Analyse


Comment soigner les tendinites d’Achille ?


18 04 2023

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Johannsen F, Olesen JL, Øhlenschläger TF, et al. Effect of ultrasonography-guided corticosteroid injection vs placebo added to exercise therapy for Achilles tendinopathy: a randomized clinical trial. JAMA Netw Open 2022;5:e2219661. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2022.19661


Question clinique
Quelle est l’efficacité de la prise en charge thérapeutique des tendinoses hypertrophiques du tendon d’Achille à sa partie moyenne par injections sous contrôle échographique d’un dérivé corticostéroïdien, versus placebo, associé à un traitement physique identique dans les deux groupes, alors qu'il existe de multiples alternatives thérapeutiques ?


Conclusion
Cette étude randomisée et contrôlée par placebo et en triple aveugle des patients, des médecins et des évaluateurs et donc rigoureuse mais souffrant d’un manque de puissance vient apporter un support à la pratique prudente d’injection de corticostéroïdes dans le traitement de la tendinite hypertrophiante chronique du tendon d’Achille. Cette intervention doit se faire en para tendineux et non en intratendineux et doit être combinée avec un traitement de revalidation et une restriction de la pratique sportive. Le patient doit être informé du risque de rupture en cas de surcharge du tendon.


Contexte

Les tendinopathies du tendon d’Achille, communément appelées tendinopathies calcanéennes, sont de natures différentes suivant qu’il s’agit de lésions du corps du tendon ou d’une pathologie de l’insertion du tendon sur le calcanéus (enthésopathie). Il y a également des inflammations de la gaine tendineuse (paratendinite) et des bursites rétrocalcanéennes. Les méthodes thérapeutiques décrites dans la littérature sont multiples (1). Les mesures conservatrices comprennent le repos sportif, les anti-inflammatoires non stéroïdiens, une rééducation comportant des étirements, des massages transverses et surtout une musculation excentrique du triceps surae. Les procédés chirurgicaux sont divers et donnent des résultats irréguliers : il s’agit des ténolyses, des peignages et des augmentations par transfert tendineux ou aponévrotiques.
En ce qui concerne les infiltrations locales de corticostéroïdes, cette pratique a été peu recommandée vu le risque de favoriser une rupture tendineuse (2). La littérature récente ne souligne que très épisodiquement ce risque de complication pourtant grave et handicapante (3).
Récemment, les traitements par PRP( 4) (plasma riche en plaquettes) et par ondes de chocs (5) (shock wave therapy) se sont ajoutés aux options thérapeutiques. L’étude ici présentée concerne la tendinite ou tendinose de surcharge caractérisée par un épaississement fusiforme douloureux du corps du tendon démontré par échographie. L’épaississement doit être de 7 mm ou de 20% par rapport au côté opposé. L’objectif de cette analyse est d’évaluer, alors qu'il existe de multiples alternatives thérapeutiques, l’efficacité d’une injection de corticostéroïdes sous contrôle échographique et associée à un traitement par exercices, à l’injection d’un placebo associé au même traitement physique dans le traitement de la tendinose hypertrophique du tendon d'Achille à sa partie moyenne (6).

 

 

Résumé

Population étudiée

  • les patients ont été recrutés consécutivement dans une consultation universitaire et dans une pratique rhumatologique privée au Danemark entre avril 2016 et septembre 2018
  • les critères d'inclusion étaient les suivants : (1) apparition insidieuse de douleur dans la région du tendon d'Achille rapportée par le patient, aggravée par les activités de mise en charge et aggravée le matin et/ou pendant les phases initiales des activités de mise en charge ; (2) douleur et gonflement situés de 2 à 6 cm en amont de l'insertion du tendon d'Achille ; (3) échographie musculo-squelettique du tendon d'Achille montrant un épaississement local (antéro-postérieur) de plus de 7 mm ou supérieur de plus de 20 % par rapport au côté asymptomatique ; (4) douleur au tendon d'Achille depuis plus de 3 mois ; (5) âge entre 18 et 65 ans
  • les critères d'exclusion étaient les suivants : (1) chirurgie antérieure du tendon d'Achille dans le membre inférieur symptomatique ; (2) maladies médicales connues (par exemple, diabète ou maladies rhumatismales inflammatoires) ; (3) injection antérieure de corticostéroïdes pour douleur au tendon d'Achille au cours des 6 derniers mois ; (4) rupture antérieure du tendon d'Achille dans le membre inférieur symptomatique ; (5) BMI > 30 ; (6) enceinte ou planifiant une grossesse ; et (7) blessure ou anomalie du pied, du genou, de la hanche et/ou du dos ou toute condition pouvant interférer avec la participation à l’étude
  • un total de 100 patients ont été inclus dont 52 dans le groupe placebo (âge moyen de 46 ans dont 62% d’hommes) et 48 dans le groupe stéroïdes (âge moyen de 47 ans dont 58% d’hommes ; les deux groupes étaient comparables en ce qui concerne le poids, la taille le score VISA-A de départ était de 46.

 

Protocole d’étude

Etude randomisée et contrôlée par placebo et en triple aveugle des patients, des médecins et des évaluateurs

  • les injections de corticostéroïdes (1 ml d’acétate de méthylprednisolone (40 mg/ml) et 1 ml de lidocaïne (10 mg/ml) et de placebo (1ml d’émulsion lipidique et 1mL de lidocaïne (10 mg/ml) ont été réalisées sous contrôle échographique ; le traitement de rééducation a été réalisé comme dans des études précédentes à raison de trois exercices effectués tous les deux jours
  • les injections sont faites dans le péritendon, en avant du tendon ; elles peuvent être répétées 3 fois à deux mois d’intervalle en fonction de l’évolution ; un total de 215 injections ont été administrées (87 corticostéroïdes et 128 placebos)
  • l’évaluation des critères de jugement a été faite au point de départ et à 1, 2, 3, 6, 12, et 24 mois
  • les résultats ont été analysés de juin à septembre 2021. 

 

Critères de jugement

  • critère de jugement primaire : variation du score total du questionnaire Victorian Institute of Sports Assessment–Achilles (VISA-A) score (range, 1-100, la valeur 100 étant équivalente à l’absence de symptômes)) à 6 mois par rapport à la valeur initiale ; une différence minimum de 10 points est attendue
  • critères de jugement secondaires : une évaluation secondaire de la douleur a été faite sur une échelle visuelle analogique (100-mm Visual Analog Scale) en ce qui concerne la douleur matinale et la douleur lors des exercices ; on a également évalué la fonction globale (sur une échelle de Likert) et l’épaisseur du tendon
  • des comparaisons entre les groupes de l'effet du traitement pour tous les critères de jugement principaux et secondaires ont été réalisées avec un modèle à effets mixtes avec le patient comme effet aléatoire, et le moment de l'évaluation, le groupe d'étude et les valeurs de base du résultat comme effets fixes.

 

Résultats

  • le groupe recevant des corticostéroïdes a eu une meilleure amélioration que les patients recevant le placebo à 6 mois (le groupe intervention a un score VISA-A meilleur de 17,7 points avec IC à 95% de 8,4 à 27,0 points ; p < 0,001 que le groupe contrôle)
  • l’épaisseur du tendon a évolué de façon plus favorable dans le groupe traité, et ce de manière statistiquement significative après 1 mois (différence moyenne de 1,9 mm avec IC à 95% de 1,1 à 2,6 mm ; p < 0,001), après 2 mois (différence moyenne de 2,2 mm avec IC à 95% de 1,4 à 3,0 mm ; p < 0,001), après 3 mois (différence moyenne de 2,2 mm avec IC à 95% de 1,5 à 3,0 mm ; p < 0,001) et après 6 mois (différence moyenne de 1,0 mm avec IC à 95% de 0,1 à 1,9 mm ; p = 0,02)
  • aucune différence statistiquement significative n’a pu être mise en évidence concernant la douleur matinale et lors des exercices quant à la fonction globale, les auteurs n’ont pas retrouvé de différence entre les groupes après 6 mois
  • il n’y a pas eu de complication sévère ou de détérioration durable à 2 ans de follow-up, ni pour le groupe corticoïdes, ni pour le groupe placebo.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les injections de corticostéroïdes associées à un traitement de rééducation, sont supérieures au placebo associées au même traitement de rééducation, ce qui les amène à recommander cette solution thérapeutique en cas de tendinite du tendon d’Achille rebelle.

 

Financement de l’étude

Cette étude a été financée par des subventions de l’association danoise des rhumatismes (Danish Rheumatism Association).

 

Conflit d’intérêt des auteurs

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie 

C’est une étude présentant de nombreuses forces en ce qui concerne la méthodologie. L’étude est randomisée, contrôlée par placebo, en triple aveugle. La conception de l’étude a suivi les recommandations CONSORT (7). Les critères d’éligibilité sont correctement décrits. La randomisation est clairement décrite. Seuls 2 personnes avaient connaissance de la répartition des patients mais aucune des deux n’a eu d’influence sur l’évaluation des résultats ou sur leur interprétation ; ils ne sont pas intervenus non plus dans la rédaction de l’article. Les interventions sont bien détaillées pour pouvoir être reproduites aisément. Les évaluations ont eu lieu en aveugle. Il y a eu 21 perdus de vue, dont 11 (6 dans le groupe corticoïdes et 5 dans le groupe placebo) entre les évaluations à 6 et 12 mois. Le motif évoqué pour ces 11 patients était : recherche d’une prise en charge alternative. Notons que seuls 64 patients ont pu être évalués à 2 ans. 

 

Évaluation des résultats

Les principales faiblesses de cette étude concernent la place de ces interventions face à l’évolution naturelle de la pathologie et surtout dans le riche arsenal des traitements proposés pour soulager les patients souffrant de tendinite achilléenne. Notons également que les différences statistiquement significatives ne sont observées qu’à maximum 6 mois ; à 2 ans, il n’y a plus aucune différence entre les 2 groupes, pour quel que critère de jugement que ce soit… si on regarde les résultats chiffrés ; la figure ne donne pas les mêmes indications, ce qui est étonnant. Strictement, le seuil de pertinence clinique du critère de jugement primaire n’est pas atteint à 6 mois, mais l’étude manque probablement de puissance et les intervalles de confiance sont très larges. Les risques liés à l’injection de corticostéroïdes ainsi que les contrindications locales et générales ne sont pas abordés si ce n’est qu’il n’y a pas eu de complication chez les 48 patients injectés. Les auteurs terminent leur discussion en faisant référence à la littérature (8) récente qui ne semble pas démontrer l’efficacité des injections de PRP (9) ou autre tandis que leur étude montre l’efficacité des corticostéroïdes locaux bien évidemment en complément à la rééducation qui reste la mesure thérapeutique essentielle.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Ebpracticenet (10) recommande que le patient évite toute activité sportive causant l'apparition des symptômes. Ce guide décrit les exercices excentriques pour le complexe gastrocnémien-soléaire : debout sur le bord d'une marche, le patient soulève le mollet avec le poids du corps sur le pied sain ; le poids est ensuite transféré du côté blessé et le patient abaisse le talon de ce pied sous le bord de la marche. L'exercice est à effectuer à la fois le genou tendu (3 séries de 15) et le genou légèrement fléchi (3 séries de 15) deux fois par jour pendant trois mois. Il décrit également les exercices d'étirement des muscles du mollet et du tendon d'Achille. Une talonnette peut être bénéfique. Les anti-inflammatoires sont toujours recommandés si les symptômes sont évidents. En cas de tendinopathie chronique, il est possible d'administrer 1-2 injections de glucocorticoïdes (jusqu'à 3, si indiqué) dans le tissu péri tendineux à intervalle de quelques semaines (jamais dans le tendon lui-même en raison d'un risque accru de rupture). Après les injections de glucocorticoïdes, une période de repos d'au moins 2 semaines est nécessaire avant la reprise des activités lourdes et il est impératif d'augmenter l'intensité de façon progressive. Le traitement chirurgical est indiqué si la tendinopathie chronique ne répond pas au traitement conservateur.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée et contrôlée par placebo et en triple aveugle des patients, des médecins et des évaluateurs et donc rigoureuse mais souffrant d’un manque de puissance vient apporter un support à la pratique prudente d’injection de corticostéroïdes dans le traitement de la tendinite hypertrophiante chronique du tendon d’Achille. Cette intervention doit se faire en para tendineux et non en intratendineux et doit être combinée avec un traitement de revalidation et une restriction de la pratique sportive. Le patient doit être informé du risque de rupture en cas de surcharge du tendon.

 

 

 

Références 

  1. Leemrijse Th, Valtin B. Pathologie du pied et de la cheville. Elsevier Masson 2009. pp 492-499 et 785-787.
  2. Csizy M, Hintermann B. [Rupture of the Achilles tendon after local steroid injection. Case reports and consequences for treatment] [Article in German]. Case Reports. Swiss Surg 2001;7:184-9. DOI: 10.1024/1023-9332.7.4.184
  3. Vallone G, Vittorio T. Complete Achilles tendon rupture after local infiltration of corticosteroids in the treatment of deep retrocalcaneal bursitis. J Ultrasound 2014;17:165-7. DOI: 10.1007/s40477-014-0066-9
  4. Moraes VY, Lenza M, Tamaoki MJ, et al. Platelet-rich therapies for musculoskeletal soft tissue injuries. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD010071.pub3
  5. Stania M, Juras G, Chmielewska D, et al. Extracorporeal shock wave therapy for Achilles tendinopathy. BioMed Res Int 2019;2019:3086910. DOI: 10.1155/2019/3086910
  6. Johannsen F, Olesen JL, Øhlenschläger TF, et al. Effect of ultrasonography-guided corticosteroid injection vs placebo added to exercise therapy for Achilles tendinopathy: a randomized clinical trial. JAMA Netw Open 2022;5:e2219661. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2022.19661
  7. Schulz KF, Altman DG, Moher D, for the CONSORT Group. CONSORT 2010 Statement: updated guidelines for reporting parallel group randomised trials. Ann Int Med 2010;152:726-32. DOI: 10.7326/0003-4819-152-11-201006010-00232
  8. van der Vlist AC, Winters M, Weir A, et al. Which treatment is most effective for patients with Achilles tendinopathy? a living systematic review with network meta-analysis of 29 randomised controlled trials. Br J Sports Med 2021;55(5):249-56. DOI: 10.1136/bjsports-2019-101872
  9. Kearney RS, Ji C, Warwick J, et al; ATM Trial Collaborators. Effect of platelet-rich plasma injection vs sham injection on tendon dysfunction in patients with chronic midportion Achilles tendinopathy: a randomized clinical trial. JAMA 2021;326:137-44. DOI: 10.1001/jama.2021.6986
  10. Tendinopathie et rupture du tendon d'Achille. Duodecim Medical Publications. Mis à jour par le producteur : 24/07/2017. Screené par Ebpracticenet : 2017.




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