Revue d'Evidence-Based Medicine



Réconciliation et revue médicamenteuses : poudre magique ou poil-à-gratter ?



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 9 Page 104 - 104

Professions de santé


 

Nos remerciements à Kris !

En octobre 2015, Kris Soenen, personne centrale au travail interne de Minerva, a pris sa pension.

Les tâches de Kris ont été aussi nombreuses que soigneusement réalisées avec une compétence rare telle que la conception graphique et mise en page de la revue et du glossaire, la gestion du site web, les corrections très attentives des textes à publier, la coécriture d’articles....

Nous saluons ici son professionnalisme, sa rigueur intellectuelle, son intégrité, sa persévérance, sa flexibilité, son humanité et sa chaleur.
Avec d’autres collaborateurs, elle a également contribué au développement de l'Evidence Based Medicine en Belgique.

Nous sommes heureux qu'elle ait accepté de continuer à mettre son expertise au service de Minerva, dans un autre rôle.

La rédaction Minerva

 

 

Les soins de santé évoluant, de nouveaux défis apparaissent. Si les durées de séjour en hôpital se sont écourtées, la communication autour des médicaments du patient à sa sortie comme à son admission se doit d’être plus rapide, plus efficace. En maison de repos et de soins, la prescription (pas toujours adéquate) et la distribution (pas toujours économe) de médicaments méritent d’être optimalisées. A domicile, nos seniors vivent plus vieux, mais aussi plus polymédiqués, ce qui demande une attention accrue quant à leur traitement médicamenteux. Les patients soumis à des médications chroniques sont interpellés par les soignants qui cherchent à leur attribuer un rôle actif dans leur propre suivi, y compris leur prise en charge médicamenteuse et/ou adaptation des posologies en fonction des besoins de santé. Il est donc essentiel de prendre en compte le caractère intrinsèquement dynamique du traitement médicamenteux d’un patient.

A ces défis, la réconciliation et la revue médicamenteuses semblent pouvoir apporter une forme de réponse. La réconciliation est le processus de vérification, de clarification, de comparaison et aptation et de transfer. Elle vise à obtenir une liste complète et précise des médicaments pris actuellement par le patient et à comparer cette liste avec les médicaments prescrits à chaque transition de lieu de soins afin d’identifier et de rectifier pro-activement toute divergence. La revue est un processus d’évaluation du traitement médicamenteux afin d’optimaliser sa balance risques/bénéfices en détectant, résolvant et prévenant les problèmes liés aux médicaments - c’est une partie essentielle du soin pharmaceutique.

Dans son plan High 5s (1), l’OMS souligne l’importance de disposer de données fiables, exactes, lorsqu’un patient passe d’un lieu de soins à un autre. Le KCE (2) s’est lui penché sur la continuité des soins lors de transitions hôpital/domicile. De son côté, NICE (3) recommande la réconciliation et la revue médicamenteuses dans les MRS/MR. Les processus d’accréditation des hôpitaux comportent déjà des éléments de réconciliation et/ou de revue et l’accord de gouvernement (4) prévoit d’évaluer un projet-pilote « schéma de médications » et de le mettre en œuvre largement si l’évaluation devait être positive.

Dans le domaine de la sécurité du patient, le monde de l’aviation et ses checklists de sécurité ont servi d’exemple : la « Safe Surgery Check List » s’en est inspirée avec succès. Mais la prévention des catastrophes aériennes, est-elle en tout point comparable à la prévention des erreurs médicales fatales, dont les effets sont parfois mal attribuables ? Et comment évaluer correctement l’impact sur la santé et le rapport coûts/bénéfices d’interventions préventives destinées à réduire des risques d’effets relativement rares (mortalité par erreur médicamenteuse, par exemple) ?

Si de plus en plus de projets de réconciliation et de revue médicamenteuses, à petite ou plus grande échelle, voient le jour ces dernières années, des études prouvant leur avantage en termes de santé restent attendues. Malheureusement, la plupart des études ne mettent pas encore en évidence de réels impacts cliniques, mais se limitent à des critères de jugement intermédiaires. L’étude discutée dans ce numéro tente d’y remédier (5). Par ailleurs, elle a le mérite de regrouper des données issues de lieux de soins différents (hôpital, MRS/MR, ambulatoire). Mais apporte-t-elle à elle seule la preuve tant espérée ?

Nombre de questions doivent encore trouver une réponse afin de déterminer dans quelles conditions ou circonstances la réconciliation et la revue médicamenteuses réalisent le mieux leur plus-value. En ce qui concerne la revue, compte tenu des ressources actuellement disponibles, on pourrait se limiter à ne tracer, que certains médicaments réputés comme plus à risque, ou à ne formuler de recommandations qu’en cas d’effets cliniques potentiellement graves, ou encore à ne se focaliser que sur des avantages budgétaires pour l’assurance maladie ou financiers pour le patient. Pour la réconciliation, on pourrait favoriser un milieu de soins plutôt qu’un autre, par exemple selon que les prestataires de soins y soient mieux formés, ou qu’ils y côtoient le patient plus longtemps.

Même si l’on parvenait à implémenter très largement la réconciliation et la revue médicamenteuses, cela ne garantirait pas en soi de plus-value en termes de santé. L’accord du gouvernement stipule le besoin de lier l’information relative à la revue et la réconciliation médicamenteuses à un enregistrement électronique. Cela permettrait un partage des données de façon rapide, correcte et aisée. Cela présuppose néanmoins un soutien informatique performant aux prestataires, condition absolue sans laquelle toute velléité de réconciliation et de revue des schémas de médication restera lettre morte. Mais des données partagées n’aboutissent pas forcément à un soin de meilleure qualité : encore faut-il qu’une véritable volonté de collaboration interdisciplinaire existe, avec un feedback constructif sur les recommandations formulées et sur la suite qui leur est donnée dans la pratique.

Evaluer l’impact clinique réel de la réconciliation et de la revue médicamenteuses, c’est donc aussi soulever des questions sur l’efficacité des soutiens informatiques, les enjeux de la pluridisciplinarité et des relations entre les diverses lignes de soins et peut-être en arriver à repenser le paysage de soins. En ce sens, la réconciliation et la revue médicamenteuses tiennent plus du poil-à-gratter que de la poudre magique.

 

Références 

  1. http://www.who.int/patientsafety/implementation/solutions/high5s/en/
  2. Spinewine A, Foulon V, Claeys C, et al. Continuité du traitement médicamenteux entre l’hôpital et le domicile. Health Services Research (HSR). Bruxelles: Centre fédéral d’expertise des soins de santé(KCE). 2010. KCE Reports 131B. D/2010/10.273/38.
  3. Managing medicines in care homes. NICE guidelines [SC1] 2014.
  4. Accord de Gouvernement. 9 octobre 2014.
  5. De Monie C, Somers A. Réconciliation et revue du traitement médicamenteux : quel impact clinique ? Minerva online 15/11/2015.

Auteurs

De Monie C.
pharmacienne hospitalière
COI :

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