Analyse


Pourquoi des personnes âgées ne suivent-elles pas l’avis de leur médecin traitant quand il s’agit d’arrêter un médicament ?


01 12 2019

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Zechmann S, Trueb C, Valeri F, et al. Barriers and enablers for deprescribing among older, multimorbid patients with polypharmacy: an explorative study from Switzerland. BMC Fam Pract 2019;20:64. DOI:10.1186/s12875-019-0953-4


Conclusion
Cette étude observationnelle montre que l’inertie et la prise en charge médicale fragmentée sont les principales barrières à la déprescription chez les patients âgés. Les inquiétudes des généralistes concernant le sentiment de dévaluation des patients ne devraient pas les empêcher de discuter activement de la réduction de la polypharmacie.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Cette étude souligne le fait que les médecins généralistes ont un rôle central dans la déprescription. Les éléments essentiels en sont la prise de décision partagée avec le patient, son aidant ou sa famille, l’accent mis sur l’importance de l’objectif thérapeutique de la déprescription, la discussion sur le manque de bénéfice et sur la possibilité de risques lors de la prise des médicaments, l’offre de possibilités de suivi suffisantes et la coordination de la prise en charge s’il y a plusieurs prescripteurs.



Minerva a déjà discuté d’une synthèse méthodique qui montrait qu’en cas de polypharmacie chez des personnes âgées, il était possible d’arrêter des médicaments (déprescription) sans augmentation de la mortalité (1,2). Des études montrent aussi que la grande majorité des personnes âgées sous polypharmacie sont d’accord d’arrêter des médicaments si leur médecin le leur conseille (3).

 

Une récente étude observationnelle menée en Suisse a cherché à savoir pourquoi les personnes âgées ne suivent pas toujours l’avis de leur médecin généraliste quand il s’agit d’arrêter un médicament (4). Cette étude, composée d’un volet qualitatif et d’un volet quantitatif, a été conduite dans le cadre d’une étude en double aveugle avec randomisation par grappe qui examinait l’effet à long terme d’un algorithme de déprescription par rapport à la prise en charge habituelle dans la pratique de médecine générale. Lors d’une prise de décision commune (shared decision-making) entre les patients âgés (≥ 60 ans) sous polypharmacie (≥ 5 médicaments par jour) et leur médecin généraliste, il a été convenu d’arrêter certains médicaments (en raison d’une mauvaise indication, d’un rapport bénéfice-risque défavorable), de diminuer la posologie, de passer à un meilleur traitement ou de ne rien modifier.

Parmi les 87 patients, 22 (25,3%) n’ont pas suivi l’avis de leur médecin généraliste pour au moins une déprescription. Il a été possible de mener des entretiens téléphoniques semi-structurés chez 19 de ces 22 patients âgés, ayant en moyenne 76,9 ans (écart-type 10,0) qui prenaient en moyenne 8,9 médicaments (écart-type 2,6). Parmi les 68 propositions d’adaptation de médicaments, 34 (50%) n’ont pas été suivies. Il s’agissait surtout de médicaments ayant un effet symptomatique (médicaments pour des anomalies de l’acidité gastrique (n = 8), analgésiques (n = 4), anti-inflammatoires (n = 4) et psychotropes (n = 6)) et, dans une moindre mesure, de vitamines et de minéraux (n = 5), de médicaments pour la BPCO (n = 2), d’antithrombotiques (n = 2), de diurétiques (n = 2) et d’antidiabétiques (n = 1). Les investigateurs ont correctement élaboré et mené les entretiens semi-structurés (5). Un biais de déclaration est toutefois possible parce que, par souci du maintien de l’insu dans l’étude randomisée contrôlée avec randomisation par grappe, les entretiens ont eu lieu 13 mois après la première consultation. L’analyse du contenu a également été correctement menée par plusieurs investigateurs (5).

Il ressort des entretiens que la plupart des personnes âgées avaient une grande confiance en leur médecin généraliste (18/19) et que, déjà avant l’étude, elles étaient impliquées dans la prise de décision commune concernant leurs médicaments (17/19). La moitié des patients (9/19) avaient reçu un schéma de leur traitement médicamenteux, et l’autre moitié manifestait un intérêt pour en recevoir un. Une bonne relation de confiance entre le patient et son médecin et l’implication active du patient dans les prises de décisions ne signifient donc pas nécessairement que le patient suivra l’avis du médecin s’il s’agit d’une déprescription. Cette confiance explique peut-être pourquoi les patients ne remettaient pas en cause l’utilité des médicaments. Contrairement à ce que la littérature montre, ils n'ont pas remis en question l’utilité des médicaments comme élément moteur pour suivre une déprescription (3).

Près de la moitié des patients interrogés avaient des problèmes avec le fait de devoir prendre un grand nombre de médicaments (« fardeau des médicaments »). Un seul des 19 patients s’est senti « dévalorisé » après la proposition de modifier le traitement médicamenteux. Cette constatation va à l’encontre de ce qui était attendu d’après la littérature ; elle est en outre citée par les médecins comme seuil important pour la déprescription (3,7).

Les raisons du non-respect d’une déprescription se répartissent en deux catégories : l’inertie (conservatisme) et la prise en charge médicale fragmentée.

On entend par « inertie » la difficulté de mettre en œuvre une proposition de modification. De nombreux patients (15/19) étaient en effet convaincus que le médicament était efficace et nécessaire. 6 patients sur 19 percevaient la déprescription comme le retrait d’un médicament actif. Cela cadre avec le fait que les médicaments ayant un effet symptomatique étaient ceux qu’ils souhaitaient le moins modifier. L’absence de symptômes est plus facilement associée à l’efficacité du médicament, qui est donc (encore) important, qu’à l’idée qu’il ne serait plus nécessaire. La crainte de la réapparition des symptômes et de l’apparition de symptômes de sevrage est également citée par les médecins comme un seuil important pour la déprescription (7).

La prise en charge médicale fragmentée par différents prescripteurs était, pour 6 patients sur 19, une raison de ne pas suivre les avis. Ce lien pourrait s’expliquer par le fait que le patient ne se sent pas à l’aise pour arrêter les médicaments par souci de « loyauté » envers les différents prescripteurs. On savait que les médecins généralistes étaient réticents à arrêter un traitement instauré par un confrère, mais ce seuil n’avait pas encore été décrit chez les patients (3,7). Un rôle de coordination centrale par le médecin généraliste, une bonne communication entre le médecin généraliste et les spécialistes et le souci de mieux faire comprendre le traitement au patient (patient-empowerment) en lui remettant une liste des médicaments pourraient être des éléments favorables dans ce cadre.

 

Conclusion

Cette étude observationnelle montre que l’inertie et la prise en charge médicale fragmentée sont les principales barrières à la déprescription chez les patients âgés. Les inquiétudes des généralistes concernant le sentiment de dévaluation des patients ne devraient pas les empêcher de discuter activement de la réduction de la polypharmacie.

 

Pour la pratique

Cette étude souligne le fait que les médecins généralistes ont un rôle central dans la déprescription. Les éléments essentiels en sont la prise de décision partagée avec le patient, son aidant ou sa famille, l’accent mis sur l’importance de l’objectif thérapeutique de la déprescription, la discussion sur le manque de bénéfice et sur la possibilité de risques lors de la prise des médicaments, l’offre de possibilités de suivi suffisantes et la coordination de la prise en charge s’il y a plusieurs prescripteurs (8).

 

 

 

Références 

  1. Chevalier P. La faisabilité et les effets sur la santé d’une déprescription. MinervaF 2017;16 (3):65-8.
  2. Page AT, Clifford RM, Potter K, et al. The feasibility and effect of deprescribing in older adults on mortality and health: a systematic review and meta-analysis. Br J Clin Pharmacol 2016;82:583-623. DOI: 10.1111/bcp.12975
  3. Reeve E, To J, Hendrix I, et al. Patient barriers to and enablers of deprescribing: a systematic review. Drugs Aging 2013;30:793-807. DOI: 10.1007/s40266-013-0106-8
  4. Zechmann S, Trueb C, Valeri F, et al. Barriers and enablers for deprescribing among older, multimorbid patients with polypharmacy: an explorative study from Switzerland. BMC Fam Pract 2019;20:64. DOI: 10.1186/s12875-019-0953-4
  5. Hasler S, Senn O, Rosemann T, Neuner-Jehle S. Effect of a patient-centered drug review on polypharmacy in primary care patients: study protocol for a cluster-randomized controlled trial. Trials 2015;16:380. DOI: 10.1186/s13063-015-0915-7
  6. Poelman T. À quels critères une étude qualitative doit-elle répondre ? MinervaF 2015;14(2):24.
  7. Anderson K, Stowasser D, Freeman C, Scott I. Prescriber barriers and enablers to minimising potentially inappropriate medications in adults: a systematic review and thematic synthesis BMJ Open 2014;4:e006544. DOI: 10.1136/bmjopen-2014-006544
  8. Scott IA, Hilmer SN, Reeve E, et al. Reducing inappropriate polypharmacy: the process of deprescribing. JAMA Intern Med 2015;175:827-34. DOI: 10.1001/jamainternmed.2015.0324

 

 


Auteurs

Van Leeuwen E.
Klinische Farmacologie, Vakgroep Fundamentele en Toegepaste Medische Wetenschappen; Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

Christiaens T.
Klinische Farmacologie, Vakgroep Farmacologie, UGentVakgroep Fundamentele en Toegepaste Medische Wetenschappen, UGent
COI :

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