Revue d'Evidence-Based Medicine



Diminution des erreurs médicamenteuses grâce aux pharmaciens



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 4 Page 43 - 44

Professions de santé


Analyse de
Avery AJ, Rodgers S, Cantrill JA, et al. A pharmacist-led information technology intervention for medication errors (PINCER): a multicentre, cluster randomised, controlled trial and cost-effectiveness analysis. Lancet 2012;379:1310-9.


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’une intervention informatisée coordonnée et bien structurée des pharmaciens versus feed-back classique pour limiter les risques médicaux liés aux erreurs dans les prescriptions de médicaments et aux omissions de surveillance du traitement au moyen d’analyses de sang ?


Conclusion
Cette étude met en lumière le rôle des pharmaciens dans l’accompagnement des patients lors de l’instauration d’un traitement. Ils peuvent utilement agir de manière préventive en signalant, par feed-back électronique complété par une concertation orale, les complications possibles dues aux prescriptions médicales ou à une surveillance insuffisante des traitements par les médecins. Cette étude montre également que cette approche entraîne un coût supplémentaire.


 

 

Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone


 

Contexte

Plusieurs analyses publiées dans Minerva ont montré que la collaboration entre le médecin et le pharmacien pour ce qui est de la prescription et du suivi des médicaments peut conduire à de meilleurs résultats pour le patient : plus grande utilisation des protections solaires (1), meilleure observance du traitement antihypertenseur et donc meilleur contrôle de l’hypertension (2,3), réduction des hospitalisations des patients souffrant d’insuffisance cardiaque (4), diminution plus importante de l’HbA1c chez les patients diabétiques (5) et diminution de la mortalité parmi les personnes âgées polymédiquées (6). Il est essentiel de poursuivre la recherche portant sur l’effet de certaines formes de collaboration entre le médecin et le pharmacien, notamment pour limiter les erreurs de prescriptions et pour assurer un meilleur suivi biologique de certains traitements.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 72 072 patients présentant un risque élevé d’erreurs médicamenteuses potentiellement graves parmi 72 pratiques anglaises de médecins généralistes (480 942 patients) qui utilisent un dossier médical informatisé (DMI) où sont consignées toutes les maladies du patient et qui permet de délivrer des prescriptions électroniques.

Protocole de l’étude

  • étude contrôlée, pragmatique, multicentrique, avec randomisation en grappes comportant deux groupes :
  • groupe témoin (n=37 659 patients issus de 36 pratiques) : les médecins généralistes ont reçu un feed-back par voie informatique de la part des pharmaciens au sujet des patients pour qui les médicaments prescrits étaient susceptibles de représenter un danger ou qui étaient insuffisamment suivis au moyen d’analyses sanguines ; les médecins ont en outre reçu une brève information écrite sur l’importance de chaque erreur commise ; enfin, il leur a été demandé de corriger les erreurs médicamenteuses dans un délai de douze semaines.
  • groupe intervention (n=34 413 patients issus de 36 pratiques) (PINCER) : les médecins généralistes ont reçu le même feed-back par voie informatique + une analyse de ce feed-back lors d’une rencontre rassemblant le pharmacien, les autres médecins de la pratique, le gestionnaire de la pratique, au moins un(e) infirmier/ère et un(e) réceptionniste ; après cette rencontre, les solutions possibles (via le médecin ou le patient) ont été discutées pour éviter de futures erreurs.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : différence après 6 mois entre le groupe intervention et le groupe témoin quant au nombre de :
    • patients ayant des antécédents d’ulcère gastrique à qui ont été prescrits un AINS non sélectif sans ajout d’un inhibiteur de la pompe à protons (IPP)
    • patients asthmatiques ayant une prescription pour un bêtabloquant
    • patients âgés de 75 ans ou plus ayant une prescription pour un inhibiteur de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (IEC) ou un diurétique de l’anse, chez qui la fonction rénale et les électrolytes n’ont pas été contrôlés au cours des 15 derniers mois
  • critères de jugement secondaires :
    • au moins une erreur médicamenteuse (que ce soit sur le plan de la prescription ou du suivi) 
    • prescription de la pilule malgré la présence d’antécédents de thrombose artérielle ou veineuse ; prescription de méthotrexate sans suivi de la formule sanguine ou sans analyse de la fonction hépatique ; prescription d’amiodarone >200 mg par jour pendant plus d’un mois sans détermination de la fonction thyroïdienne ; warfarine sans détermination de l’INR tous les 3 mois ; traitement au lithium sans mesure de la concentration sanguine tous les 3 mois
  • suivi : 6 et 12 mois après l’intervention.

 

Résultats

  • critère de jugement primaire :
    • (PRINCER vs groupe témoin) après 6 mois :
      • patients avec AINS sans IPP : cote (Eng : odds) représente un rapport de risque, le rapport entre la probabilité de survenue d’une maladie ou d’un évènement et la probabilité de non survenue de cette maladie ou de cet évènement. Un rapport de cotes est un rapport entre 2 cotes.">OR de 0,58 avec IC à 95% de 0,38 à 0,89
      • patients asthmatiques avec bêtabloquant : OR de 0,73 avec IC à 95% de 0,58 à 0,91
      • patients âgés d’au moins 75 ans avec IEC ou diurétique de l’anse sans contrôle des électrolytes ou de l’urée : OR de 0,51 avec IC à 95% de 0,34 à 0,78
    • (PRINCER vs groupe témoin) après 12 mois : patients avec AINS sans IPP : différence non significative ; patients asthmatiques, patients âgés : différences toujours significatives
  • critères secondaires :
    • patients avec au moins une erreur médicamenteuse : significativement moins nombreux dans le groupe intervention que dans le groupe témoin (après 6 et 12 mois
    • après 6 mois : moins de patients sous warfarine sans contrôle de l’INR et sous amiodarone sans contrôle de la fonction thyroïdienne
    • après 12 mois : moins d’omissions pour le suivi biologique des patients sous méthotrexate ou lithium
    • autres critères de jugement secondaires : pas de différences.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’intervention PINCER est efficace pour réduire une série d'erreurs médicamenteuses dans les pratiques médicales qui travaillent avec un dossier médical informatisé.

Financement 

L’étude a été financée par les fonds du département de la Santé publique destinés aux activités de recherche.

 

Conflits d’intérêt 

Aucun conflit d’intérêt n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude contrôlée avec randomisation en grappes présente des points forts et des points faibles. Un élément positif est certainement le fait que, pour le calcul de la puissance, les auteurs ont tenu compte de cette randomisation en grappes (7). Le nombre de pratiques (grappes) incluses est suffisant. La puissance de l’étude a été calculée de manière à évaluer les résultats après 6 mois ; un manque de puissance de l’étude pour l’évaluation à 12 mois ne peut donc être exclu.

La randomisation a été réalisée par blocs, et les pratiques de médecins généralistes ont été stratifiées en fonction de la région et du nombre de patients par pratique (<2 500, 2 500-6 000 et >6 000 patients). Après 12 mois de suivi, il n’y avait pas eu de sorties d’étude. La séquence d’attribution a été effectuée au moyen d’un ordinateur, et l’insu a été maintenu tout au long de l’étude (secret de l’attribution). Malgré cet effort, il s’avère que les centres de médecins du groupe intervention avaient déjà plus d’expérience en formation que ceux du groupe témoin. Les auteurs ont corrigé les résultats pour tenir compte de ce biais d’attribution. En raison de la nature de l’intervention, il n’a pas été possible de maintenir l’insu pour les médecins généralistes, les patients, les pharmaciens et les investigateurs qui ont extrait les données des dossiers. Les investigateurs qui ont traité les données ont, eux, travaillé en aveugle.

 

Interprétation des résultats

Seules 72 pratiques des 240 contactées initialement ont été retenues. Les auteurs n’ont pas donné d’explication détaillée de cette sélection qui peut compromettre l’extrapolabilité des résultats. Malgré les meilleurs résultats pour le groupe intervention, il s’avère que les différences absolues entre le groupe intervention et le groupe témoin sont relativement faibles. Ceci s’explique par le nombre restreint de patients à risque qui ont été finalement détectés. Les chiffres varient de 3% (asthme et bêtabloquants) à 13% (inhibiteur de l'enzyme de conversion de l'angiotensine et diurétique de l’anse sans contrôle de l’urée ou des électrolytes) de patients à risque pour la population totale des médecins généralistes.

D’autre part, l’effet de l’intervention est peut-être sous-estimé parce que les instructions de base ont également été données dans les pratiques témoins. Nous ne savons pas non plus très bien si les « erreurs » sélectionnées étaient toutes pertinentes sur le plan clinique. Les avantages mesurés concernent les situations lors de la prescription. Ils ne disent rien sur la prévention des accidents réels. L’étude a donc plutôt un caractère préventif.

Selon les auteurs, le coût par pratique s’élève à 1 232 euro pour 6 mois d’intervention intensive, contre 109 euro pour un feed-back classique. Le rapport coût-efficacité de l’intervention est satisfaisant si une dépense peut être acceptée de 88 euro par erreur ou omission évitée sur une période de 6 mois ou 99 euro sur une période de 12 mois.

 

Autres études

Les auteurs ont également effectué une synthèse méthodique des données de la littérature relative aux erreurs de prescription. Bien que la littérature foisonne de tels rapports, les auteurs n’ont trouvé qu’une seule synthèse méthodique sur les mesures de prévention en première ligne. La prévention a pour but d’éviter les complications. Nous avons déjà publié dans la revue Minerva les avantages potentiels de ce type de mesures (1-6). Mais ce n’est pas toujours le cas. Dans l’étude HOMER, par exemple, les pharmaciens ont évalué les médicaments que les personnes âgées prenaient à domicile en vue de diminuer des complications accidentelles. Cette intervention a entraîné une augmentation des hospitalisations et n’a influencé ni la qualité de vie ni la mortalité globale (8). Dans l’étude RESPECT, l’implication des pharmaciens dans la gestion d’un plan thérapeutique médicamenteux chez des patients âgés n’a apporté aucun bénéfice (9). Selon les auteurs de l’étude analysée ici, leurs résultats positifs sont dus à la formation de qualité des pharmaciens, à la manière d’aborder des problèmes spécifiques, à l’accès aisé aux pratiques des médecins, avec consultation de toutes les données médicales des patients, et à l’approche multifactorielle de la problématique.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude met en lumière le rôle des pharmaciens dans l’accompagnement des patients lors de l’instauration d’un traitement. Ils peuvent utilement agir de manière préventive en signalant, par feed-back électronique complété par une concertation orale, les complications possibles dues aux prescriptions médicales ou à une surveillance insuffisante des traitements par les médecins. Cette étude montre également que cette approche entraîne un coût supplémentaire.

 

Pour la pratique

Les médecins généralistes, tout comme les pharmaciens, disposent d’un feed-back informatisé lors de la prescription ou de la délivrance des médicaments. Le partage des informations électroniques concernant les patients (médicaments et diagnostic) entre les médecins et les pharmaciens ouvre des possibilités nouvelles pour un feed-back orienté effectué par les pharmaciens. Cette étude montre qu’une collaboration plus poussée sous la forme d’un dialogue (électronique) au sujet du dossier du patient pourrait renforcer l’approche préventive des complications à long terme. Des discussions interdisciplinaires sur e-Health sont en cours. La mise en place d’une plateforme de dialogue électronique requiert aussi l’harmonisation des logiciels utilisés par les médecins et les pharmaciens. Le coût additionnel lié à cette approche devrait pouvoir être supporté dans le cadre d’une concertation médico-pharmaceutique constructive pour laquelle un budget est encore toujours prévu à l’INAMI. Enfin, il y a aussi le coût additionnel non (encore) porté en compte dans la prestation de service du pharmacien.

 

 

Références

  1. Chevalier P, Laekeman G. Modification de comportement du patient : impact du médecin généraliste et du pharmacien. [Editorial] MinervaF 2012;11(3):27.
  2. Laekeman G, De Jonghe M, De Cort P. Hypertension : les pharmaciens dans l’engrenage thérapeutique. [Editorial] MinervaF 2010;9(1):1.
  3. Laekeman G, De Cort P. Le pharmacien et les soins dispensés au patient. [Editorial] MinervaF 2007;6(2):17.
  4. Laekeman G. Pharmacien et patient insuffisant cardiaque. MinervaF 2009;8(5):66.
  5. Laekeman G. Participation des pharmaciens aux soins pour les patients diabétiques. MinervaF 2008;7(7):110-11.
  6. Laekeman G. Suivi téléphonique du pharmacien améliorant la survie ? MinervaF 2007;6(5):78-80.
  7. Michiels B. La non prise en compte d’une randomisation par grappes : un risque de biais. MinervaF 2013;12(2):25.
  8. Holland R, Lenaghan E, Harvey I, et al. Does home based medication review keep older people out of hospital? The HOMER randomized controlled trial. BMJ 2005;330:293.
  9. Richmond S, Morton V, Cross B, et al; RESPECT trial team. Effectiveness of shared pharmaceutical care for older patients: RESPECT trial findings. Br J Gen Pract 2010;570:e10-19.
Diminution des erreurs médicamenteuses grâce aux pharmaciens



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