Analyse


Ablation par cathéter en cas de fibrillation auriculaire avec insuffisance cardiaque ?


15 04 2019

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Marrouche NF, Brachmann J, Andresen D, et al ; CASTLE-AF Investigators. Catheter ablation for atrial fibrillation with heart failure. N Engl J Med 2018;378:417-27. DOI: 10.1056/NEJMoa1707855


Conclusion
Cette RCT, en protocole ouvert et aux limites méthodologiques et d’indépendance soulignées, montre un bénéfice d’une ablation par cathéter versus traitement médical chez des patients en insuffisance cardiaque présentant une fibrillation auriculaire (résistante à un traitement par médicaments antiarythmiques) en termes de cas de décès (principalement cardiovasculaires) et d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque épargnés.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Un rapport du KCE de 2012 concernant l'ablation par cathéter de la fibrillation auriculaire rappelait la complexité d’une telle intervention, ses risques, y compris de récidive. Vu le coût de l’intervention, le KCE recommandait, comme d’autres sources, de réserver cette intervention aux patients symptomatiques pour lesquels un contrôle du rythme par traitement médicamenteux avait échoué. La RCT analysée ici invite à adopter une même attitude chez les patients avec une insuffisance cardiaque avec FEVG diminuée et présentant une FA, mais le niveau de preuve est bien faible.



Traitements de la fibrillation auriculaire

La prise en charge d’une fibrillation auriculaire (FA) comporte deux volets : un traitement anticoagulant, dans des conditions bien précises, sujet déjà fréquemment discuté dans la revue Minerva, et un traitement de la tachycardie soit par ralentissement de la réponse ventriculaire (contrôle de la fréquence ou « rate control ») ou par une restauration du rythme sinusal (contrôle du rythme ou « rhythm control ») par médicament et/ou par ablation par cathéter.

Nous avions déjà abordé, dans la revue Minerva, une évaluation de l’intérêt du contrôle du rythme versus contrôle de la fréquence ventriculaire par médicaments (1-3), en concluant à l’absence de preuve d’une supériorité d’une approche versus l’autre tant en termes de morbidité qu’en termes de mortalité. Une synthèse méthodique publiée en 2014 (4) confirmait cette efficacité semblable.

Dans l’approche contrôle du rythme, nous avons également publié l’analyse d’une RCT (5,6) comparant ablation par radiofréquence et médicaments antiarythmiques comme traitement initial de la fibrillation auriculaire paroxystique ; si une efficacité supérieure de l’ablation était observée, celle-ci était modeste (récidive chez plus de la moitié des participants avec ablation) et au prix d’un risque accru d’effets indésirables potentiellement graves.

Un rapport du KCE de 2012 concernant l'ablation par cathéter de la fibrillation auriculaire (7) rappelait la complexité d’une telle intervention, ses risques, y compris de récidive. Vu le coût de l’intervention, le KCE recommandait, comme d’autres sources (8), de réserver cette intervention aux patients symptomatiques pour lesquels un contrôle du rythme par traitement médicamenteux avait échoué​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​.

En 2015, une étude en Health Technology Assessment (9) soulignait que le bénéfice réel de cette approche par ablation, dans la pratique, versus autres traitements, restait à préciser.

 

Traitements de la FA en cas d’insuffisance cardiaque

Pour la sous-population présentant une FA et une insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection (FEVG) diminuée, une approche contrôle du rythme (cardioversion plus médicament) ne s’est pas montrée supérieure versus approche contrôle de la fréquence (10). L’intérêt d’une ablation par cathéter versus traitement médical avait été montré dans deux RCTs mais sur des critères intermédiaires : amélioration de la FEVG (étude CAMTAF (11)), maintien du rythme sinusal et amélioration de la FEVG (12). Par contre, un bénéfice n’avait pas encore été montré dans une RCT en termes de critères forts (décès, progression de l’insuffisance cardiaque).

 

Nouvelle RCT, avec des critères cliniques forts

L’étude CASTLE-AF (13), publiée en 2018, a évalué l’intérêt d’une ablation par cathéter versus traitement médical chez 363 patients (âge médian de 64 ans, 86% d’hommes) en insuffisance cardiaque (NYHA de I à IV, majoritairement II, très rares IV), avec une FA paroxystique (30 à 35%) ou persistante (70 à 65%), avec défibrillateur implanté (pour monitorer la récidive de FA). Ces patients devaient également soit refuser la prise d’anti-arythmiques, soit présenter une absence de réponse à ces traitements, soit présenter des effets indésirables non acceptables *. Cette RCT est multicentrique, en protocole ouvert (avec les limites d’un tel protocole). L’ablation par cathéter est effectuée par un praticien expérimenté et vise une restauration du rythme sinusal ; elle peut être répétée en cas de récidive (24,5% des patients dans cette étude) ; après ablation, un traitement par warfarine est administré pendant au moins 6 mois. Le traitement médical (antiarythmique) n’est pas imposé mais il doit correspondre aux GPC en vigueur, en visant le maintien en rythme sinusal mais un traitement de contrôle de la fréquence est également admis. La publication ne donne pas de détails sur le traitement médicamenteux administré en cours d’étude. L’étude est sponsorisée par la firme Biotronik qui a fourni le matériel nécessaire pour au moins ¾ des patients, firme avec laquelle la majorité des auteurs de cette étude ont des conflits d’intérêt.

L’étude a été arrêtée prématurément, « faute de recrutement et de nombre de cas répondant aux critères de jugement primaire suffisants ». Le suivi moyen est de 37,6 (± 20,4) mois post 1ère ablation. Il y a une permutation significative entre les bras d’étude : 15,6% des sujets du groupe ablation vers le groupe traitement médical et 9,8% du groupe médical vers le groupe ablation par cathéter.
Pour le critère de jugement composite primaire, décès ou hospitalisation pour dégradation de l’insuffisance cardiaque, le HR est en faveur de l’ablation : 0,62 avec IC à 95% de 0,43 à 0,87 ; p = 0,007 pour une régression de Cox. Les auteurs mentionnent un NNT à 36 mois de 8,3 (IC à 95% non donné). Les résultats sont également significatifs pour les deux éléments du critère primaire, la moindre fréquence des décès étant principalement liée à moins de décès cardiovasculaires. Les auteurs précisent que les analyses par protocole et par traitement réellement reçu montrent des résultats similaires à ceux en intention de traiter modifiée (avec exclusion des sorties d’étude et des décès pendant la période de pré-inclusion, période permettant d’ajuster le traitement de l’insuffisance cardiaque en accord avec les GPC).

Une analyse en sous-groupe montre que le bénéfice est significativement plus important en cas de FEVG <25% que si elle est au moins égale à 25%.

Pour les patients ayant subi une ablation par cathéter avec un suivi jusqu’à 60 mois, 50% présentent une récidive de la FA. Les effets indésirables sérieux observés post ablation (n = 179) sont : effusion péricardique (n = 3), hémorragie sévère (n = 3), sténose asymptomatique de la veine pulmonaire (1 patient).

 

Conclusion

Cette RCT, en protocole ouvert et aux limites méthodologiques et d’indépendance soulignées, montre un bénéfice d’une ablation par cathéter versus traitement médical chez des patients en insuffisance cardiaque présentant une fibrillation auriculaire (résistante à un traitement par médicaments antiarythmiques) en termes de cas de décès (principalement cardiovasculaires) et d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque épargnés.

 

Pour la pratique

Un rapport du KCE de 2012 concernant l'ablation par cathéter de la fibrillation auriculaire (7) rappelait la complexité d’une telle intervention, ses risques, y compris de récidive. Vu le coût de l’intervention, le KCE recommandait, comme d’autres sources (8), de réserver cette intervention aux patients symptomatiques pour lesquels un contrôle du rythme par traitement médicamenteux avait échoué. ​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​

La RCT analysée ici invite à adopter une même attitude chez les patients avec une insuffisance cardiaque avec FEVG diminuée et présentant une FA, mais le niveau de preuve est bien faible.

 

* Nous n’avons trouvé nulle part dans la publication de justification à établir un protocole dans lequel des sujets refusant de prendre des médicaments antiarythmiques pouvaient être randomisés dans un groupe dans lequel c’était le traitement imposé.

 

 

Références 

  1. Duytschaever M, Tavernier R. Fibrillation auriculaire: contrôler la fréquence ou le rythme. MinervaF 2004;3(1):4-6.
  2. Wyse DG, Waldo AL, DiMarco JP, et al. A comparison of rate control and rhythm control in patients with atrial fibrillation (AFFIRM). N Engl J Med 2002;347:1825-33. DOI: 10.1056/NEJMoa021328
  3. Van Gelder IC, Hagens VE, Bosker HA, et al; Rate Control versus Electrical Cardioversion for Persistent Atrial Fibrillation Study Group. A comparison of rate control and rhythm control in patients with recurrent persistent atrial fibrillation. N Engl J Med 2002;347:1834-40. DOI: 10.1056/NEJMoa021375
  4. Al-Khatib SM, Allen LaPointe NM, Chatterjee R, et al. Rate- and rhythm-control therapies in patients with atrial fibrillation: a systematic review. Ann Intern Med 2014;160:760-73. DOI: 10.7326/M13-1467
  5. Delmotte P. Fibrillation auriculaire paroxystique : ablation par radiofréquence versus médicaments antiarythmiques. Minerva bref 15/06/2015.
  6. Morillo CA, Verma A, Connolly SJ, et al; RAAFT-2 Investigators. Radiofrequency ablation vs antiarythmic drugs as first-line treatment of paroxysmal atrial fibrillation (RAAFT-2): a randomized trial. JAMA 2014;311:692-700. DOI: 10.1001/jama.2014.467
  7. Van Brabandt H, Neyt M, Devos C. L'ablation par cathéter de la fibrillation auriculaire. Synthèse Health Techhnology Assessment (HTA). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2012. KCE Report 184Bs. D/2012/10.273/58. 
  8. Nault I, Miyazaki S, Forclaz A. Drugs vs. ablation for the treatment of atrial fibrillation: the evidence supporting catheter ablation. Eur Heart J 2010;31:1046-54. DOI: 10.1093/eurheartj/ehq079
  9. Skelly A, Hashimoto R, et al. Catheter ablation for treatment of atrial fibrillation. AHRQ Technology Assessment. Rockville (MD): Agency for Healthcare Research and Quality (US); 2015.
  10. Roy D, Talajic M, Nattel S, et al ; Atrial Fibrillation and Congestive Heart Failure Investigators. Rhythm control versus rate control for atrial fibrillation and heart failure. N Engl J Med 2008;358:2667-77. DOI: 10.1056/NEJMoa0708789
  11. Hunter RJ, Berriman TJ, Diab I, et al. A randomized controlled trial of catheter ablation versus medical treatment of atrial fibrillation in heart failure (the CAMTAF trial). Circ Arrhythm Electrophysiol 2014;7:31-8. DOI: 10.1161/CIRCEP.113.000806
  12. Di Biase L, Mohanty P, Mohanty S, et al. Ablation versus amiodarone for treatment of persistent atrial fibrillation in patients with congestive heart failure and an implanted device: results from the AATAC multicenter randomized trial. Circulation 2016;133:1637-44.DOI: 10.1161/CIRCULATIONAHA.115.019406
  13. Marrouche NF, Brachmann J, Andresen D, et al; CASTLE-AF Investigators. Catheter ablation for atrial fibrillation with heart failure. N Engl J Med 2018;378:417-27. DOI: 10.1056/NEJMoa1707855

 




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