Revue d'Evidence-Based Medicine



Biais de non respect de l’insu



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 3 Page 38 - 38

Professions de santé


 

 

Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone


 

Une recherche expérimentale est dite en aveugle (en insu) si les personnes qui reçoivent le traitement et les chercheurs qui l’administrent ou le prescrivent ignorent les traitements réellement administrés (traitement à évaluer ou traitement de comparaison (contrôle)).

Dans une étude en simple aveugle (Eng: single blind) les chercheurs ou thérapeutes savent quel est le contenu du traitement administré mais non les patients ou les participants qui eux l’ignorent.

Une étude est dite en double aveugle (Eng: double blind) si tant les sujets inclus que les chercheurs ou thérapeutes ignorent le contenu exact du traitement administré.

Une évaluation en insu des résultats signifie que les résultats sont classés et analysés par des personnes qui ne savent pas à quel groupe les patients appartiennent ; ce type d’évaluation peut être réalisé avec ou sans double aveugle.

Une étude est dite en triple aveugle quand ni les patients, ni les chercheurs, ni les personnes qui analysent les résultats ne sont au courant du traitement réellement administré.

 

Quelle peut être l’importance du respect ou du non respect de ces différents stades d’insu ?

 

Dans la méta-analyse de Simpson et coll (1), que nous avons analysée dans Minerva (2), concernant l’intérêt des corticostéroïdes en cas de perte auditive liée à une otite séro-muqueuse (OME), une des études incluses (3) pose un problème important concernant l’absence d’insu. Son protocole est en effet en ouvert pour les 76 enfants avec OME inclus, âgés de 10 mois à 7,9 ans. Ils reçoivent de la prednisolone 1 mg/kg/j (n = 18) versus absence de traitement (n= 19), prednisone plus trimethoprim-sulfamethoxazole (n = 20) ou ibuprofène (n = 15). Les auteurs de l’étude originale justifient l’absence d’aveugle par le fait que les protocoles d’administration des différents traitements sont différents, argument non recevable en soi, des placebos étant possibles. Ils indiquent qu’en outre le critère de jugement est établi sur base objective (audiométrie) par des évaluateurs non au courant en fin d’étude (12 mois) du traitement réellement reçu. Pour les évaluations à 2 et 4 semaines nous ne savons cependant pas si l’évaluation est faite en insu.

L’absence de respect de l’insu aux trois niveaux (chercheurs, patients, évaluateurs) représente un risque de biais

 

Une absence d’insu des chercheurs, des patients et/ou des évaluateurs entraîne un risque de biais de performance et d’un biais de détection (4,5).

L’absence d’insu pour les patients peut influencer leur réponse au traitement administré. En sachant que le traitement qu’ils reçoivent est un nouveau médicament à évaluer, les patients peuvent avoir un a priori plus favorable et ainsi une meilleure réponse thérapeutique surtout pour des critères beaucoup plus subjectifs (la douleur par exemple).

D’autres patients pourraient être, au contraire, davantage anxieux avec ce traitement moins bien connu qu’un comparateur actif éprouvé.

Les patients attribués à un groupe avec traitement de contrôle peuvent se sentir ou bien lésés (traitement plus ancien, identifié comme peu actif par eux-mêmes) ou, au contraire dans d’autres situations, rassurés de prendre un traitement beaucoup mieux connu.

Une procédure en insu avec un comparateur placebo pour le patient permet d’identifier la part d’effet placebo du traitement à évaluer.

 

Dans une RCT en protocole ouvert, donc avec absence de double aveugle (6), 256 patients âgés de 26 à 86 ans souffrant de douleurs chroniques non cancéreuses traitées par opiacés reçoivent en permutation, donc successivement, soit du fentanyl transdermique (= nouveau traitement pour eux) soit de la morphine orale à libération retardée : 65% des patients déclarent préférer le fentanyl transdermique, 28% la morphine orale et 7% n’ont pas de préférence. Le contrôle de la douleur est bon ou très bon chez 35% des patients sous fentanyl et chez 23% des patients sous morphine, soit une différence statistiquement significative (p = 0,002).

Dans une RCT en double aveugle (7), 95 patients souffrant d’une douleur cancéreuse traitée avant randomisation par une dose de morphine orale comprise entre 60 et 300 mg par jour, reçoivent après titration durant 9 jours, soit du fentanyl soit un placebo. Aucune différence statistiquement significative n’est observée entre les 2 traitements en termes de soulagement de la douleur : 66% sous fentanyl, 48% sous placebo, p = 0,071 pour la différence.

 

L’insu appliqué aux patients et aux soignants évite le risque d’un biais de performance (de réalisation). Ce biais consiste à ajouter d’autres traitements de manière préférentielle dans un bras d’étude, risque plus important si l’étude n’est pas en double aveugle.

L’évaluation du succès de l’aveugle par un questionnaire demandant aux patients (et/ou aux chercheurs) quel traitement ils pensent avoir reçu (ou donné) peut être une indication mais son interprétation doit rester prudente. Si un traitement est particulièrement actif versus placebo, l’estimation d’avoir reçu le traitement actif peut donner un chiffre supérieur à celui du hasard (5).

Quand une étude ne peut être réalisée en double insu pour des raisons pratiques ou économiques invoquées par les auteurs, une analyse/évaluation des résultats en insu peut atténuer le risque de biais. Si par contre les évaluateurs ont connaissance de l’attribution des patients lors de l’analyse des résultats, cette connaissance peut influencer la procédure d’analyse, ce qui constitue un risque de biais de détection (ou biais lié à l’observateur, biais d’attestation ou d’évaluation).

Sur la base de 38 synthèses méthodiques de la Cochrane (en 2003) et 32 autres synthèses glanées sur PubMed (en 2002), Pildal et coll (8) ont estimé que l’absence d’insu dans les RCTs entraînait une surestimation de l’effet de l’intervention d’environ 9% en moyenne (ROR 0,91 ; IC à 95% de 0,83 à 1,00).

 

Références

  1. Simpson SA, Lewis R, van der Voort J, Butler CC. Oral or topical nasal steroids for hearing loss associated with otitis media with effusion in children. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 5.
  2. Chevalier P. Corticostéroïdes pour la perte auditive liée à une OME ? Minerva online 28/02/2012.
  3. Giebink GS, Batalden PB, Le CT, et al. A controlled trial comparing three treatments for chronic otitis media with effusion. Ped Inf Dis J 1990;9:33–40.
  4. Altman DG, Schulz KF, Moher D, et al; CONSORT GROUP (Consolidated Standards of Reporting Trials). The revised CONSORT statement for reporting randomized trials: explanation and elaboration. Ann Int Med 2001;134:663-74.
  5. Higgins JPT, Green S (editors). Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions Version 5.0.2 [updated September 2009]. The Cochrane Collaboration, 2009. available from http://www.cochrane.org/resources/handbook/
  6. Allan L, Hays H, Jensen NH, et al. Randomised crossover trial of transdermal fentanyl and sustained release oral morphine for treating chronic non-cancer pain. BMJ 2001;322:1154-8.
  7. Konghsgaard U, Poulain P. Transdermal fentanyl for pain control in adults with chronic cancer pain. EurJ Pain 1998;2:53-62.
  8. Pildal J, Hróbjartsson A, Jørgensen KJ, et al. Impact of allocation concealment on conclusions drawn from meta-analyses of randomized trials. Int J Epidemiol 2007;36:847-57.
Biais de non respect de l’insu



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