Analyse


Les effets de la stimulation cognitive chez les personnes atteintes de démence


21 03 2023

Professions de santé

Ergothérapeute, Infirmier, Médecin généraliste, Psychologue
Analyse de
Saragih ID, Tonapa SI, Saragih IS, Lee BO. Effects of cognitive stimulation therapy for people with dementia : a systematic review and meta-analysis of randomized controlled studies. Int J Nurs Stud 2022;128:104181. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2022.104181


Question clinique
Quel est l’effet de la stimulation cognitive sur le fonctionnement cognitif, les symptômes psychiatriques et la dépression chez les personnes présentant une démence légère à modérée ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse montre que la stimulation cognitive améliore fortement les fonctions cognitives et réduit faiblement le degré de dépression chez les personnes atteintes de démence légère à modérée. Aucun effet sur les autres symptômes psychiatriques n’a pu être montré. Cependant, tant la synthèse méthodique que les études randomisées contrôlées incluses présentaient des lacunes méthodologiques. Une étude plus approfondie, avec une conception de recherche plus rigoureuse, est certainement indiquée.


Contexte

La démence est associée à une perte irréversible des fonctions cognitives (1,2). Ce déclin cognitif progressif se caractérise également par le développement de symptômes psychiatriques (3), les plus fréquents étant les symptômes dépressifs (4). En cas de démence, il est donc nécessaire de rechercher des interventions appropriées permettant de traiter aussi bien la dépression que les autres symptômes psychiatriques. À cet égard, Minerva a déjà traité de l’utilité de divers traitements non médicamenteux (5-8). Mais nous n’avions pas encore mentionné explicitement la stimulation cognitive. Celle-ci s’appuie sur les concepts d’apprentissage implicite, de stimulation du langage, d’amélioration et de renforcement des ressources cognitives et de maintien de l’engagement social par l’amélioration du fonctionnement cognitif et social (9). Une synthèse méthodique Cochrane a montré un effet positif de la stimulation cognitive sur le fonctionnement cognitif (10), et une synthèse méthodique plus récente a également pu montrer un effet potentiellement bénéfique sur la dépression (11).

 

 

Résumé

 

Méthodologie 

Synthèse méthodique et méta-analyse (12).

Sources consultées 

  • Academic Search Complete, CINAHL, EMBASE, MEDLINE, PubMed, OVID (UpToDate), Web of Science, jusqu’au 18 octobre 2021
  • Google Scholar (ajouté par après)
  • uniquement les publications en anglais.

 

Études sélectionnées 

  • inclusion de 26 études randomisées contrôlées comparant la stimulation cognitive et un groupe témoin (principalement la prise en charge habituelle) en termes de résultats cliniques, notamment le fonctionnement cognitif, les symptômes psychiatriques et la dépression
  • exclusion des protocoles d’étude et des études pour lesquelles le texte intégral n’était pas disponible
  • intervention : dans 9 études, la stimulation cognitive consistait en jeux de mots ou de nombres dans un format physique et des quiz en équipe comprenant des sons, des souvenirs d’enfance, la nutrition, l’actualité, des visages/scènes, des associations de mots, des activités créatives, la catégorisation d’objets, l’orientation et l’utilisation de l’argent ; les 17 autres études appliquaient la stimulation cognitive « générale » ; les interventions avaient lieu dans différents contextes (principalement dans des homes pour personnes âgées ; pas de patients vivant à domicile), et elles étaient administrées par une grande variété de prestataires de soins (psychologues, infirmier/ères, ergothérapeutes, kinésithérapeutes…) ; chaque intervention était proposée une à cinq fois par semaine et durait de 30 à 90 minutes par séance sur une période de 7 à 48 semaines ; le suivi variait : tout de suite après l’intervention jusqu’à 7 semaines et 24 mois après. 

 

Population étudiée 

  • inclusion de 2244 personnes en tout, âgées de 73,5 à 88,25 ans, majoritairement des femmes (1183 femmes sur 1902 participants dans 20 études) atteintes de démence légère à modérée (stade de démence non rapporté dans 3 études). 

 

Mesure des résultats 

  • critères de jugement : fonctionnement cognitif, symptômes psychiatriques et dépression
  • sommation avec modèle à effets aléatoires
  • résultats exprimés en différence moyenne standardisée (DMS) avec intervalle de confiance (IC) à 95%
  • le biais de publication a été recherché au moyen de funnel plot.

 

Résultats 

  • par rapport à un groupe témoin, la stimulation cognitive a montré : 
    • une amélioration des capacités fonctionnelles cognitives (DMS de 0,97 avec IC à 95% de 0,66 à 1,28 ; p < 0,001 ; N = 11 études et n = 617 personnes ; I² = 67,60%)
    • une diminution des symptômes dépressifs (DMS de -0,18 avec IC à 95% de -0,33 à -0,04 ; p = 0,01 ; N = 3 études et n = 740 personnes ; I² = 0,00%)
    • pas de diminution des symptômes psychiatriques (DMS de -0,12 avec IC à 95% de -0,32 à 0,08 ; p= 0,24 ; N = 3 études et n = 379 personnes ; I² = 0,00%).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la stimulation cognitive améliore le fonctionnement cognitif et réduit le degré de dépression chez les personnes atteintes de démence légère à modérée. Pour les études futures, on peut envisager un protocole avec une conception d’étude rigoureuse portant sur les effets de la stimulation cognitive.

 

Financement de l’étude

Aucun.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs indiquent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

Les investigateurs ont suivi les recommandations PRISMA pour l’élaboration du rapport de leur synthèse méthodique avec méta-analyse. Pour commencer, un chercheur a identifié 82 études à partir de 7 bases de données. Après élimination de 38 publications en double, deux chercheurs indépendants ont ensuite passé au crible les 44 études restantes, d’abord sur la base du titre/résumé, puis sur la base du texte intégral. Respectivement 15 et 10 études n’ont pas pu être retenues car elles ne répondaient pas aux critères d’inclusion prédéfinis. À ces 19 articles sélectionnés, 7 autres études de la littérature grise ont alors été ajoutées après une recherche supplémentaire dans Google Scholar. Cette recherche et cette sélection n’étaient toutefois pas transparentes.
Après la recherche dans la littérature, la qualité méthodologique des études randomisées contrôlées trouvées a été évaluée par deux chercheurs indépendants à l’aide de l’outil Cochrane évaluant le risque de biais dans les études randomisées (RoB-2) (13). Pour les résultats de cette évaluation, les auteurs se réfèrent à un document complémentaire que nous ne pouvons cependant pas trouver. Ainsi, l’affirmation des auteurs selon laquelle « toutes les études ont un faible risque de biais » ne peut être vérifiée. En raison de la nature de l’intervention, nous pouvons supposer qu’il y a un risque important de biais de sélection car le secret d’attribution n’était pas préservé, et un risque élevé de biais de performance parce que les patients, les prestataires de soins et les évaluateurs des effets ne pouvaient pas être en aveugle. Un biais de publication a été recherché au moyen de funnel plot. Bien que seules les publications en anglais aient été prises en compte, le risque de biais de publication était faible. Une hétérogénéité statistique importante a été observée après sommation, mais uniquement pour le fonctionnement cognitif. L’hétérogénéité clinique des études incluses est pourtant très importante en termes d’administration de la stimulation cognitive : comment elle était administrée et par qui, à quelle fréquence et avec quel intervalle de temps. Face au grand nombre d’échelles utilisées, les chercheurs ont correctement utilisé une moyenne standardisée (DMS) pour le fonctionnement cognitif et pour la dépression afin de représenter le résultat sommé. Pour les symptômes psychiatriques, ils n’ont trouvé que trois études, qui toutes utilisaient l’inventaire neuropsychiatrique (Neuropsychiatric Inventory, NPI), et on ne sait pas pourquoi ils ont utilisé une DMS ici aussi. 

 

Évaluation des résultats

Dans cette étude, le DMS pour les fonctions cognitives était de 0,97 (avec une IC à 95% de 0,66 à 1,28).  Il existe un consensus sur le fait qu'un DMS > 0,8 est un effet fort (14). Bien qu'une comparaison directe ne soit pas possible, nous notons que dans une revue systématique Cochrane sur le même sujet, on est parvenu à un DMS de 0,41 (avec 95 IC de 0,25 à 0,57) (10). Selon les chercheurs, cela pourrait être dû à l’inclusion d’interventions plus complexes telles que des activités répétitives (tâches, jeux…) dans cette étude-ci. Cependant, en raison de l’importante hétérogénéité clinique sur le plan des interventions, des prestataires et des mesures des résultats, il est impossible de savoir quelles caractéristiques déterminent la force de l’effet. L’effet de l’intervention sur l’amélioration des symptômes dépressifs était plutôt faible et n’était pas statistiquement significatif en termes de réduction des symptômes psychiatriques. Cela peut être dû à un manque de puissance, mais, selon les auteurs, cela pourrait aussi s’expliquer par la complexité des problèmes psychiatriques dans la démence. Ils font référence à une éventuelle combinaison bénéfique de la stimulation cognitive et d’une approche pharmacologique. Cela doit bien sûr faire encore l’objet d’une recherche.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le Guide de pratique clinique pluridisciplinaire du WOREL recommande de proposer de la réhabilitation/formation/stimulation cognitive aux personnes atteintes de démence (GRADE 1B) (15). Selon un guide de pratique clinique néerlandais (16), des données probantes cohérentes indiquent que la stimulation cognitive a un effet positif sur le fonctionnement cognitif des personnes atteintes de démence légère à modérée (GRADE niveau de preuve modéré). L’effet de la stimulation cognitive sur le comportement et l’humeur des personnes atteintes de démence légère à modérée n’a pas été démontré (GRADE faible niveau de preuve). 

 

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse montre que la stimulation cognitive améliore fortement les fonctions cognitives et réduit faiblement le degré de dépression chez les personnes atteintes de démence légère à modérée. Aucun effet sur les autres symptômes psychiatriques n’a pu être montré. Cependant, tant la synthèse méthodique que les études randomisées contrôlées incluses présentaient des lacunes méthodologiques. Une étude plus approfondie, avec une conception de recherche plus rigoureuse, est certainement indiquée.

 

 


Références 

  1. World Health Organization. Global action plan on the public health response to dementia 2017-2025. WHO, 2017.
  2. World Health Organization. International statistical classification of diseases and related health problems. WHO 10th revision, fifth edition, 2016.
  3. Booth V, Harwood RH, Hood-Moore V,  et al. Promoting activity, independence and stability in early dementia and mild cognitive impairment (PrAISED): development of an intervention for people with mild cognitive impairment and dementia. Clin Rehabil 2018;32:855-64. DOI: 10.1177/0269215518758149
  4. Kuring JK, Mathias JL, Ward L. Prevalence of depression, anxiety and PTSD in people with dementia: a systematic review and meta-analysis. Neuropsychol Rev 2018;28:393-416. DOI: 10.1007/s11065-018-9396-2
  5. Van Daele T. Les traitements psychologiques de la dépression et de l’anxiété sont-ils efficaces chez le patient dément ? Minerva Analyse 15/10/2014.
  6. Orgeta V, Qazi A, Spector AE, Orrell M. Psychological treatments for depression and anxiety in dementia and mild cognitive impairment. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 1. DOI: 10.1002/14651858.CD009125.pub2
  7. De Jonghe M. Approches thérapeutiques non pharmacologiques au domicile pour les symptômes psychiatriques et comportementaux des démences. MinervaF 2014;13(1):6-7.
  8. Brodaty H. Arasaratnam B. Meta-analysis of nonpharmacological interventions for neuropsychiatric symptoms of dementia. Am J Psychiatry 2012;169:946-53. DOI: 10.1176/appi.ajp.2012.11101529
  9. Toh HM, Ghazali SE, Subramaniam P. The acceptability and usefulness of cognitive stimulation therapy for older adults with dementia: a narrative review. Int J Alzheimers Dis 2016;2016:5131570. DOI: 10.1155/2016/5131570
  10. Woods B, Aguirre E, Spector AE, Orrell M. Cognitive stimulation to improve cognitive functioning in people with dementia. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 2. DOI: 10.1002/14651858
  11. Chan JY, Chan TK, Kwok TC, et al. Cognitive training interventions and depression in mild cognitive impairment and dementia: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Age Ageing 2020;49:738-47. DOI: 10.1093/ageing/afaa063 
  12. Saragih ID, Tonapa SI, Saragih IS, Lee BO. Effects of cognitive stimulation therapy for people with dementia : a systematic review and meta-analysis of randomized controlled studies. Int J Nurs Stud 2022;128:104181. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2022.104181
  13. Sterne JA, Savović J, Page MJ, et al. RoB 2: a revised tool for assessing risk of bias in randomised trials. BMJ 2019;366:l4898. DOI: 10.1136/bmj.l4898
  14. Poelman T. Comment interpréter une différence moyenne standardisée (DMS) ? MinervaF 2014;13(4):51.
  15. De Coninck L, De Vliegher K, D'hanis G, et al. Multidisciplinaire richtlijn voor thuiswonende oudere personen met dementie en hun mantelzorgers. Werkgroep Ontwikkeling Richtlijnen Eerste Lijn (Worel). Bijgewerkt door producent: 11/01/2018.
  16. Dementie. Cognitieve stimulatie en realiteitsoriëntatie. Federatie Medische Specialisten, NVKG, beoordeeld 1/10/2014.

 




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