Analyse


Utilité de la kinésithérapie auprès de patients souffrant de paralysie faciale de Bell


15 02 2023

Professions de santé

Kinésithérapeute, Logopède, Médecin généraliste
Analyse de
Khan AJ, Szczepura A, Palmer S, et al. Physical therapy for facial nerve paralysis (Bell’s palsy) : an updated and extended systematic review of the evidence for facial exercise therapy. Clin Rehabil 2022;36:1424-49. DOI: 10.1177/02692155221110727


Question clinique
Quelle est l’efficacité clinique d’une prise en charge kinésithérapeutique chez les adultes souffrant de paralysie faciale de Bell ?


Conclusion
Cette revue méthodique purement descriptive, adressant une question très générale, apporte peu d’information directement utiles aux professionnelles de terrain. Elle a le mérite de faire un état des lieux de l’existant dans un domaine peu ou pas mis en avant dans les guides de pratique clinique.


Contexte

La paralysie de Bell est une des formes les plus fréquentes (60%) de paralysie faciale périphérique. Bien qu’elle apparaisse souvent à la suite d’une infection virale (herpès, covid), les causes restent floues (1,2). Ce trouble affecte près de 4 personnes sur 10000 par an, plus particulièrement entre 30 et 45 ans et plus fréquemment les femmes enceintes, les personnes diabétiques, obèses ou immunodéprimées (3,4). Bien que la plupart des patients retrouvent l’entièreté de leur motricité faciale de manière spontanée, 30% font face à des déficits altérant leur qualité de vie à long terme (5-7). Ceux-ci peuvent affecter leurs capacités de manger, parler, exprimer leurs émotions de façon non verbale et entrainer des douleurs, menant alors à une détresse psychologique voire à une dépression (5,8,9). En 2011, une revue méthodique Cochrane affirmait, sur base de preuves de faible qualité, que la kinésithérapie faciale pouvait être bénéfique (10). La revue analysée ici a pour but d’identifier et d’évaluer les données probantes récentes relatives à ce sujet (11). 

 

 

Résumé

Méthodologie

Revue systématique ciblée.

Sources consultées

  • les auteurs ont consulté les bases de données MEDLINE, EMBASE, CINAHL, Cochrane Library, PEDro, Allied and Complementary Medicine Database.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’éligibilité : patients adultes (> 18 ans) avec diagnostic d’une paralysie de Bell, pris en charge par tout type de kinésithérapie faciale, seule ou en association avec d’autres interventions, comparés à un placebo, à l’absence de traitement, ou à d’autres interventions en termes de différents critères cliniques (8 au total) ; essais randomisés contrôlés, études quasi-expérimentales, études pilotes ou de faisabilité, études observationnelles et revues ; articles anglophones révisés par les pairs.

 

Mesure des résultats 

 

Résultats

  • sur les 58 articles identifiés, 25 études menées entre 2011 et 2020 ont été incluses ; parmi les 25 articles sélectionnés, 7 étaient des essais randomisés contrôlés, 9 étaient des études observationnelles, 3 étaient des études quasi-expérimentales et 6 étaient des revues
  • 75% des études ont utilisé des mesures valides pour évaluer l’évolution des fonctions faciales et/ou l’atteinte des objectifs fixés ; parmi les 7 essais randomisés, les 4 essais de haute qualité ont tous rapporté un effet positif des thérapies faciales, tout comme les études observationnelles de haute/moyenne qualité (3/9)
  • les revues étaient de très faibles qualité méthodologique.

 

Conclusion des auteurs

Les résultats de cette revue ciblée confirment ceux de la revue Cochrane plus générale précédemment réalisée. Les études récentes renforcent les conclusions précédentes concernant les bénéfices des exercices de kinésithérapie faciale en début de récupération et ajoutent des preuves pour les cas chroniques. Une meilleure standardisation des dessins d’études et de la mesure de résultats et une évaluation du coût/efficacité sont recommandés. 

 

Financement de l’étude

National Institute for Health Research (NIHR) anglais.

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt. 

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

Contrairement à ce que les auteurs affirment dans leurs conclusions, ils n’adressent pas une question clinique ciblée, tant en termes de population (critères diagnostiques, sévérité ou encore caractère aigu ou chronique de la paralysie), d’intervention, de comparateur ou de critères d’évaluation. Il est donc difficile de formuler une question de type PICO. Notons que les auteurs ont prépublié le protocole de recherche sur le registre PROSPERO. Nous n’avons pas accès aux informations sur les stratégies de recherche précises. Les auteurs ont structuré leur démarche à l’aide de la checklist PRISMA. La qualité des études individuelles a été évaluée avec la méthode GRADE, alors que AMSTAR-2 a permis d’évaluer la qualité des revues. 
D’un point de vue géographique, les études individuelles choisies proviennent de tous les continents, ce qui est intéressant. Par contre, 8 d’entre elles (ainsi que les 6 revues) sont considérées comme de faible (voire très faible) qualité méthodologique (taille de l’échantillon, pas d’évaluation en aveugle, manque de descriptions, risque de biais). Quelques informations contradictoires rendent la compréhension de l’article compliquée (par exemple sur le nombre d’études de différents types).
Malheureusement, il existe une très grande hétérogénéité entre les études, et cela à différents niveaux :

  • les patients (laps de temps suite à la paralysie allant de 48h à 30 ans ou pas spécifié, type de paralysie/sévérité)
  • le traitement (seuls deux articles évaluent l’effet unique des exercices faciaux, alors que les autres combinent ces exercicesà d’autres traitements : biofeedback, tapping, variante coréenne, laser,…)
  • les outils de mesure
  • le dessin d’études sélectionnées.

 

Cette étude est donc plus un exercice synoptique qu’une tentative de répondre à une question clinique.

 

Évaluation des résultats 

Cette revue est uniquement descriptive et n’apporte pas grand-chose du point de vue de la pratique professionnelle en Belgique, notamment parce que les auteurs ne précisent pas en quoi consistent réellement les interventions recensées. Il serait aussi nécessaire de préciser la ou les questions de recherche afin d’obtenir des conclusions concrètes et plus facilement transposables dans la pratique (ex : « Que faire en phase aigüe ? » « Que faire avec un patient ayant une paralysie de stade 3 ou 5 ou 6 «? »). Le résumé de l’article nous parle de télé-pratique, mais il n’est jamais question de cela dans les études sélectionnées. Notons également que, comme nous l’observons souvent dans les guides de pratiques cliniques, la prise en charge de cette pathologie ne semble pas être destinée aux logopèdes, mais plutôt aux kinésithérapeutes. Dans le cadre de troubles liés au visage, ces deux professions se recouvrent souvent, et l’INAMI n’est pas toujours très claire à ce sujet (même si la nomenclature INAMI ne prévoit aucun remboursement spécifique pour les paralysies faciales, les logopèdes et les kinés peuvent prendre en charge des troubles oro-myo-fonctionnels (déficits musculaires et fonctionnels pouvant impacter la déglutition et la phonation). Dès lors, une clarification des compétences et des responsabilités réciproques serait nécessaire. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le guide Duodecim disponible sur Ebpraticenet ne parle pas des interventions de kinésithérapie dans la paralysie faciale de Bell. En ce qui concerne l’ASHA (American Speech Language Hearing Association), aucune information n’est fournie quant aux paralysies faciales. Le résumé clinique Dynamed, évoque le bénéfice de la kinésithérapie faciale dans la paralysie de Bell en se basant sur la revue Cochrane de 2011 évoquée plus haut (12).

 

 

Conclusion de Minerva

Cette revue méthodique purement descriptive, adressant une question très générale, apporte peu d’information directement utiles aux professionnelles de terrain. Elle a le mérite de faire un état des lieux de l’existant dans un domaine peu ou pas mis en avant dans les guides de pratique clinique. 

 

 

 


Références 

  1. Zhang W, Xu L, Luo T, et al. The etiology of Bell’s palsy: a review. J Neurol 2020;267:1896-905. DOI: 10.1007/s00415-019-09282-4
  2. Figueiredo R, Falcao V, Pinto MJ, et al. Peripheral facial paralysis as presenting symptom of COVID-19 in a pregnant woman. BMJ Case Rep 2020;13:e237146. DOI: 10.1136/bcr-2020-237146
  3. Holland NJ, Weiner GM. Recent developments in Bell’s palsy. Br Med J 2004;329:553-7. DOI: 10.1136/bmj.329.7465.553
  4. Phan NT, Panizza B, Wallwork B. A general practice approach to Bell’s palsy. Aust Fam Physician 2016;45:794-7.
  5. Peitersen E. Bell’s palsy: the spontaneous course of 2,500 peripheral facial nerve palsies of different etiologies. Acta Otolaryngol 2002;Suppl. 549:4-30. DOI: 10.1080/000164802320401694
  6. Baugh RF, Basura GJ, Ishii LE, et al. Clinical practice guideline: Bell’s palsy. Otolaryngol Head Neck Surg 2013;149:S1-27. DOI: 10.1177/0194599813505967
  7. Engstrom M, Berg T, Stjernquist-Desatnik A, et al. Prednisolone and valaciclovir in Bell’s palsy: a randomised, double-blind, placebo-controlled, multicentre trial. Lancet Neurol 2008;7:993-1000. DOI: 10.1016/S1474-4422(08)70221-7
  8. Tavares-Brito J, van Veen MM, Dusseldorp JR, et al. Facial palsy-specific quality of life in 920 patients: correlation with clinician-graded severity and predicting factors. Laryngoscope 2019;129:100-4. DOI: 10.1002/lary.27481
  9. Valente SM. Visual disfigurement and depression. Plast Surg Nurs 2004;24:140-6; quiz 147-8. DOI: 10.1097/00006527-200410000-00003
  10. Teixeira LJ, Valbuza JS, Prado GF. Physical therapy for Bell's palsy (idiopathic facial paralysis). Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 12. DOI: 10.1002/14651858.CD006283.pub3
  11. Khan AJ, Szczepura A, Palmer S, et al. Physical therapy for facial nerve paralysis (Bell’s palsy) : an updated and extended systematic review of the evidence for facial exercise therapy. Clin Rehabil 2022;36:1424-49. DOI: 10.1177/02692155221110727
  12. DynaMed. Bell Palsy. EBSCO Information Services. Accessed January 19, 2023.

 


Auteurs

Levaux E.
logopède
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

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