Analyse


Efficacité et sécurité des opioïdes oraux ou transdermiques dans le traitement des douleurs de l’appareil locomoteur chez les patients âgés


15 06 2019

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Megale R, Deveza L, Blyth F, et al. Efficacy and safety of oral and transdermal opioid analgesics for musculoskeletal pain in older adults: a systematic review of randomized, placebo-controlled trials. J Pain 2018;19:475.e1-475.e24. DOI: 10.1016/j.jpain.2017.12.001


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse confirme les conclusions antérieures de Minerva, à savoir que, chez les patients âgés souffrant de douleurs chroniques de l’appareil locomoteur, l’utilisation d’opioïdes montre peu d’effets cliniques positifs mais expose à un risque significativement accru d’effets indésirables.


Que disent les guides de pratique clinique ?
La recommandation d’Ebpracticenet sur la prise en charge de la douleur chronique note que « préalablement à l’initiation d’un traitement par opioïdes dans le cadre de la douleur chronique, il importe de fixer des objectifs réalistes pour soulager la douleur et surtout pour améliorer la capacité fonctionnelle dans la vie quotidienne. Une réévaluation régulière de la balance bénéfices-risques est nécessaire. Le traitement opioïde ne devrait être poursuivi que dans le cas d’une amélioration cliniquement significative de la douleur et de la capacité fonctionnelle ». Face à un patient âgé souffrant de douleur chronique de l’appareil locomoteur, la balance bénéfice-risque de la prescription d’un opioïde n’est probablement pas favorable. Une prescription, à éviter autant que possible, ne pourra se faire qu’avec beaucoup de prudence, après avoir discuté avec le patient des avantages potentiels limités attendus en regard des risques encourus, et en surveillant bien la survenue d’effets indésirables.



Minerva a déjà abordé à plusieurs reprises la question du traitement des douleurs chroniques non cancéreuses par opioïdes dans diverses situations cliniques. Un éditorial publié en 2015 (1) recommandait d’éviter l’utilisation des opiacés comme traitement de longue durée de la douleur dans ce cas. Une autre étude de 2016 (2,3) concluait que, pour les patients souffrant de douleurs chroniques non liées à un cancer, si des opiacés sont prescrits – ce qui est à éviter – mieux vaut ne pas recourir à des dérivés à longue durée d’action en raison d’un risque majoré de surdosage non intentionnel avec ou sans décès, particulièrement élevé en début de traitement. En 2016, une analyse d’une synthèse méthodique avec méta-analyses de bonne qualité méthodologique montrait une absence d’efficacité cliniquement pertinente en termes de soulagement de la douleur ou d’amélioration fonctionnelle dans l’arthrose du genou ou de la hanche des opioïdes oraux ou transdermiques versus placebo ou pas de traitement, tout en mettant en évidence un risque accru d’effets indésirables et de dépendance aux opioïdes (4,5). Une étude plus ancienne de 2007 (6,7) concluait à une efficacité probable (statistiquement non significative), à court terme, des opioïdes dans le traitement des lombalgies chroniques mais à une absence de preuve de bénéfice à long terme. Deux études sur la prise en charge de la sciatalgie n’avaient pas trouvé d’argument en faveur des opioïdes dans ces situations (8-11).

La balance bénéfices-risques de l’utilisation d’opioïdes dans les douleurs chroniques de l’appareil locomoteur sont toujours très discutables (12). Une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration de 2014 concluait que les petits bénéfices du traitement par opioïdes (hors tramadol), avec une signification clinique douteuse, contrastaient avec une augmentation significative des effets indésirables dans les douleurs chroniques de genou et de hanche (5). Chez les personnes âgées, nous pouvons supposer que la balance penche encore plus du côté des effets indésirables.

 

L’utilisation des opioïdes étant toujours très discutée, une nouvelle synthèse méthodique avec méta-analyse, publiée en 2018, a été réalisée (13). Elle se centrait sur l’effet des opioïdes (y compris le tramadol) dans les douleurs chroniques de l’appareil locomoteur chez les patients âgés en moyenne de 60 ans ou plus. Cette étude rigoureuse a sélectionné 23 RCTs, pour un total de 6455 participants, évaluant des molécules différentes, à des doses (de 10 à 300 mg équivalents morphine), via des voies d’administrations (voies orale ou transdermique) et pour des durées variables (de 10 j à 24 semaines), dans des situations cliniques différentes et avec des indicateurs de résultats (sur l’intensité de la douleur, la fonction, la qualité de vie et les effets indésirables) variés. Elle conclut à un effet léger des opioïdes sur l’intensité de la douleur (différence moyenne standardisée de -0,27 avec IC à 95% de -0,33 à -0,20) et sur l’amélioration fonctionnelle (différence moyenne standardisée de -0,27 avec IC à 95% de -0,36 à -0,18), mais à une augmentation importante, versus placebo, des effets indésirables (odds ratio (OR) de 2,94 avec IC à 95% de 2,33 à 3,72) et à des arrêts de traitement (OR de 4,04 avec IC à 95% de 3,10 à 5,25). A noter qu’un des critères de sélection pour les RCTs prises en compte était un âge moyen des participants d’au moins 60 ans, ce qui signifie qu’un nombre important de participants dans les études retenues avaient moins de 60 ans. On peut s’attendre à ce que les effets indésirables eussent été plus importants si on avait sélectionné uniquement une population de plus de 60 ans.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse confirme les conclusions antérieures de Minerva, à savoir que, chez les patients âgés souffrant de douleurs chroniques de l’appareil locomoteur, l’utilisation d’opioïdes montre peu d’effets cliniques positifs mais expose à un risque significativement accru d’effets indésirables.

 

Pour la pratique 

La recommandation d’Ebpracticenet sur la prise en charge de la douleur chronique note que « préalablement à l’initiation d’un traitement par opioïdes dans le cadre de la douleur chronique, il importe de fixer des objectifs réalistes pour soulager la douleur et surtout pour améliorer la capacité fonctionnelle dans la vie quotidienne. Une réévaluation régulière de la balance bénéfices-risques est nécessaire. Le traitement opioïde ne devrait être poursuivi que dans le cas d’une amélioration cliniquement significative de la douleur et de la capacité fonctionnelle » (14).

Face à un patient âgé souffrant de douleur chronique de l’appareil locomoteur, la balance bénéfice-risque de la prescription d’un opioïde n’est probablement pas favorable. Une prescription, à éviter autant que possible, ne pourra se faire qu’avec beaucoup de prudence, après avoir discuté avec le patient des avantages potentiels limités attendus en regard des risques encourus, et en surveillant bien la survenue d’effets indésirables.

 

 

Références 

  1. De Cort P. Douleur chronique : prescrire des opiacés ? [Editorial] MinervaF 2015;14(4):39.
  2. Peeters-Asdourian C. Sculier JP. Opiacés pour la douleur chronique non liée au cancer: risque accru d’accidents de surdosage avec les dérivés à longue durée d’action. Minerva bref 15/02/2016.
  3. Miller M, Barber CW, Leatherman S, et al. Prescription opioid duration of action and the risk of unintentional overdose among patients receiving opioid therapy. JAMA Intern Med 2015;175:608-15. DOI: 10.1001/jamainternmed.2014.8071
  4. Fraipont B, De Jonghe M. Arthrose du genou et/ou de la hanche : intérêt des opioïdes oraux ou transdermiques ? MinervaF 2016;15(1):22-5.
  5. da Costa BR, Nuesch E, Kasteler R, et al. Oral or transdermal opioids for osteoarthritis of the knee or hip. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 9. DOI: 10.1002/14651858.CD003115.pub4
  6. Chevalier P, Le Polain B. Opioïdes et lombalgies chroniques : efficacité et sécurité. MinervaF 2007;6(7):98-9.
  7. Martell BA, O’Connor PG, Kerns RD, et al. Systematic review: opioid treatment for chronic back pain: prevalence, efficacy, and association with addiction. Ann Intern Med 2007;146:116-27. DOI: 10.7326/0003-4819-146-2-200701160-00006
  8. Heytens S, Poelman T. Efficacité des différentes options thérapeutiques invasives et non invasives dans la sciatique. MinervaF 2012;11(10):123-4.
  9. Lewis R, Wiliams N, Matar HE, et al. The clinical effectiveness and cost-effectiveness of management strategies for sciatica: systematic review and economic model. Health Technol Assess 2011;15:1-578. DOI: 10.3310/hta15390
  10. Feron J-M. Quels sont les meilleurs traitements pour la sciatique ? MinervaF 2014;13(7):80-1.
  11. Lewis RA, Williams NH, Sutton AJ, et al. Comparative clinical effectiveness of management strategies for sciatica: systematic review and network meta-analyses. Spine J 2015;15:1461-77. DOI: 10.1016/j.spinee.2013.08.049
  12. Abdel Shaheed C, Maher CG, Williams KA, et al. Efficacy, tolerability, and dose-dependent effects of opioid analgesics for low back pain: a systematic review and meta-analysis. JAMA Intern Med 2016;176:958-68. DOI: 10.1001/jamainternmed.2016.1251
  13. Megale R, Deveza L, Blyth F, et al. Efficacy and safety of oral and transdermal opioid analgesics for musculoskeletal pain in older adults: a systematic review of randomized, placebo-controlled trials. J Pain 2018;19:475.e1-475.e24. DOI: 10.1016/j.jpain.2017.12.001
  14. Prise en charge de la douleur chronique en première ligne de soins. Ebpracticenet 10/08/2017. Dernière mise à jour 5/09/2017, (site consulté le 23/08/2018).

Auteurs

Crismer A.
Département Universitaire de Médecine Générale, Université de Liège
COI :

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