Revue d'Evidence-Based Medicine



Duloxétine : efficace pour les douleurs neuropathiques, les douleurs chroniques ou la fibromyalgie ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 9 Page 106 - 107

Professions de santé


Analyse de
Lunn MP, Hughes RA, Wiffen PJ. Duloxetine for treating painful neuropathy, chronic pain or fibromyalgia. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 1.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de la duloxétine dans la prise en charge médicamenteuse des douleurs neuropathiques périphériques et les douleurs chroniques sans lésion identifiée comme dans la fibromyalgie ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses (trop) ambitieuse centrée non pas sur un problème clinique mais sur une molécule (la duloxétine) montre une efficacité statistiquement significative de la duloxétine dans le traitement à court terme (12 semaines) des douleurs neuropathiques diabétiques et des douleurs liées à la fibromyalgie versus placebo. La dose de 60 mg par jour semble être la plus adaptée. Les effets indésirables de la duloxétine relevés sont fréquents, mais rarement graves et la balance bénéfice-risque de la molécule est difficile à évaluer.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Les guides de pratique sont généralement centrés sur un ou plusieurs problème(s) clinique(s) et non sur une molécule dans ses diverses (possibles) indications. Le récent guide de pratique de SIGN recommande la duloxétine (à la dose de 60 mg/jour) dans le traitement à court terme (12 semaines) des douleurs neuropathiques diabétiques (mais pas en première intention) et dans le traitement des douleurs liées à la fibromyalgie (GRADE A). Cette synthèse méthodique confirme l’intérêt de la duloxétine comme faisant partie du faible éventail thérapeutique à proposer, à condition d’informer consciencieusement les patients des limites et des effets indésirables de cette molécule dans ces pathologies. D’autres options comme le reconditionnement physique et les thérapies cognitivo-comportementales sont à considérer également.


Duloxétine : efficace pour les douleurs neuropathiques, les douleurs chroniques ou la fibromyalgie ?

 

Contexte 

La duloxétine est un inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline indiqué dans le traitement de la dépression sévère et de l’incontinence urinaire d’effort et de la douleur neuropathique chronique (1). Plusieurs RCTs ont tenté d’évaluer son efficacité dans les douleurs neuropathiques autre que diabétiques et les douleurs chroniques sans lésion identifiée, aussi appelées « dysfonctionnelles », notamment dans la fibromyalgie. Le mécanisme d’action dans ces indications douloureuses semble différent de l’effet antidépresseur vu le court délai d’action et l’efficacité sur la douleur chez des patients non déprimés (1).

 

Résumé

  

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

Sources consultées

  • MEDLINE, EMBASE (jusqu’à novembre 2013) ainsi que The Cochrane Neuromuscular Group Specialized Register, CENTRAL, DARE, HTA, NHSEED, et ClinicalTrials.gov pour les essais en cours, jusqu’à avril 2013, sans restriction de langue.

Etudes sélectionnées

  • études contrôlées randomisées (RCT) évaluant la duloxétine dans le traitement de la douleur neuropathique périphérique chronique et de divers types de douleurs chroniques sans lésion identifiée comme dans la fibromyalgie. La duloxétine est administrée au minimum 8 semaines
  • exclusion des études avec douleur aiguë, douleur d’origine spécifiquement non neuropathique
  • 18 RCTs ont été incluses, dont 8 sur la douleur neuropathique diabétique (6 duloxétine versus placebo ; 1 vs amitriptyline ; 1 vs prégabaline) ; 6 sur la fibromyalgie ; 3 sur les symptômes physiques douloureux inexpliqués associés à une dépression sévère ; 1 sur les douleurs neuropathiques centrales, toutes versus placebo.

Population étudiée

  • 6 407 adultes (> 18 ans) : 2 728 (N = 8) pour douleur neuropathique diabétique ; 2249 (N = 6) avec fibromyalgie confirmée selon les critères de l’American College of Rheumatology ; 1382 (N = 3) avec symptômes physiques douloureux inexpliqués associés à une dépression sévère ; 48 (N = 1) avec douleur neuropathique centrale (d’origine spinale ou cérébrovasculaire).

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : amélioration de ≥ 50% de la douleur à moyen terme (jusqu’à 12 semaines) en utilisant des échelles d’évaluation de la douleur validées
  • critères de jugement secondaires : amélioration de la douleur à long terme (> 12 semaines), > 30% d’amélioration de la douleur à court et long terme, amélioration de ≥ 30% de la qualité de vie sur score validé, effets indésirables durant le traitement.

Résultats

  • duloxétine 60 mg par jour versus placebo : amélioration de la douleur : voir tableau
  • duloxétine testée à différentes doses : inefficace aux doses inférieures à 40 mg/j ; pas d’efficacité supérieure à 120 mg/j vs 60 mg/j
  • douleur neuropathique diabétique (n = 804) : duloxétine 60 mg/j versus prégabaline 300 mg/j : amélioration ≥ 50% de la douleur montre un RR de 1,46 (IC à 95% de 1,19 à 1,80). La proportion de patients présentant une amélioration ≥ 50% de la douleur est de 38% sous duloxétine vs de 26% sous prégabaline
  • duloxétine 60 mg/j versus amitriptyline 50 mg/j (n = 62) : résultats ininterprétables vu le manque de données
  • les effets indésirables bénins (nausée, somnolence, fatigue, insomnie, constipation, appétit diminué, vertige..) étaient courants dans toutes les études, tandis que les effets indésirables graves étaient rares. Les patients sortis de l’étude pour effets indésirables étaient de 15,6% dans les groupes sous duloxétine (toutes doses confondues) versus 8,3% dans les groupes sous placebo (RR de 1,85 avec IC à 95% de 1,52 à 2,26 ; NNH 14).

 

 

Tableau. Duloxétine 60 mg par jour versus placebo : amélioration de la douleur.

 

 

 

Critère de jugement primaire

Critère de jugement secondaire  

Amélioration ≥ 50% de la douleur à 12 semaines maximum

Amélioration ≥ 30% à 12 semaines ou moins

RR (avec IC à 95%)

NNT (avec IC à 95%)

RR (avec IC à 95%)

Douleur neuropathique diabétique

1,73 (1,44 à 2,08)

5 (4 à 7)

1,53 (1,33 à 1,75)

Fibromyalgie

1,57 (1,20 à 2,06)

8 (4 à 21)

1,52 (1,24 à 1,85)

Symptômes douloureux / dépression sévère

1,37 (1,19 à 1,59)

8 (5 à 14)

1,27 (1,15 à 1,40)

Douleur neuropathique centrale

pas d’effet

   

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que 8 études financées par le fabricant démontrent, avec un niveau de preuve moyen, une efficacité de la duloxétine à 60 et 120 mg/j en cas de douleur neuropathique diabétique et que d’autres études ne sont pas nécessaires.

En cas de fibromyalgie, les preuves quant à l’efficacité de la duloxétine à des doses équivalentes à celles utilisées en cas de neuropathie périphérique sont moins bonnes en termes d’amplitude d’effet. Cet effet pourrait plus être associé à une amélioration des symptômes mentaux que douloureux. En cas de symptômes douloureux physiques inexpliqués associés à une dépression, les preuves de l’efficacité de la duloxétine sont faibles à modérées, mais un NNT de 8 en cas de fibromyalgie et de dépression n’est pas une indication en faveur d’une efficacité substantielle, si bien que d’autres études sont encore nécessaires. Les effets indésirables de la duloxétine sont fréquents (120 mg > 60 mg > 20 mg), mais très rarement graves. Enfin, des études vs molécules ayant démontré leur efficacité dans les douleurs neuropathiques, telle la prégabaline, devraient être menées à l’avenir.

Conflits d’intérêt

Un auteur signale avoir reçu des honoraires de différents laboratoires.

 

Financement

Institute of Neurology, University College London, UK ; National Institute for Health Research University College London Biomedical Research Centre, UK ; chercheurs du National Institute for Biomedical Research University College London Hospitals Biomedical Research Centre.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Bien que cette synthèse méthodique ait été menée avec rigueur, les résultats doivent être lus avec une certaine réserve. La principale critique à adresser est l’ambition de cette méta-analyse qui balaie trop d’indications différentes pour la même molécule, comme si les auteurs, à l’instar de la firme qui a financé et réalisé quasi tous les essais, voulaient valider un maximum d’indications thérapeutiques. Cette ambition oblige à analyser séparément les résultats selon chaque indication.

Pour les douleurs neuropathiques diabétiques : le comparateur est et reste essentiellement le placebo, alors que d’autres molécules ont déjà prouvé une efficacité certaine. L’unique étude qui compare la duloxétine à la prégabaline donne des résultats peu cohérents avec la littérature, et l’étude comparant la duloxétine à l’amitriptyline inclut peu de patients (n = 62) et ne répond pas aux critères d’inclusion mais, selon les auteurs, il s’agissait de la seule étude comparant les 2 molécules dans cette indication.

Pour la fibromyalgie : la perte de capacité fonctionnelle est perçue au moins aussi négativement que la douleur par les patients. Un critère de jugement secondaire qui évalue ce critère aurait été pertinent.

Pour les symptômes physiques douloureux inexpliqués associés à une dépression sévère : l’indication est une entité clinique beaucoup trop vague, sans critère clair d’inclusion des patients quant au type, à l’intensité et à la localisation des douleurs.

Pour la neuropathie centrale, vu qu’il n’y qu’une seule étude considérée (de petite taille), on ne peut plus parler de méta-analyse.

Pour toutes les études, le critère de jugement primaire est évalué à 12 semaines maximum, ce qui ne permet pas d’évaluer l’efficacité à long terme de la duloxétine, alors que les pathologies évaluées sont chroniques. Le nombre de patients sortis de l’étude reste élevé (au moins 20%). On ne dispose pas de tous les résultats pour les critères de jugement secondaires dans chacune des indications.

Les études ont été sélectionnées par deux chercheurs indépendants l’un de l’autre. La qualité des études a été évaluée par une méthode validée de la Cochrane Collaboration et le résultat de cette analyse est bien présenté. Sur les 18 études sélectionnées, 8 étaient à haut risque de biais pour au moins un biais, 7 comportaient un risque indéterminé de biais pour au moins 2 biais et seules 3 études ont été évaluées sans risque de biais. Bien que les mêmes auteurs aient réalisé plusieurs études avec la duloxétine, Lunn et collaborateurs s’étonnent que les méthodologies et les risques de biais ne se soient pas nécessairement améliorés pour autant et que certaines données soient restées absentes.

Mise en perspective des résultats

Dans les douleurs neuropathiques diabétiques, la duloxétine montre une certaine efficacité par rapport au placebo, au prix d’effets indésirables fréquents et sans que l’on puisse comparer directement cette efficacité par rapport aux molécules de référence, notamment l’amitriptyline, la gabapentine et la prégabaline. Aucune de ces autres molécules n’est bien sûr exempte d’effets indésirables, mais la duloxétine n’est certainement pas un premier choix dans cette indication (2).

Dans la fibromyalgie, avec un NNT estimé à 8, la duloxétine n’est probablement pas une approche de premier choix. Les antalgiques classiques n’ont qu’une efficacité très limitée et ne sont également pas dénués d’effets indésirables : notamment risque de dépendances pour certains d’entre eux s’ils sont mal prescrits (3). La physiopathologie de la fibromyalgie étant encore en exploration actuellement, les traitements restent fort empiriques et limités en efficacité. Il est évident que le traitement médicamenteux ne constitue qu’une petite partie des outils disponibles pour les patients qui doivent d’abord et avant tout être informé(e)s de l’évolution de cette maladie, des objectifs raisonnables à atteindre et des effets à attendre des médicaments. Bien que comme les auteurs le signalent, la distinction entre effet antalgique et antidépresseur soit peu claire, cette synthèse méthodique montre que la duloxétine pourrait être proposée dans la fibromyalgie, à condition de bien informer le patient.

À propos de l’efficacité de la duloxétine dans les « symptômes physiques douloureux inexpliqués associés à une dépression sévère », aucun avis ne peut être donné vu le peu de précision de cette entité.

En ce qui concerne les douleurs neuropathiques centrales, d’autres études sont nécessaires pour juger de l’efficacité de la duloxétine car la synthèse méthodique n’a retenu qu’une étude (ne permettant donc pas de méta-analyse) sur un petit nombre de sujets.

En ce qui concerne les effets indésirables, ceux-ci sont fréquents, parfois dose-dépendants (augmentation de la pression artérielle, atteintes hépatiques) et les interactions médicamenteuses sont potentiellement nombreuses (4). Ces constats ne rendent pas l’évaluation de la balance bénéfice-risque de la duloxétine aisée.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses (trop) ambitieuse centrée non pas sur un problème clinique mais sur une molécule (la duloxétine) montre une efficacité statistiquement significative de la duloxétine dans le traitement à court terme (12 semaines) des douleurs neuropathiques diabétiques et des douleurs liées à la fibromyalgie versus placebo. La dose de 60 mg par jour semble être la plus adaptée. Les effets indésirables de la duloxétine relevés sont fréquents, mais rarement graves et la balance bénéfice-risque de la molécule est difficile à évaluer.

 

Pour la pratique

Les guides de pratique sont généralement centrés sur un ou plusieurs problème(s) clinique(s) et non sur une molécule dans ses diverses (possibles) indications. Le récent guide de pratique de SIGN (5) recommande la duloxétine (à la dose de 60 mg/jour) dans le traitement à court terme (12 semaines) des douleurs neuropathiques diabétiques (mais pas en première intention) et dans le traitement des douleurs liées à la fibromyalgie (GRADE A). Cette synthèse méthodique confirme l’intérêt de la duloxétine comme faisant partie du faible éventail thérapeutique à proposer, à condition d’informer consciencieusement les patients des limites et des effets indésirables de cette molécule dans ces pathologies. D’autres options comme le reconditionnement physique et les thérapies cognitivo-comportementales (5-7) sont à considérer également.

 

Nom de marque

duloxétine: Cymbalta®

 

Références

  1. Répertoire Commenté des Médicaments. Système nerveux. Centre Belge d'Information Pharmacothérapeutique, septembre 2014. http://www.cbip.be/GGR/Index.cfm?ggrWelk=/GGR/MPG/MPG_J.cfm
  2. Prise en charge des douleurs neurogènes. Fiche de transparence. Centre Belge d'Information Pharmacothérapeutique, update mars 2014.
  3. Idées forces Prescrire. Syndrome polyalgique idiopathique diffus : traitement. Février 2012.  
  4. Prescrire Rédaction. Duloxétine - Cymbalta®. À éviter aussi dans la fibromyalgie. Rev Prescr 2008;28:730.
  5. Scottish Intercollegiate Guidelines Network (SIGN). Management of chronic pain. Edinburgh: SIGN; 2013. (SIGN publication no. 136). [December 2013]. Available from URL: http://www.sign.ac.uk
  6. Crismer A. Fibromyalgie : efficacité de traitements non médicamenteux sur la douleur ? MinervaF 2012;11(7):82-3.
  7. Williams AC, Eccleston C, Morley S. Psychological therapies for the management of chronic pain (excluding headache) in adults. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 11.

 

 

 

 


Auteurs

Feron J-M.
Centre Académique de Médecine Générale, UCL
COI :

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