Analyse


Quels traitements médicamenteux et non médicamenteux sont utiles dans la prise en charge des comportements agressifs et de l’agitation chez les personnes démentes ?


15 05 2020

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue
Analyse de
Watt JA, Goodarzi Z, Veroniki AA, et al. Comparative efficacy of interventions for aggressive and agitated behaviors in dementia: a systematic review and network meta-analysis. Ann Intern Med 2019;171:633-42. DOI: 10.7326/M19-0993


Conclusion
Cette méta-analyse en réseau, correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre que l’efficacité clinique des traitements non médicamenteux est en général meilleure que celle des traitements médicamenteux dans la prise en charge des comportements physiques et de l’agitation chez les personnes atteintes de démence.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Lors de la prise en charge d’un comportement difficilement gérable, comme les comportements agressifs ou l’agitation, chez des adultes atteints de démence, une prise en charge non médicamenteuse est le premier choix. Les neuroleptiques ne devraient être utilisés que si le comportement problématique représente un danger pour le patient ou son entourage. La nécessité de prolonger ce traitement doit être évaluée régulièrement. La méta-analyse en réseau décrite ci-dessus étaye cette recommandation. Les décideurs aux différents échelons devraient permettre et promouvoir cette prise en charge non médicamenteuse.



Dans des discussions parues dans Minerva, nous avons signalé l’efficacité limitée (1-6) et les effets indésirables graves (7,8) des neuroleptiques utilisés comme traitement du comportement difficilement gérable chez les personnes âgées atteintes de démence. À cet égard, nous avons aussi indiqué que, chez les patients atteints de démence, ces médicaments peuvent être arrêtés sans inconvénient (9,10). Les inhibiteurs de la cholinestérase et la mémantine s’avèrent également sans influence sur les problèmes comportementaux chez les patients atteints de démence (11-18). Sur la base d’une étude randomisée contrôlée, nous n’avons pas pu conclure qu’une prise en charge axée sur la personne et la méthode d’approche connue sous le nom de « Dementia Care Mapping » avaient un effet cliniquement pertinent sur l’agitation et la qualité de vie des patients institutionnalisés atteints de démence et présentant des troubles du comportement (19,20). Une synthèse méthodique de la littérature, de qualité méthodologique moyenne, relative à la prise en charge non médicamenteuse au domicile, par les aidants familiaux, des symptômes psychologiques et comportementaux liés à la démence a confirmé la nécessité d’interventions multifactorielles centrées sur les besoins des aidants (21,22). En raison du manque d’études randomisées contrôlées comparatives (head-to-head), nous ne pouvons actuellement pas nous prononcer sur les interventions médicamenteuses et non médicamenteuses qui sont plus ou moins efficaces que les autres dans la prise en charge des symptômes neuropsychiatriques chez les personnes atteintes de démence. Une méta-analyse en réseau permettrait de combler cette lacune (23).

 

Une méta-analyse en réseau (24) a inclus 163 études randomisées contrôlées qui a inclus un total de 23143 patients (âgés en moyenne de plus de 70 ans, parmi lesquels au moins 50% de femmes) atteints de démence (maladie d’Alzheimer, démence vasculaire, démence mixte ; légère, modérée, sévère). Les auteurs ont comparé, d’une part, différentes interventions médicamenteuses et non médicamenteuses pour le traitement des comportements agressifs et de l’agitation et, d’autre part, la prise en charge habituelle ou un autre traitement médicamenteux ou non médicamenteux. Un panel de douze prestataires de soins qui sont impliqués dans la prise en charge des personnes atteintes de démence (infirmier/ères, professionnels de la santé, médecins et un aidant proche) ont choisi comme critère de jugement primaire le changement des comportements agressifs (tant verbaux que physiques) et comme critère de jugement secondaire le changement dans l’agitation (tant verbale que physique). C’est une méthode fortement recommandée pour arriver à des critères de jugement cliniquement pertinents pour une synthèse méthodique (25). On peut toutefois regretter qu’il n’ait pas été fait appel à ce panel pour évaluer le seuil de pertinence clinique des résultats. Au lieu de cela, une méthode basée sur la distribution a été utilisée pour déterminer la différence minimale cliniquement importante sur l'échelle de Cohen-Mansfield (26). Deux chercheurs indépendants ont chaque fois été engagés pour effectuer une recherche dans la littérature dans différentes bases de données électroniques (MEDLINE, EMBASE, le registre central Cochrane des essais contrôlés (Cochrane Central Register of Controlled Trials), CINAHL et PsycINFO jusqu’au 28 mai 2019), en plus d’autres sources. 46% des études incluses présentaient un risque élevé de biais en raison de l’insuffisance des résultats d’étude. Pour la méta-analyse en réseau, les chercheurs ont tenu compte de la similarité des différentes études sur le plan des caractéristiques des patients (âge, répartition des sexes, sévérité de la démence, symptômes neuropsychiatriques), milieu (domicile ou prise en charge en maison de repos et de soins), résultats rapportés et risque de biais (mesure des résultats en aveugle et caractère complet des résultats d’étude) (27). Les chercheurs ont également constaté la cohérence entre les comparaisons directes et les comparaisons indirectes pour les différents critères de jugement (27). En raison de l’importante hétérogénéité entre les études, un modèle d’effets aléatoires a été utilisé.

 

Pour la prise en charge des comportements agressifs physiques, les activités en extérieur étaient plus efficaces que les neuroleptiques (différence moyenne standardisée (DMS) de -1,68 avec IC à 95% de -3,35 à -0,09). Cela revient à une différence moyenne de -10,87 sur l’échelle d’agitation de Cohen-Mansfield (28). Une diminution de 3,23 a été calculée comme étant la différence minimale cliniquement pertinente. Pour le critère de jugement composite combinant l’agitation et les comportements agressifs, on a constaté que la prise en charge multidisciplinaire (DMS de -0,5 avec IC à 95% de -0,99 à -0,01), le massage et le « therapeutic touch »* (DMS de -0,75 avec IC à 95% de -1,12 à -0,38) et la musicothérapie en association avec le massage et le « therapeutic touch » (DMS de -0,91 avec IC à 95% de -1,75 à -0,07) avaient plus d’effets que la prise en charge classique, et ce de manière statistiquement significative et cliniquement pertinente. Transposées sur l’échelle de Cohen-Mansfield, ces DMS reviennent à une différence moyenne respectivement de -7,11, de -10,67 et de -12,94. Une différence moyenne de 7,11 a été considérée comme cliniquement pertinente pour ce critère de jugement composite. La thérapie récréationnelle était plus efficace que la prise en charge classique, et ce de manière statistiquement significative (DMS de -0,29 avec IC à 95% BI de -0,57 à -0,01), mais ce résultat, avec une différence moyenne de -4,12, n’était pas cliniquement pertinent. Par comparaison avec les adaptations des activités instrumentales de la vie quotidienne (Instrumental Activities of Daily Living, IADL), les neuroleptiques, les cannabinoïdes, le dextrométhorphane-quinidine, la mémantine et les neuroleptiques atypiques étaient plus efficaces pour réduire les comportements agressifs et l’agitation, et ce de manière cliniquement pertinente (la différence moyenne étant respectivement de 16,78, de -21,47, de -21,33, de -15,93, de -16,21). Dans une analyse de sous-groupe des études qui utilisaient des critères diagnostiques standard pour la démence, seuls se sont avérés plus efficaces que le placebo, de manière cliniquement pertinente, les cannabinoïdes et le dextrométhorphane-quinidine, mais pas les neuroleptiques ni la mémantine.

 

Conclusion

Cette méta-analyse en réseau, correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre que l’efficacité clinique des traitements non médicamenteux est en général meilleure que celle des traitements médicamenteux dans la prise en charge des comportements physiques et de l’agitation chez les personnes atteintes de démence.

 

Pour la pratique

Lors de la prise en charge d’un comportement difficilement gérable, comme les comportements agressifs ou l’agitation, chez des adultes atteints de démence, une prise en charge non médicamenteuse est le premier choix (29). Les neuroleptiques ne devraient être utilisés que si le comportement problématique représente un danger pour le patient ou son entourage. La nécessité de prolonger ce traitement doit être évaluée régulièrement (29). La méta-analyse en réseau décrite ci-dessus étaye cette recommandation. Les décideurs aux différents échelons devraient permettre et promouvoir cette prise en charge non médicamenteuse.

 

* On touche le patient dément d’une certaine manière pour qu’il se détende.

 

 

Références 

  1. De Paepe P, Petrovic M. Traitement médicamenteux des symptômes neuropsychiatriques de la démence. MinervaF 2006;5(2):23-6.
  2. Sink KM, Holden KF, Yaffe K. Pharmacologic treatment of neuropsychiatric symptoms of dementia. A review of the evidence. JAMA 2005;293:596-608. DOI: 10.1001/jama.293.5.596
  3. Chevalier P. Antipsychotiques et démence : aggravation plus rapide des troubles cognitifs. Minerva bref 28/01/2012.
  4. Vigen CL, Mack WJ, Keefe RS, et al. Cognitive effects of atypical antipsychotic medications in patients with Alzheimer’s disease: outcomes from CATIE-AD. Am J Psychiatry 2011;168:831-9. DOI: 10.1176/appi.ajp.2011.08121844
  5. Chevalier P. Antipsychotiques et démence. MinervaF 2009;8(4):51.
  6. Rochon PA, Normand SL, Gomes T, et al. Antipsychotic therapy and short-term serious events in older adults with dementia. Arch Intern Med 2008;168:1090-6. DOI: 10.1001/archinte.168.10.1090
  7. Petrovic M, Declercq T. Antipsychotiques ou autres médicaments psychotropes chez les patients atteints de démence : risque de décès augmenté ? Minerva bref 17/12/2015.
  8. Maust DT, Kim HM, Seyfried LS, et al. Antipsychotics, other psychotropics and the risk of death in patients with dementia: number needed to harm. JAMA Psychiatry 2015;72:438-45. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2014.3018
  9. Michiels B. Arrêt des antipsychotiques chez les personnes âgées atteintes de démence. Minerva bref 15/05/2014.
  10. Declercq T, Petrovic M, Azermai M, et al. Withdrawal versus continuation of chronic antipsychotic drugs for behavioural and psychological symptoms in older people with dementia. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD007726.pub2
  11. Michiels B. Traitement médicamenteux de la démence. MinervaF 2008;7(10):146-7.
  12. Raina P, Santaguida P, Ismaila A, et al. Effectiveness of cholinesterase inhibitors and memantine for treating dementia: evidence review for a clinical practice guideline. Ann Intern Med 2008;148:379-97. DOI: 10.7326/0003-4819-148-5-200803040-00009
  13. Michiels B. Agitation et maladie d’Alzheimer : le donépézil efficace ? MinervaF 2008;7(7):112.
  14. Howard RJ, Juszczak E, Ballard CG, et al; CALM-AD Trial Group. Donepezil for the treatment of agitation in Alzheimer's disease. N Engl J Med 2007;357:1382-92. DOI: 10.1056/NEJMoa066583
  15. Michiels B. Le donépézil en cas de maladie d’Alzheimer : mise à jour. Minerva bref 15/03/2019.
  16. Birks JS, Harvey RJ. Donepezil for dementia due to Alzheimer's disease. Cochrane Database Syst Rev 2018, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD001190.pub3
  17. La rédaction Minerva. Démence d’Alzheimer avec agitation et agressivité : mémantine efficace ? Minerva bref 15/04/2014.
  18. Herrmann N, Gauthier S, Boneva N, Lemming OM; 10158 Investigators. A randomized, double-blind, placebo-controlled trial of memantine in a behaviorally enriched sample of patients with moderate-to-severe Alzheimer's disease. Int Psychogeriatr 2013;25:919-27. DOI: 10.1017/S1041610213000239
  19. Schoenmakers B. Démence : soins centrés sur la personne et dementia-care mapping. Minerva 2011;10(3):34-5.
  20. Chenoweth L, King MT, Jeon YH, et al. Caring for Aged Dementia Care Resident Study (CADRES) of person-centred care, dementia-care mapping, and usual care in dementia: a cluster-randomised trial. Lancet Neurol 2009;8:317-25. DOI: 10.1016/S1474-4422(09)70045-6
  21. De Jonghe M. Approches thérapeutiques non pharmacologiques au domicile pour les symptômes psychiatriques et comportementaux des démences. MinervaF 2014;13(1):6-7.
  22. Brodaty H. Arasaratnam B. Meta-Analysis of non pharmacological interventions for neuropsychiatric symptoms of dementia. Am J Psychiatry 2012;169:946-53. DOI: 10.1176/appi.ajp.2012.11101529
  23. Chevalier P. Méta-analyse en réseau : comparaisons directes et indirectes. MinervaF 2009;8(10):148.
  24. Watt JA, Goodarzi Z, Veroniki AA, et al. Comparative efficacy of interventions for aggressive and agitated behaviors in dementia: a systematic review and network meta-analysis. Ann Intern Med 2019;171:633-42. DOI: 10.7326/M19-0993
  25. Michiels B. Choix et signification des critères de jugement primaires et secondaires dans les synthèses méthodiques. MinervaF 2015;14(10):128.
  26. Chevalier P. La différence minimale cliniquement pertinente. MinervaF 2015;14(3):37.
  27. Chevalier P. Comparaisons indirectes (suite). MinervaF 2011;10(6):77.
  28. Poelman T. Comment interpréter une différence moyenne standardisée (DMS) ? MinervaF 2014;13(4):51.
  29. Démence. Formulaire de soins aux Personnes Agées. Littérature consultée à la date du : 31/01/2017.

 

 


Auteurs

Declercq T.
huisarts ; Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

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