Analyse


Quelles sont l’efficacité et la sécurité de la chlorthalidone sur l’hypertension artérielle en cas d’insuffisance rénale chronique avancée ?


15 02 2023

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Agarwal R, Sinha AD, Cramer AE, et al. Chlorthalidone for hypertension in advanced chronic kidney disease. N Engl J Med 2021;385:2507-19. DOI: 10.1056/NEJMoa2110730


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité de la chlorthalidone (thiazide-like), comparativement au placebo, dans le contrôle de l’HTA résistante, chez des patients atteint d’IRC ?


Conclusion
Cette RCT en double aveugle portant sur une population de patients ayant une IRC de stade 4 et une HTA mal contrôlée montre que l’administration de chlorthalidone a amélioré le contrôle de la tension artérielle après 12 semaines de traitement en comparaison avec l’administration de placebo. En outre, la chlorthalidone pourrait avoir une action protectrice sur les facteurs de risque cardiovasculaire chez les patients insuffisants rénaux sévères. Les limites méthodologiques de cette étude se situent principalement sur sa courte durée et le choix de critères intermédiaires comme critère de jugement primaire et secondaire, ne permettant pas d’aboutir à des conclusions pour des traitements au long cours indiqués chez les patients IRC. Ainsi, sa pertinence clinique n’est pas, à ce stade, atteinte.


Contexte 

L’hypertension artérielle (HTA) chez les patients atteints d’insuffisance rénale chronique (IRC) doit être traitée pour éviter la dégradation de la fonction rénale. Cependant elle est souvent mal contrôlée, au vu de leur statut hypervolémique (1). Ainsi, pour traiter leur HTA, les diurétiques de l’anse sont souvent requis malgré le risque majeur d’insuffisance rénale aiguë (IRA). Un article en 2009 (2) conclut au bénéfice de l’utilisation des thiazides à faible dose dans le contrôle de l’HTA (3). Un autre article analysé par Minerva (4) comparait l’efficacité de l’ajout d’un anticalcique par rapport à l’ajout d’un thiazide chez des patients à risque cardiovasculaire accru traités par bénazépril (IEC), mais les résultats ne permettaient pas d’arriver à une conclusion applicable à la pratique de la médecine générale vu les limites méthodologiques relevées (5).  En ciblant notre recherche sur des patients atteints d’insuffisance rénale chronique et hypertendus, nous trouvons une analyse d’étude publiée en 2014 (6) mais le sujet ne traite que sur des chiffres tensionnels à cibler pour contrôler la tension (7). Il existe peu de données sur la comparaison de l’efficacité des différentes classes de diurétiques dans le traitement de l’hypertension artérielle chez l’insuffisant rénal chronique. En partant de ce constat, une étude évaluant l’efficacité de la chlorthalidone en cas d’IRC était pertinente (8).

 

 

Résumé 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : 
    • âge > 18 ans, GFR entre 15 et 30 ml/min/1,73 m2
    • HTA mal contrôlée confirmée par MAPA (monitoring ambulatoire de la pression artérielle) et définie par des chiffres de TAs ≥ 130 mmHg et TAd ≥ 80 mmHg
  • critères d’exclusion :  
    • TAs ≥ 160 mmHg, TAd ≥ 100 mmHg
    • antécédent d’infarctus du myocarde et/ou d’AVC, antécédent d’hospitalisation pour décompensation cardiaque dans les 12 semaines avant la randomisation
    • patients ayant reçu des hautes doses de diurétiques de l’anse quotidiennement (furosémide > 200 mg/j ou torasémide > 100 mg/j) 
    • patients ayant reçu des thiazides et/ou thiazide-like dans les 12 semaines avant randomisation
  • inclusion finale de 160 patients dont 77 à 78% d'hommes ; 57 à 59% de blancs et 40% de noirs ; 62% d'hommes ; âge moyen de 66 ans ; parmi les comorbidités 74 à 77% d’eux ont un diabète ; 32% avaient des antécédents de maladie coronarienne ; la moyenne de la filtration glomérulaire est de 22,8 +/-4,2 à 23,5 +/-4,2 ml/min/1,73m2 ainsi que le ratio médian albumine/créatinine à 812 (IQR 128 - 2022) à 862 (IQR 187 - 2274) mg/g ; 60% d’entre eux ont un traitement de diurétiques de l’anse surajouté ; la MAPA moyenne était de 141/69 à 138/68 mmHg.

 

Protocole d’étude

Etude randomisée, contrôlée, multicentrique, versus placebo, ratio 1 : 1, pendant 12 semaines

  • sujets de l’échantillon issus de 3 hôpitaux présentant des populations de milieux différents, ce qui contribue à reproduire une situation proche de la population globale
  • 2849 patients potentiels, dont 403 marquent leur accord
  • 4 visites sur 3 semaines avant la randomisation avec :
    • instructions concernant l’utilisation du MAPA (assis après 5 minutes de repos et 2 fois par semaines)
    • instructions pour suivre un régime avec moins de 100 mmol de sel/jour + placebo pour tous les patients 
    • standardisation de leur traitement antihypertenseur (IEC = lisinopril 20-40 mg, ARA = losartan 50-100 mg, antagonistes calciques = amlodipine 10 mg, bêta-bloquants = aténolol 25-100 mg et diurétiques de l’anse = torasémide 10-20 mg)
    • prélèvement de sang pour mesurer le taux d’électrolytes, glucose, la rénine, l’aldostérone, le NT-proBNP et la fonction glomérulaire + spot urinaire pour mesurer albumine et créatine + échantillon d’urines de 24 h pour mesurer le sodium et la créatinine ; pour mesurer le volume corporel total de chaque patient, les chercheurs ont eu recours à une pléthysmographie 
  • intervention (n = 81)
    • dose initiale de chlorthalidone à 12,5 mg 
    • dose doublée toutes les 4 semaines (25 mg à la 4ème semaine puis 50 à la 8ème semaine), seulement en cas d’hypertension artérielle non contrôlée (n’atteignant pas les valeurs cibles 135/85)
    • pas d’augmentation de la dose, et/ou diminution voire arrêt en cas d’effets indésirables
  • comparateur (n = 79)
    • dose initiale à un comprimé de placebo
    • même protocole et même condition d’arrêt que le groupe intervention. 

 

Mesure des résultats 

  • critère de jugement primaire : changement de pression artérielle MAPA
  • critères de jugement secondaires : 
    • ratio urinaire albumine/créatinine 
    • NT-proBNP 
    • niveaux plasma rénine et aldostérone
    • volume corporel total 
    • marqueurs hypervolémie 
  • critères de jugement de sécurité : 
    • créatinémie
    • hypokaliémie
    • hypomagnésie
    • hyponatrémie
    • hyperglycémie
    • hyperuricémie
  • des analyses en sous-groupes ont été préspécifiées.

 

Résultats 

  • les résultats montrent, à 12 semaines : critère de jugement primaire : 
    • différence de pression artérielle systolique : groupe chlorthalidone à -11 mmHg versus -0,5 mmHg groupe placebo ; différence de moyenne de -10,5 mmHg avec IC à 95% de -14,6 à -6,4 ; p < 0,001
    • différence de pression artérielle diastolique : groupe chlorthalidone -4,9 mmHg versus -1,0 groupe placebo ; différence de moyenne de -3,9 mmHg avec IC à 95% de -6,3 à -1,5 ; p < 0,001 
  • critères de jugement secondaires : 
    • le pourcentage de variation du rapport albumine/créatinine urinaire par rapport au départ était de -52% et -4%, respectivement, à 12 semaines (différence entre les groupes de -50% avec IC à 95% de -60% à -37%)
    • le variation en pourcentage du niveau de NT-proBNP était de -30% et -11%, respectivement, soit une différence entre les groupes de -21% avec IC à 95% de -35% à -4%
  • critères de sécurité : 
    • les événements indésirables survenus au cours de la période allant du début de la randomisation à l'arrêt de l’étude ont été enregistrés chez 74 patients (91%) dans le groupe chlorthalidone et chez 68 patients (86%) dans le groupe placebo
    • l'hypokaliémie, les augmentations réversibles du taux de créatinine sérique, l'hyperglycémie, les étourdissements et l'hyperuricémie sont survenus plus fréquemment dans le groupe chlorthalidone que dans le groupe placebo
  • les analyses en sous-groupes n’ont pas montré de différence entre les groupes préspécifiés. 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez les patients atteints d'insuffisance rénale chronique avancée avec une hypertension artérielle mal contrôlée, le traitement par chlorthalidone améliore le contrôle de la pression artérielle à 12 semaines par rapport au placebo.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs n’en déclarent pas. 

 

Financement de l’étude

Financement par the National Heart, Lung, and Blood Institute (grant R01 HL126903) and the Indiana Institute of Medical Research.

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

RCT de bonne qualité méthodologique :  étude contrôlée randomisée en double-aveugle, protocole d’étude pré publié (9), l’essai avait été approuvé par deux comités d’éthique indépendants et une surveillance indépendante a été menée pour assurer la bonne conduite de la récolte des données et la sécurité des patients. Deux auteurs ont veillé à ce que les données soient complètes et précises. La puissance de l’étude est satisfaisante, car la taille de l’échantillon est conforme aux exigence d’enrôlement du nombre de patients. Les investigateurs ont prévu qu’il fallait un nombre de sujets nécessaires à 64 patients dans chaque bras pour avoir une puissance à 80%. De plus, les caractéristiques des groupes étudiés sont comparables entre eux. Les résultats ont été analysés en sous-groupes en prenant compte les effets liés aux caractéristiques tel l’âge, l’ethnie, le sexe, l’utilisation des diurétiques de l’anse, etc. Sur les 20 patients qui n’ont pas terminé les 12 semaines d’étude, 6 provenaient du groupe placebo, laissant supposer des effets indésirables plus nombreux liés à la chlorthalidone. 

 

Évaluation des résultats
Les résultats ont été analysé en intention de traiter. En considérant les critères de jugement primaire et secondaires, ce sont des critères documentant soit un critère intermédiaire, la pression artérielle, dans le cas du critère de jugement primaire, soit des biomarqueurs liés aux mécanismes d’action du traitement dans le cas des critères de jugement secondaires. Si ces choix répondent à l’objectif de l’étude (démontrer l’efficacité́ de la chlorthalidone sur l’hypertension artérielle chez l’IRC), il n’est pas sûr que tous les patients qui sont bien contrôlés au niveau de la tension artérielle ou au niveau des biomarqueurs présenteront moins d’évènements cardiovasculaire ou moins de risque d’évoluer vers une insuffisance rénale terminale (IRT). Cela n’aide pas le clinicien. De plus, l’étude s’est déroulée sur 12 semaines, ce qui est insuffisant pour évaluer un traitement administré à des patients porteurs de pathologie chronique. Les auteurs ont tenté de pallier cette lacune en réalisant une étude observationnelle de 3 ans après la fin de l’étude sur les critères cliniques attendus : aucune différence statistiquement significative entre les 2 groupes n’a été observée. Enfin, les résultats ne sont pas extrapolables à la population générale, car il y a une sous-représentation des femmes ainsi que des critères d’inclusion strictes dans cette étude, dont une PAs > 160 et une PAd > 100 mmHg.

 

Que disent les guides de pratique clinique ? 
Les médicaments antihypertenseurs sont presque toujours nécessaires chez les patients atteints d'IRC. Les IECA et les ARA sont les piliers de la prise en charge de l'hypertension chez les patients présentant une IRC, en particulier chez les personnes atteintes d'albuminurie (albumine urinaire > 300 mg/j) (10).  Les IECA sont préférés, réduisant le risque de mortalité de toute cause et non les sartans (11). Les thiazides sont cités en 2ème intention, mais une augmentation du risque de détérioration de la fonction rénale (avec augmentation du risque d'insuffisance rénale aiguë) en cas d’association à un AINS, un IECA ou un sartan, surtout en cas de sténose de l’artère rénale ou d’hypovolémie, et particulièrement en cas de traitement concomitant par un diurétique + AINS + IECA ou sartan est décrite (12). Le CBIP contre-indique des thiazides et apparentés en cas d’insuffisance rénale sévère (définie par un GFR < 30ml/min) (12). De plus, Farmaka (formulaire de soins aux personnes âgées) précise que la contre-indication de la chlorthalidone chez les sujets dont la GFR < 30ml/min/1,73m2 est due au fait qu’elle serait non-efficace dans cette situation (11).

 

 

Conclusion de Minerva 

Cette RCT en double aveugle portant sur une population de patients ayant une IRC de stade 4 et une HTA mal contrôlée montre que l’administration de chlorthalidone a amélioré le contrôle de la tension artérielle après 12 semaines de traitement en comparaison avec l’administration de placebo. En outre, la chlorthalidone pourrait avoir une action protectrice sur les facteurs de risque cardiovasculaire chez les patients insuffisants rénaux sévères. Les limites méthodologiques de cette étude se situent principalement sur sa courte durée et le choix de critères intermédiaires comme critère de jugement primaire et secondaire, ne permettant pas d’aboutir à des conclusions pour des traitements au long cours indiqués chez les patients IRC. Ainsi, sa pertinence clinique n’est pas, à ce stade, atteinte. 

 

 


Références 

  1. Alencar de Pinho N, Levin A, Fukagawa M, et al. Considerable international variation exists in blood pressure control and antihypertensive prescription patterns in chronic kidney disease. Kidney Int 2019;96:983-94. DOI: 10.1016/j.kint.2019.04.032
  2. De Cort P. Hypertension non compliquée : les thiazides à faibles doses restent un premier choix. Minerva Analyse 27/05/2010.
  3. Wright JM, Musini VM. First-line drugs for hypertension. Cochrane Database Syst Rev 2009, Issue 3.  DOI: 10.1002/14651858.CD001841.pub2
  4. De Cort P. HTA : inhibiteur calcique plutôt qu’un thiazide en ajout à un IEC ? MinervaF 2010;9(9):104-5. w
  5. Jamerson K, Weber MA, Bakris GL, et al. Benazepril plus amlodipine or hydrochlorothiazide for hypertension in high-risk patients. N Engl J Med 2008;359:2417-28. DOI: 10.1056/NEJMoa0806182
  6. De Cort P. Insuffisance rénale chronique : quels chiffres tensionnels cibler ? Minerva Analyse 15/04/2014
  7. Kovesdy CF, Bleyer AJ, Molnar MZ, et al ; Blood pressure and mortality in U.S.- veterans with chronic kidney disease : a cohort study. Ann Intern Med 2013;159:233-42. DOI: 10.7326/0003-4819-159-4-201308200-00004
  8. Agarwal R, Sinha AD, Cramer AE, et al. Chlorthalidone for hypertension in advanced chronic kidney disease. N Engl J Med 2021;385:2507-19. DOI: 10.1056/NEJMoa2110730
  9. Agarwal R, Cramer AE, Balmes-Fenwick M, et al. Design and baseline characteristics of the chlorthalidone in chronic kidney disease (CLICK) Trial. Am J Nephrol 2020;51:542-52. DOI: 10.1159/000508700 
  10. Sarafidis PA, Khosla N, Bakris GL. Antihypertensive therapy in the presence of proteinuria. Am J Kidney Dis 2007;49:12-26. DOI: 10.1053/j.ajkd.2006.10.014 
  11. Hypertension artérielle. Formulaire de soins aux Personnes Agées. Farmaka. Littérature consultée à la date du : 14/04/2020. Disponible sur : https://farmaka.cbip.be/fr/formulaire-p-a/357?search_term=hypertension+art%C3%A9rielle
  12. Diurétiques augmentant la perte de potassium. Thiazides et apparentés. CBIP. Répertoire Commenté des Médicaments février 2023. Disponible sur : https://www.cbip.be/fr/chapters/2?frag=414

 


Auteurs

Nogueira NM.
assistantes en Médecine Générale, UCLouvain
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Couty M.
assistante en médecine générale, UCLouvain
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Glossaire

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