2309-17. DOI: 10.1161/CIRCULATIONAHA.113.002290
  4. Karmali KN, Persell SD, Perel P, et al. Risk scoring for the primary prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD006887.pub4
  5. De Cort P. Une ombre sur le dépistage du risque cardiovasculaire global en prévention primaire ? [Editorial] MinervaF 2017;16(6):136-7.
  6. Karmali KN, Lloyd-Jones DM, van der Leeuw J, et al. Blood pressure-lowering treatment strategies based on cardiovascular risk versus blood pressure: a meta-analysis of individual participant data. PLOS Med 2018;15:e1002538. DOI: 10.1371/journal.pmed.1002538
  7. Mancia G, Fagard R, Narkiewicz K, et al. 2013 ESH/ESC Guidelines for the management of arterial hypertension: the Task Force for the Management of Arterial Hypertension of the European Society of Hypertension (ESH) and of the European Society of Cardiology (ESC). Eur Heart J 2013;34:2159-2219. DOI: 10.1093/eurheartj/eht151 (mise à jour prévue pour août 2018)
  8. Whelton PK, Carey RM, Aronow WS, et al. 2017 ACC/AHA/AAPA/ABC/ACPM/AGS/APhA/ASH/ASPC/NMA/PCNA Guidelines for the prevention, detection, evaluation and management of high blood pressure in adults. J Am Coll Cardiol 2018;71:e127-e248. DOI: 10.1016/j.jacc.2017.11.006
  9. Boland B, Christiaens T, Goderis G, et al. Globaal cardiovasculair risicobeheer. Huisarts Nu 2007;36:339-69.
  10. De Cort P, Christiaens T, Philips H, et al. Hypertensie. Herziene aanbeveling. Domus Medica 2009. Huisarts Nu 2009;38:340-61. Opvolgrapport 2013.

 




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