Analyse


Stratégie d’administration des statines en prévention secondaire des maladies coronariennes


20 11 2023

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Hong SJ, Lee YJ, Lee SJ. LODESTAR Investigators. Treat-to-target or high-Intensity statin in patients with coronary artery disease: a randomized clinical trial. JAMA 2023;329:1078-87. DOI: 10.1001/jama.2023.2487


Question clinique
Une stratégie de prescription de statine titrée pour atteindre une réduction du LDL-cholestérol entre 50 et 70 mg/dl est elle aussi efficace qu’une administration à haute dose d’emblée en termes de réduction du risque d’apparition d’événements cardiovasculaires chez des patients atteints d’une maladie coronarienne ?


Conclusion
Cette étude ne montre pas de différence sur le plan de la sécurité et de l’efficacité d’une administration de statine titrée avec un objectif cible du LDL-cholestérol < à 70 mg/dl par rapport à une stratégie fixe d’administration à haute dose chez des patients atteints d’une maladie coronarienne. Bien qu’une approche tenant compte de la réponse individuelle au traitement soit séduisante, sa plus-value réelle reste encore à démontrer.


Contexte

Parmi les stratégies de réduction des événements cardiovasculaires des patients ayant déjà présenté une maladie coronarienne, une analyse Minerva de l’étude IMPROVE-IT avait été menée en 2016 (1,2). Celle-ci appliquait les recommandations d’administration d’une statine en ciblant un LDL-cholestérol inférieur à 70 mg/dl. Jusqu’à présent, une dose élevée de statine est préconisée car susceptible de diminuer davantage le taux d’LDL-cholestérol mais au risque d’effets secondaires majorés (3). L’étude analysée ici (4) compare la sécurité et l’efficacité clinique d’une stratégie visant à titrer la statine pour atteindre une valeur LDL-cholestérol cible entre 50 et 70 mg/dl par rapport à une modalité de traitement par statine à haute dose d’emblée chez des patients atteint d’une maladie coronarienne. 

 

 

Résumé 

Population étudiée

  • 4400 patients recrutés dans 12 centres de Corée de Sud entre septembre 2016 et novembre 2019
  • critères d’inclusion
    • patients âgés de ≥ 19 ans
    • patients dont une maladie coronarienne a été diagnostiquée : angor stable ou instable, infarctus myocardique avec ou sans élévation aigüe du segment ST
    • patient ayant signé le consentement éclairé
  • critères d’exclusion :
    • femmes enceintes ou susceptible de le devenir
    • patients ayant eu des effets indésirables graves ou intolérants aux statines
    • patients recevant des médicaments avec risque d’interaction avec les statines (inhibiteurs puissants du cytochrome P450 3A4 ou 2C9)
    • patients avec des facteurs de risque de myopathie, des maladies musculaires héréditaires, de l’hypothyroïdie, des notions d’abus d’alcool, des dysfonctions hépatiques sévères (3 x la normale) ou de la rhabdomyolyse
    • patients ayant une espérance de vie de moins de 3 ans
    • patients ne pouvant être suivi plus d’une année.

 

Protocole de l’étude

Essai clinique randomisé de non-infériorité en protocole ouvert 

  • stratifiée en fonction du LDL-cholestérol ≥ 100 mg/dl, d’un syndrome coronarien aigu (angor instable ou infarctus du myocarde), de la présence d’un diabète, de l’administration de rosuvastatine ou d’atorvastatine
  • durée du suivi : 3 ans
  • intervention : groupe « treat-to-target », administration d’une dose de statine titrée jusqu’à obtention du LDL-cholestérol entre 50-70 mg/dl 
  • comparateur : groupe « high-intensity », administration d’une statine à haute dose d’emblée (20 mg de rosuvastatine ou 40 mg d’atorvastatine, selon les guidelines ACC/AHA de 2013 (5))
  • ajout de traitements additionnel comme l’ezetimibe autorisé mais non encouragé
  • contrôle des autres facteurs de risque (HTA, tabac, activité physique, contrôle glycémie, poids) encouragé
  • marge de non-infériorité de 3 points de pourcentage entre les deux groupes
  • suivi à 6 semaines puis 3, 6, 12, 24 et 36 mois.

 

Mesure des résultats 

  • mesure des critères primaires : critère composite comprenant les décès (cardiovasculaires et non cardiovasculaires), les infarctus myocardiques, les AVC, ou les revascularisations coronaires invasives cliniques indiquées (par voie endovasculaire ou by-pass)
  • mesure des critères secondaires : 
    • apparition d’un diabète
    • hospitalisation pour une insuffisance cardiaque, une maladie veineuse thromboembolique, une revascularisation endovasculaire par une artérite périphérique ou une intervention aortique
    • apparition d’une insuffisance rénale terminale
    • interruption ou arrêt des statines suite à une intolérance
    • cure de cataracte
    • anomalies biologiques combinées.

 

Résultats

  • 4341 participants ont atteint les 3 années de suivi, moyenne d’âge 65 ans, 72% d’hommes
  • dose de statine reçue avant randomisation : 25% dose modérée, 57% dose élevée 
  • total personnes-années : 6449 dans le groupe « treat-to-target » ; 6461 dans le groupe « high-intensity »
  • dans le groupe « treat-to-target », dose de statine majorée dans 17% des cas, dose diminuée dans 9% des cas et dose maintenue dans 73% des cas ; au bout du suivi, 56% avait une statine haute dose contre 89% dans le groupe « high-intensity »
  • pour le critère primaire : 8,1% d’événements combinés dans groupe « treat-to-target » versus 8,7% dans le groupe « high-intensity », différence statistiquement non significative
  • pour les critères secondaires : aucunes différences statistiquement significatives relevées
  • seule une analyse post hoc d’un critère combinant diabète de novo, élévation des amino-transférases et des créatine kinases et maladie rénale terminale montrait un nombre d’événements plus faible dans le groupe « treat-to-target » (6,1% versus 8,2% ; différence absolue -2,1% avec IC à 95% de -3,6% à -0,5% ; p = 0,009)
  • l’objectif cible du LDL-cholestérol a été atteint au bout des 3 ans chez moins de 60% des participants sans différence significative entre les deux groupes (p = 0,21)
  • à 6 semaines le LDL-cholestérol dans le groupe « treat-to-target » était significativement plus élevée (69,6 mg/dl versus 66,8 mg/dl différence de 2,8 mg/dl avec IC à 95% de 1,3 à 4,3 ; p < 0,001) ; cette différence n’était plus retrouvée par la suite. 

 

Conclusion des auteurs

Parmi les patients présentant une maladie coronarienne, la stratégie visant à adapter la dose de statines en vue d’obtenir un objectif cible du LDL-cholestérol entre 50 et 70 mg/dl n’est pas inférieure en termes d’événements cardiovasculaires à la stratégie utilisant d’emblée une dose élevée de statine. 

 

Financement de l’étude

Cette étude a été financée par des entreprises de Corée de Sud : Samjin Pharmaceutical (producteur de rosuvastatine) et Chong Kun Dang Pharmaceutical (producteur d’atorvastatine et ézétimibe). Elle a été soutenue par le centre de recherche cardiovasculaire de Séoul.

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Des auteurs ont reçu des subsides provenant d’entreprises pharmaceutiques (Samjin Pharmaceutical et Chong Kun Dang Pharmaceutical) et des honoraires de conférencier par les firmes Medtronic, Edward Lifesciences, et Viatris Korea.

 

 

Discussion 

Évaluation de la méthodologie

Le protocole de cette étude était ouvert pour les participants et les soignants mais une équipe de surveillance des données et de la sécurité revoyait les événements en aveugle. Les auteurs ont utilisé une courbe de Kaplan-Meier avec un test du log-rank, méthode d’analyse appropriée. Vu le faible nombre d’événements observé, cette étude manque de puissance statistique et ne permet pas formellement d’exclure une différence entre les bras de l’étude. La prescription plus importante d’ézétimibe dans le groupe « treat-to-target » pourrait avoir influencé les résultats en faveur d’une non-infériorité. A noter qu’à 6 semaines et 3 mois de suivis, la proportion de sujets ayant atteint la valeur cible était plus basse dans le groupe « treat-to-target », ce qui dénoterait un délai plus important pour l’obtention d’une valeur cible par méthode de titration, sans cependant influer sur les résultats sur le plan des critères de jugements. Enfin, une période de suivi plus longue aurait pu mettre en évidence des différences sur le plan des critères de jugements comme observé dans une étude de 2018, où l’efficacité d’un traitement haute dose de statine à 5 ans était supérieure chez des patients venant de subir une revascularisation coronarienne per-cutanée (6).

 

Évaluation des résultats

La population de départ a été bien définie mais elle regroupe les évènements aigus et chroniques, contrairement à d’autres études telles IMPROVE-IT incluant seulement des patients en phase aigüe (1,2). Aucune différence n’est observée dans les 2 groupes sur le plan du critère de jugement principal, critère pertinent pour le patient. A l’issue du suivi, l’adaptation de la dose de statine afin d’obtenir la valeur cible a été peu modifiée : par exemple, seul 9% des participants ont pu voir leur dose réduite ce qui pose question sur l’impact réel d’une stratégie adaptative. A noter un taux de prescription d’une statine haute dose plus faible dans le groupe « treat-to-target » (56% contre 89% dans le groupe « high-intensity») sans démontrer de différence sur le plan d’apparition d’effets indésirables liés aux statines, ce qui est pourtant un point d’intérêt pour le clinicien. Seul 60% environ des participants voient l’objectif cible des LDL-cholestérol atteints ce qui pourrait être expliqué par un taux faible de prescription de thérapie combinée avec d’autres molécules dont l’ézétimibe. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ? 

Dans le guide de pratique clinique NICE de 2023, les statines réduisent le taux de récidive d'infarctus et de décès (7). La réunion de consensus de l’INAMI de 2014 sur l’usage rationnel des hypolipémiants indique, avec un niveau de preuve modéré, que les statines réduisent le risque d’événements cardiovasculaires, risque plus faible avec une statine à dose élevée (8). Les recommandations NICE conseille un dosage de 80 mg d’atorvastatine en prévention secondaire sauf s’il y a risque d’interaction ou d’effets indésirables, tout en sachant que des mises à jour de ces recommandations sont attendues (9). D’autres guides encouragent l’usage de statine à dose élevée sans tenir compte de la réponse individuelle au traitement (10). Les recommandations de la Société Européenne de Cardiologie et de la Société Européenne d’Athérosclérose de 2019 préconisent chez les patients à très haut risque (dont les sujets coronariens) des valeurs cibles plus strictes (< de 55 mg/dl de LDL-C et ≥ 50% de réduction) dans une approche par étapes (11,12).

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude ne montre pas de différence sur le plan de la sécurité et de l’efficacité d’une administration de statine titrée avec un objectif cible du LDL-cholestérol < à 70 mg/dl par rapport à une stratégie fixe d’administration à haute dose chez des patients atteints d’une maladie coronarienne. Bien qu’une approche tenant compte de la réponse individuelle au traitement soit séduisante, sa plus-value réelle reste encore à démontrer.

 

 


Références 

  1. Chevalier P. Associer de l’ézétimibe à la simvastatine post syndrome coronarien aigu ? MinervaF 2016;15 (5) :110-3
  2. Cannon CP, Blazing MA, Giugliano RP, et al; IMPROVE-IT Investigators. Ezetimibe added to statin therapy after acute coronary syndromes. N Engl J Med 2015;372:2387-97. DOI: 10.1056/NEJMoa1410489
  3. Smith SC Jr, Grundy SM. 2013 ACC/AHA guideline recommends fixed-dose strategies instead of targeted goals to lower blood cholesterol. J Am Coll Cardiol 2014;64:601-12. DOI: 10.1016/j.jacc.2014.06.1159
  4. Hong SJ, Lee YJ, Lee SJ. LODESTAR Investigators. Treat-to-target or high-Intensity statin in patients with coronary artery disease: a randomized clinical trial. JAMA 2023;329:1078-87. DOI: 10.1001/jama.2023.2487
  5. Stone NJ, Robinson JG, Lichtenstein AH, et al. 2013 ACC/AHA guideline on the treatment of blood cholesterol to reduce atherosclerotic cardiovascular risk in adults: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines. J Am Coll Cardiol 2014;63:2889-934. DOI: 10.1016/j.jacc.2013.11.002
  6. Kim J, Park KT, Jang MJ, et al. High-intensity versus non-high-intensity statins in patients achieving low-density lipoprotein cholesterol goal after percutaneous coronary intervention. Am Heart Assoc 2018;7:e009517. DOI: 10.1161/JAHA.118.009517
  7. National Institue for Health and Care Excellence. Cardiovascular disease: risk assessment and reduction, including lipid modification. Clinical guideline 181. Published: 18 July 2014. Last updated: 24 May 2023.
  8. INAMI. L’usage rationnel des hypolipidémiants. Réunion de consensus du 22/05/2014. Résumé de l’analyse de la littérature. URL :
    https://www.inami.fgov.be/SiteCollectionDocuments/consensus_litterature_resume_20140522.pdf 
  9. Lipid modification therapy for the primary and secondary prevention of cardiovascular disease. (1.4) in National Institute for Health and Care Excellence. Cardiovascular disease: risk assessment and reduction, including lipid modification. Clinical guideline 181. Published : 18/07/2014. Last updated : 24/05/2023.
  10. Grundy SM, Stone NJ, Bailey AL, et al. 2018 AHA/ACC/AACVPR/AAPA/ABC/ACPM/ ADA/AGS/PhA/ASPC/NLA/PCNA Guideline on the management of blood cholesterol: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Clinical Practice Guidelines. Circulation 2019;139:e1082-e1143. DOI: 10.1161/CIR.0000000000000625
  11. Kownator S, Kinnel M. Recommandations ESC 2019 : Dyslipidémies. Mis à jour le 17/11/2019. URL :
    https://www.cardio-online.fr/Actualites/A-la-une/Recommandations-ESC-2019-Dyslipidemies
  12. Société Européenne d’Athérosclérose (EAS) et Société Européenne d’Athérosclérose de Cardiologie. Prise en charge des dyslipidémies : recommandations EAS/ESC 2019.




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