Analyse


Un autotest cognitif permet-il de détecter plus précocement la progression d’un trouble cognitif léger vers une démence ?


21 03 2023

Professions de santé

Médecin généraliste, Psychologue
Analyse de
Scharre DW, Chang SI, Nagaraja HN, et al. Self-Administered Gerocognitive Examination: longitudinal cohort testing for the early detection of dementia conversion. Alzheimer’s Res Ther 2021;13:192. DOI: 10.1186/s13195-021-00930-4


Question clinique
Dans le cadre d’une clinique de la mémoire, est-ce que la répétition de l’autotest SAGE (Self-Administered Gerocognitive Examination) sur une période de 7 ans peut détecter plus rapidement que la répétition du test de Folstein (Mini-Mental State Examination, MMSE) sur une même période l’apparition ou l’évolution d’une démence chez les patients âgés diagnostiqués avec une démence, un trouble cognitif léger (Mild Cognitive Impairment, MCI) ou un déclin cognitif subjectif ?


Conclusion
Cette étude de cohorte rétrospective, menée dans une clinique de la mémoire, suggère que, chez les personnes âgées présentant un trouble cognitif léger, l’autotest SAGE permet de détecter une évolution vers la démence plus précocement que le MMSE. Une recherche plus approfondie est nécessaire pour confirmer cette observation.


Contexte 

Il existe plusieurs tests cognitifs permettant d’établir une distinction entre la maladie d’Alzheimer modérée à sévère et un fonctionnement cognitif normal chez les personnes âgées chez qui un déclin cognitif est suspecté, mais il n’y a pas de consensus concernant le test le plus approprié pour la détection précoce des troubles cognitifs légers et des formes légères de la maladie d’Alzheimer (1,2). Le test de Folstein (Mini Mental State Examination, MMSE) est l’un des tests les plus utilisés dans le monde par les prestataires de soins (3,4), et il est également disponible en plusieurs langues. Outre les tests effectués par les professionnels de la santé, divers autotests ont également été développés, comme l’examen gérontocognitif autoadministré (Self-Administered Gerocognitive Examination, SAGE) (5), pour détecter plus rapidement les modifications des fonctions cognitives.

 

 

Résumé

Population étudiée 

  • recrutement consécutif de 665 patients âgés qui, tous les six mois, ont été suivis pendant une période allant jusqu’à 8,8 ans dans une clinique de la mémoire aux États-Unis à l’aide du test SAGE et du test de Folstein (MMSE) ; le test de Folstein (MMSE) a été administré par un investigateur, et le test SAGE a été rempli par le patient de manière autonome 
  • critères d’inclusion : vision suffisante, maîtrise suffisante de l’anglais, au moins deux visites de suivi avec administration du test SAGE et du test de Folstein (MMSE) 
  • critères d’exclusion : MMSE < 5 ou SAGE < 2 au début de l’étude, âgé de moins de 50 ans, retard mental, épilepsie, tumeur au cerveau, trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), démence autre que la maladie d’Alzheimer ou démence de type mixte 
  • finalement, inclusion de 424 personnes ayant en moyenne entre 69,3 ans (ET 9,2) et 76,9 ans (ET 8,5) (respectivement dans le groupe des patients avec démence et dans le groupe des patients avec déclin cognitif subjectif) ; 40 à 61% de femmes ; suivis depuis 2,8 ans (ET 1,7) à 4,1 ans (ET 1,9) ; à l’entrée dans l’étude, le score SAGE moyen était de 11,0 (ET 4,4) à 19,6 (ET 2,0), et le score MMSE moyen était de 22,1 (ET 3,7) à 28,5 (ET 1,4) (respectivement dans le groupe des patients avec démence et dans le groupe des patients avec déclin cognitif subjectif).

 

Protocole de l’étude

Cohorte rétrospective de dossiers de patients

  • chez tous les patients inclus, des investigateurs formés ont posé le diagnostic de maladie d’Alzheimer, de démence autre qu’une maladie d’Alzheimer, de déficience cognitive légère ou de déclin cognitif subjectif
  • une distinction a été faite entre les personnes chez qui avait été diagnostiquée une démence, celles qui présentaient un trouble cognitif léger (Mild Cognitive Impairment, MCI) et celles qui avaient un déclin cognitif subjectif 
  • la distinction entre déficience cognitive légère et déclin cognitif subjectif s’appuyait sur la batterie de tests neuropsychologiques CERAD ; le diagnostic de démence reposait sur les critères NINCDS-ADRDA et les critères DSM-IV TR.

 

Mesure des résultats 

  • critère de jugement : différence quant à la variation longitudinale des scores au test de Folstein (MMSE) et des scores SAGE dans 5 sous-groupes : maladie d’Alzheimer (n = 220) ; déclin cognitif subjectif (n = 40), trouble cognitif léger (MCI) stable (n = 94), progression d’un MCI vers la maladie d’Alzheimer (n = 49) ou progression d’un MCI vers une démence d’un autre type que la maladie d’Alzheimer (n = 21).

 

Résultats

  • les scores SAGE et MMSE ont diminué respectivement :
    • de 1,91 point par an (p < 0,0001) et 1,68 point par an (p < 0,0001) dans le groupe progression d’un MCI vers la maladie d’Alzheimer 
    • de 2,33 points par an (p < 0,0001) et 1,83 point par an (p < 0,0001) dans le groupe progression d’un MCI vers une démence d’un autre type que la maladie d’Alzheimer 
    • de 1,82 point par an (p < 0,0001) et 2,38 points par an (p < 0,0001) dans le groupe maladie d’Alzheimer
  • les scores SAGE et MMSE sont restés stables dans le groupe déclin cognitif subjectif et dans le groupe MCI stable
  • la diminution des scores SAGE et MMSE ne différait pas de manière statistiquement significative entre les deux groupes progression d’un MCI vers une démence
  • une diminution statistiquement significative par rapport au score de départ est survenue au niveau des scores SAGE au moins six mois plus tôt qu’au niveau des scores MMSE :
    • dans le groupe MCI progressant vers une maladie d’Alzheimer (après 14,4 mois en moyenne contre 20,4 mois en moyenne), 
    • dans le groupe MCI progressant vers une démence d’un autre type que la maladie d’Alzheimer (après 14,4 mois en moyenne contre 32,9 mois en moyenne) 
    • dans le groupe maladie d’Alzheimer (après 8,3 mois en moyenne contre 14,4 mois en moyenne).

 

Conclusion des auteurs

L’autotest SAGE détecte la progression d’un MCI vers une démence au moins six mois plus tôt que le MMSE. Étant donné que le test SAGE est autoadministré, il répond également à un besoin important de supprimer certains obstacles à la réalisation des évaluations cognitives. Comme il s’agit d’une étude de cohorte unicentrique, un biais de référence et un biais d’échantillon sont possibles. L’administration répétée du test SAGE et l’identification de la stabilité ou du déclin peuvent fournir aux cliniciens un biomarqueur cognitif objectif pour faciliter les décisions d’évaluation et de prise en charge.

 

Financement de l’étude

Un financement interne de l’Université de l’État d’Ohio a été utilisé pour cette étude.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs sont financés par l’Université de l’État d’Ohio qui détient les droits d’auteur du test SAGE. La copie papier du test est disponible gratuitement, la version numérique est disponible dans le commerce.

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

Il s’agit ici d’une étude rétrospective pour laquelle le recrutement a eu lieu dans une clinique universitaire de la mémoire. Cela peut avoir entraîné un biais de sélection dont il faudra tenir compte lors de l’extrapolation des résultats. Cependant, comme les chercheurs ont utilisé des données de suivi dans les dossiers des patients, le risque de biais d’information est faible. Des critères validés ont été utilisés pour le diagnostic de démence et de trouble cognitif léger. À cet égard, il est important de prendre également en compte les activités de la vie quotidienne (AVQ). Les instruments de mesure utilisés, MMSE et SAGE, ont également été administrés dans des conditions standardisées. Il faut cependant savoir que le test SAGE n’est pas encore suffisamment validé pour détecter les troubles de la mémoire et la démence (5). Ainsi, il n’existe actuellement aucune donnée disponible sur la cohérence interne et la fiabilité test-retest de l’autotest SAGE. On ne sait pas non plus si les personnes qui ont administré le MMSE en ont effectué l’évaluation de manière standardisée. 

 

Évaluation des résultats
Les auteurs de cette étude concluent que l’autotest SAGE peut détecter plus précocement le déclin cognitif et la progression d’un MCI vers une démence. Il faut toutefois se demander comment ils en sont arrivés à cette conclusion (voir l’article méthodologique accompagnant cette analyse (6)). De plus, nous pouvons également émettre des réserves sur la pertinence clinique de ce gain pour le pronostic de cette maladie dégénérative. Un dépistage et un diagnostic précis pourraient gagner en importance avec la mise au point de nouveaux traitements de la maladie d’Alzheimer. En complément aux tests habituels administrés par les prestataires de soins, les autotests peuvent aussi être administrés en raison des différences qu’ils présentent en termes d’avantages et d’inconvénients. L’avantage du test SAGE est qu’il est également disponible en version électronique (mais avec droit d’auteur). L’étude actuelle ne l’a comparé qu’avec le test de Folstein (Mini-Mental State Examination, MMSE) et non avec l’évaluation cognitive de Montréal (Montreal Cognitive Assessment, MOCA). Le MOCA ayant un effet plafond plus faible que le MMSE (7), il aurait été intéressant de l’inclure également dans l’étude. Le MMSE et le MOCA ont été adaptés et validés dans différentes versions afin de réduire à un minimum l’effet de la langue et de la culture. De plus, il faut également noter que l’étude a été menée dans une population sélectionnée, et, par conséquent, les résultats ne peuvent pas être simplement extrapolés à la première ligne. En tout cas, nous pouvons conclure qu’il reste un domaine de recherche très pertinent, où des études supplémentaires sur le type de test (ou une combinaison de tests) et la place de l’autotest dans le diagnostic des troubles cognitifs et du déclin cognitif sont absolument nécessaires avant qu’il puisse être utilisé dans la pratique. En outre, une recherche complémentaire sur la faisabilité et la mise en œuvre à grande échelle est également nécessaire, ce qui est problématique avec la plupart des autotests (8).

 

Que disent les guides de pratique clinique ?
Le guide de pratique clinique « Diagnostic de la démence en médecine générale (9) » met l’accent sur la détection précoce de la démence. Il n’y est pas fait mention des autotests. Cela s’explique probablement par le fait que les données sur les autotests sont trop limitées. D’autres guides de pratique clinique ne mentionnent pas (encore) l’utilisation d’autotests ou ne font aucune recommandation à ce sujet.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude de cohorte rétrospective, menée dans une clinique de la mémoire, suggère que, chez les personnes âgées présentant un trouble cognitif léger, l’autotest SAGE permet de détecter une évolution vers la démence plus précocement que le MMSE. Une recherche plus approfondie est nécessaire pour confirmer cette observation.

 

 


Références 

  1. Schoenmakers B. Distinguer une démence clinique de type Alzheimer d’un déclin cognitif léger ou d’une cognition normale grâce à des tests cognitifs brefs. Minerva Analyse 17/12/2020.
  2. Hemmy LS, Linskens EJ, Silverman PC, et al. Brief cognitive tests for distinguishing clinical Alzheimer-type dementia from mild cognitive impairment or normal cognition in older adults with suspected cognitive impairment. Ann Intern Med 2020;172:678-87. DOI: 10.7326/M19-3889
  3. Chevalier P. Dépistage de la démence : MMSE versus autres tests cognitifs. Minerva Analyse 18/11/2015.
  4. Tsoi KK, Chan JY, Hirai HW, et al. Cognitive tests to detect dementia: a systematic review and meta-analysis. JAMA Intern Med 2015;175:1450-8. DOI: 10.1001/jamainternmed.2015.2152
  5. Scharre DW, Chang SI, Nagaraja HN, et al. Self-Administered Gerocognitive Examination: longitudinal cohort testing for the early detection of dementia conversion. Alzheimer’s Res Ther 2021;13:192. DOI: 10.1186/s13195-021-00930-4
  6. Michiels B. La comparaison indirecte des mesures répétées de deux tests permet-elle d’en tirer des conclusions ? MinervaF [Editorial] 21/03/2023.
  7. Trzepacz PT, Hochstetler H, Wang S, et al; Alzheimer’s Disease Neuroimaging Initiative. Relationship between the Montreal Cognitive Assessment and Mini-mental State Examination for assessment of mild cognitive impairment in older adults. BMC Geriatr 2015;15:107. DOI: 10.1186/s12877-015-0103-3
  8. Tsoy E, Zygouris S, Possin KL. Current state of self-administered brief computerized cognitive assessments for detection of cognitive disorders in older adults: a systematic review. J Prev Alzheimers Dis 2021;8:267-76. DOI: 10.14283/jpad.2021.11
  9. De Brandt M, Verschraegen J, Flerackers S, et al. Diagnostiek van dementie in de huisartsenpraktijk (Diagnostic de la démence en médecine générale – guide de pratique clinique uniquement disponible en Néerlandais). ACHG. Ebpnet. Mis à jour par le producteur: 20/02/2020.





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