Analyse


Corticostéroïdes inhalés : une place dans le traitement des formes légères de covid-19 ?


15 02 2023

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Griesel M, Wagner C, Mikolajewska A, et al. Inhaled corticosteroids for the treatment of COVID-19. Cochrane Database Syst Rev 2022, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD015125


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité des corticostéroïdes inhalés dans le traitement de la covid-19 ?


Conclusion
Cette revue systématique présente des faiblesses méthodologiques. Elle conclut que les données solides manquent pour recommander l’utilisation des corticostéroïdes inhalés dans les formes légères de covid-19, mais les auteurs prévoient d’intégrer aux versions futures les résultats d’essais randomisés contrôlés actuellement en cours.


Contexte

La place de différents traitements de la covid-19 a déjà été abordée dans Minerva : aspirine (1,2), hydroxychloroquine (3,4), azithromycine (5,6), corticostéroïdes administrés par voie nasale (7,8). Les cliniciens sont régulièrement confrontés au risque de maladie grave résultant d'une hyperinflammation dans la covid-19, notamment respiratoire. L'action anti-inflammatoire des corticostéroïdes inhalés pourrait avoir le potentiel de réduire cette hyperinflammation. Cette étude évalue l’efficacité et la sécurité des corticostéroïdes inhalés, dont l’activité anti-inflammatoire dans les pathologies respiratoires est bien établie, dans le traitement de la covid-19 (9). 

 


Résumé

Méthodologie 

Revue systématique et méta-analyse.


Sources consultées

  • CENTRAL, Clinicaltrials.gov, PubMed, Embase, WHO ICTRP, medRxiv, Web of Science
  • littérature relative à la covid-19 publiée par l’OMS.

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : essais contrôlés randomisés évaluant les corticostéroïdes inhalés pour le covid‐19, indépendamment de la gravité de la maladie, de l'âge, du sexe ou de l'origine ethnique
  • les interventions suivantes ont été incluses : tout type ou toute dose de corticostéroïdes inhalés en complément des soins habituels
  • le comparateur suivant est inclus : soins habituels (avec ou sans placebo)
  • critères d’exclusion : les études examinant les stéroïdes nasaux ou topiques, les études en cross-over
  • au total, 3 RCTs ont été incluses ; deux études comparent le budésonide (dose journalière 1600 µg) aux soins standard, et la troisième compare le ciclésonide (dose journalière 640 µg) aux soins standards.


Populations étudiées

  • les études sélectionnées ont inclus 3607 participants, dont 2490 ont reçu un diagnostic d’infection légère à la covid-19 ; ces études ont été menées en milieu ambulatoire, chez des patients capables d’utiliser un dispositif d’inhalation, d’être évalués à distance et de rapporter eux-mêmes leurs symptômes ; la majorité des patients étaient âgés de plus de 50 ans et présentaient des comorbidités telles qu’hypertension artérielle, pathologies pulmonaires ou diabète ; ces études ont été menées dans des régions où les populations ont majoritairement des revenus élevés, antérieurement aux campagnes de vaccination à grande échelle ; au total, 1057 patients ont été traités par corticostéroïdes inhalés : 860 patients par le budésonide et 197 par le ciclésonide.


Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires :
    • mortalité toutes causes confondues au jour 30, au jour 60, jusqu'à l'événement et jusqu'au suivi le plus long
    • visites de soins d'urgence liées à la covid-19, y compris l'évaluation au service des urgences ou l'hospitalisation
  • critères de jugement secondaires :
    • état clinique au jour 30, au jour 60 et jusqu'au suivi le plus long, comprenant :
      • aggravation de l'état clinique :
        • détérioration clinique (nouveau besoin de ventilation mécanique invasive) ou la mort 
      • amélioration de l'état clinique :
        • participants rentrés chez eux sans détérioration clinique ni décès
  • qualité de vie, y compris la fatigue et l'état neurologique, évalués avec des échelles standardisées (par exemple WHOQOL -100) jusqu'à sept jours; jusqu'à 30 jours et le suivi le plus long disponible
  • innocuité des corticostéroïdes inhalés
    • événements indésirables graves au cours de la période d'étude, définis comme le nombre de participants ayant subi un événement indésirable grave (grave tel que défini selon le CTCAE (Critères de terminologie communs pour les événements indésirables))
    • événements indésirables (tout grade) au cours de la période d'étude, définis comme le nombre de participants avec un événement indésirable
    • infections nosocomiales pendant la période d'étude.


Résultats

  • les méta-analyses portent sur 2132 patients, dont 52% sont des femmes ; 1057 participants ont été analysés dans le bras corticostéroïde inhalé (budésonide : 860 participants ; ciclésonide : 197 participants) et 1075 participants dans le bras contrôle ; aucune étude n'a inclus de personnes atteintes d'une infection SARSCoV-2 asymptomatique
  • les résultats sont présentés dans le tableau suivant :

 

 

Critères de jugement

Risque sous traitement standard

Risque sous traitement standard + CSI

Risque relatif (RR)

(IC à 95%) ou

différence moyenne (DM)

Nombre de participants

(nombre d’études)

Niveau de preuve

(GRADE)

Mortalité (toutes causes)

9/1000

6/1000

RR de 0,61 (0,22 à 1,67)

2132

(3 études)

Faible

Hospitalisation ou décès

79/1000

57/1000

RR de 0,72 (0,51 à 0,99)

 

2025

(2 études)

Modéré

Amélioration des symptômes (jour 14)

465/1000

553/1000

RR de 1,19 (1,0 à 1,30)

 

 

1986

(2 études)

Modéré

Temps moyen de résolution des symptômes

12 jours

8 jours

 

DM de -4 jours

(-6,22 à -1,78)

139

(1 étude)

Faible

Effets indésirables sévères

5/1000

3/1000

RR de 0,51 (0,09 à 2,76)

 

1586

(1 étude)

Très faible

Effets indésirables avec suivi pendant 30 jours

143/1000

111/1000

RR de 0,78 (0,47 à 1,31)

 

400

(1 étude)

Faible

Infections

34/1000

30/1000

RR de 0,88 (0,30 à 2,58)

 

400

(1 étude)

Faible

 

 
Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent que chez les patients atteints de la covid-19 avec des symptômes modérés et capables d’utiliser les inhalateurs de CSI (budésonide et ciclésonide), il existe des preuves modérées que les CSI réduisent probablement le critère de jugement combiné associant admission à l’hôpital ou décès et améliorent la résolution des symptômes au 14ème jour. Les preuves sont faibles quant à une amélioration faible voire nulle de la mortalité de toutes causes à 30 jours ainsi que quant à la durée de résolution des symptômes. L’évaluation de l’impact des CSI sur les effets indésirables n’est pas évaluable due à l’hétérogénéité de la mention de ceux-ci dans les études. Le niveau de certitude est très faible quant à l’efficacité des CSI en termes de diminution des infections.

Financement de l’étude
La plupart des financements viennent de départements universitaires allemands ; 1 source provient d’une université indienne

Conflits d’intérêt des auteurs
6 auteurs déclarent des sources de financement publics ou universitaires ; 4 n’en déclarent aucun.

 


Discussion


Evaluation de la méthodologie

Pour cette revue systématique avec méta-analyse, la recherche d’articles a été réalisée dans de nombreuses bases de données, jusqu’au 7 octobre 2021. La sélection des articles ainsi que l’extraction des données ont été réalisées par un seul chercheur. Les auteurs justifient ce choix par le fait que les bases de données relatives au covid-19 sont très régulièrement mises à jour par d’autres chercheurs, notamment pour aider à la mise à jour régulière des recommandations dans le cadre de la pandémie. Les études incluses étaient des essais randomisés contrôlés dont la population étudiée est une population adulte (≥ 18 ans), ayant reçu un diagnostic de covid-19. Il faut remarquer que les critères de diagnostic ne sont pas standardisés : les critères d’inclusion des études reprises exigeaient soit un PCR pour l’une, soit un PCR et/ou un test antigénique pour la 2ème et une association de symptômes prédictifs de covid-19 pour la 3ème. À noter que les auteurs eux-mêmes sont très peu précis quant à leurs critères d’inclusion : seul les diagnostics d’infection à covid-19 légère ou asymptomatique sont mentionnés. Il faut parcourir chaque étude individuellement pour comprendre que les patients inclus dans ces études évaluant l’intérêt des CSI avaient bien des symptômes respiratoires… La qualité des études incluses a été évaluée par le RoB2 de la Cochrane... pour chaque analyse de résultat, ce qui nous semble à tout le moins bizarre. En termes de risque de biais, 2 essais ont été classés à faible risque, et 1 essai présente 2 risques de biais classés incertains. Le double insu n’a été mis en place que pour une seule étude. L’intervention est correctement décrite mais le comparateur n’est pas détaillé avec précision (antipyrétiques, antibiotiques, soins habituels). Les résultats de la méta-analyse, quand elle était possible, reposent uniquement sur 3 études et une seule d’entre elles inclut de nombreux patients (n = 1586). Les niveaux de certitude sont évalués à l’aide de GRADE.
L’évaluation de l’efficacité des corticostéroïdes inhalés sur la qualité de vie et les effets secondaires (sévères ou non) n’ont pas été répertoriés convenablement dans les études originales avec des disparités concernant la manière de les rapporter et de les enregistrer notamment, amenant les auteurs à ne proposer que les résultats d’une étude pour chacun de ces critères d’évaluation...et perdre ainsi tout l’intérêt d’une synthèse méthodique avec méta-analyse. Notons enfin que les cliniciens seraient également intéressés par l’évaluation de l’intérêt des CSI en termes de prévention du covid long avec séquelles respiratoires.

Evaluation des résultats

Les études incluent soit des patients âgés de 40 à 64 ans avec des comorbidités, soit des patients âgés de 65 ans et plus indépendamment de la présence de comorbidités ; mais excluent les patients ne maîtrisant pas les dispositifs d’inhalation. Le clinicien devra donc rester prudent pour l’extrapolation aux patients de moins de 50 ans, ainsi que pour ceux qui ne sont pas en capacité d’utiliser un dispositif d’inhalation (dextérité, force inspiratoire insuffisante). Aucune expérience préalable d’utilisation des dispositifs d’inhalation n’étant requise, une sous-estimation de l’effet n’est pas à exclure. Cette étude a inclus uniquement des patients ambulatoires avec une forme légère de covid-19, dans des pays à revenus élevés. Les auteurs signalent avoir recherché des études effectuées dans des milieux moins favorisés sans avoir pu en trouver. Aucune analyse en sous-groupe n’a dès lors pu être effectuée sur ce critère. Il n’y a aucune donnée concernant les patients atteints de covid modérée à sévère. Les occurrences faibles des critères de jugement primaires – 0,6% pour la mortalité, aucun décès dans 2 des 3 études, moins de 6% pour les hospitalisations – font que les auteurs ne rencontrent pas les exigences posées a priori en termes de puissance. Ils avaient calculé que 3764 patients étaient nécessaires pour atteindre une puissance suffisante. Comme cela n’a pas été le cas, ils ont dégradé leur niveau de certitude.
Le risque d’effets secondaires graves est minime, même avec une technique d’inhalation incorrecte, au vu de la faible biodisponibilité orale du budésonide. Le CBIP ne signale pas de problèmes majeurs à attendre lors de l’utilisation sur de courte durée d’un CSI, à l’exception d’un risque accru de pneumonie et d’infections à mycobactéries en cas d’utilisation dans la BPCO (10). Il est à noter que le budésonide est disponible en Belgique sous forme de différents inhalateurs à poudre sèche, mais qu’il n’existe aucune spécialité à base de ciclésonide.
Le recrutement des patients a été effectué avant mars 2021, l’évaluation de l’efficacité des CSI pourrait donc être affectée par l’évolution rapide des interventions thérapeutiques disponibles et les données épidémiologiques. Les études ayant été effectuées avant la mise sur pied des stratégies vaccinales, le statut vaccinal des patients n’a pas été pris en compte. Bien que vaccination permettant de réduire le nombre absolu de patients atteints de formes sévères de , covid-19, on peut raisonnablement s’attendre à ce que les effets observés sur la population étudiée soient extrapolables à des patients symptomatiques complètement vaccinés. Compte tenu du mode d’action du budésonide, on peut aussi raisonnablement s’attendre à ce que les résultats de l’étude ne soient pas impactés par les différents variants du SARS-CoV-2, contrairement aux traitements par anticorps monoclonaux interagissant directement avec la protéine Spike du virus, ou aux autres thérapies ciblées.



Que disent les guides de pratique clinique ?
Dans son document à l’intention des médecins généralistes, le KCE (11) ne laisse une place aux corticostéroïdes inhalés qu’au cas par cas pour soulager les symptômes chez les patients correctement informés. Le CBIP renvoie aussi vers ce document. NICE (12), le NIH (13), et Prescrire (14), dans leurs recommandations respectives, ne positionnent pas les corticostéroïdes inhalés en ordre utile pour le traitement des formes légères de la covid-19.

 


Conclusion de Minerva 

Cette revue systématique présente des faiblesses méthodologiques. Elle conclut que les données solides manquent pour recommander l’utilisation des corticostéroïdes inhalés dans les formes légères de covid-19, mais les auteurs prévoient d’intégrer aux versions futures les résultats d’essais randomisés contrôlés actuellement en cours.

 



Références

  1. Laekeman G. L’aspirine contre la COVID ? Minerva Analyse 21/10/2022.
  2. Ma S, Su W, Sun C, et al. Does aspirin have an effect on risk of death in patients with COVID 19? A meta analysis. Eur J Clin Pharmacol 2022;78:1403-20. DOI: 10.1007/s00228-022-03356-5
  3. Denis B. L’hydroxychloroquine est-elle indiquée dans le traitement de patients covid-19 ? Minerva Analyse 15/04/2020.
  4. Gautret P, Lagier JC, Parola P, et al. Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19 : results of an open-label non-randomized clinical trial. Int J Antimicrob Agents 2020;56:10594. DOI: 10.1016/j.ijantimicag.2020.105949
  5. Denis B. Azithromycine : pas de place dans le traitement du covid-19. Minerva Analyse 20/04/2022.
  6. Popp M, Stegemann M, Riemer M, et al. Antibiotics for the treatment of COVID-19. Cochrane Database Syst Rev 2021, Issue 10. DOI: 10.1002/14651858.CD015025
  7. Jayaswal, A. Intérêt des corticostéroïdes intranasaux dans le traitement de l’anosmie liée au covid-19 ? Minerva Analyse 20/04/2022.
  8. Rashid RA, Zgair A, Al-Ani RM. Effect of nasal corticosteroid in the treatment of anosmia due to COVID-19: a randomized double-blind placebo-controlled study. Am J Otolaryngol 2021;42:103033. DOI: 10.1016/j.amjoto.2021.103033
  9. Griesel M, Wagner C, Mikolajewska A, et al. Inhaled corticosteroids for the treatment of COVID-19. Cochrane Database Syst Rev 2022, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD015125
  10. CBIP. Corticostéroïdes inhalés (CSI). Répertoire commenté des médicaments. CBIP février 2023.
  11. Jonckheer P, Jespers V, Costa E, et al. Home-based medication management for non-severe SARS-COV-2 infection. KCE 12/12/2022. Disponible sur : https://kce.fgov.be/sites/default/files/2022-04/BalisesCOVIDGPs-FR.pdf
  12. NICE. Covid-19 rapid guideline : managing COVID-19. Published online November 11, 2022.
  13. NIH. Covid-19 treatment guidelines. Url: https://www.covid19treatmentguidelines.nih.gov/management/clinical-management-of-adults/nonhospitalized-adults--therapeutic-management/
  14. La rédaction Prescrire. Premiers Choix Prescrire. Covid-19, formes légères à modérées. Rev Prescrire, actualisation novembre 2022.


Auteurs

Valentin S.
pharmacienne
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Glossaire

WHOQOL

Code





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