Analyse


Quelle est l’efficacité du traitement du diabète gestationnel diagnostiqué avant la 20e semaine ?


20 11 2023

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Sage-femme
Analyse de
Simmons D, Immanuel J, Hagu W, et al. Treatment of gestational diabetes mellitus diagnosed early in pregnancy. N Engl J Med 2023;388:2132-44. DOI: 10.1056/NEJMoa2214956


Question clinique
Le traitement du diabète gestationnel diagnostiqué au cours de la première moitié de la grossesse réduit-il la survenue d’un critère de jugement composite d’événements néonataux et maternels comparé à une prise en charge standard ?


Conclusion
Cette étude randomisée, multicentrique, de bonne qualité méthodologique a montré que le traitement du diabète gestationnel dépisté avant la 20e semaine était associé à une diminution du risque d’un critère composite d’événements indésirables néonataux, et plus particulièrement de détresse respiratoire néonatale, sans effet toutefois sur le poids corporel à la naissance. Compte tenu du caractère inattendu de ce résultat, d’autres études de qualité au moins équivalentes seront nécessaires pour confirmer ou non cette observation, avant d’évaluer l’efficacité d’une éventuelle stratégie de dépistage et de traitement précoce.


Contexte

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande un dépistage systématique et une prise en charge du diabète gestationnel chez toutes les femmes enceintes, entre la 24e et la 28e semaine de grossesse (1). Selon une analyse discutée en 2017 dans Minerva (2,3), le traitement de première ligne du diabète gestationnel repose sur les mesures hygiéno-diététiques. Lorsque celles-ci sont insuffisantes, l’insuline est le traitement de choix.
Une synthèse de la littérature publiée en 2010, également discutée dans Minerva (4,5), a cherché à déterminer l’efficacité de ce traitement sur les complications maternelles et néonatales. Les résultats ont permis de montrer un effet de ce traitement sur le risque de macrosomie et de dystocie de épaules, mais pas d’établir son efficacité sur les conséquences à long terme de l’affection (décès périnatal, fractures, paralysie du plexus brachial, diabète chez la mère ou l’enfant). Dans cette nouvelle étude (6), les auteurs ont cherché à évaluer l’effet du traitement du diabète gestationnel lorsque celui-ci est diagnostiqué à un stade plus précoce de la grossesse (entre la 4e et la 19e semaine de gestation).

 

 

Résumé

Population étudiée

  • critère d’inclusion : présence d’un diabète gestationnel diagnostiqué lors d’un test de charge en glucose (TCG) positif entre la 4e et la 9e semaine de grossesse, sur base de la définition de l’OMS
  • critères d’exclusion : 
    • diabète préexistant connu
    • une glycémie à jeun de 110 mg par décilitre ou plus (≥ 6,1 mmol par litre) ou une glycémie à 2 heures de 200 mg par décilitre ou plus (≥ 11,1 mmol par litre)
    • des troubles médicaux actifs que les enquêteurs locaux ont considérés comme des contre-indications à la participation
  • au total, 802 patientes ont été recrutées ; les caractéristiques des 2 groupes étaient similaires à l’exception d’un antécédent d’enfant présentant un poids de naissance plus élevé dans le groupe contrôle ; âge moyen de 32 ans ; 40% de patientes blanches, 40% de patientes asiatiques ; 48% d’antécédents familiaux de diabète ; BMI moyen de 32,5.

 

Protocole d’étude

Étude randomisée, multicentrique (17 hôpitaux participants en Australie, Autriche, Suède et Inde)

  • un premier test de charge en glucose (TCG) a été effectué entre la 4e et la 9e semaine de grossesse, sur base de la définition de l’OMS
  • le traitement investigué a consisté en une prise en charge diététique, l’apprentissage de l’autocontrôle des glycémies, et l’administration d’insuline si nécessaire
  • les patientes incluses dans le groupe contrôle ont réalisé un second TCG entre la 24e et la 28e semaine, selon les recommandations de l’OMS
  • 406 patientes ont été incluses au groupe traité, et 396 patientes dans le groupe contrôle. 

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : les trois critères d’appréciation principaux étaient :
    • un critère composite d’événements néonataux (prématurité, traumatisme à la naissance, macrosomie, détresse respiratoire, décès pré ou périnatal, dystocie des épaules)
    • critères maternels : prééclampsie, éclampsie, hypertension gravidique
    • critère néonatal : masse corporelle maigre néonatale
  • critères de jugement secondaires : 
    • maternels : 
      • prise de poids totale sur la grossesse 
      • réalisation d’une césarienne 
      • induction artificielle du travail 
      • lésion traumatique pelvienne 
      • qualité de vie de 24 à 28 semaines mesurée par le questionnaire EQ- 5D
      • hypoglycémie maternelle 
    • néonataux : 
      • effets sur les mensurations de l’enfant : poids de naissance, macrosomie, retard de croissance intra-utérin, circonférence du bras, masse graisseuse néonatale
      • hypoglycémie néonatale 
      • nombre de jours en soins intensifs néonataux. 

 

Résultats

  • au terme de l’étude : 
    • le critère d’appréciation composite d’événements néonataux était significativement réduit dans le groupe traité (RR de 24,9% versus 30,5%, différence moyenne ajustée de -5,6 avec IC à 95% de -10,1 à -1,2 ; p = 0,02) 
    • il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes concernant la masse corporelle maigre néonatale et le risque d’hypertension gravidique
  • l’analyse des critères d’appréciation secondaires a montré :
    • une réduction du nombre de traumatismes du périnée chez la mère (0,8% versus 3,6%, différence moyenne ajustée de -2 avec IC à 95% de -4,1 à -1,5)
    • pas de différence statistiquement significative observée entre les deux groupes pour les autres critères
  • l’analyse des événements cliniques inclus dans le critère composite a montré une réduction statistiquement significative du risque de détresse respiratoire néonatale (9,8% versus 17%, différence moyenne ajustée de -7 avec IC à 95% de -12 à -3)
  • il n’y avait en revanche pas de différence statistiquement significative pour le taux de macrosomie entre les deux groupes (16,8 versus 19,6%). 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le traitement du diabète gestationnel avant 20 semaines permet une réduction modeste d’événements indésirables néonataux. Il n’y a en revanche pas de différence entre les groupes en ce qui concerne l’hypertension gravidique et la masse maigre néonatale.

 

Financement de l’étude

Cette étude est de financement public. 

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Les auteurs n’ont pas rapporté de conflits d’intérêt financiers.

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie 
Cette étude a donc montré que le traitement du diabète gestationnel au stade précoce était associé à une réduction de l’incidence d’un critère d’appréciation composite d’événements néonataux, principalement du risque de détresse respiratoire néonatale. L’étude présente des forces méthodologiques : l’étude a été précédée d’une étude pilote, une équipe indépendante a assuré la sécurité des données, ni les financeurs ni les auteurs présentant une affiliation avec des firmes pharmaceutiques ou autres n’ont participé à l’élaboration du protocole à la collection, l’analyse et l’interprétation des données. Les critères d’inclusion et d’exclusion sont correctement décrits, les auteurs respectent les recommandations de l’OMS, les prises en charge sont conformes aux recommandations. 
Parmi des limites méthodologiques que l’on peut relever, on note que les auteurs ne sont pas référés aux critères CONSORT. On note également une possibilité de biais de recrutement, car toutes les patientes étaient porteuses d’un ou plusieurs facteurs de risque de diabète gestationnel. Une autre source de biais de recrutement est le TCG lui-même, car comme le font remarquer les auteurs, 1/3 des diabète gestationnels G diagnostiqués avant la 20e semaine n’ont pas été confirmés lors du 2e test. Parmi les biais de confusion possibles, on note une possibilité d’une influence du traitement sur le devenir néonatal, car la prise en charge des diabète gestationnel n’a pas été standardisée entre les différents centres. Il existe également des possibilités de biais d’observation pour certains critères d’appréciation comme le traumatisme pelvien, qui n’avait pas de définition claire. Le critère de jugement composite comprend de nombreux critères ; les auteurs ne donnent pas d’information relative à la justification de critère composite, ce qui est important comme nous l’avons déjà mentionné dans Minerva (7). Le critère « détresses respiratoire » a joué un rôle majeur dans le résultat final et « tire » le résultat observé vers la significativité statistique. L’évaluation générale de l’efficacité par ce critère composite ne peut pas être extrapolée à une efficacité similaire pour chacune des composantes de ce critère composite. Enfin, il faut bien relever que toutes les femmes ayant un test TCG positif entre 24 et 28 semaines ont bénéficié d’une prise en charge adéquate du diabète gestationnel. 

 

Évaluation des résultats

Du point de vue du contexte, les auteurs notent que les autres études randomisées portant sur le diabète gestationnel n’ont pas rapporté de réduction significative du risque de détresse néonatale, ce qui rend l’observation inattendue. Enfin, les études précédentes ayant porté sur le dépistage et le traitement précoce du diabète gestationnel n’ont pas permis d’observer de modification du risque de macrosomie (8), ce qui est concordant avec les résultats observés ici. 
En 2019, Li-Zhen et al. (9) avaient remarqué que les guides de pratique pour le dépistage et le diagnostic du diabète sucré gestationnel mises à jour au cours des dernières années présentaient diverses incohérences entre eux. De plus, ils avaient relevé que la qualité de ces lignes directrices n’avait pas été clarifiée. Ils ont donc mené une revue systématique pour évaluer la relation entre la qualité et les recommandations détaillées de ces lignes directrices. Ils ont conclu que les guides de pratique de l'OMS-2013, du NICE-2015, de l'American Diabetes Association-2018, de l'Endocrine Society-2013, de l’American College of Obstetricians and Gynecologists-2016, de la United States Preventive Services Task Force 2014 et de l’IADPSG (International Association of Diabetes and Pregnancy Study Group)-2015 sont fortement recommandés selon les critères AGREE II. Ces guides de pratique ont tendance à recommander une stratégie d’hyperglycémie provoquée par voie orale (OGTT) de 75 g en une étape avec les critères de l’IADPSG entre 24 et 28 semaines de gestation.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Les guides de pratique clinique américains recommandent tous un dépistage du diabète gestationnel par un TCG entre la 24e et la 28e semaine de grossesse ainsi qu’une prise en charge de celui-ci si nécessaire (10,11), tout comme l’OMS (1).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée, multicentrique, de bonne qualité méthodologique a montré que le traitement du diabète gestationnel dépisté avant la 20e semaine était associé à une diminution du risque d’un critère composite d’événements indésirables néonataux, et plus particulièrement de détresse respiratoire néonatale, sans effet toutefois sur le poids corporel à la naissance. Compte tenu du caractère inattendu de ce résultat, d’autres études de qualité au moins équivalentes seront nécessaires pour confirmer ou non cette observation, avant d’évaluer l’efficacité d’une éventuelle stratégie de dépistage et de traitement précoce.

 

 


Références 

  1. Diabetes mellitus and pregnancy: clinical guideline. Women’s Health. Ministry of Health, Trinidad and Tobago, October 2018. Available from :
    https://platform.who.int/docs/default-source/mca-documents/policy-documents/guideline/TTO-CC-31-03-GUIDELINE-2018-eng-Diabetes-Mellitus-Guideline.pdf
  2. Benhalima K. Prise en charge du diabète gestationnel avec une combinaison d’interventions sur le mode de vie. MinervaF 2017;16(10);249-52.
  3. Brown J, Alwan NA, West J, et al. Lifestyle interventions for the treatment of women with gestational diabetes. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 5. DOI: 10.1002/14651858.CD011970.pub2
  4. Chevalier P. Diabète gestationnel : traitement bénéfique ? MinervaF 2010;9(9);106-7
  5. Horvath K, Koch K, Jeitler K, et al. Effects of treatment in women with gestational diabetes mellitus: systematic review and meta-analysis. BMJ 2010;340:c1395. DOI: 10.1136/bmj.c1395
  6. Simmons D, Immanuel J, Hagu W, et al. Treatment of gestational diabetes mellitus diagnosed early in pregnancy. N Engl J Med 2023;388:2132-44. DOI: 10.1056/NEJMoa2214956
  7. Chevalier P. Critères composites : interprétation clinique. MinervaF 2009;8(5);68.
  8. Mc Laren R, Ruymann K, Ramos G, et al. Early screening for gestational diabetes mellitus: a meta-analysis of randomized controlled trials. Am J Obstet Gynecol MFM 2022;4:100737. DOI: 10.1016/j.ajogmf.2022.100737
  9. Davidson KW, Barry MJ, Mangione CM, et al. Screening for gestational diabetes: US Preventive Services Task Force recommendation statement. JAMA 2021;326:531-8. DOI: 10.1001/jama.2021.11922
  10. American Diabetes Association Professional Practice Committee. Management of diabetes in pregnancy: standards of medical care in diabetes - 2022. Diabetes Care 2022;45: Suppl1:S232-S243. DOI: 10.2337/dc22-S015
  11. Li-Zhen L, Yun X, Xiao-Dong Z, Shu-Bin H, et al. Evaluation of guidelines on the screening and diagnosis of gestational diabetes mellitus: systematic review. BMJ Open 2019;9:e023014. DOI: 10.1136/bmjopen-2018-023014

 




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