Revue d'Evidence-Based Medicine



Effet du dépistage et de l'éducation à la santé sur l'incidence de la cardiopathie ischémique au niveau d’une population générale



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 1 Page 10 - 11

Professions de santé


Analyse de
Jørgensen T, Jacobsen RK, Toft U, et al. Effect of screening and lifestyle counselling on incidence of ischaemic heart disease in general population: Inter99 randomised trial. BMJ 2014;348:g3617.


Question clinique
Quels sont les effets du dépistage et de l’éducation à la santé sur l’incidence de la cardiopathie ischémique à 10 ans dans la population générale ?


Conclusion
Cette RCT basée sur la communauté, menée au Danemark, ne montre pas d’effet bénéfique d’un dépistage systématique de risque cardiovasculaire élevé associé à des conseils de santé avec un suivi systématique et organisé sur l’incidence de la cardiopathie ischémique, de l’AVC et de la mortalité globale à 10 ans.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Il n’existe pas, à notre connaissance, de recommandation de bonne pratique relative à l’utilisation d’une check-list de contrôle de santé ou relative au risque cardiovasculaire à appliquer en médecine générale. Une revue systématique avec méta-analyses publiée en 2014 (9) conclut que l’application d’un dépistage systématique à une population âgée en moyenne de 35 à 65 ans a un effet statistiquement significatif mais cliniquement peu pertinent sur des critères de jugement intermédiaires tels que le taux de cholestérol total, les pressions artérielles systoliques et diastoliques et le BMI, sans démontrer d’effet sur la mortalité totale à 10 ans. L’étude discutée ici confirme ces résultats. On ne peut dès lors pas se prononcer actuellement sur la pertinence de la mise en place, au niveau de la population générale, de l’utilisation d’une check-list de contrôle de santé ni d’un dépistage systématique des facteurs de risque de la cardiopathie ischémique suivi par des séances d’éducation à la santé systématiques et organisées chez des patients à risque cardiovasculaire majoré.


Effet du dépistage et de l'éducation à la santé sur l'incidence de la cardiopathie ischémique au niveau d’une population générale

 

Contexte

La cardiopathie ischémique reste une cause majeure de morbidité et de mortalité et ses principaux facteurs de risque sont connus depuis longtemps (1). Certaines études ont montré que des modifications de ces facteurs de risque au niveau individuel influençaient l'évolution de la cardiopathie ischémique (2), mais il manquait des études rigoureuses et récentes évaluant des interventions en prévention primaire au niveau collectif, dans la population générale adulte.

 

Population étudiée

  • 59 616 personnes âgées de 30 à 60 ans randomisées selon le sexe et l'âge, à partir du système d'enregistrement civil de 11 communes au sud-ouest du comté de Copenhague, Danemark
  • critères d’inclusion : participants nés en 1939-40, 1944-45, 1949-50, 1954-55, 1959-60, 1964-65, inclusion faite du 15 mars 1999 au 31 janvier 2001
  • critères d’exclusion : antécédents de cardiopathie ischémique, d’accident vasculaire cérébral (AVC).

 

Protocole d’étude

  • étude contrôlée randomisée basée sur la communauté
  • groupe intervention (n = 11 629) ; groupe contrôle (n = 47 987) soumis à un questionnaire mais n’ayant bénéficié d’aucun suivi particulier
  • les membres du groupe intervention ont été invités à un dépistage systématique basé sur un questionnaire, un examen clinique ciblé et des analyses complémentaires (ECG, biologie, test de tolérance au glucose) et à répondre à un questionnaire sur leur mode de vie et leurs motivations au changement pour évaluer leur risque individuel de cardiopathie ischémique. Des conseils ciblés sur leurs facteurs de risque ont été donnés et du matériel pédagogique distribué. Les patients considérés à haut risque (à l’aide du programme PRECARD ; 60% au premier rendez-vous de dépistage) se voyaient proposer en outre 6 séances de conseils en groupes sur une période de 4 à 6 mois tandis qu’un résumé de l’évaluation était envoyé à leur médecin généraliste. Cette séquence d’intervention était répétée à 1 et 3 ans pour les personnes restant à haut risque   
  • après 5 ans, tous les participants ont été invités pour une dernière cession de dépistage et d'éducation à la santé
  • les participants étaient référés chez leur médecin traitant si nécessaire selon un arbre décisionnel
  • les soignants qui organisaient les séances de dépistage et d'éducation à la santé avaient reçu des formations en éducation de la santé.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : différence d’incidence de la cardiopathie ischémique en termes d’admission à l’hôpital, d’intervention chirurgicale, de cause de décès (basé sur les codes ICD) ou d’actes chirurgicaux (recanalisation, chirurgie coronaire) entre les 2 groupes après 10 ans 
  • critères de jugement secondaires: différence d’incidence d’AVC, d’événements combinés (cardiopathie ischémique, AVC ou les deux) et de mortalité globale entre les 2 groupes après 10 ans 
  • les données étaient collectées à 10 ans de suivi (jusqu’au 31 janvier 2011) via le registre civil central et le registre national des patients qui contient les données sur toutes les admissions dans les hôpitaux non psychiatriques du Danemark
  • participation attendue de 70% pour obtenir une signification statistique si différence à 10 ans de 15% de l’incidence de cardiopathie ischémique entre les 2 groupes
  • analyse en intention de traiter avec modèles de hasards proportionnels de Cox et construction de courbe d’incidence cumulée avec test statistique de Gray.

Résultats

  • critère de jugement primaire : à 10 ans, pas de différence statistiquement significative (test de Gray : p = 0,3). Le modèle de hasards proportionnels de Cox ne montre aucun effet après ajustement pour l’âge et le sexe : RR de 1,03 (avec IC à 95% de 0,94 à 1,13) ni après ajustement pour l’éducation, l’ethnicité, la cohabitation ou les comorbidités
  • critères de jugement secondaires : aucune différence statistiquement significative :
    • pour l’AVC : RR de 0,98 (avec IC à 95% de 0,87 à 1,11)
    • pour les événements combinés RR de 1,01 (IC à 95% de 0,93 à 1,09)
    • pour la mortalité globale : RR de 1,00 (IC à 95% de 0,91 à 1,09).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une intervention, au niveau de la communauté, de dépistage et d'éducation à la santé adaptée aux individus, d'une durée de 5 ans, n'a pas eu d'effet à 10 ans sur l’incidence de la cardiopathie ischémique, l'AVC ou la mortalité globale au niveau de la population.

 

Financement

Danish Research Councils, Health Foundation, Danish Centre for Evaluation and Health Technology Assessment, Copenhagen County, Danish Heart Foundation, Ministry of Health and Prevention, Association of Danish Pharmacies, Augustinus Foundation, Novo Nordisk, Velux Foundation, Becket Foundation, and Ib Henriksens Foundation.

Conflits d’intérêt

Aucun n’a été déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude présente de nombreuses qualités. Elle décrit rigoureusement une intervention bien conçue, de très grande envergure et de longue durée au niveau d’une population, au sein d’une communauté. Le processus de randomisation est correctement décrit. Les auteurs ont utilisé des outils de dépistage fiables adaptés à la population étudiée. Les démarches d’éducation à la santé intensives ont été basées sur des approches cognitives reconnues pour lesquelles le personnel avait été formé. Les participants les ont suivies régulièrement. Les données des critères de jugement ont été extraites à partir de registres centraux reconnus comme valides (et aveugles par rapport à l’intervention). L’analyse a été faite en intention de traiter. Les membres du groupe contrôle ignoraient l’intervention, mais l’intervention n’a pu se faire en double aveugle. Le taux de participation a été plus faible qu’espéré (seuls 52,4% des patients du groupe intervention ont accepté l’intervention).

 

Interprétation des résultats

Plusieurs hypothèses peuvent expliquer les résultats observés (dont plusieurs ont été citées par les auteurs eux-mêmes). Le manque de participation a pu empêcher un effet visible au niveau de la population. On peut questionner la qualité des interventions, mais le personnel avait été formé et supervisé plus que la moyenne des soignants dans la pratique quotidienne et des études antérieures avaient montré leur efficacité en termes de changement de comportement. Il est possible cependant que les conseils apportés par le médecin traitant, connu du patient, aient pu avoir plus d’effets que ceux d’intervenants occasionnels travaillant en milieu hospitalier. La période d’évaluation à dix ans était peut-être trop courte. Chez les patients jeunes, le risque à 10 ans reste faible et une variation de celui-ci est difficile à mesurer. Il est possible que parmi tous ceux qui n’ont pas répondu à l’invitation, il y avait surtout des patients défavorisés qui sont justement ceux qui ont le plus de risques cardiovasculaires et qui, potentiellement, bénéficieraient le plus de ce type d’intervention. L’intervention se limitait à des séances d’éducation. Les changements de comportement induits ont pu être éphémères. Il est également possible que de nombreux patients à risque de cardiopathie ischémique soient déjà identifiés par leur médecin traitant et qu’une intervention systématique supplémentaire apporte peu de bénéfices. On ne peut exclure que certains participants du groupe contrôle ou leur médecin traitant aient été au courant de l’intervention et qu’ils en aient bénéficié indirectement. 60% des participants ont été considérés à risque, ce qui est un taux très important. Des surdiagnostics ont peut-être entraîné des interventions chez des patients à faible risque qui ont pu camoufler l’effet positif des interventions chez des patients à haut risque. L’évaluation à partir de registres centraux a pu méconnaître certaines cardiopathies ischémiques qui ne sont pas passées par l’hôpital.

 

Mise en perspective des résultats

Un rapport du KCE affirmait en 2007 que l’implémentation optimale d’interventions efficaces pour la prévention cardiovasculaire primaire chez les patients à haut risque laissait à désirer en Belgique (3). Depuis le 1 avril 2011, avec la mise en place du DMG+, le médecin généraliste belge est encouragé entre autre à dépister les patients à risque cardiovasculaire et à donner des conseils pour un mode de vie plus sain. Une méta-analyse de la Cochrane Collaboration avait conclu en 2013 qu’un simple conseil avait un petit effet sur l’arrêt du tabac (4). En 2014, une synthèse de l’US Preventive Services Task force a montré que des interventions d’éducation à la santé intensives avaient un effet modéré sur les risques cardiovasculaires chez les adultes obèses ou à risque cardiovasculaire élevé, avec diminution de la pression artérielle, du taux de cholestérol et de la glycémie à jeun, sur le BMI et la pratique de l’activité physique et concluait avec un degré de certitude modéré que ces interventions ont un bénéfice net modéré chez les adultes en excès pondéral ou à risque cardiovasculaire majoré (5).

Pourtant, une méta-analyse de la Cochrane Collaboration (6) publiée en 2012 et discutée dans Minerva (7) avait conclu que les examens de santé généraux ne réduisent ni la mortalité ni la morbidité générale ou spécifique (cardiovasculaire ou par cancer), bien que le nombre de nouveaux diagnostics augmente. Des effets indésirables induits par certains examens complémentaires et les effets psychologiques ne sont souvent pas étudiés ou rapportés. Les auteurs terminaient en affirmant que les examens de santé généraux ne sont probablement pas bénéfiques.

Un éditorial du BMJ publié en 2014 affirme que nous disposons, sur 50 ans, maintenant d’assez d’études sans trouver de trace d’un effet bénéfique des dépistages de masse sur la mortalité (8), rappelant que le dépistage de masse ne se justifie que si on a prouvé que les avantages surpassent les inconvénients.

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT basée sur la communauté, menée au Danemark, ne montre pas d’effet bénéfique d’un dépistage systématique de risque cardiovasculaire élevé associé à des conseils de santé avec un suivi systématique et organisé sur l’incidence de la cardiopathie ischémique, de l’AVC et de la mortalité globale à 10 ans.

 

Pour la pratique

Il n’existe pas, à notre connaissance, de recommandation de bonne pratique relative à l’utilisation d’une check-list de contrôle de santé ou relative au risque cardiovasculaire à appliquer en médecine générale. Une revue systématique avec méta-analyses publiée en 2014 (9) conclut que l’application d’un dépistage systématique à une population âgée en moyenne de 35 à 65 ans a un effet statistiquement significatif mais cliniquement peu pertinent sur des critères de jugement intermédiaires tels que le taux de cholestérol total, les pressions artérielles systoliques et diastoliques et le BMI, sans démontrer d’effet sur la mortalité totale à 10 ans. L’étude discutée ici confirme ces résultats. On ne peut dès lors pas se prononcer actuellement sur la pertinence de la mise en place, au niveau de la population générale, de l’utilisation d’une check-list de contrôle de santé ni d’un dépistage systématique des facteurs de risque de la cardiopathie ischémique suivi par des séances d’éducation à la santé systématiques et organisées chez des patients à risque cardiovasculaire majoré.

 

 

Références

  1. World Health Organization. The European Health Report 2009. Health and health systems.
  2. Hjermann I, Holme I, Leren P. Oslo Study Diet and Antismoking Trial. Results after 102 months. Am J Med 1986;80:7-11.
  3. De Laet C, Neyt M, Van Brabandt H, Ramaekers D. Rapid Assessment: Prévention cardiovasculaire primaire dans la pratique du médecin généraliste en Belgique. Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles: Centre fédéral d'expertise des soins de santé (KCE); 2007. KCE reports 52 B (D/2007/10.273/04).
  4. Stead LF, Buitrago D, Preciado N, et al. Physician advice for smoking cessation. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 5.
  5. LeFevre ML; U.S. Preventive Services Task Force. Behavioral counseling to promote a healthful diet and physical activity for cardiovascular disease prevention in adults with cardiovascular risk factors: U.S. preventive services task force recommendation statement. Ann Intern Med 2014;161:587-93.
  6. Krogsbøll LT, Jørgensen KJ, Grønhøj Larsen C, Gøtzsche PC. General health checks in adults for reducing morbidity and mortality from disease. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 10.
  7. Baeten R. Bilans de santé préventifs : un bénéfice pour la santé ? MinervaF 2014(13);2:15.
  8. Gøtzsche PC, Jørgensen KJ, Krogsbøll LT. General health checks don’t work. BMJ 2014;348:g3680.
  9. Si S, Moss JR, Sullivan TR, et al. Effectiveness of general practice-based health checks: a systematic review and meta-analysis. Br J Gen Pract 2014;64:e47-e53.

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Auteurs

Crismer A.
Département Universitaire de Médecine Générale, Université de Liège
COI :

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