Analyse


Quelle est l’efficacité de la thérapie cognitivo-comportementale numérique dans la dépression ?


22 12 2023

Professions de santé

Médecin généraliste, Psychologue
Analyse de
Chan M, Jiang Y, Lee CY, et al. Effectiveness of eHealth-based cognitive behavioural therapy on depression: a systematic review and meta-analysis. J Clin Nurs 2022;31:3021-31. DOI: 10.1111/jocn.1621


Question clinique
Quel est l’effet de la thérapie cognitivo-comportementale numérique sur la gravité des symptômes dépressifs et des symptômes d’anxiété et sur la qualité de vie des adultes ayant un diagnostic clinique de dépression ?


Conclusion
Cette revue systématique et méta-analyse montre que la thérapie cognitivo-comportementale numérique réduit la gravité des symptômes dépressifs et anxieux chez les adultes avec un diagnostic de dépression. Cependant, ces résultats doivent être interprétés avec prudence étant donné quelques lacunes importantes, notamment un risque élevé de biais de performance et de détection des études incluses, ainsi qu’un degré élevé d’hétérogénéité clinique et statistique. De plus, on ne sait pas dans quelle mesure les résultats peuvent être extrapolés aux patients des soins de première ligne en Belgique. Des recherches ciblées avec des résultats à long terme sont encore nécessaires.


Contexte

Les interventions de santé numérique gagnent en popularité dans les problèmes psychiques. Elles peuvent abaisser le seuil d’accès à l’aide et ainsi contribuer à combler les lacunes en matière de traitement. Elles peuvent aussi jouer un rôle de soutien supplémentaire dans la prise en charge habituelle. On parle alors de prise en charge mixte. Un commentaire publié dans Minerva a traité d’une étude randomisée contrôlée (RCT) montrant que, chez les personnes présentant une dépression modérée à sévère, la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) numérique en complément de la prise en charge habituelle en première ligne avait un effet globalement modeste par comparaison avec la prise en charge habituelle seule. Cette étude présentait toutefois d’importantes limites méthodologiques (1,2). Il existe déjà des synthèses méthodiques sur l’efficacité de la TCC numérique chez des personnes présentant des symptômes dépressifs ou d’autres troubles psychiatriques (3-6). Ces résultats ne sont toutefois pas extrapolables aux personnes répondant aux critères d’un diagnostic clinique de dépression.  

 

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses (7)

Sources consultées

  • PubMed, PsycInfo, Cumulative Index to Nursing and Allied Health Literature (CINAHL), Web of Science (WoS), le registre central Cochrane des essais contrôlés (Cochrane Central Register of Controlled Trials, CENTRAL), Embase
  • la plateforme internationale d’enregistrement des essais cliniques (International Clinical Trials Registry Plateform, ICTRP), de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ClinicalTrials.gov, CENTRAL (pour les études en cours et les études non publiées) 
  • Google Scholar, ProQuest et ScholarBank@NUS (pour la littérature grise)
  • revues pertinentes et listes de références des articles sélectionnés 
  • uniquement des études publiées en anglais entre 2011 et 2021.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études randomisées contrôlées comparant la thérapie cognitivo-comportementale, délivrée par le biais de communications mobiles ou d’un ordinateur, avec un groupe témoin passif (soins habituels, liste d’attente ou absence de traitement) ou avec un groupe témoin actif, chez des adultes (≥ 18 ans) présentant une dépression, diagnostiquée par un clinicien ou confirmée via un entretien psychiatrique clinique (après qu’un outil d’auto-évaluation a été rempli), la gravité de la dépression étant le principal critère de jugement, et le ou les critères de jugement secondaires étant la qualité de vie, la gravité des symptômes d’anxiété, le retrait de l’étude et l’observance du traitement
  • critères d’exclusion : dépression post-partum ou présence de comorbidités telles qu’un cancer, une insuffisance cardiaque ou un diabète ; études avec soutien en face à face
  • finalement, inclusion de 15 RCTs comparant la TCC délivrée via un ordinateur (N = 14) ou une communication mobile (N = 1) et un groupe témoin passif (N = 7) ou un groupe témoin actif (N = 8 ; TCC en groupe, pharmacothérapie, exercices de relaxation musculaire basés sur Internet, groupes de discussion modérés en ligne) ; la durée de l’étude variait de 6 à 12 semaines ; dans la plupart des études, l’intervention était supervisée par un thérapeute ; les études ont été menées en Suède, en Suisse, en Allemagne, en Roumanie, en Espagne, en Écosse, en Australie, au Japon et aux États-Unis.  

 

Population étudiée

  • 1772 adultes (14 à 174 par étude) âgés en moyenne de 28,8 à 48,9 ans avec un diagnostic clinique de dépression. 

 

Mesure des résultats 

 

Résultats

  • réduction statistiquement significative des symptômes dépressifs avec la TCC numérique par rapport aux groupes témoins actifs (effet faible) et passifs (effet modéré) (voir tableau)
  • réduction statistiquement significative des symptômes anxieux avec la TCC numérique par rapport aux groupes témoins actifs et passifs (effet modéré) (voir tableau)
  • amélioration statistiquement significative de la qualité de vie avec à la TCC numérique par rapport au témoin (effet faible) ; l’amélioration n’était plus statistiquement significative lorsque l’on comparait avec les groupes témoins actifs et passifs séparément (voir tableau)

 

Tableau. d de Cohen avec IC à 95%, valeur p et I² de l’effet de la TCC numérique par rapport au groupe témoin complet et aux groupes témoins actifs et passifs séparément pour la gravité des symptômes dépressifs et des symptômes anxieux et pour la qualité de vie.

 

d (IC à 95%)

p

Gravité des symptômes dépressifs

Effet moyen total (N = 14, n = 1391)

-0,49 (-0,71 à -0,27)

< 0,0001

53,9%

par rapport au groupe témoin passif (N = 9, n = 728)

-0,62 (-0,96 à -0,28)

0,0003

78%

par rapport au groupe témoin actif (N = 5, n = 663)

-0,31 (-0,55 à -0,07)

0,01

52%

Gravité des symptômes anxieux

Effet moyen total (N = 5, n = 388)

-0,58 (-0,81 à -0,34)

< 0,00001

22%

par rapport au groupe témoin passif (N = 3, n = 214)

-0,65 (-1,10 à -0,21)

0,004

58%

par rapport au groupe témoin actif (N = 2, n = 174)

-0,50 (-0,81 à -0,19)

0,002

0%

Qualité de vie

Effet moyen total (N = 8, n = 679)

0,27 (0,02 à 0,51)

0,03

55%

par rapport au groupe témoin passif (N = 5, n = 441)

0,30 (-0,09 à 0,70)

0,13

71%

par rapport au groupe témoin actif (N = 3, n = 238)

0,22 (-0,04 à 0,48)

0,40

0%

 


Conclusion des auteurs

La thérapie cognitivo-comportementale numérique est efficace pour réduire la gravité des symptômes dépressifs et anxieux, mais pas pour améliorer la qualité de vie. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour adapter culturellement les interventions de thérapie cognitivo-comportementale et pour explorer les effets à long terme de la thérapie cognitivo-comportementale numérique. 

 

Financement de l’étude

Aucune information concernant le financement de l’étude n’est déclarée.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs indiquent qu’il n’y a pas de conflits d’intérêt. 

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Cette synthèse méthodique a fait l’objet d’un rapport conformément aux recommandations PRISMA (Preferred Reporting Items of Systematic Reviews and Meta-Analysis). Les chercheurs ont recherché des études, publiées et non (encore) publiées, dans diverses bases de données. Un funnel plot n’a pas pu montrer de biais de publication.
Les critères d’inclusion ne sont pas clairement décrits. Dans l’article, les auteurs créent une certaine confusion en décrivant les études incluses ; ils parlent de « seulement 7 RCTs », alors qu’il s’agit en réalité de 15 RCTs lorsque l’on consulte le tableau récapitulatif dans les suppléments. La qualité méthodologique des études incluses a été évaluée par deux chercheurs indépendants à l’aide de l’outil de la Collaboration Cochrane « Risque de biais ». Dans toutes les études, la randomisation a été effectuée correctement, et le secret d’attribution a été clairement décrit dans 13 études. Le risque de biais de sélection était donc globalement faible. À l’exception de deux études, toutes les études ont également montré un faible risque de biais d’attrition. Dans 6 des 8 études où le taux de retraits était supérieur à 20%, les données manquantes ont été traitées correctement, et une analyse en intention de traiter a été utilisée. Le risque de biais de performance était indéterminé pour 13 études et élevé pour 2 études, respectivement en raison d’informations insuffisantes concernant la mise en aveugle des participants et du personnel soignant et en raison de l’absence d’informations à ce sujet. Il convient de noter qu’avec ce type d’intervention, la mise en aveugle des participants et du personnel soignant ne va pas de soi. Le risque de biais de détection était indéterminé pour 7 études et élevé pour 2 études, respectivement en raison d’informations insuffisantes concernant la mise en aveugle des évaluateurs de l’effet et en raison de l’absence d’informations à ce sujet. De plus, les critères de jugement ont été mesurés à l’aide de questionnaires d’auto-évaluation, ce qui signifie qu’il existe un risque de réponses socialement souhaitables. Comme les chercheurs n’ont pas effectué d’analyse de sensibilité, on ne sait pas dans quelle mesure le risque de ces différentes formes de biais a influencé les résultats de la méta-analyse. 

 

Évaluation des résultats

Même si les effets sont faibles à modérés en termes de réduction de la gravité des symptômes dépressifs et des symptômes anxieux, les résultats peuvent être prometteurs dans le paysage actuel des soins de santé, où les listes d’attente pour une aide psychologique sont souvent longues. Les interventions de santé numériques pourraient être utilisées comme des interventions précoces en attendant une psychothérapie avec un thérapeute. On parle alors d'une approche de soins par étapes ou de prise en charge adaptée (stepped-care ou matched-care). Cependant, du fait de l’hétérogénéité clinique et statistique des résultats, une mise en œuvre univoque dans la pratique est difficile. Les études variaient considérablement non seulement en termes de groupe témoin et de durée de l’étude (6 à 12 semaines) mais également selon que l’intervention numérique était ou non supervisée par un thérapeute (prise en charge mixte). Un ou plusieurs thérapeutes étaient généralement impliqués dans l’intervention numérique. La question est donc de savoir dans quelle mesure de telles interventions numériques contribueront à résoudre la pénurie de psychothérapeutes dans la pratique. On peut aussi se poser des questions sur la rentabilité. Nous constatons que l’observance n’était que de 50% dans 6 études qui ont examiné ce critère de jugement. Le taux de retraits des études fluctue également en moyenne autour de 30%. En outre, aucune information n’a été donnée concernant d’éventuels effets indésirables. On ne sait pas encore dans quelle mesure ces effets à court terme perdureront également à long terme. 
Lors de l’analyse des données, une distinction a été faite entre le type de groupe témoin : passif ou actif. Comme prévu, les tailles d’effet étaient légèrement plus importantes lors des comparaisons avec un groupe témoin passif. Il convient de noter que les patients bénéficiant de la prise en charge habituelle ont été inclus dans le groupe témoin passif. En conséquence, certaines formes actives de traitement (certaines thérapies spécifiques) peuvent avoir été incluses dans le groupe témoin passif, ce qui peut avoir dilué la différence d’effet entre les groupes témoins actifs et passifs. Enfin, peu d’informations sont données sur les caractéristiques des participants (leur sexe, leur consommation de médicaments, etc.),  ce qui rend l’extrapolation difficile. 

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Le guide de pratique clinique du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) (8) sur l’efficacité de la psychothérapie en cas de dépression majeure ne mentionne aucune étude portant sur l’efficacité des interventions numériques. Le guide de pratique clinique de Domus Medica « Dépression » (9) ne mentionne la possibilité d’une prise en charge autonome supervisée que pour la dépression légère à modérée. En cas de dépression modérée à sévère, il recommande d’orienter le patient vers un psychologue pour une psychothérapie classique.  

 

 

Conclusion de Minerva

Cette revue systématique et méta-analyse montre que la thérapie cognitivo-comportementale numérique réduit la gravité des symptômes dépressifs et anxieux chez les adultes avec un diagnostic de dépression. Cependant, ces résultats doivent être interprétés avec prudence étant donné quelques lacunes importantes, notamment un risque élevé de biais de performance et de détection des études incluses, ainsi qu’un degré élevé d’hétérogénéité clinique et statistique. De plus, on ne sait pas dans quelle mesure les résultats peuvent être extrapolés aux patients des soins de première ligne en Belgique. Des recherches ciblées avec des résultats à long terme sont encore nécessaires. 

 

 


Références 

  1. Feron J-M. Efficacité de la thérapie cognitivo-comportementale assistée par ordinateur en ajout aux soins habituels pour la dépression chez l’adulte ? MinervaF 2022;21(7):167-70
  2. Wright JH, Owen J, Eells TD, et al. Effect of computer-assisted cognitive behavior therapy vs usual care on depression among adults in primary care: a randomized clinical trial. JAMA Netw Open 2022;5:e2146716. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2021.46716
  3. Karyotaki E, Riper H, Twisk J, et al. Efficacy of self-guided internet-based cognitive behavioral therapy in the treatment of depressive symptoms: a meta-analysis of individual participant data . JAMA Psychiatry 2017;74:351-9. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2017.0044
  4. Andersson G, Cuijpers P, Carlbring P, et al. Guided internet-based vs. face-to-face cognitive behavior therapy for psychiatric and somatic disorders: a systematic review and meta-analysis. World Psychiatry 2015;13:288-95. DOI: 10.1002/wps.20151
  5. Cowpertwait L, Clarke D. Effectiveness of web-based psychological interventions for depression: a meta-analysis. Int J Ment Health Addict 2013;11:247-68. DOI: 10.1007/s11469-012-9416-z
  6. Richards D, Richardson T. Computer-based psychological treatments for depression: a systematic review and meta-analysis. Clin Psychol Rev 2012;32:329-42. DOI: 10.1016/j.cpr.2012.02.004
  7. Chan M, Jiang Y, Lee CY, et al. Effectiveness of eHealth-based cognitive behavioural therapy on depression: a systematic review and meta-analysis. J Clin Nurs 2022;31:3021-31. DOI: 10.1111/jocn.16212
  8. Karyotaki E, Smit Y, Cuijpers P, et al. Efficacité de la thérapie cognitivo-comportementale assistée par ordinateur en ajout aux soins habituels pour la dépression chez l’adulte ? Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles. Centre fédéral d’expertise de soins de santé (KCE). 2014. KCE Reports 230B.
  9. Declercq T, Habraken H, Van den Ameele H, et al. La dépression chez l’adulte. Guide pratique clinique. SSMG 2017. URL: https://www.ssmg.be/la-depression-chez-ladulte-guide-pratique-clinique/

 

Cet article a vu le jour lors de la journée des écrivains de Minerva en septembre de cette année. Sous la tutelle de membres expérimentés du comité de rédaction, de nouveaux auteurs, médecins et paramédicaux, ont travaillé à l'interprétation d'un article sélectionné par Minerva. Comme toujours ce texte a été révisé par les pairs de la rédaction.



 




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