Analyse


Les manipulations et les mobilisations du rachis comme traitement des douleurs lombaires chroniques ?


16 12 2019

Professions de santé

Ergothérapeute, Kinésithérapeute, Médecin généraliste
Analyse de
Rubinstein SM, de Zoete A, van Middelkoop M, et al. Benefits and harms of spinal manipulative therapy for the treatment of chronic low back pain: systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2019;364:l689. DOI: 10.1136/bmj.l689


Conclusion
Cette synthèse méthodique Cochrane, dont la qualité méthodologique est bonne, montre, sur la base d’études randomisées contrôlées très hétérogènes sur le plan clinique, que les manipulations du rachis donnent des résultats semblables en ce qui concerne la diminution de la douleur et les capacités fonctionnelles aux autres traitements recommandés chez les patients souffrant de lombalgies chroniques. Par comparaison avec les traitements non recommandés les manipulations du rachis, seules ou en traitement adjuvant, semblent donner, à court terme, un score significativement meilleur en ce qui concerne la réduction de la douleur et les capacités fonctionnelles, mais la diminution de la douleur n'était pas cliniquement pertinente et l'amélioration des capacités fonctionnelles était limitée.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le guide de pratique clinique le plus récent du KCE relatif aux douleurs radiculaires et aux lombalgies affirme que les preuves scientifiques en faveur des techniques manuelles ne sont pas suffisamment fiables pour les recommander comme seule intervention. Cette synthèse méthodique avec méta-analyses montre toutefois que, chez les patients souffrant de lombalgies chroniques, les manipulations du rachis comme traitement isolé peuvent être proposées même si, dans la réalité, elles font généralement partie d’un traitement plus large avec gymnastique médicale et prise en charge habituelle par le médecin généraliste. Les manipulations du rachis sont, par nature, des manœuvres passives. Pour éviter la dépendance au traitement, il est important que les prestataires de soins informent correctement les patients sur la place des manipulations et des mobilisations du rachis dans l’arsenal thérapeutique pour les lombalgies chroniques et sur le risque potentiel d’effets indésirables généralement légers à modérés.



En 2019, Minerva a déjà discuté d’une synthèse méthodique avec méta-analyses portant sur l’effet des manipulations et de la mobilisation pour le traitement des douleurs lombaires chroniques (1). Pour la pratique nous étions alors arrivés à la conclusion que les mobilisations et les manipulations du rachis ne peuvent apporter un avantage clinique que dans une approche multimodale chez les patients pour qui la prise en charge personnelle et la gymnastique médicale ne suffisent pas (2).

 

La récente mise à jour d’une synthèse méthodique avec méta-analyses de la Cochrane a étudié l’effet des manipulations et de la mobilisation du rachis, par comparaison avec des manipulations factices et avec des traitements recommandés et non recommandés, chez des adultes souffrant de lombalgies chroniques (3,4). Pour pouvoir distinguer entre les traitements recommandés et les traitements non recommandés, des guides de pratique clinique récents ont été utilisés (5-7). Les auteurs espéraient que cette classification les rapprocherait de la pratique clinique. Les traitements recommandés étaient, par exemple, le paracétamol, les AINS et la gymnastique médicale. Les massages et l’électrothérapie ont été classés dans les traitements non recommandés. Deux auteurs, indépendamment l’un de l’autre, ont sélectionné 47 études randomisées contrôlées dans différentes bases de données électroniques (jusqu’au 4 mai 2018). Au total, il s’agissait de 9211 patients ayant en moyenne de 35 à 60 ans et souffrant de lombalgies, irradiantes ou non irradiantes, présentes depuis quelques mois à plusieurs années. Par comparaison avec la revue Cochrane précédente (2011) à ce sujet (3), 21 nouvelles études ont été trouvées.

Les critères de jugement étaient : l’effet sur la diminution de la douleur et sur l’amélioration du statut fonctionnel spécifique du dos à court terme (après 1 mois), à moyen terme (après 6 mois) et à long terme (après 12 mois), ainsi que la survenue des effets indésirables. Les rapports de cette synthèse méthodique ont suivi les lignes directives de PRISMA (Preferred reporting Items for Systematic reviews and Meta Analyses). Le risque de biais a été analysé sur  base des 13 critères recommandés par le Cochrane Back and Neck Review Group. Les études étaient très hétérogènes du point de vue clinique en termes de milieu, de recrutement des patients, de caractéristiques des patients, de techniques utilisées. Un modèle à effets aléatoires a donc été utilisé pour toutes les analyses. Trois études n’ont pas été incluses en raison d’importantes limites méthodologiques. Seulement 45% des études ont correctement effectué une randomisation en insu. 57% ont donné une vue d’ensemble précise des sorties d’étude.

 

Les résultats ont montré pour les manipulations du rachis :

  • par comparaison aux autres traitements recommandés (N = 26 études) :
    • une diminution statistiquement significative de la douleur, mais cliniquement non pertinente, à moyen terme (différence moyenne -3,09 mm avec IC à 95% de -5,42 à -0,77 sur une échelle de 0 à 100 mm)
    • une amélioration des capacités fonctionnelles à court terme (différence moyenne standardisée (DMS) de -0,25 avec IC à 95% de -0,41 à -0,09) (preuve de qualité moyenne).
    Une analyse de sensibilité n’a pas montré de différence cliniquement pertinente quant à l’ampleur de l’effet entre les manipulations du rachis recommandées dans le cadre d’un traitement plus large versus traitement seul.

 

  • par comparaison avec les traitements non recommandés (N = 11 études) :
    • une diminution statistiquement significative de la douleur, mais cliniquement non pertinente, après un mois (différence moyenne de -7,48 mm avec IC à 95% de -11,50 à -3,47) (preuve de qualité élevée), après 6 mois (preuve de qualité moyenne) et après 12 mois (preuve de qualité faible).
    • un score meilleur sur le plan des capacités fonctionnelles après 1 mois (DMS -0,41 avec IC à 95% de -0,67 à -0,15) (preuve de qualité élevée), après 6 mois (preuve de qualité moyenne) et après 12 mois (preuve de qualité faible), mais cette amélioration était faible.
  • par comparaison avec les manipulations factices :
    • un score qui n’était pas meilleur en ce qui concerne la diminution de la douleur après 1, 6 et 12 mois (N = 9 études) (preuve de qualité faible à très faible).
    • un score un peu meilleur en ce qui concerne les capacités fonctionnelles après 1 mois (DMS -0,73 avec IC à 95% de -1,35 à -0,11) (N = 7 études) (preuve de qualité faible).

En tant que traitement adjuvant également (N = 7 études), les manipulations du rachis ont donné un score un peu meilleur que les autres traitements en ce qui concerne les capacités fonctionnelles après 1 mois et après 12 mois (preuve de qualité respectivement moyenne et faible).

Moins de la moitié des études ont examiné la survenue des effets secondaires, et, dans la plupart de ces études, on ne voyait en outre pas clairement dans quelle mesure l’enregistrement des effets indésirables avait été réalisé de manière systématique. La plupart des effets indésirables observés étaient des effets musculosquelettiques passagers de gravité légère à modérée. Dans leur discussion, les auteurs renvoient encore à une récente synthèse méthodique qui a montré que les effets indésirables graves des manipulations et de la mobilisation du rachis (syndrome de la queue de cheval, fractures, compression neurologique et vasculaire) sont rares (8).

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique Cochrane, dont la qualité méthodologique est bonne, montre, sur la base d’études randomisées contrôlées très hétérogènes sur le plan clinique, que les manipulations du rachis donnent des résultats semblables en ce qui concerne la diminution de la douleur et les capacités fonctionnelles aux autres traitements recommandés chez les patients souffrant de lombalgies chroniques. Par comparaison avec les traitements non recommandés les manipulations du rachis, seules ou en traitement adjuvant, semblent donner, à court terme, un score significativement meilleur en ce qui concerne la réduction de la douleur et les capacités fonctionnelles, mais la diminution de la douleur n'était pas cliniquement pertinente et l'amélioration des capacités fonctionnelles était limitée.

 

 

Pour la pratique

Le guide de pratique clinique le plus récent du KCE relatif aux douleurs radiculaires et aux lombalgies affirme que les preuves scientifiques en faveur des techniques manuelles ne sont pas suffisamment fiables pour les recommander comme seule intervention (9).

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses montre toutefois que, chez les patients souffrant de lombalgies chroniques, les manipulations du rachis comme traitement isolé peuvent être proposées même si, dans la réalité, elles font généralement partie d’un traitement plus large avec gymnastique médicale et prise en charge habituelle par le médecin généraliste. Les manipulations du rachis sont, par nature, des manœuvres passives. Pour éviter la dépendance au traitement, il est important que les prestataires de soins informent correctement les patients sur la place des manipulations et des mobilisations du rachis dans l’arsenal thérapeutique pour les lombalgies chroniques et sur le risque potentiel d’effets indésirables généralement légers à modérés.

 

 

Références 

  1. Coulter ID, Crawford C, Hurwitz EL, et al. Manipulation and mobilization for treating chronic low back pain: a systematic review and meta-analysis. Spine J 2018;18:866-79. DOI: 10.1016/j.spinee.2018.01.013
  2. De Caluwé JR, Sabbe N. Manipulation et mobilisation pour le traitement des lombalgies chroniques. Minerva bref 15/07/2019.
  3. Rubinstein SM, van Middelkoop M, Assendelft WJ, et al. Spinal manipulative therapy for chronic low-back pain. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 2. DOI: 10.1002/14651858.CD008112.pub2
  4. Rubinstein SM, de Zoete A, van Middelkoop M, et al. Benefits and harms of spinal manipulative therapy for the treatment of chronic low back pain: systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. BMJ 2019;364:l689. DOI: 10.1136/bmj.l689
  5. Qaseem A, Wilt TJ, McLean RM, Forciea MA; Clinical Guidelines Committee of the American College of Physicians. Noninvasive treatments for acute, subacute, and chronic low back pain: a clinical practice guideline from the American College of Physicians. Ann Intern Med 2017;166:514-30. DOI: 10.7326/M16-2367
  6. Bons SC, Borg MA, Van den Donk M, et al. NHG-Standaard Aspecifieke lagerugpijn 2019.
  7. National Institute for Health and Care Excellence. Low back pain and sciatica in over 16s: assessment and management. NICE guideline [NG59] 2016.
  8. Hebert JJ, Stomski NJ, French SD, Rubinstein SM. Serious adverse events and spinal manipulative therapy of the low back region: a systematic review of cases. J Manipulative Physiol Ther 2015;38:677-91. DOI: 10.1016/j.jmpt.2013.05.009
  9. Van Wambeke P, Desomer A, Ailliet L, et al. Guide de pratique clinique pour les douleurs lombaires et radiculaires. Résumé. Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2017. KCE Reports 287Bs. D/2017/10.273/34.

 

 


Auteurs

Ailliet L.
chiropractor, Dutch Belgium Research Instituut Chiropractie
COI :

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