Analyse


Faut-il arrêter les statines régulièrement prescrites en prévention primaire chez les patients atteignant 75 ans ?


15 06 2020

Professions de santé

Médecin généraliste
Analyse de
Giral P, Neumann A, Weill A, Coste J. Cardiovascular effect of discontinuing statins for primary prevention at the age of 75 years: a nationwide population-based cohort study in France. Eur Heart J 2019;40:3516-25. DOI: 10.1093/eurheartj/ehz458


Conclusion
Dans cette étude de population française rétrospective sur base de données administratives chez des patients qui ont eu 75 ans au moment de l’inclusion et prenant régulièrement des statines, l’arrêt de celles-ci est associé à une majoration du risque d’admission pour un événement cardiovasculaire (+ 33%). Cette étude avec ce design ne permet pas d’affirmer l’efficacité de ces traitements en prévention primaire chez les plus de 75 ans et encore moins d’encourager l’initiation des statines. Cependant, elle conduit à penser que l’arrêt des statines est à envisager avec prudence et que cet arrêt est associé à une majoration d’événements cardiovasculaires. Il semble indispensable de poursuivre par un essai randomisé avant de conclure.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Les GPC sur la prévention cardiovasculaire ne se prononcent pas formellement sur l’usage des statines en prévention primaire chez les plus de 75 ans. L’étude de cohorte rétrospective analysée ici permet de reconsidérer l’arrêt des statines chez des patients régulièrement sous statines lors de leur 75 ans, l’arrêt des statines étant associé à une majoration de 33% du risque d’admission pour un événement cardiovasculaire. Des essais randomisés en double aveugle sont indispensables pour confirmer ces résultats et modifier les recommandations.



 

Une analyse réalisée dans Minerva en 2007 (1) montrait que chez des patients sans pathologie cardiovasculaire connue dont l’âge moyen était de 55,1 à 75,4 ans, un traitement par statines pouvait contribuer à réduire le risque cardiovasculaire et cérébrovasculaire (2). Les guides de pratique (GPC) sur la prévention cardiovasculaire ne se prononcent pas formellement sur l’usage des statines en prévention primaire chez les plus de 75 ans (3,4). Il est possible de retrouver tout au plus certains avis d’experts sur le sujet (5). Pourtant, l’usage des statines concerne une large proportion de la population, proportion pour laquelle le niveau de preuve est faible. Sur le plan pragmatique, on peut se poser la question si les statines peuvent être arrêtées chez les sujets âgés sans antécédents de pathologie cardiovasculaire. Aucune étude n’a jusqu’ici évalué l’impact de l’interruption des statines en prévention primaire chez les sujets âgés. Une étude française tente d’apporter des réponses à cette question.

 

L’étude de Giral et al. (6), étude de cohorte rétrospective sur base de données administratives, a été réalisée sur tous les patients qui ont eu 75 ans entre 2012 et 2014, sans antécédents cardiovasculaires et avec un indice MPR (Medication Possession Ratio) pour les statines d’au moins 80% sur les 2 années précédentes. Ont été exclus les patients avec un diagnostic de maladie cardiovasculaire et ceux prenant des médications assimilées à la prévention cardiovasculaire secondaire, comme les agents antiplaquettaires. Dans leur méthodologie, les statines étaient considérées comme arrêtées lorsque la personne était non exposée à ce médicament durant trois mois consécutifs. Le critère de jugement primaire était toute admission hospitalière pour un problème cardiovasculaire, coronarien, cérébrovasculaire ou autre. Le taux d’arrêt des statines observé dans cette population sur une moyenne de suivi de 2,4 ans (maximum 4 ans) était de 14,3%. Les résultats montrent que le HR ajusté pour tous les événements cardiovasculaires est de 1,33 (avec IC à 95% de 1,18 à 1,50). Les HR ajustés des admissions pour les événements coronariens, cérébrovasculaires ou autres sont respectivement de 1,46 (avec IC à 95% de 1,21 à 1,75), 1,26 (avec IC à 95% de 1,05 à 1,51), 1,02 (avec IC à 95% de 0,74 à 1,40). Quatre ans après le 75ième anniversaire, le taux d’incidence cumulative ajusté des admissions pour événements cardiovasculaires est de 10,1% (avec IC à 95% de 8,8 à 11,3) dans le groupe d’arrêt des statines contre 7,6% (avec IC à 95% de 7,3 à 7,9) dans le groupe poursuivant les statines. Les analyses de sous-groupes ont montré une hétérogénéité non significative qu’elles soient stratifiées par le sexe, le diabète, les traitements hypotenseurs, la présence d’au moins une comorbidité, les indicateurs de fragilité ou la dose de statine. Les analyses de sensibilité ainsi que les analyses effectuées sur le groupe témoin vont dans le sens des résultats.

Il faut noter que dans cette étude, il s’agit davantage d’un arrêt de plus de 3 mois pour cause inconnue, les statines ayant été dans certains cas reprises. Le registre n’est pas construit pour donner une explication à ces arrêts, ce qui est une des faiblesses de l’étude. On ne peut donc pas associer cet arrêt à une déprescription qui serait réalisée systématiquement. Pour rappel, la déprescription est un processus dynamique de réduction de dose ou d’arrêt d’un médicament jugé néfaste ou non bénéfique pour le patient. L’objectif de la déprescription est d’améliorer par exemple la qualité de vie (7).

Cette étude permet de reconsidérer l’arrêt des statines en prévention primaire. Afin de s’assurer de l’efficacité de celles-ci en prévention primaire chez les patients âgés, d’autres études sont nécessaires. STAREE examinera si le traitement par atorvastatine 40 mg/jour par rapport au placebo chez les personnes âgées en bonne santé (70 ans) prolongera la survie globale ou la survie sans incapacité. SITE évaluera le rapport coût-efficacité de l’arrêt des statines chez les personnes âgées de 75 ans, les principaux critères d’évaluation étant la mortalité globale et le coût différentiel par année de vie ajustée en fonction de la qualité (QALY). Les résultats de STAREE et de SITE sont attendus après 2020.

 

Conclusion

Dans cette étude de population française rétrospective sur base de données administratives chez des patients qui ont eu 75 ans au moment de l’inclusion et prenant régulièrement des statines, l’arrêt de celles-ci est associé à une majoration du risque d’admission pour un événement cardiovasculaire (+ 33%). Cette étude avec ce design ne permet pas d’affirmer l’efficacité de ces traitements en prévention primaire chez les plus de 75 ans et encore moins d’encourager l’initiation des statines. Cependant, elle conduit à penser que l’arrêt des statines est à envisager avec prudence et que cet arrêt est associé à une majoration d’événements cardiovasculaires. Il semble indispensable de poursuivre par un essai randomisé avant de conclure.

 

Pour la pratique

Les GPC sur la prévention cardiovasculaire ne se prononcent pas formellement sur l’usage des statines en prévention primaire chez les plus de 75 ans (3). L’étude de cohorte rétrospective analysée ici permet de reconsidérer l’arrêt des statines chez des patients régulièrement sous statines lors de leur 75 ans, l’arrêt des statines étant associé à une majoration de 33% du risque d’admission pour un événement cardiovasculaire. Des essais randomisés en double aveugle sont indispensables pour confirmer ces résultats et modifier les recommandations.

 

 

Références 

  1. Lemiengre M. Prévention primaire de la morbi-mortalité cardiovasculaire avec les statines. MinervaF 2007;6(5):76-8.
  2. Thavendiranatham P, Bagai A, Brookhart MA, Choudry NK. Primary prevention of cardiovascular diseases with statin therapy: a meta-analysis of randomized controlled trials. Arch Intern Med 2006;166:2307-13. DOI: 10.1001/archinte.166.21.2307
  3. Stone NJ, Robinson JG, Lichtenstein AH et al. American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines. 2013 ACC/AHA guideline on the treatment of blood cholesterol to reduce atherosclerotic cardiovascular risk in adults: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines. J Am Coll Cardiol 2014;63:2889-934. DOI: 10.1016/j.jacc.2013.11.002
  4. Fontaine J.  L’utilisation des statins en prevention cardiovasculaire primaire. SSMG 2016.
  5. Strandberg T, Kolehmainen L,  Vuorio L. Evaluation and treatment of older patients with hypercholesterolemia: a clinical review. JAMA 2014;312:1136-44. DOI: 10.1001/jama.2014.10924
  6. Giral P, Neumann A, Weill A, Coste J. Cardiovascular effect of discontinuing statins for primary prevention at the age of 75 years: a nationwide population-based cohort study in France. Eur Heart J 2019;40:3516-25. DOI: 10.1093/eurheartj/ehz458
  7. Thompson W, Farrell B. Deprescribing: what is it and what does the evidence tell us? Can J Hosp Pharm 2013;66:201-2. DOI: 10.4212/cjhp.v66i3.1261

Auteurs

Korpak K.
Service de Gériatrie, ISPPC, CHU Charleroi
COI :

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