Analyse


Les études randomisées disponibles ne permettent pas d’établir l’utilité des interventions physiques pour éviter la propagation des infections virales respiratoires aigües


15 09 2023

Professions de santé

Ergothérapeute, Infirmier, Médecin généraliste, Psychologue
Analyse de
Jefferson T, Del Mar CB, Dooley L, et al. Physical interventions to interrupt or reduce the spread of respiratory viruses. Cochrane Database Syst Rev 2020, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD006207.pub5


Question clinique
Les interventions physiques (dépistage aux points d'entrée, isolement, quarantaine, distanciation physique, protection personnelle, hygiène des mains, masques faciaux et gargarisme) sont-elles efficaces pour interrompre ou réduire la propagation des virus respiratoires aigus ?


Conclusion
Pour les auteurs, le risque élevé de biais dans les essais randomisés sélectionnés, la variation de la mesure des résultats et la conformité relativement faible aux interventions au cours des études empêchent de tirer des conclusions fermes et de généraliser les résultats à la pandémie actuelle de covid-19. Il existe une incertitude quant aux effets des masques faciaux. La certitude faible à moyenne des preuves signifie que la confiance dans l'estimation de l'effet est limitée et que l'effet réel peut être différent de l'estimation observée. Les résultats regroupés des essais randomisés n'ont pas montré de réduction nette des infections virales respiratoires avec l'utilisation de masques médicaux/chirurgicaux pendant la grippe saisonnière. Il n'y avait pas de différences claires entre l'utilisation de masques chirurgicaux par rapport aux masques respiratoires chez les travailleurs de la santé lorsqu'ils étaient utilisés dans les soins de routine pour réduire les infections virales respiratoires. L'hygiène des mains est susceptible de réduire légèrement le fardeau des maladies respiratoires. Les préjudices associés aux interventions physiques ont été sous-étudiés. En pratique, la mise à jour de la revue Cochrane, limitée aux seules RCTs, sur les interventions physiques pour interrompre ou réduire la propagation des virus respiratoires n’apportent aucun nouvel élément probant.


Contexte

La pandémie à SARS-Cov-2 a rendu toute son importance aux mesures barrières en santé publique. Minerva a analysé en 2022 (1,2) une revue systématique avec méta-analyses montrant que plusieurs mesures barrières, notamment le lavage des mains, le port de masque et la distanciation physique, sont associées à des réductions de l'incidence de la covid-19. Cette analyse de bonne qualité méthodologique apporte des niveaux de preuve suffisants pour recommander leur usage dans un contexte épidémiologique lié à ce type d’infection. Ces mesures avaient déjà été recommandées pour les infections virales à transmission respiratoire comme établi par une revue Cochrane de 2011 (3,4). Minerva avait aussi rapporté en 2012 (4,5) une étude montrant que l’emploi préventif de masques buccaux ainsi qu’une hygiène intensive des mains par des personnes non malades s’avèrent utiles lors d’une épidémie de grippe. La Collaboration Cochrane a réalisé en 2020 (6) une mise à jour de la partie études randomisées de sa revue systématique de 2011.  

 

 

Résumé

Méthodologie

Revue systématique de la littérature avec méta-analyses.

Sources consultées 

  • les auteurs ont consulté plusieurs bases de données jusqu’au 1er avril 2020 :
    • Cochrane Hypertension Specialised Register via the Cochrane Register of Studies
    • Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL)
    • PubMed 
    • Embase  
    • CINAHL (Cumulative Index to Nursing and Allied Health Literature)
    • US National Institutes of Health Ongoing Trials Register ClinicalTrials.gov  
    • World Health Organization International Clinical Trials Registry Platform  
    • recherche manuelle dans les références sélectionnées.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion :  essais contrôlés randomisés (RCTs) et des RCTs en grappes, étudiant les interventions physiques (dépistage aux points d'entrée, isolement, quarantaine, éloignement physique, protection personnelle, hygiène des mains, masques faciaux et gargarisme) pour prévenir la transmission du virus respiratoire par rapport à ne rien faire ou à une autre intervention
  • critères d’exclusion : études d’observation ; toutes les études non randomisées même interventionnelles
  • au total : 67 RCTs dont 44 nouveaux par rapport à la revue précédente de 2011. 

 

Population étudiée

  • sujets de tout âge.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires 
    • nombre de cas de maladies virales (dont infections respiratoires aiguës, syndromes grippaux et la grippe ou d'autres virus pathogènes confirmés en laboratoire)
    • événements indésirables liés à l'intervention
  • critères de jugement secondaires
    • décès
    • gravité de la maladie virale telle que rapportée dans les études
    • absentéisme
    • admissions à l'hôpital
    • complications liées à la maladie, par ex. pneumonie.

 

Résultats

  • plusieurs types de comparaisons ont été possibles :
    • masques chirurgicaux versus absence de masque (9 essais dont 8 en grappe, 3507 participants)
      • objectifs primaires :
        • nombre de cas de maladies virales : RR de 0,99 (avec IC à 95% de 0,82 à 1,18)
        • événements indésirables : rarement mesurés et mal rapportés
      • objectifs secondaires : non rapportés
    • masques respiratoires (FFP2) vs masques chirurgicaux 
      • objectifs primaires :
        • nombre de cas de maladies virales : 
          • maladies respiratoires cliniques : RR de 0,70 (avec IC à 95% de 0,45 à 1,10) avec 3 essais et 7779 participants 
          • syndromes grippaux : RR de 0,82 (avec IC à 95% de 0,66 à 1,03) avec 5 essais et 8407 participants
          • grippes confirmées en laboratoire : RR de 0,91 (avec IC à 95% de 0,66 à 1,26) avec 6 essais et 3005 participants. 
        • événements indésirables : mal mesurés et rapportés, mais gêne au port de masques chirurgicaux ou respiratoires mentionnée dans plusieurs études
      • objectifs secondaires : non rapportés
    • hygiène des mains versus contrôle 
      • objectifs primaires :
        • nombre de cas de maladies virales : 
          • maladies respiratoires cliniques : réduction relative de 16% du nombre de personnes atteintes dans le groupe de l'hygiène des mains : RR de 0,84 (avec IC à 95% de 0,82 à 0,86) avec 7 essais et 44129 participants 
          • syndromes grippaux : RR de 0,98 (avec IC à 95% de 0,85 à 1,13) avec 10 essais et 32641 participants
          • grippes confirmées en laboratoire : RR de 0,91 (avec IC à 95% de 0,63 à 1,30) avec 8 essais et 8332 participants
        • événements indésirables : peu mesurés et rapportés
      • objectifs secondaires : non rapportés
    • quarantaine/distanciation physique : un seul essai (japonais) rapportant moins de personnes dans le groupe d'intervention contractant la grippe par rapport aux travailleurs du groupe témoin (2,75% contre 3,18% ; rapport de risque de 0,80 avec IC à 95% de 0,66 à 0,97)
    • aucune RCT sur la protection oculaire, les blouses et les gants, ou le contrôle aux points d'entrée.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent ne pas savoir si le port de masques chirurgicaux ou respiratoires permet de ralentir la propagation des virus respiratoires. Les mesures d'hygiène des mains peuvent aider à ralentir la propagation des virus respiratoires. 

 

Financement de l’étude

Financement du Conseil national de la santé et de la recherche médicale (NHMRC) pour la recherche sur la résistance aux antibiotiques.

 

Conflit d’intérêt des auteurs

Plusieurs auteurs déclarent des conflits d’intérêt avec des financeurs publics.

 

 

Discussion

Evaluation de la méthodologie

La revue a été réalisée selon les recommandations Cochrane en suivant le Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions. Trois paires d’auteurs ont indépendamment sélectionné les articles, extrait les données et évalué les risques de biais. Comme les questions posées par les RCTs individuelles ne sont pas homogènes, les comparaisons ont été regroupées et il n’y a eu en pratique que quelques questions avec suffisamment de données permettant d’agréger les résultats qui sont tous de faible niveau de preuve. La plupart des données probantes de cette revue sont associées à une faible certitude évaluée par la méthode GRADE. Il existe en effet un risque élevé de biais. Dans la majorité des études, la mise en aveugle de l'attribution du traitement après la randomisation n’a pas été réalisée. La plupart des résultats ont été évalués par des auto-évaluations alors que la mise en aveugle de l'évaluation des résultats était réalisable. Il y a souvent un biais d'attrition avec des données incomplètes dans les résultats et un risque important de biais de sélection. Il y a également suspicion de biais de sélection, la génération de séquences aléatoires et la dissimulation de l'allocation n’étant pas claire dans la majorité des essais. La qualité variable des études empêche donc de tirer des conclusions définitives. 

 

Évaluation des résultats

Pour la pratique quotidienne, cette revue systématique de 2020 basée uniquement sur les études randomisées – contrairement à celle de 2011 – ne permet pas de faire des recommandations pratiques concernant les interventions physiques pour interrompre ou réduire la propagation des infections virales respiratoires aiguës. Ces études ont surtout été réalisées dans un contexte d’épidémies grippales et s’étendent sur une quarantaine d’années sans couvrir l’épidémie due au coronavirus SARS-CoV-2. Outre l’hétérogénéité entre études des populations de personnes étudiées réalisées dans des pays très différents et allant d’écoles à des unités de soins intensifs, il y a de nombreuses raisons comme le suggèrent les auteurs pour expliquer l’échec de la revue : mauvaise conception de l'étude ; des études insuffisamment puissantes résultant d'une faible circulation virale dans certaines cas ; moins de respect du port du masque, en particulier chez les enfants ; qualité des masques utilisés ; autocontamination du masque par les mains ; manque de protection contre l'exposition des yeux aux gouttelettes respiratoires (permettant une voie d'entrée des virus respiratoires dans le nez via le canal lacrymal); saturation des masques avec de la salive suite à une utilisation prolongée (favorisant la survie du virus dans le matériel protéique); et un comportement de compensation des risques conduisant à un sentiment exagéré de sécurité. 
Les études observationnelles auraient dû être prises en considération comme dans la précédente édition de 2011 de la revue systématique car elles peuvent apporter des données intéressantes même si théoriquement les études randomisées sont le meilleur niveau de preuve à condition d’être réalisables avec une qualité adéquate. Pour l’épidémie à SARS-CoV-2, la revue systématique, analysée pour Minerva (1,2), a couvert toute la littérature et sur les 35 études sélectionnées, il n’y avait qu’une seule étude randomisée, toutes les autres étant observationnelles. Elle a permis de montrer que plusieurs mesures barrières, notamment le lavage des mains, le port de masque et la distanciation physique, sont associées à des réductions de l'incidence de la covid-19.

 

Que disent les guides de pratique clinique?

Les recommandations sur le sujet abordé par la revue systématique relèvent surtout d’avis d’experts, non argumentés par niveau de preuve avec une méthodologie adéquate. Des recommandations ont été faites dans le cadre de la médecine du travail en cas de pandémie à influenza par l’American College of Occupational and Environmental Medicine (ACOEM) (7), proposant les mesures barrières. Au niveau mondial, l’OMS (8) recommande en cas d’épidémie grippale le port du masque chirurgical et le lavage des mains notamment avec des niveaux de preuve étiquetés « modérés » sans les argumenter. En Europe, l’European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC) (9) propose en cas de grippe saisonnière d’éviter tout contact étroit avec des personnes malades, de se laver régulièrement les mains, de nettoyer surfaces et objets et de porter un masque dans les espaces publics confinés et en cas de contact avec une personne atteinte. En Belgique, Sciensano (10)  recommande l’hygiène des mains et d’éviter le contact avec les personnes infectées.

 

 

Conclusion de Minerva

Pour les auteurs, le risque élevé de biais dans les essais randomisés sélectionnés, la variation de la mesure des résultats et la conformité relativement faible aux interventions au cours des études empêchent de tirer des conclusions fermes et de généraliser les résultats à la pandémie actuelle de covid-19. Il existe une incertitude quant aux effets des masques faciaux. La certitude faible à moyenne des preuves signifie que la confiance dans l'estimation de l'effet est limitée et que l'effet réel peut être différent de l'estimation observée. Les résultats regroupés des essais randomisés n'ont pas montré de réduction nette des infections virales respiratoires avec l'utilisation de masques médicaux/chirurgicaux pendant la grippe saisonnière. Il n'y avait pas de différences claires entre l'utilisation de masques chirurgicaux par rapport aux masques respiratoires chez les travailleurs de la santé lorsqu'ils étaient utilisés dans les soins de routine pour réduire les infections virales respiratoires. L'hygiène des mains est susceptible de réduire légèrement le fardeau des maladies respiratoires. Les préjudices associés aux interventions physiques ont été sous-étudiés.
En pratique, la mise à jour de la revue Cochrane, limitée aux seules RCTs, sur les interventions physiques pour interrompre ou réduire la propagation des virus respiratoires n’apportent aucun nouvel élément probant.   

 

 

 

Références 

  1. Sculier JP. Les mesures de protection personnelle et sociale – lavage des mains, port de masque et distanciation physique – sont associées à des réductions de l’incidence de la COVID-19. MinervaF 2022;21(5):96‑9
  2. Talic S, Shah S, Wild H, et al. Effectiveness of public health measures in reducing the incidence of covid-19, SARS-CoV-2 transmission, and covid-19 mortality: systematic review and meta-analysis. BMJ 2021;375:e068302. DOI: 10.1136/bmj-2021-068302
  3. Jefferson T, Del Mar CB, Dooley L, et al. Physical interventions to interrupt or reduce the spread of respiratory viruses. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 7. DOI:  10.1002/14651858.CD006207.pub4
  4. Michiels B. Prévention non pharmacologique de l’influenza. Minerva Analyse 28/11/2012
  5. Aiello AE, Perez V, Coulborn RM, et al. Facemasks, hand hygiene, and influenza among young adults: a randomized intervention trial. PLoS One 2012;7:e29744. DOI: 10.1371/journal.pone.0029744
  6. Jefferson T, Del Mar CB, Dooley L, et al. Physical interventions to interrupt or reduce the spread of respiratory viruses. Cochrane Database Syst Rev 2020, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD006207.pub5
  7. Emergency Preparedness Task Force ACOEM. Pandemic influenza guidance for corporations. J Occup Environ Med 2011;53:690‑4. DOI: 10.1097/JOM.0b013e31822005ba
  8. OMS. Non-pharmaceutical public health measures for mitigating the risk and impact of epidemic and pandemic influenza [Internet]. 2019. Disponible sur: www.who.int/publications/i/item/non-pharmaceutical-public-health-measuresfor-mitigating-the-risk-and-impact-of-epidemic-and-pandemic-influenza
  9. ECDC. Seasonal influenza (consulté le 30 juillet 2023) [Internet]. 2023. Disponible sur: https://www.ecdc.europa.eu/en/seasonal-influenza 
  10. Sciensano. Influenza (consulté le 30 juillet 2023) [Internet]. Disponible sur: https://www.sciensano.be/fr/sujets-sante/influenza

 


Auteurs

Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Glossaire

Code


J06, J22
R74, R78


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