Analyse


Perception émergeante de l'importance de l'évaluation de l’impact environnemental des médicaments


27 06 2022

Professions de santé

Conclusion
En conclusion, la perception émergeante au sein des soignants et plus particulièrement des médecins généralistes en formation de l’impact environnemental des médicaments est une réelle opportunité pour renforcer un processus déjà bien ancré d’un point de vue politique et des acteurs du traitement de l’eau et des sols. Le rôle des soignants est important dans le choix des médicaments à proposer aux patients et relève de leur responsabilité sociale quant au fait de porter cette thématique dans le domaine public. Exiger que l’impact environnemental des médicaments deviennent un critère de jugement aussi important que ceux relatifs à l’efficacité, à la sécurité et à la qualité de vie liée aux soins serait un idéal pour donner les moyens au professionnels de la santé de discuter avec leurs patients de cette thématique sur base de faits probants, étudiés scientifiquement. Enfin, ce sujet éclaire l’importance de veiller à favoriser une démarche globale et pluridisciplinaire des politiques quant à leur impact sur la santé.



Cet éditorial fait suite à des discussions que j’ai eues avec des étudiants en master complémentaire de médecine générale de l‘UCLouvain. Ils m’ont fait part de leur étonnement quant au fait que Minerva n’abordait jamais une notion centrale aujourd’hui pour eux qu’est le développement durable. Ils me disaient se sentir responsables, en tant que professionnels de la santé, de cet aspect du médicament. Ils se demandaient donc pourquoi Minerva ne donnait jamais d’information relative à cette préoccupation. Je n’ai pu que leur répondre que celle-ci ne faisait pas partie des objectifs de Minerva. Gênant.

 

Les informations que vous trouverez ci-dessous ne sont absolument pas exhaustives. Tout au plus, elles ont pour but de rappeler dans un premier temps le cadre dans lequel un médicament est mis sur le marché puis de se pencher plus spécifiquement sur la problématique de la réduction des résidus médicamenteux dans les eaux, certes un petit maillon de la notion de développement durable lié à la santé mais qui présente l’avantage d’être bien documenté, réglementé et sur lequel des recherches ont déjà été menées. Les membres de la rédaction de Minerva espèrent que cette introduction permettra d’engager des discussions.

 

AFMPS (1

« Dans la procédure nationale, la demande d’AMM (l’Autorisation de mise sur le marché) est soumise par le demandeur auprès de l’AFMPS. La Commission des médicaments à usage humain désigne les évaluateurs des dossiers et leur rapport est soumis pour avis à la commission des médicaments à usage humain. L’organe scientifique au sein de l'AFMPS est la Commission pour les médicaments à usage humain (CMH). La CMH a été créée pour fournir des avis sur des demandes d’autorisation de mise sur le marché, sur la mise à disposition de médicaments aux patients, ainsi que sur des questions scientifiques relatives aux médicaments. La Commission se prononce sur la balance bénéfices/risques d’un médicament et ce à partir de trois critères : l’efficacité, la sécurité et la qualité du médicament. Après une évaluation, le demandeur reçoit la décision du Ministre ou de son délégué. Après une évaluation positive, le demandeur reçoit une AMM nationale (qui porte un numéro) ».

En parcourant la loi, nous retrouvons les mentions suivantes : Art 5 § 2 "Le dossier de demande d'AMM doit comprendre […] 4) l'évaluation des risques que le médicament pourrait présenter pour l'environnement. Cet impact est étudié et, au cas par cas, des dispositions particulières visant à le limiter sont envisagées; […] 8) les explications sur les mesures de précaution et de sécurité à prendre lors […] de l'élimination des déchets, ainsi qu'une indication des risques potentiels que le médicament pourrait présenter pour l'environnement". Nous avons trouvé beaucoup de précisions juridiques liées à la sécurité des médicaments et à la pharmacovigilance.

Notons dès à présent que les notions d’efficacité et sécurité sont des notions centrales de Minerva car elles sont mentionnées comme critère de jugement par les études originales. Les résultats observés sont alors évalués selon des critères méthodologiques rigoureux, permettant d’estimer au mieux la balance bénéfices/risques des molécules discutées. Depuis quelques années, nous remarquons que les études originales ajoutent également souvent la notion de qualité de vie liée aux soins comme critère de jugement. Relevons le manque de visibilité de l’impact sur l’environnement des médicaments pour les prestataires de soins et les patients.

 

Le cas des OGM 

Le cas des OGM (organismes génétiquement modifiés) est quelque peu différent.  

Première question : les OGM sont-ils utilisés par les médecins, les pharmaciens et les patients ?

Le Service Biosécurité et Biotechnologie (SBB), un des services de Sciensano, rappelle que « c’est en 2005 que le premier dossier de demande d'autorisation de mise sur le marché d'un médicament à usage humain consistant en un OGM a été soumis à l’EMA » (2). Le SPF Santé Publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et environnement rappelle que : « cela vaut notamment pour l'insuline de type "recombinante (…) apparue sur le marché en 1982, qui a été le premier produit développé par le recours à la technologie génique. Un premier vaccin génétiquement modifié (contre l'hépatite B), fabriqué en Belgique, a suivi et est disponible depuis 1986 » (2). Dans ces deux exemples, les substances actives présentes dans les médicaments sont dérivées d'OGM, mais ne sont pas elles-mêmes des OGM vivants. En 2019, 10 médicaments « OGM » avaient reçu une AMM au niveau européen. Le SPF informe également qu’il est de plus en plus question d'utiliser des plantes et des animaux transgéniques (OGM) pour la fabrication de molécules présentant des qualités thérapeutiques (p.ex. vaccins fabriqués dans le lait animal) (2).

 

Deuxième question : quelles sont les spécificités de notification pour la commercialisation des médicaments contenant des OGM ?

Le Service Biosécurité et Biotechnologie (SBB) écrit sur son site (3) :

 « Pour être commercialisé, tout médicament issu des biotechnologies (et donc aussi les médicaments "OGM", c-à-d contenant des OGM ou consistant en OGM) doit faire l'objet d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par la Commission européenne sur avis de l'Agence Européenne des Médicaments (EMA) » suivant une procédure centralisée définie dans le règlement (CE) n°726/2004. Notons que si l'autorisation est octroyée, elle est d'emblée valable pour tous les Etats membres de l'Union européenne.

Le dossier de demande d'enregistrement est évalué selon des critères scientifiques de qualité, de sécurité et d'efficacité du médicament concerné. « Pour chaque dossier, l'évaluation est effectuée sous la coordination d'un rapporteur et d'un co-rapporteur désignés par le CHMP ("Committee for Medicinal Products for Human Use" - CHMP),  le CVMP ("Committee for Medicinal Products for Veterinary Use" - CVMP) ou le CAT ("Committee for Advanced Therapy" - CAT) ». Des questions peuvent être envoyées au demandeur. Après les réponses de celui-ci, le rapport d'évaluation final est soumis pour évaluation au Comité correspondant de l'EMA. C’est le rapport risque/bénéfice de l'utilisation du produit qui est évalué ; si l’évaluation est positive, « elle est transmise à la Commission qui adopte la décision finale ». Ici aussi, on remarque que l’évaluation porte sur la balance bénéfices/risques, donc sur des critères de qualité, d’efficacité et de sécurité. Cependant, le SBB précise : « Les médicaments contenant des OGM ou consistant en OGM constituent un cas réglementaire particulier du fait de dispositions réciproques dans la directive 2001/18/CE (article 12.2) et le règlement (CE) n°726/2004 (articles 6.2 et 6.3). Dans ce cas, la demande doit être accompagnée d'une évaluation des risques pour l'environnement (ERA). L'ERA ne s’applique pas aux médicaments produits à partir d’OGM. En Belgique, c’est le Conseil consultatif de Biosécurité avec le support scientifique d'experts externes et du SBB qui procède à cette analyse.

 

Que veut dire : évaluation des risques pour l’environnement (ERA) ?

« L’ERA porte sur les risques pour l’environnement biotique, mais également sur les éventuels dangers de l’OGM pour l’entourage de la personne traitée ou pour le personnel soignant, ainsi que les risques de santé publique. Dans cette partie de son rapport, le rapporteur souligne les éventuels manquements dans l’ERA et, si nécessaire, propose une liste de questions à adresser au notifiant ». Au terme de la procédure, c’est le CCB qui va donner un avis à l’EMA pour chaque rapport d’évaluation (3).

 

Qui s’inquiète de l’impact du médicament sur l’environnement ?

La problématique de l’impact des médicaments sur l’environnement a été soulevée par les biologistes et les responsables de la qualité de l’eau et des sols : « Les médicaments consommés par l'homme et l'animal sont excrétés dans l'environnement sous forme de molécules-mères et de métabolites. Ces résidus sont détectés aujourd'hui à très faibles concentrations dans les milieux aquatiques grâce à des appareils analytiques performants. La révélation de l'omniprésence de ces substances chimiques dans l'environnement s'est traduite par une préoccupation nouvelle, pour laquelle l'expression de “perception émergente” convient mieux que celle de “risque émergent” » (4).

Le Conseil Général de l’environnement et du développement durable français rappelle dans un rapport de 2010 que « ces molécules ne sont pas des substances chimiques anodines : les molécules-mères ont été conçues et fabriquées pour avoir une activité sur la matière vivante. C'est ainsi qu'elles modifient, par leurs propriétés pharmacologiques, les mécanismes biologiques des organismes destinataires (les espèces cibles), leur vocation peut également être de tuer des virus, des bactéries, des champignons, des parasites (protozoaires, helminthes, arthropodes…). Ces molécules-mères et certains de leurs métabolites sont donc susceptibles d'agir sur les mécanismes biologiques d'espèces non-cibles, telles celles de la flore et de la faune habitant le milieu aquatique et le sol et exposées en permanence à ces molécules » (4). Les auteurs (4) citent trois exemples classiques illustrant l'écotoxicité des résidus médicamenteux : les médicaments anticancéreux présentant des propriétés carcinogènes, mutagènes et génotoxiques, sont potentiellement très dangereux pour la faune et la flore qui leur sont exposées en permanence ; les estrogènes naturels et synthétiques peuvent présenter des effets se traduisant par des modifications physiologiques de la reproduction des animaux du milieu aquatique (poissons, oiseaux et mammifères marins...) ; les résidus médicamenteux de certains antibiotiques ont montré une toxicité à très faible dose sur des algues et il n'est pas exclu qu'ils favorisent la sélection de bactéries résistantes en exerçant une pression de sélection sur les bactéries dans les milieux environnementaux.

 

Nous n’aborderons pas ici la problématique liée à la production et à la distribution des médicaments, mais ces thématiques interpellent des collègues, souvent plus jeunes.

Malgré ces faits reconnus, les industries pharmaceutiques et les médecins sont décrits comme les acteurs qui se sentent les moins concernés par l’impact environnemental du médicament (5). Il faut reconnaître que les critères de jugement des études originales évaluent l’efficacité et la sécurité des molécules. L’efficacité est le symbole du soin et la compétence du médecin est évaluée sur son efficacité. Les médecins cherchent également à favoriser la meilleure observance possible et cela passe par le moins d’effet indésirable pour le patient, aussi bien à court terme qu’à long terme. Enfin, depuis quelques années, la qualité de vie liée à la santé est également devenue un critère de jugement régulièrement évalué. En 2022, ce sont les éléments prioritaires discutés avec le patient. Les pharmaciens, eux, par leur implication dans le recyclage des médicaments, se sentent plus concernés par la problématique (5).

 

Comment améliorer la perception des soignants quant à l’impact des médicaments sur l’environnement ?

Une étude qualitative effectuée auprès de médecins, pharmaciens et patients a déjà été menée en 2015 pour explorer ce sujet. Former, éduquer, sensibiliser, communiquer est bien entendu la pierre angulaire de cet objectif (5). Pouvons-nous rêver que les études originales ajoutent le critère de jugement de l’impact environnemental lors de la conception des études et de la publication des résultats ? Ce serait idéal ! Et pour Minerva, ce serait l’occasion de discuter cette thématique régulièrement. Ce serait également l’assurance que ce critère de jugement soit enseigné. Il est sans doute de la responsabilité sociale des soignants et des facultés d’exiger cette évolution. Un autre avantage d’une telle démarche est qu’elle conforterait la recherche dans ce domaine. La recherche qualitative citée ci-dessus (5) affirme que « le rapprochement environnement et santé et la pluridisciplinarité dans la recherche sont des éléments importants dans la réussite des recherches et la compréhension de ces mécanismes complexes. Les professionnels de santé et d’environnement évoquent le développement de la recherche comme essentielle pour la réduction des résidus médicamenteux dans les eaux car pour agir, il faut comprendre et donc connaître ».

Améliorer les pratiques médicamenteuses (production, distribution, dispensation, prescription consommation, élimination et recyclage) est un autre levier identifié pour réduire l’impact des médicaments sur l’environnement. Un point intéressant est la mise en évidence de l’importance de la relation de confiance entre le soignant et le patient (5). Pour favoriser une relation de confiance entre le médecin et le patient, Minerva (6) a discuté une synthèse méthodique avec méta-analyse d’études randomisées, contrôlées, correctement menée d’un point de vue méthodologique (7), qui montrait que les aides à la décision assurent une meilleure information des patients, une meilleure connaissance de leurs valeurs et de leurs préférences (preuve de qualité élevée). Elle montrait aussi que les aides à la décision peuvent garantir un rôle plus actif des patients lors de la prise de décision et une meilleure évaluation par les patients des risques réels des différentes options stratégiques (preuve de qualité moyenne). Les résultats de cette synthèse méthodique ne permettaient toutefois pas de se prononcer sur le type d’aide à la décision qui est le plus efficace ou dans quel contexte on obtient le meilleur résultat. Bien entendu, cette synthèse méthodique n’abordait pas du tout la thématique du développement durable lié à la santé, mais on peut espérer que ces outils d’aide à la décision pourraient également prendre en compte ce paramètre.

Améliorer le recyclage des médicaments en favorisant une collaboration entre patients, pharmaciens et pouvoirs publics est également essentiel. Améliorer la prise de conscience de l’impact des médicaments sur l’environnement serait aussi une piste : logo sur la boite ou inscription sur les notices sont envisagés (6). Enfin, le traitement des eaux et des sols, des législations adéquates sont bien entendu également des outils indispensables.

 

En conclusion, la perception émergeante au sein des soignants et plus particulièrement des médecins généralistes en formation de l’impact environnemental des médicaments est une réelle opportunité pour renforcer un processus déjà bien ancré d’un point de vue politique et des acteurs du traitement de l’eau et des sols. Le rôle des soignants est important dans le choix des médicaments à proposer aux patients et relève de leur responsabilité sociale quant au fait de porter cette thématique dans le domaine public. Exiger que l’impact environnemental des médicaments deviennent un critère de jugement aussi important que ceux relatifs à l’efficacité, à la sécurité et à la qualité de vie liée aux soins serait un idéal pour donner les moyens au professionnels de la santé de discuter avec leurs patients de cette thématique sur base de faits probants, étudiés scientifiquement. Enfin, ce sujet éclaire l’importance de veiller à favoriser une démarche globale et pluridisciplinaire des politiques quant à leur impact sur la santé.

 

 

Références 

  1. AFMPS. Procédure Nationale : Généralités. URL : https://www.afmps.be/fr/humain/medicaments/medicaments/procedures_damm/Procedures_enregistrement/procedure_nationale/generalites (consulté le 27/05/2022).
  2. SPF Santé Publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et environnement. Organismes génétiquement modifiés ? 30/03/2016. URL : https://www.health.belgium.be/fr/animaux-et-vegetaux/vegetaux/organismes-genetiquement-modifies-ogm/ogm-et-legislation-generalites-0 (consulté le 27/05/2022).
  3. Belgian Biosafety Server. Procédure de notification pour la commercialisation de médicaments OGM. URL : https://www.biosecurite.be/content/procedure-de-notification-pour-la-commercialisation-de-medicaments-ogm (consulté le 27-05-2022).
  4. Conseil général de l’environnement et du développement durable. Rapport n° : 007058-01. Médicament et environnement. Bouvier M, Durand F, Guillet R. La régulation du médicament vis-à-vis du risque environnemental. Novembre 2010. (consulté le 27/05/2022).
  5. Mettoux-Petchimoutou A-P.  Sept leviers pour réduire à la source les médicaments SHF, dans « Les polluants émergents : de nouveaux défis pour la gestion des eaux souterraines ? 19-20 mai 2016, Orléans ».
  6. Delvaux N, Aertgeerts B. Aides à la décision dans un processus de décision partagée entre médecin et patient (shared decision making). MinervaF 2018;17(6):79-83.
  7. Stacey D, Légaré F, Lewis K, et al. Decision aids for people facing health treatment or screening decisions. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD001431.pub5

 

 


Auteurs

De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

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