Revue d'Evidence-Based Medicine



Intervention à composantes multiples en cas de risque de démence chez la personne âgée ?



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 8 Page 100 - 101

Professions de santé


Analyse de
Ngandu T, Lehtisalo J, Solomon A, et al. A 2 year multidomain intervention of diet, exercise, cognitive training, and vascular risk monitoring versus control to prevent cognitive decline in at-risk elderly people (FINGER): a randomised controlled trial. Lancet 2015;385:2255–63.


Question clinique
Chez les personnes âgées présentant un risque de démence, quelle est l’efficacité sur la régression des fonctions cognitives après 2 ans d’une intervention à composantes multiples au niveau de l’alimentation, de l’exercice physique, de l’entraînement des fonctions cognitives et de la surveillance des facteurs de risque vasculaire, versus uniquement des conseils de santé généraux ?


Conclusion
Cette RCT, menée correctement d’un point de vue méthodologique, montre que, chez les personnes âgées qui présentent un risque accru de démence, une intervention à composantes multiples concernant l’alimentation, l’exercice physique, l’entraînement des fonctions cognitives et la surveillance des facteurs de risque cardiovasculaire améliore les fonctions cognitives après 2 ans, à l’échelle de la population, versus uniquement des conseils de santé généraux.


Contexte

Des études d’observation montrent une relation entre l’apparition de troubles cognitifs et des facteurs de risque cardiovasculaires ou liés au mode de vie qui peuvent être influencés. Selon les estimations, un tiers de tous les cas de maladie d’Alzheimer, à l’échelle mondiale, seraient ainsi liés à des facteurs modifiables (1). Les études portant sur des stratégies préventives simples ne montrent généralement aucun effet (2). Un effet positif sur les fonctions cognitives n’a été observé qu’avec l’entraînement cognitif et/ou avec l’activité physique dans de petites études de courte durée (3,4). Un meilleur effet préventif pourrait donc être obtenu grâce à une approche à composantes multiples accordant de l’attention à plusieurs mécanismes pathologiques et à plusieurs facteurs de risque.

 

Résumé

Population étudiée

  • 1260 personnes : âge moyen de 69,3 ans (ET 4,7 ans), 46% de femmes, score de risque de démence CAIDE* ≥ 6 et au moins un des critères CERAD** suivants : score MMSE*** de 20 à 26 points sur 30, mémorisation de ≤ 19 mots de 3 listes de 10 mots répétés avec le participant ;  mémorisation de ≤ 75% d’une liste de mots répétées 3 fois ; personnes recrutées dans une précédente étude de population dans 6 villes de Finlande
  • critères d’exclusion : score MMSE < 20 ; suspicion de démence ; affection entravant la participation (en toute sécurité) à l’intervention (comme une pathologie maligne, ou autre).

 

* Score de risque de démence CAIDE
Le score de risque de démence CAIDE (Cardiovascular Risk Factors, Aging and Dementia) est une estimation, chez des personnes d’âge moyen, du risque de développement d’une démence au moyen de différents facteurs de risque (âge, sexe, niveau de formation, pression artérielle systolique, BMI, cholestérol total, activité physique). Le score varie de 0 à 15 points.
** Critères CERAD
Le CERAD (Consortium to Establish a Registry for Alzheimer’s disease) a développé différents instruments basés sur des tests neuropsychologiques pour établir le diagnostic clinique de démence d’Alzheimer.
*** MMSE : Mini-Mental State Examination (ou test de Folstein)
Test d'évaluation des fonctions cognitives et de la capacité mnésique d'une personne. Le mini mental test est employé à visée d'orientation diagnostique devant une suspicion de démence. Il est notamment employé dans le cadre d'un dépistage de la démence de type Alzheimer. Le test comprend 30 questions réparties en 6 catégories : orientation, apprentissage et retranscription, attention et calcul, capacité mnésique, langage et identification, praxie constructive. Un score (qui peut être pondéré) inférieur ou égal à 24 points permet d'évoquer un état de conscience altéré et d'orienter vers le diagnostic de la démence.

 

 

Protocole de l’étude

  • RCT multicentrique, menée en double aveugle, avec un groupe témoin (n=629) et un groupe intervention (n=631)
  • immédiatement après la randomisation, tous les participants ont reçu, verbalement et par écrit, des conseils sur une alimentation saine, les activités physiques, cognitives et sociales qui sont favorables sur le plan des facteurs de risque cardiovasculaire et pour la prévention des maladies. Mesures régulières par une infirmière de la tension artérielle, du poids, du BMI  du tour de hanches et du tour de taille. Un examen clinique a été effectué par un médecin, et des analyses de laboratoire ont été réalisées, suivies d’une information écrite sur la pertinence clinique des résultats et, au besoin, la recommandation de contacter le médecin généraliste
  • le groupe intervention (n=631) a en outre bénéficié de 4 interventions supplémentaires (individuelles et en groupe) au niveau de l’alimentation, des exercices physiques (programme individuel sous la conduite d’un kinésithérapeute), des exercices cognitifs (séances individuelles d’exercices à l’ordinateur et séances en groupe sous la conduite d’un psychologue), et des contacts supplémentaires avec une infirmière et un médecin.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : différence entre les 2 groupes quant à la modification du score NTB total (exprimé sous forme de score z) 
  • critères de jugement secondaires : différence entre les 2 groupes quant à la modification de certains aspects du score NTB (fonctions d’exécution, vitesse de traitement des informations et mémoire), facteurs vasculaires et de mode de vie, symptômes de dépression et capacités fonctionnelles physiques 
  • analyse en intention de traiter modifiée pour le critère de jugement primaire (nécessité d’au moins 1 mesure après la randomisation).

Résultats

  • proportion de sorties d’étude : 14% dans le groupe intervention versus 11% dans le groupe témoin après 2 ans de suivi, sans différence statistiquement significative
  • variation moyenne estimée du score z du score NTB total après 2 ans : 0,20 (ET 0,51) dans le groupe intervention et 0,16 (ET 0,51) dans le groupe témoin ; la différence moyenne entre les 2 groupes du score NTB total par an était statistiquement significative, à savoir 0,022 (avec IC à 95% de 0,002 à 0,042 ; p = 0,03)
  • critères de jugement secondaires : différence statistiquement significative quant aux fonctions d’exécution, à la vitesse de traitement des informations, à la diminution du BMI, aux habitudes alimentaires et à l’activité physique.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les résultats de cette vaste RCT menée sur le long terme suggèrent qu’une intervention à composantes multiples pourrait améliorer ou préserver les fonctions cognitives des personnes âgées à risque accru de démence, de la population générale.

Financement de l’étude

Academy of Finland, La Carita Foundation, Alzheimer Association, Alzheimer’s Research and Prevention Foundation, Juho Vainio Foundation, Novo Nordisk Foundation, Finnish Social Insurance Institution, Ministry of Education and Culture, Salama bint Hamdan Al Nahyan Foundation, Axa Research Fund, EVO funding for University Hospitals of Kuopio, Oulu, and Turku and for Seinäjoki Central Hospital and Oulu City Hospital, Swedish Research Council, Swedish Research Council for Health, Working Life and Welfare, af Jochnick Foundation.

  

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs ne mentionnent aucune intervention.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT a été correctement menée d’un point de vue méthodologique. Le recrutement, les critères d’inclusion et d’exclusion ainsi que les interventions  ont été décrits avec précision. L’intervention n’a pu être réalisée en aveugle, mais l’évaluation de l’effet a été effectuée en aveugle. Les sorties d’étude après 2 ans étaient limitées et ne différaient pas de manière statistiquement significative entre les 2 groupes. Conformément aux recommandations, les auteurs ont utilisé comme critère de jugement primaire une liste composite de tests cognitifs (5). Le score total de cette liste a été correctement exprimé sous forme de score z (6). Les auteurs ont analysé le critère de jugement primaire au moyen d’une analyse en intention de traiter modifiée (7). Une analyse en intention de traiter supplémentaire n’a pas donné d’autres résultats.

Interprétation des résultats

L’étude FINGER est la première RCT à grande échelle qui examine l’efficacité d’une intervention à composantes multiples après 2 ans sur le plan de la régression des fonctions cognitives chez des personnes âgées qui présentent un risque accru de démence, dans une population générale. Cette étude montre qu’une intervention conjointe sur l’alimentation, l’exercice physique, l’entraînement cognitif et les facteurs de risque cardiovasculaires peut prévenir la régression des fonctions cognitives. Ce qui est important, c’est que le but n’est pas de savoir dans quelle proportion chacune des 4 composantes y a contribué.

Au niveau individuel, l’effet de l’intervention n’est toutefois pas cliniquement pertinent (d de Cohen de 0,13 après 2 ans). Il est possible que cela soit dû au fait que le groupe témoin, lui aussi, a bénéficié d’un suivi intensif. Les investigateurs affirment néanmoins que ce résultat peut être pertinent à l’échelon de la population en raison de la prévalence élevée de la démence dans la population générale. Un suivi approfondi est toutefois nécessaire pour repérer l’effet sur l’incidence de la démence (d’Alzheimer). C’est pourquoi les investigateurs de l’étude FINGER prévoient un suivi supplémentaire d’une durée de 7 ans.

Même si, avec ses 4 composantes, l’intervention est très intensive, la proportion de patients sortis de l’étude est peu élevée. Les participants ont même trouvé l’étude peu contraignante et ne leur prenant pas beaucoup de temps. Dans la pratique, cette intervention ne sera cependant réalisable que dans le cadre d’une approche intégrative et pluridisciplinaire en prévention de la démence (d’Alzheimer) chez des personnes âgées à risque. La coordination nécessaire entre les médecins, les infirmières, les kinésithérapeutes, les diététiciens et les psychologues requiert en outre une discussion préalable concernant le financement par les intervenants concernés.

Pour les composantes « exercice physique » et « entraînement cognitif », l’étude a utilisé les guides de pratique clinique internationaux. Pour les composantes « alimentations » et « suivi du risque cardiovasculaire », elle a utilisé les guides de pratique clinique nationaux (finlandais) actualisés. De nouvelles études éventuelles dans d’autres pays peuvent s’appuyer sur ce modèle à composantes multiples, mais elles devront l’adapter aux guides de pratique clinique nationaux existants. Une recherche complémentaire devra aussi préciser si des composantes supplémentaires doivent être ajoutées à ce modèle, comme la gestion du stress, dont on sait, preuves à l’appui, qu’une accumulation affecte les fonctions cognitives à un âge plus avancé (8).

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT, menée correctement d’un point de vue méthodologique, montre que, chez les personnes âgées qui présentent un risque accru de démence, une intervention à composantes multiples concernant l’alimentation, l’exercice physique, l’entraînement des fonctions cognitives et la surveillance des facteurs de risque cardiovasculaire améliore les fonctions cognitives après 2 ans, à l’échelle de la population, versus uniquement des conseils de santé généraux.

 

Pour la pratique

Les guides de pratique clinique actuels ne traitent pas de la prévention de la démence (d’Alzheimer) (9,10). D’après les résultats de cette étude, envisager conjointement les composantes « alimentation », « exercice physique », « entraînement cognitif » et « surveillance des facteurs de risque cardiovasculaire » serait une stratégie indiquée pour limiter la régression des fonctions cognitives chez les personnes âgées qui présentent un risque accru de démence. Pour la pratique clinique, il est donc utile d’encourager ce groupe cible de personnes âgées à adopter un mode de vie sain, non seulement pour leurs capacités physiques, mais aussi pour leurs fonctions cognitives.

 

Références  

  1. Norton S, Matthews FE, Barnes DE, et al. Potential for primary prevention of Alzheimer’s disease: an analysis of population-based data. Lancet Neurol 2014;13:788–94.
  2. Williams J, Plassman B, Burke J, et al. Preventing Alzheimer’s disease and cognitive decline. Evidence Rep Technol Assess 2010;193:1-727.
  3. Roig M, Nordbrandt S, Geertsen SS, Nielsen JB. The effects of cardiovascular exercise on human memory: a review with meta-analysis. Neurosci Biobehav Rev 2013;37:1645–66.
  4. Lampit A, Hallock H, Valenzuela M. Computerized cognitive training in cognitively healthy older adults: a systematic review and meta-analysis of effect modifiers. PLoS Med 2014;11:e1001756.
  5. Vellas B, Andrieu S, Sampaio C, et al. Endpoints for trials in Alzheimer’s disease: a European task force consensus. Lancet Neurol 2008;7:436–50.
  6. Poelman T. Pourquoi exprimer les variables continues sous forme de scores z ? MinervaF 2015;14(8):102.
  7. Chevalier P. Analyse en intention de traiter modifiée. MinervaF 2011;10(2):25.
  8. Marshall AC, Cooper NR, Segrave R, Geeraert N. The effects of long-term stress exposure on aging cognition: a behavioral and EEG investigation. Neurobiol Aging 2015;36:2136-44.
  9. Moll van Charante E, Perry M, Vernooij-Dassen MJ, et al. NHG-Standaard Dementie (derde herziening). Huisarts Wet 2012;55:306-17.
  10. Maladie d’Alzheimer. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 25.11.2010.

 

 


Auteurs

Vermeulen B.
Lucas - Centrum voor Zorgonderzoek en Consultancy, KU Leuven
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