Analyse


Efficacité et sécurité de commentaires en ligne et d’une aide à la décision via le dossier médical informatisé sur la diminution du nombre de prescriptions d’antibiotiques pour infection respiratoire ?


15 10 2019

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Gulliford MC, Prevost AT, Charlton J, et al. Effectiveness and safety of electronically delivered prescribing feedback and decision support on antibiotic use for respiratory illness in primary care: REDUCE cluster randomised trial. BMJ 2019;364:l236. DOI: 10.1136/bmj.l236


Conclusion
Cette étude contrôlée avec randomisation par grappe nous permet de conclure que, combinés avec un outil d’aide à la décision dans le dossier médical informatisé, les commentaires en ligne concernant le comportement d’un cabinet en termes de prescriptions d’antibiotiques entraînent une diminution de la prescription d’antibiotiques pour les adultes, mais pas pour les enfants ni pour les personnes âgées, en cas d’infection aiguë des voies respiratoires. L’effet n’est toutefois pas de grande ampleur.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Un récent rapport du Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE) a fait de nombreuses propositions pour une utilisation plus efficace des antibiotiques en Belgique. Ainsi, la prescription électronique « obligatoire » a été introduite comme une possibilité de mieux informer les prescripteurs à propos de leur comportement en matière de prescriptions. L’obligation d’inclure des informations sur l’indication de chaque prescription d’antibiotiques dans le module de prescription électronique peut optimiser les commentaires. Des outils d’aide à la décision, fondés sur des guides de pratique clinique nationaux et liés au dossier médical informatisé (DMI), pourraient également aider les prescripteurs à prescrire des antibiotiques de manière responsable. L’étude décrite ci-dessus nous permet de conclure que, combinés avec un outil d’aide à la décision dans le dossier médical informatisé, les commentaires en ligne concernant le comportement d’un cabinet en termes de prescriptions d’antibiotiques entraînent dans une certaine mesure une diminution de la prescription d’antibiotiques en cas d’infection aiguë des voies respiratoires.



 

La résistance aux antibiotiques est une menace pour la santé publique à l’échelle mondiale. La principale cause de ce problème de résistance est une utilisation inefficace des antibiotiques. Environ 75% de tous les antibiotiques sont prescrits pour des infections des voies respiratoires en soins ambulatoires (1). Outre l’utilisation de biomarqueurs (2-5) et la prescription différée d’antibiotiques (6-9), Minerva a aussi traité de l’utilité de la formation à la communication (4,5), de la remise d’informations écrites (10-13) et du processus de décision partagée (14,15) pour faire baisser le nombre de prescriptions d’antibiotiques en cas d’infection des voies respiratoires sans compromettre la sécurité des patients. Une étudecontrôlée avec randomisation par grappe, a montré que le recours aux antibiotiques en cas d’infection aiguë des voies respiratoires peut diminuer si on oblige le médecin généraliste à noter dans le dossier médical informatisé (DMI) une justification de la prescription d’antibiotiques et si on compare le comportement de prescripteur du médecin généraliste avec celui de ses confrères par le biais d’un courrier électronique. Cependant, l’aide à la décision clinique en rapport avec la prescription d’antibiotiques via le DMI s’est avérée ne pas avoir d’effet dans cette étude (16,17).

 

Une étude de 2019, contrôlée avec randomisation par grappe, menée en ouvert au Royaume-Uni pendant 12 mois (18), a randomisé 79 cabinets de médecine générale (n = 582675 patients-années) dans deux bras d’étude : 41 cabinets ont été impliqués dans un programme visant à améliorer le comportement de prescription d’antibiotiques, et 38 cabinets ont été assignés au bras de prise en charge habituelle. Le programme comportait trois éléments introduits en ligne au niveau du cabinet : un webinaire de 6 minutes expliquant l’étude, un rapport mensuel contenant des commentaires sur le nombre de prescriptions d’antibiotiques pour infection respiratoire dans le cabinet (comparé aux 12 derniers mois) et un outil d’aide à la décision dans le DMI qui conseillait le médecin généraliste sur les indications nécessitant des antibiotiques, avec également mise à disposition de brochures à l’intention des patients (sur le rhume, les infections des voies respiratoires supérieures, le mal de gorge, l’otite moyenne, la sinusite, la toux et la bronchite). Après un suivi de 12 mois, 98,7 prescriptions d’antibiotiques par 1000 patients-années ont été délivrées dans le groupe intervention, et 107,6 dans le groupe témoin. Cela revenait à une diminution de 12% (HR de 0,88 avec IC à 95% de 0,78 à 0,99 ; p = 0,04) après correction pour tenir compte du comportement habituel en termes de prescriptions dans les différents cabinets avant le début de l’étude. La diminution était la plus importante pour les patients ayant entre 15 et 84 ans (HR de 0,84 avec IC à 95% de 0,75 à 0,95). L’intervention a permis d’éviter dans ce groupe une prescription d’antibiotiques par an et par tranche de 62 patients (avec IC à 95% de 40 à 200). Ce résultat est inférieur à ce que nous avons pu constater avec d’autres interventions (10-17). Pour certaines interventions, nous avons en effet observé une diminution de 50% dans la prescription d’antibiotiques (10-15). L’effet de la présente étude pourrait néanmoins être sous-estimé car les cabinets qui se sont proposés comme candidats à cette étude avaient peut-être une plus forte tendance à faire un effort visant l’amélioration de la qualité (= biais de sélection). D’autre part, nous ne pouvons exclure la possibilité que les commentaires orientés sur la pratique en rapport avec l’étude aient renforcé les résultats. Nous ne savons pas combien de médecins généralistes ont effectivement lu les commentaires. Nous ne savons pas non plus dans quelle mesure les patients, après la consultation au cabinet participant à l’étude ont quand même encore reçu des antibiotiques en dehors des heures de bureau dans un service d’urgence ou de garde. L’utilisation de l’outil de décision pouvait cependant être enregistrée. On a observé une relation linéaire entre l’utilisation de cet outil dans le cabinet et la diminution du nombre de prescriptions d’antibiotiques.

Il convient de noter qu’aucune différence statistiquement significative n’a été constatée quant aux prescriptions d’antibiotiques entre les patients de moins de 15 ans et ceux de plus de 85 ans. Comme il s’agit ici d’une analyse de sous-groupes, la prudence est de rigueur dans l’interprétation des résultats. Remarquons néanmoins que la plupart des antibiotiques ont été prescrits à des enfants de moins de 15 ans. Le résultat négatif s’explique peut-être par le fait que, dans ce groupe, il est plus difficile de modifier le comportement de prescription d’antibiotiques (19,20).

Enfin, il est également important de mentionner qu’aucune augmentation du nombre d’infections bactériennes graves n’a été observée.

 

Conclusion

Cette étude contrôlée avec randomisation par grappe nous permet de conclure que, combinés avec un outil d’aide à la décision dans le dossier médical informatisé, les commentaires en ligne concernant le comportement d’un cabinet en termes de prescriptions d’antibiotiques entraînent une diminution de la prescription d’antibiotiques pour les adultes, mais pas pour les enfants ni pour les personnes âgées, en cas d’infection aiguë des voies respiratoires. L’effet n’est toutefois pas de grande ampleur.

 

Pour la pratique

Un récent rapport du Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE) (21) a fait de nombreuses propositions pour une utilisation plus efficace des antibiotiques en Belgique. Ainsi, la prescription électronique « obligatoire » a été introduite comme une possibilité de mieux informer les prescripteurs à propos de leur comportement en matière de prescriptions. L’obligation d’inclure des informations sur l’indication de chaque prescription d’antibiotiques dans le module de prescription électronique peut optimiser les commentaires. Des outils d’aide à la décision, fondés sur des guides de pratique clinique nationaux et liés au dossier médical informatisé (DMI), pourraient également aider les prescripteurs à prescrire des antibiotiques de manière responsable.

L’étude décrite ci-dessus nous permet de conclure que, combinés avec un outil d’aide à la décision dans le dossier médical informatisé, les commentaires en ligne concernant le comportement d’un cabinet en termes de prescriptions d’antibiotiques entraînent dans une certaine mesure une diminution de la prescription d’antibiotiques en cas d’infection aiguë des voies respiratoires.

 

 

Références 

  1. Gulliford MC, Dregan A, Moore MV, et al. Continued high rates of antibiotic prescribing to adults with respiratory tract infection: survey of 568 UK general practices. BMJ Open 2014;4:e006245. DOI: 10.1136/bmjopen-2014-006245
  2. Verbakel J. Administrer des antibiotiques selon le dosage de procalcitonine : stratégie sûre ? MinervaF 2018;17(8):103-6.
  3. Schuetz P, Wirz Y, Sager R, et al. Effect of procalcitonin-guided antibiotic treatment on mortality in acute respiratory infections: a patient level meta-analysis. Lancet Infect Dis 2018;18:95-107. DOI: 10.1016/S1473-3099(17)30592-3
  4. De Sutter A. Limiter la prescription d’antibiotiques en mesurant la CRP et par un apprentissage de la communication ? MinervaF 2010;9(6):70-1.
  5. Cals JW, Butler CC, Hopstaken RM, et al. Effect of point of care testing for C reactive protein and training in communication skills on antibiotic use in lower respiratory tract infections: cluster randomised trial. BMJ 2009;338:b1374. DOI: 10.1136/bmj.b1374
  6. Claus B. Que penser de la prescription différée d’antibiotiques en cas d’infection aiguë des voies respiratoires ? Minerva bref 17/12/2018.
  7. Spurling GK, Del Mar CB, Dooley L, et al. Delayed antibiotic prescriptions for respiratory infections. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 9. DOI: 10.1002/14651858.CD004417.pub5
  8. Coenen S. Est-il vraiment possible de réduire le nombre de consultations et l’usage des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires chez l'enfant ? Minerva bref 28/10/2012.
  9. Andrews T, Thompson M, Buckley DI, et al. Interventions to influence consulting and antibiotic use for acute respiratory tract infections in children: a systematic review and meta-analysis. PLoS One 2012;7:e30334. DOI: 10.1371/journal.pone.0030334
  10. Adriaenssens N. Des informations écrites destinées auxparents peuvent conduire à une réduction de la consommation d’antibiotiques chez les enfants présentant une infection des voies respiratoires supérieures. Minerva bref 15/10/2017.
  11. O'Sullivan JW, Harvey RT, Glasziou PP, McCullough A. Written information for patients (or parents of child patients) to reduce the use of antibiotics for acute upper respiratory tract infections in primary care. Cochrane Database Syst Rev 2016, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD011360.pub2
  12. Laekeman G. Informer plutôt que prescrire ? Minerva bref 28/01/2011.
  13. Francis NA, Butler CC, Hood K, et al. Effect of using an interactive booklet about childhood respiratory tract infections in primary care consultations on reconsulting and antibiotic prescribing: a cluster randomised controlled trial. BMJ 2009;339:b2885. DOI: 10.1136/bmj.b2885
  14. Adriaenssens N. Prise de décision partagée : moins de prescriptions d’antibiotiques ? MinervaF 2013;12(4):47-8.
  15. Légaré F, Labrecque M, Cauchon M, et al. Training family physicians in shared decision-making to reduce the overuse of antibiotics in acute respiratory infections: a cluster randomized trial. CMAJ 2012;184:E726-34.
  16. Colliers A. Des interventions visant unemodification du comportement du médecin généraliste font diminuer le nombre de prescriptions d’antibiotiques. Minerva bref 15/07/2016.
  17. Meeker D, Linder JA, Fox CR, et al. Effect of behavioral interventions on inappropriate antibiotic prescribing among primary care practices: a randomized clinical trial. JAMA 2016;315:562-70. DOI: 10.1001/jama.2016.0275
  18. Gulliford MC, Prevost AT, Charlton J, et al. Effectiveness and safety of electronically delivered prescribing feedback and decision support on antibiotic use for respiratory illness in primary care: REDUCE cluster randomised trial. BMJ 2019;364:l236. DOI: 10.1136/bmj.l236
  19. Anthierens S. Que pensent les parents du traitement de l’otite moyenne aiguë pour leur enfant ? Minerva bref 15/07/2016.
  20. Hansen MP, Howlett J, Del Mar C, Hoffmann TC. Parents’ beliefs and knowledge about the management of acute otitis media: a qualitative study. BMC Fam Pract 2015;16:82. DOI: 10.1186/s12875-015-0297-7
  21. Leroy R, Christiaens W, Maertens de Noordhout C, Hanquet G. Propositions pour une politique antibiotique plus efficace en Belgique - Synthèse. Health Services Research (HSR). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE).2019. KCE Reports 311Bs. D/2019/10.273/24.

Auteurs

Colliers A.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

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