Analyse


Promotion de la santé physique et mentale des infirmier·ère·s qui prodiguent des soins aux personnes âgées


20 10 2023

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste
Analyse de
Otto A-K, Gutsch C, Bischoff LL, Wollesen B. Interventions to promote physical and mental health of nurses in elderly care : a systematic review. Prev Med 2021;148:106591. DOI: 10.1016/j.ypmed.2021.106591


Question clinique
Quel effet les interventions de promotion de la santé ont-elles sur l’amélioration de la santé physique et mentale des membres du personnel infirmier dans les établissements résidentiels pour personnes âgées, par comparaison avec l’absence d’intervention ou avec d’autres interventions ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique de 6 études randomisées contrôlées avec représentation narrative des résultats présente d’importantes lacunes méthodologiques. Hormis la faible qualité méthodologique des études sélectionnées, nous sommes confrontés à une description limitée des interventions et à une hétérogénéité importante des interventions et des critères de jugement. Les résultats suggèrent une éventuelle utilité des interventions de promotion de la santé pour favoriser la santé physique et mentale des membres du personnel infirmier dans les établissements résidentiels pour personnes âgées. Toutefois, cette revue de la littérature met principalement en évidence un manque de preuves scientifiques pour la sélection et la mise en œuvre d’un type spécifique d’intervention en promotion de la santé. Étant donné que la demande d’interventions de promotion de la santé pour les infirmier·ère·s qui prodiguent des soins aux personnes âgées reste très pertinente, il faut rapidement des études correctement menées d’un point de vue méthodologique, avec une question de recherche spécifique et des interventions et des critères de jugement clairement formulés.


Contexte

La pénurie toujours plus criante d’infirmier·ère·s sur le marché du travail pose des difficultés aux organismes de santé pour attirer et retenir du personnel (1,2). Et comme les établissements de soins connaissent une augmentation progressive du nombre de personnes âgées souffrant de plusieurs pathologies et nécessitant des soins complexes, la demande de personnel infirmier dans les établissements résidentiels pour personnes âgées ne fait que croître. Les membres du personnel infirmier des établissements résidentiels pour personnes âgées présentent un risque accru de symptômes et de lésions musculosquelettiques (3,4). En outre, les infirmier·ère·s qui dispensent des soins aux personnes âgées sont exposés à toutes sortes de facteurs de stress psychosociaux, notamment parce qu’ils sont pressés par le temps, qu’ils subissent une forte pression au travail, qu’ils ont un travail en équipes par roulement et parce que leurs conditions de travail ne sont contrôlées que de manière limitée. Ces facteurs de stress peuvent non seulement contribuer aux troubles musculosquelettiques (5-7), mais aussi avoir un impact sur le bien-être mental des infirmier·ère·s (8,9). Pour soulager la charge, il est donc nécessaire de mettre en œuvre des interventions efficaces qui s’attaquent aux facteurs de causalité biologiques, psychologiques et sociaux. Jusqu’à présent, aucune synthèse méthodique de la littérature ne portait sur les preuves scientifiques disponibles concernant l’efficacité des interventions de promotion de la santé destinées au personnel infirmier travaillant dans des établissements résidentiels pour personnes âgées. 

 

 

Résumé

 

Méthodologie

 

Synthèse méthodique (10).

 

Sources consultées

  • Medline, PsycINFO, CINAHL ; de janvier 2020 à novembre 2020.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études randomisées contrôlées portant sur une intervention ayant pour objectif de favoriser la santé physique ou mentale du personnel infirmier travaillant dans des établissements résidentiels pour personnes âgées, indépendamment du sexe, de l’âge et des origines ethniques ; groupe témoin sans intervention ou bénéficiant d’une ou de plusieurs autres interventions ; langue de publication : anglais ou allemand 
  • les interventions ont été réparties en trois groupes : 
    • interventions axées sur l’activité physique : visent à promouvoir la santé physique ou mentale générale pour mieux faire face aux tâches dans le cadre du travail
    • interventions cognitivo-comportementales : visent à induire des changements dans la façon dont la personne se sent, pense et se comporte dans des situations stressantes
    • interventions organisationnelles : visent à induire un changement dans les ressources, les méthodes de travail, les tâches ou l’environnement pour permettre de mieux faire face aux tâches dans le cadre du travail 
  • critères d’exclusion : études de doctorat non publiées, littérature grise, études axées sur les infirmier·ère·s travaillant dans les soins à domicile ou en milieu hospitalier, les infirmier/ères en soins aux familles, les étudiant(e)s en soins infirmiers ; études avec d’autres professionnels de santé qui n’étaient pas impliqués dans la prise en charge des personnes âgées, comme le personnel d’entretien 
  • finalement, inclusion de 6 études randomisées contrôlées (RCTs) ; 5 études avec un groupe témoin sans intervention (liste d’attente ou absence de traitement), 1 étude avec 2 groupes témoins bénéficiant d’une intervention (entraînement d’orientation interne) ; 4 études ont été menées en Europe, 1 en Australie et 1 aux États-Unis.

 

Population étudiée

  • 716 infirmier·ère·s (40 à 293 par étude) travaillant dans des établissements résidentiels pour personnes âgées ; selon l’étude, 86 à 97% étaient des femmes, ayant entre 35 et 45 ans.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement cliniques très hétérogènes, généralement évalués à l’aide d’instruments validés et répartis dans les catégories suivantes : santé physique, santé mentale / bien-être mental, critères de jugement combinés (évaluation simultanée de la santé physique et de la santé mentale)
  • les résultats ont été uniquement décrits, sans analyse statistique.

 

Résultats

  • une seule intervention axée sur l’activité physique (n = 129 ; étude présentant un risque élevé de biais)
    • une heure d’exercices par semaine pendant six mois (exercices légers de renforcement musculaire et de type aérobie, combinés à des étirements) 
      • aucun effet sur la qualité de vie liée à la santé, le nombre de jours de maladie ou la capacité cardiorespiratoire ; augmentation significative (p < 0,01) de l’activité physique autodéclarée dans le groupe d’intervention (augmentation chez 48% des participants contre 14% dans le groupe témoin) 
  • trois interventions cognitivo-comportementales (n = 492)
    • séances de psychologie positive en ligne pendant 8 à 12 semaines (n = 128) :
      • faible effet statistiquement significatif sur la satisfaction au travail (p = 0,04) ; sans effet sur le bien-être général ni sur l’engagement au travail
    • thérapie d’acceptation et d’engagement (Acceptance and Commitment Therapie, ACT)* en 2 séances de 2,5 heures (n = 71) : 
      • de manière statistiquement significative, moins d’absences pour cause de lésions (p = 0,008) et moins de problèmes de santé mentale (p = 0,005) ; pas d’effet sur la fréquence des accidents du travail et des symptômes musculosquelettiques
    • soins axés sur l’émotion (2 heures de cours cliniques, 6 journées de formation et 3 demi-journées de supervision) (n = 293) : 
      • effets positifs modérés sur la satisfaction au travail (p < 0,05), sur le burn out (p < 0,05), mais sans constance dans le temps ; aucun effet sur l’absentéisme pour cause de maladie et sur l’attitude personnelle face à la situation de travail
  • une seule intervention organisationnelle (n = 55 ; étude présentant un risque élevé de biais) :
    • formation de 32 heures aux bonnes techniques de portage et de levage
      • aucune différence statistiquement significative en matière de douleurs ou de lésions liées au travail ; amélioration statistiquement significative de l’attitude (p = 0,008) et de l’effort (p = 0,044) à 12 mois 
  • une seule intervention à plusieurs composantes (n = 40)
    • 9 mois avec 108 heures de danse aérobic, formation en gestion du stress et information sur la santé et 15 heures d’inspection du lieu de travail
      • moins de symptômes autodéclarés au niveau des cervicales lors de la mesure ultérieure (après 9 mois) dans le groupe intervention (8%) que dans le groupe témoin (48%) (p = 0,023) et différence statistiquement significative dans les symptômes subjectifs autodéclarés tels que l’état de santé général, la condition physique, la situation de travail, la gestion du stress et les douleurs musculaires ; sans effet en termes de nombre de jours de maladie ou de problèmes de santé subjectifs généraux.

 

* Dans l’ACT, la personne parle au thérapeute de ce qu’elle considère vraiment important dans la vie. L’ACT fonctionne à partir de l’ici et maintenant et utilise des exercices de pleine conscience, des métaphores, des devoirs à domicile et des exercices d’acceptation.

Conclusion des auteurs

Les résultats permettent de constater que les interventions cognitivo-comportementales et les interventions à plusieurs composantes paraissent exercer une influence sur des aspects de la santé physique et mentale, tels que la satisfaction au travail, l’épuisement professionnel, les problèmes de santé mentale et les problèmes cervicaux. Cette synthèse méthodique montre l’utilité potentielle des programmes de promotion de la santé auprès du personnel infirmier des établissements résidentiels pour personnes âgées. Néanmoins, des études randomisées contrôlées de haute qualité seront nécessaires à l’avenir. Des recherches plus approfondies doivent envisager des interventions et des critères de jugement standardisés ainsi qu’une approche ascendante pour la planification des programmes. 

 

Financement de l’étude

Les auteurs déclarent n’avoir reçu aucun financement externe pour réaliser cette synthèse méthodique de la littérature. 

 

Conflits d’intérêt des auteurs
Les auteurs déclarent qu’il n’existe aucune relation financière, interpersonnelle ou professionnelle susceptible d’influencer le travail rapporté. 

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Cette synthèse méthodique de la littérature a été menée conformément à la déclaration PRISMA 2009. Sur la base de critères d’inclusion et d’exclusion prédéterminés, les auteurs ont sélectionné, dans trois bases de données, 6 études randomisées contrôlées menées entre 1997 et 2019. L’évaluation de la qualité méthodologique à l’aide de l’outil Cochrane d’évaluation du risque de biais a toutefois montré que 4 études présentaient un risque de biais faible à modéré et 2 études un risque de biais élevé. Les principales raisons des biais étaient les suivantes : pas de mise en aveugle des participants, des prestataires de soins de santé et des évaluateurs ; déclaration insuffisante des sorties d’études ; inégalité des groupes au départ et observance insuffisante du traitement ; description insuffisante des interventions ; d’autres sources de biais telles que l’absence d’un véritable groupe témoin, la petite taille de l’échantillon et le manque de puissance. Même s’il s’agit d’études randomisées contrôlées, les limites méthodologiques ont évidemment une grande incidence sur la validité interne des résultats. 
Il n’a pas été possible de réaliser une méta-analyse en raison de l’importante hétérogénéité en termes d’interventions entre les études sélectionnées et entre les critères de jugement examinés. Les chercheurs se sont donc limités à exprimer de manière narrative les résultats des études incluses. Et comme les résultats étaient présentés de manière purement descriptive, les chercheurs n’ont pas pu réaliser une analyse de sensibilité prenant en compte la qualité méthodologique des études.

 

Évaluation des résultats 

Du fait de l’importante hétérogénéité des interventions et des critères de jugement, il est très difficile d’interpréter les résultats et de les extrapoler. En outre, les interventions sont souvent décrites brièvement. De plus, seules deux études ont été menées au cours des cinq dernières années, et une étude date même de 1997. Or, les soins de santé ont évolué ces dernières années, ce qui peut rendre les études plus anciennes moins pertinentes pour le paysage actuel des soins de santé. Les résultats concernant les interventions en matière d’activité physique et concernant les interventions organisationnelles se réfèrent tous à une seule étude présentant un risque élevé de biais. Les résultats des interventions à plusieurs composantes s’appuient également sur une seule étude. On n’y observait des effets statistiquement significatifs que pour des aspects mesurés via un questionnaire auto-développé et non sur la base de questionnaires validés. Les résultats des interventions dans le domaine de l’activité physique, des interventions organisationnelles et des interventions à plusieurs composantes ne permettent donc pas tirer de conclusions fermes. 
La plupart des preuves de cette revue concernaient des interventions cognitivo-comportementales. Ces études présentaient un risque de biais plus faible, et elles ont montré un effet positif, faible à modéré, en termes de satisfaction au travail, d’épuisement professionnel, de problèmes de santé mentale et d’absences pour cause de lésions. Cependant, les effets étaient généralement faibles, et ils n’étaient pas tous constants dans le temps. De plus, aucun effet n’a été constaté pour d’autres critères de jugement cliniquement pertinents (comme les symptômes musculosquelettiques, l’engagement au travail et l’attitude envers le travail. Les résultats suggèrent donc que les interventions cognitivo-comportementales chez les infirmier·ère·s peuvent avoir des effets positifs, mais des recherches plus approfondies sont nécessaires. Cette conclusion est conforme aux données d’une revue précédente qui avait trouvé des preuves de faible qualité concernant les effets positifs des interventions cognitivo-comportementales chez les prestataires de soins en termes de stress, d’épuisement professionnel et de symptômes psychologiques (11,12). 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Dans le contexte belge des soins de santé, il n’existe actuellement aucun guide de pratique concernant le recours à des programmes ou des interventions de promotion de la santé visant à améliorer la santé physique et mentale des infirmier·ère·s travaillant dans des établissements résidentiels pour personnes âgées. Des recherches supplémentaires de haute qualité sur l’efficacité des interventions sont nécessaires pour donner une base scientifique permettant d’élaborer ces guides de pratique à l’avenir. 

 

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique de 6 études randomisées contrôlées avec représentation narrative des résultats présente d’importantes lacunes méthodologiques. Hormis la faible qualité méthodologique des études sélectionnées, nous sommes confrontés à une description limitée des interventions et à une hétérogénéité importante des interventions et des critères de jugement. Les résultats suggèrent une éventuelle utilité des interventions de promotion de la santé pour favoriser la santé physique et mentale des membres du personnel infirmier dans les établissements résidentiels pour personnes âgées. Toutefois, cette revue de la littérature met principalement en évidence un manque de preuves scientifiques pour la sélection et la mise en œuvre d’un type spécifique d’intervention en promotion de la santé. Étant donné que la demande d’interventions de promotion de la santé pour les infirmier·ère·s qui prodiguent des soins aux personnes âgées reste très pertinente, il faut rapidement des études correctement menées d’un point de vue méthodologique, avec une question de recherche spécifique et des interventions et des critères de jugement clairement formulés.

 

 


Références 

  1. Rothgang H, Kalwitzki T, Müller R (Eds) in Barmer GEK Pflegereport 2016. 24/11/2016. Url: https://www.barmer.de/presse/infothek/studien-und-reporte/pflegereport/pflegereport-2016-1065406
  2. Heinen M, Achterberg T, Schwendimann R, et al., Nurses’ intention to leave their profession : a cross sectional observational study in 10 European countries. Int J Nurs Stud 2013;50:174-84. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2012.09.019
  3. Andersen LL, Clausen T, Mortensen OS, et al. A prospective cohort study on musculoskeletal risk factors for long-term sickness absence among healthcare workers in eldercare. Int Arch Occup Environmental Health 2012;85:615-22. DOI: 10.1007/s00420-011-0709-5
  4. Dulon M, Kromark K, Skudlik C, Nienhaus A. Prevalence of skin and back diseases in geriatric care nurses. Int Arch Occup Environ Health 2008;81:983-92. DOI: 10.1007/s00420-007-0292-y
  5. Pekkarinen L, Elovainio M, Sinervo T, et al. Job demands and musculoskeletal symptoms among female geriatric nurses: the moderating role of psychosocial resources. J Occup Health Psychol 2013;18:211-9. DOI: 10.1037/a0031801
  6. Bongers PM, Ijmker S, van den Heuvel S, Blatter BM. Epidemiology of work related neck and upper limb problems: psycho-social and personal risk factors (part I) and effective interventions from a bio behavioural perspective (part II). J Occup Rehabil 2006;16:279-302. DOI: 10.1007/s10926-006-9044-1
  7. da Costa  B.R, Vieira ER. Risk factors for work-related musculoskeletal disorders: a systematic review of recent longitudinal studies. Am J Ind Med 2010;53:285-323. DOI: 10.1002/ajim.20750
  8. Juthberg C, Eriksson S, Norberg A, Sundin K. Perceptions of conscience, stress of conscience and burnout among nursing staff in residential elder care. J Adv Nurs 2010;66:1708-18. DOI: 10.1111/j.1365-2648.2010.05288.x
  9. Cooper SL, Carleton HL, Chamberlain SA, et al. Burnout in the nursing home health care aide: a systematic review. Burn Res 2016:3:76-87. DOI: 10.1016/j.burn.2016.06.003
  10. Otto A-K, Gutsch C, Bischoff LL, Wollesen B. Interventions to promote physical and mental health of nurses in elderly care : a systematic review. Prev Med 2021;148:106591. DOI: 10.1016/j.ypmed.2021.106591
  11. Ruotsalainen JH, Verbeek JH, Mariné A, Serra C. Preventing occupational stress in healthcare workers. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD002892.pub3
  12. Ruotsalainen JH, Verbeek JH, Mariné A, Serra C. Preventing occupational stress in healthcare workers. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD002892.pub5

 




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