Revue d'Evidence-Based Medicine



Le dépistage des maladies sauve-t-il des vies chez les adultes asymptomatiques ?



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 7 Page 79 - 80

Professions de santé


Analyse de
Saquib N, Saquib J, Ioannidis JP. Does screening for disease save lives in asymptomatic adults? Systematic review of meta-analyses and randomized trials. Int J Epidemiol 2015;44:264-77.


Question clinique
Le dépistage des maladies avec issue fatale chez les patients asymptomatiques diminue-t-il la mortalité spécifique et globale ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique, malgré ses limites méthodologiques, montre une réduction de la mortalité spécifique pour les maladies avec issue fatale grâce à certains tests de dépistage actuellement disponibles. Une réduction de la mortalité globale est cependant très rare ou inexistante. Cette synthèse confirme ce qui a déjà été discuté par ailleurs et n’apporte pas d’éléments nouveaux. Elle contribue à souligner l’importance d’évaluer la balance bénéfices/risques avant de proposer un nouveau test de dépistage et à exiger son évaluation continue dans l’intérêt des patients.


Contexte

De nombreux dépistages de maladies avec issue fatale chez des patients asymptomatiques sont proposés dans le but de diminuer la morbidité et/ou la mortalité. L’affirmation de l’intérêt du dépistage repose sur le postulat qu’il vaut mieux prévenir que guérir et que de nombreuses économies seront ainsi réalisées. Ces démarches suscitent cependant des polémiques telles que celle du PSA et de la mammographie, encore illustrées récemment dans Minerva (1-5). Cette synthèse méthodique tente de faire le point de l’intérêt du dépistage de maladies graves dont l’issue est le plus souvent fatale.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

Sources consultées

  • recherche bibliographique dans 3 sources jusque janvier 2014 :
    • USPSTF : identification des RCTs disponibles avec analyse des recommandations et des niveaux de preuves
    • Cochrane Database of Systematic Reviews et PubMed : méta-analyses ; si existence de plusieurs méta-analyses pour un même test, sélection de la plus complète
    • PubMed : sélection des RCTs non incluses dans les méta-analyses
  • limitation des sélections à la langue anglaise.

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : études évaluant des tests de dépistage chez des adultes asymptomatiques de maladies où la mortalité est une issue habituelle (cancers, maladies cardiovasculaires, diabète, BPCO) ; qui ont été évalués par l’United States Preventive Services Task Force (USPSTF) ; et uniquement celles qui comparaient groupes dépistés versus groupes contrôles non dépistés
  • critères d’exclusion : tests de dépistage de maladies dont l’issue n’est habituellement pas fatale ainsi que des problèmes suivants : infections, maladies mentales, toxicomanies, autres troubles métaboliques, nutritionnels, endocriniens, musculaires, auditifs et oculaires, blessures et violences ; études qui n’étaient pas des études contrôlées randomisées (RCT) et qui ne comparaient pas la mortalité entre groupes dépistés et groupes contrôles non dépistés
  • sélection de 8 méta-analyses pour 8 dépistages concernant 6 maladies ; les auteurs ont réalisé eux-mêmes une méta-analyse quand aucune méta-analyse n’était déjà réalisée mais que les études étaient disponibles (dépistage du cancer du poumon par CT scan)
  • sélection finale de 48 RCTs.

Population étudiée

  • adultes asymptomatiques ; exclusion des femmes enceintes et des enfants. 

Mesure des résultats

  • pour chaque test de dépistage versus contrôle non dépistés :
    • réduction du risque relatif de la mortalité spécifique (avec IC à 95%)
    • réduction du risque relatif de la mortalité globale (avec IC à 95%).

Résultats

  • évaluation par la USPSTF : identification de 19 maladies (39 tests) évaluées par USPSTF ; 12 dépistages recommandés par USPSTF relatifs à 6 maladies: sur base de RCTs, une preuve d’un effet sur la mortalité spécifique existait pour 11 tests de dépistage concernant 5 maladies (cancers du côlon, du sein, et du col utérin ; diabète de type 2  et anévrisme de l’aorte abdominale)
  • aucune méta-analyse ne démontre l’effet d’un dépistage sur la mortalité globale (voir tableau)
  • résultats mis en évidence dans les RCTs :
    • une réduction significative du risque relatif de mortalité spécifique a été observée dans 16 (30%) RCTs étudiant 9 tests concernant 6 maladies ; l’estimation de cette réduction variait de 13% à 73% selon les tests
    • une réduction significative du risque relatif de mortalité globale a été observée dans 4 (11%) RCTs pour 3 tests concernant 3 maladies ; l’estimation de cette réduction variait de 3% à 13% selon les tests.

 

Tableau. Résultats des méta-analyses sur la mortalité spécifique et globale.

Test de dépistage

Réduction de mortalité spécifique

Réduction de mortalité globale

 

Nb RCTs

Risque relatif

(IC à 95%)

Nb RCTs

Risque relatif

(IC à 95%)

Ultrasons chez l’homme pour anévrisme aorte abdominale

3

0,55 (0,35 - 0,86)

4

0,98 (0,98 - 1,00)

Mammographie pour cancer du sein

4

0,75 (0,67 - 0,83)

5

0,99 (0,97 - 1,01)

Sang occulte pour cancer du colon

4

0,84 (0,78 - 0,90)

4

1,0 (0,99 - 1,01)

Sigmoïdoscopie flexible pour cancer du colon

5

0,71 (0,61 - 0,81)

3

0,99 (0,91 - 1,07)

CT scan pour cancer du poumon

3

1,23 (0,81 - 1,87)

3

1,34 (0,93 - 1,93)

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que parmi les tests de dépistage actuellement disponibles pour les maladies avec issue fatale, la réduction de la mortalité spécifique est inhabituelle et la réduction de la mortalité globale est très rare ou inexistante. Les attentes de bénéfice majeur en termes de diminution de la mortalité suite à un dépistage devraient être prudemment tempérées.

Financement de l’étude

Non précisé.

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

Discussion

Considération méthodologiques

Cette étude était très ambitieuse au niveau du champ couvert et un peu hétéroclite dans sa méthodologie. Les auteurs détaillent bien la question de recherche, les limites de leur recherche (le type de maladies, 3 bases de données, méta-analyses et RCTs), les critères d’inclusion et d’exclusion, même si certaines informations sont présentées de façon disparate. La recherche et la sélection des études ont été réalisées par deux auteurs et les désaccords ont été résolus avec l’aide d’un troisième auteur. Les auteurs sont stricts dans leurs conclusions au vu des résultats observés. La principale information manquante est la source de financement de l’étude.

Mise en perspective des résultats

Les auteurs ont choisi, pour chaque test, la méta-analyse la plus complète, mais sans analyse systématique de la qualité des analyses disponibles. Ils ont réalisé une méta-analyse des RCTs sur le dépistage du cancer du poumon par CT scan, mais cette méta-analyse est présentée en trois phrases qui ne permettent pas d’en évaluer la qualité.

On peut questionner le choix d’analyser les RCTs de façon individuelle alors qu’elles avaient déjà été intégrées dans des méta-analyses sélectionnées (38/48) et d’autant plus qu’il n’y a pas eu d’analyse systématique de la qualité de celles-ci.

Manque de preuves n’est pas preuve de manque, particulièrement pour la diminution de la mortalité globale. L’exemple typique est le dépistage de la pression artérielle, pour laquelle les auteurs n’ont trouvé aucune RCT démontrant un effet sur la mortalité. Il ne serait sans doute pas défendable au niveau éthique de réaliser une RCT sur le dépistage de l’hypertension artérielle, qui fut, dans l’histoire de la médecine moderne, le premier élément de santé pour lequel un médicament a été prescrit à grande échelle à titre préventif.

Les auteurs ont fait le choix de critères de jugement forts et ont étudié les effets du dépistage sur la mortalité spécifique (indicateur plus sujet à biais) et globale (indicateur plus difficile à démontrer, même pour des maladies à incidence élevée de décès). D’autres éléments pourraient être pris en compte : par exemple les effets potentiellement positifs sur la qualité de la vie (qui peuvent être plus importants que la survie, comme la vision chez les diabétiques), mais aussi, a contrario, les effets indésirables induits par ces dépistages.

Le principe du dépistage chez les sujets asymptomatiques peut paraître séduisant au niveau santé publique. Les bénéfices tendent à être surestimés par la population (1,6). Mais tous les dépistages ont des effets indésirables et ceux-ci peuvent être plus fréquents que les bénéfices. Ainsi, dans une synthèse de la Cochrane Collaboration (1), les auteurs concluaient qu’en dépistant 2000 femmes par mammographie pendant 10 ans, on éviterait un décès, mais au prix de 10 interventions inutiles et d’un stress important chez 200 patientes à cause d’un résultat faussement positif, problématique déjà discutée dans Minerva (7,8). Ils ajoutaient : « nous croyons que le temps est venu de réévaluer pour chaque groupe d’âge si le dépistage universel par mammographie doit être recommandé », tandis que Minerva posait la question de l’avenir du programme actuel de dépistage du cancer du sein (9). Dans les études sur le dépistage de l’anévrisme de l’aorte abdominale, où on a pu démontrer une diminution de mortalité spécifique, on avait sélectionné une population précise : les hommes de 65 à 74 ans jugés en bonne forme par leur médecin traitant (10) mais la discussion dans Minerva expliquait pourquoi un dépistage systématique de tous les hommes de cette tranche d’âge n’est cependant pas à recommander (11).

Un certain nombre de ces dépistages pourraient peut-être gagner en efficience s’ils étaient appliqués à des populations sélectionnées en fonction de leur plus haut risque, mais encore faudra-t-il le démonter, la balance bénéfices/risques de ces dépistages étant plus ou moins discutable selon les tests. Plusieurs tests ont déjà été discutés par Minerva (2-5,9,12,13).

Enfin, un point qui fait de plus en plus consensus est l’importance d’impliquer le patient dans la décision. Ainsi, le KCE a développé un outil d’aide à la décision pour le patient qui fait la demande d’un dépistage du cancer de la prostate (14).

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique, malgré ses limites méthodologiques, montre une réduction de la mortalité spécifique pour les maladies avec issue fatale grâce à certains tests de dépistage actuellement disponibles. Une réduction de la mortalité globale est cependant très rare ou inexistante. Cette synthèse confirme ce qui a déjà été discuté par ailleurs et n’apporte pas d’éléments nouveaux. Elle contribue à souligner l’importance d’évaluer la balance bénéfices/risques avant de proposer un nouveau test de dépistage et à exiger son évaluation continue dans l’intérêt des patients.

 

Pour la pratique

Un nombre limité de dépistages sont actuellement recommandés chez les adultes asymptomatiques. Des polémiques persistent pour de nombreux tests quant à la balance entre les avantages et les inconvénients. On peut proposer les tests pour lesquels une méta-analyse (ou à défaut, une RCT) a montré des effets significatifs sur la mortalité spécifique, mais ces effets sont modérés et doivent être mis en balance avec les effets négatifs. Il est important d’en informer correctement et complètement les patients et de les impliquer dans le choix de réaliser ou pas ces tests.

 

Références 

  1. Gøtzsche PC, Jørgensen KJ. Screening for breast cancer with mammography. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 6.
  2. Lemiengre M. Incertitude croissante quant à l’utilité du dépistage du cancer du sein. Minerva online 15/07/2014.
  3. Miller AB, Wall C, Baines CJ, et al. Twenty five year follow-up for breast cancer incidence and mortality of the Canadian National Breast Screening Study: randomised screening trial. BMJ 2014;348:g366.
  4. Van de Broeck T, Laurent M, Joniau S. L’effet du dépistage du cancer de la prostate, dépend-il du taux du PSA à l’âge de 60 ans? MinervaF 2014;13(10):123-4.
  5. Carlsson S, Assel M, Sjoberg D, et al. Influence of blood prostate specific antigen levels at age 60 on benefits and harms of prostate cancer screening: population based cohort study. BMJ 2014;348:g2296.
  6. Domenighetti G, D’Avanzo B, Egger M, et al. Women’s perception of the benefits of mammography screening: population-based survey in four countries. Int J Epidemiol 2003;32:816-21.
  7. Henrard G. A quel point les résultats « faux positifs » aux mammographies de dépistage sont-ils anxiogènes ? MinervaF 2015;14(1):4-5.
  8. Tosteson AN, Fryback DG, Hammond CS, et al. Consequences of false-positive screening mammograms. JAMA Intern Med 2014;174:954-61.
  9. Poelman T. Le programme actuel de dépistage du cancer du sein a-t-il encore un avenir ? [Editorial] MinervaF 2014;13(6):66.
  10. Lindholt JS, Sorensen J, Sogaard R, Henneberg EW. Long-term benefit and cost-effectiveness analysis of screening for abdominal aortic aneurysms from a randomized controlled trial. Br J Surg 2010;97:826-34.
  11. Chevalier P. Bénéfice à long terme du dépistage de l’anévrisme aortique abdominal. Minerva online 28/02/2011.
  12. Crismer A. Effet du dépistage et de l'éducation à la santé sur l'incidence de la cardiopathie ischémique au niveau d’une population générale. MinervaF 2015;14(1):10-1.
  13. Jørgensen T, Jacobsen RK, Toft U, et al. Effect of screening and lifestyle counselling on incidence of ischaemic heart disease in general population: Inter99 randomised trial. BMJ 2014;348:g3617.
  14. Mambourg F, Kohn L, Robays J, et al. Un outil d’aide à la décision en cas de demande d’un dépistage du cancer de la prostate par PSA – Synthèse. Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2014. KCE Reports 224Bs. D/2014/10.273/43.

Auteurs

Crismer A.
Département Universitaire de Médecine Générale, Université de Liège
COI :

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