Revue d'Evidence-Based Medicine



Placebo : efficace dans la toux aiguë du jeune enfant ?



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 9 Page 107 - 108

Professions de santé


Analyse de
Paul IM, Beiler JS, Vallati JR, et al. Placebo effect in the treatment of acute cough in infants and toddlers: a randomized clinical trial. JAMA Pediatr 2014;168:1107-13.


Question clinique
Un placebo est-il plus efficace que l’absence de traitement pour réduire l’intensité et la durée d’une toux aiguë d’un jeune enfant ?


Conclusion
Cette RCT montre que chez un jeune enfant toussant en moyenne depuis 4 jours, la prise d’un placebo le soir semble améliorer, par rapport à l’absence de traitement, la perception qu’ont les parents de la fréquence et de la sévérité de la toux de leur enfant, mais pas leur perception de l’inconfort lié à la toux. Ils jugent également que la toux a moins d’impact sur leur nuit et sur celle de leur enfant. Une étude indépendante serait nécessaire pour le confirmer.


Contexte

L’agence européenne du médicament a proscrit l’usage d’antitussif chez les enfants de moins de 6 ans en raison d’une balance bénéfices-risques négative. Les études réalisées sur la toux de l’enfant portant sur divers médicaments n’ont pas montré d’efficacité supérieure du médicament versus placebo, mais beaucoup montraient une amélioration significative dans la branche placebo. La question se pose donc de la justification de proposer une alternative sous forme de sirop phytothérapeutique ou d’un placebo par rapport à une attitude expectative sans aucune prescription.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 120 enfants recrutés en consultation de pédiatrie générale en ambulatoire, aux E-U, âgés de 2 à 47 mois (âge moyen de 22,9 mois), 50% de filles, et présentant une toux non spécifique de moins de 7 jours (durée moyenne de 4 jours)

  • critères d’exclusion : présence de symptômes suggérant asthme, pneumonie, laryngo-trachéo-bronchite, sinusite, rhinite allergique ; antécédents d’asthme, de maladie pulmonaire chronique, de convulsions ; prise de miel ou de tout autre médicament pour traiter la toux la veille de l’inclusion ou le jour même ; allergie au sirop d’agave et/ou à l’arôme de raisin.

 

Protocole d’étude

  • étude clinique randomisée contrôlée partiellement en double aveugle

  • répartition en 3 groupes recevant soit du sirop d’agave (avec arôme naturel de raisin, n = 39), un placebo (jus de raisin, n = 40) ou pas de traitement (n = 40) ; dosages identiques selon l’âge de l’enfant en une seule administration

  • un sac en papier opaque leur était donné contenant une seringue elle aussi opaque contenant le sirop, le placebo ou pas de traitement

  • instruction donnée aux parents d’ouvrir le sac le soir et d’en administrer le contenu 30 minutes avant le coucher. Les parents ont également reçu des informations sur la prise en charge habituelle : hydratation, spray nasal d’eau salée, prise de paracétamol ou d’ibuprofène (enfant de > 6 mois) en cas de fièvre ; interdiction de donner du miel ou tout autre médicament OTC, ou des boissons caféinées 4 h avant le coucher

  • évaluations selon un questionnaire rempli par les parents pour la nuit précédant l’intervention et au lendemain de l’intervention au moyen de scores subjectifs (échelle de 1 « pas du tout » à 7 « énormément »).

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement : différence moyenne de score entre les 3 groupes pour les modifications sur les échelles de Likert pour la durée de la toux, la fréquence de la toux, la sévérité de la toux, l’inconfort dû à la toux, la sévérité de la congestion nasale et de la rhinorrhée, l’impact sur le sommeil des parents et de l’enfant

  • une différence de 0,5 point est jugée comme cliniquement pertinente.

 

Résultats

  • un patient du groupe sirop d’agave n’a pas pris le traitement et a été exclu de l’analyse

  • pour tous les items : versus groupe sans traitement, les scores sont davantage réduits dans le groupe placebo ainsi que dans le groupe au sirop d’agave, sauf pour l’inconfort dû à la toux ; les différences sont statistiquement significatives ; pour le sirop d’agave versus placebo, aucune différence significative n’est observée

  • tous les items sont significativement améliorés avec le sirop d’agave, le placebo ou le groupe sans traitement, la première nuit vs nuit précédente

  • des effets indésirables sont mentionnés dans le groupe sirop d’agave (n = 5) et dans le groupe placebo (n = 6) ; ils ne sont toutefois pas décrits.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que cette étude montre un effet du placebo pour soulager la toux non spécifique de jeunes enfants, sans bénéfice supplémentaire du sirop d’agave. Les professionnels de la santé devraient considérer les avantages potentiels et les coûts au moment de recommander un traitement avec seulement un effet placebo.

 

Financement de l’étude

Fond du collège de Médecine de Penn par Zarbee’s Inc (producteur du sirop d’agave et d’autres produits « naturels »). La source de financement a eu l’opportunité de revoir le protocole et l’article avant soumission sans pouvoir de contrainte sur les remarques formulées. Le sponsor n’a pas eu d’influence sur le protocole de l’étude, son déroulement, la récolte et l’interprétation des résultats.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

1 auteur a été consultant pour Zarbee’s Inc en 2012 ; les autres auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La population étudiée est représentative de celle qui est vue en médecine générale. La taille de l’échantillon a été calculée pour une puissance de 80% à détecter une différence de 0,5 point entre les groupes d’étude pour une différence de fréquence de la toux entre la première nuit et la fin de la seconde nuit. La puissance n’est donc pas suffisante pour mettre en évidence une petite différence entre les 2 traitements proposés. L’évaluation des symptômes est réalisée en suivant un questionnaire validé. Considérant le critère de jugement évalué, il s’agit de scores subjectifs remplis par les parents. Des études préalables ont montré que l’évaluation que les parents faisaient de la toux de leur enfant n’est pas corrélée à un compte de la fréquence de la toux (1). Il faut donc considérer que les résultats portent sur la perception qu’ont les parents de la toux de leur enfant. Il ne s’agit donc pas d’une évaluation objective du symptôme ni d’une évaluation validée des répercussions sur la qualité de vie de l’enfant. Enfin, si les investigateurs n’avaient pas connaissance du bras d’allocation, les patients inclus dans le bras sans traitement connaissaient leur allocation ce qui n’est pas sans répercussion sur leur perception de l’évolution de la toux, ce qui explique le terme ‘partiellement en double aveugle’. Les investigateurs mentionnent que 77% du groupe sirop d’agave, 47,5% du groupe placebo et 87,5% du groupe sans traitement avait correctement identifié leur groupe d’allocation, sans avoir pris en compte ce fait dans l’analyse de leurs résultats.

 

Interprétation des résultats

Cette étude inclut des jeunes enfants et des nourrissons. Cette étude ne peut être extrapolée à des enfants plus âgés. Chez ces jeunes enfants, le fait, pour les parents, de pouvoir avoir une action sur les symptômes de son enfant peut améliorer le sentiment de contrôle personnel dont l’absence est anxiogène et dont l’absence est un des facteurs qui détermine la décision de consulter (2,3). D’autre part, il n’est pas facile d’évaluer l’influence du contexte et de la qualité de la relation soignant-patient dans la prise en charge.

L’effet des placebos dans les études sur la toux est expliqué par des facteurs aspécifiques (effet du temps), des facteurs physiologiques liés à l’excipient (salivation, production d’endorphine endogène,..) ou au vrai effet placebo (2). Un effet non spécifique, lié à l’hydratation ou effet légèrement sucré du placebo ne peut être exclu. Cette étude ne peut donc assumer de différencier complètement l’effet physiologique de l’effet « placebo ».

La différence observée entre le groupe placebo et le groupe sans traitement est comprise entre 0,7 et 1 point sur une échelle de 7 points. Le traitement est pris le soir et l’évaluation a lieu le lendemain matin. Les parents évaluent donc principalement la toux nocturne. Il s’agit comme évoqué précédemment de la perception qu’ont les parents de la toux de leur enfant.

Il n’y a pas d’information sur la qualité de la communication qui a accompagné la délivrance du sac en papier opaque. Celle-ci peut bien sûr influer sur l’anxiété et la perception des parents lorsqu’ils découvrent qu’il n’y a rien dans le sac. Ceci n’a pas été spécifiquement étudié ici.

 

Autres études

En 2011, une RCT (4) discutée dans Minerva (5) montrait qu’une application unique d’une pommade associant huiles essentielles de camphre, menthol et eucalyptus (Vaporub®) améliorait, versus vaseline blanche, le sommeil de ces enfants et de leurs parents. La pertinence clinique de cet effet était cliniquement incertaine et devait être mise en balance avec des effets indésirables très fréquents (irritation de la peau, sensation de brûlure cutanée, nasale, oculaire). Une méta-analyse publiée en 2014 (6) identifiait une RCT (7) de bonne qualité méthodologique en faveur du miel comparé à l’absence de traitement avec une réduction moyenne de - 1,85 points (avec IC à 95% de - 3,36 à - 0,33) sur une échelle de Likert de 1 à 7 évaluant la fréquence de la toux. 2 études (8,9) de moins bonne qualité allaient dans le même sens.

Plusieurs études (7,10) ont conclu par le passé à la non-supériorité de diverses molécules antitussives versus placebo. Une méta-analyse (11) a mis en évidence dès 2009, sur base de preuve de qualité modérée, une équivalence du miel vs dextrométorphane et une probable supériorité du miel vs absence de traitement. Il manque d’études avec un critère de jugement de toux fiable (score de qualité de vie ou compte objectif) pour valider la supériorité de sirops sucrés ou produits placebos vs absence de traitement dans la toux aiguë des enfants. Les recommandations proposent d’ailleurs l’expectative armée avec une information des parents sur la durée probable de la toux et la survenue d’éventuels signes d’alarme. Aucune étude n’évalue ces recommandations en termes de gain de qualité de vie.

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT montre que chez un jeune enfant toussant en moyenne depuis 4 jours, la prise d’un placebo le soir semble améliorer, par rapport à l’absence de traitement, la perception qu’ont les parents de la fréquence et de la sévérité de la toux de leur enfant, mais pas leur perception de l’inconfort lié à la toux. Ils jugent également que la toux a moins d’impact sur leur nuit et sur celle de leur enfant. Une étude indépendante serait nécessaire pour le confirmer.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique clinique du NHG (12) propose, dans la gestion de la toux aiguë non spécifique chez les enfants, l’expectative armée avec une information des parents sur la durée probable de la toux et la survenue d’éventuels signes d’alarme. Le tabagisme passif doit être découragé. Les antitussifs sont contre-indiqués chez les enfants de moins de 6 ans, et sont à déconseiller chez les enfants âgés de 6 à 12 ans (13). Cette étude invite le praticien à réfléchir à l’opportunité dans certaines circonstances de prescrire un placebo bien que les recommandations classiques en termes de communication et d’information des parents restent bien sûr le point le plus important de cette prise en charge de la toux non spécifique du jeune enfant.

 

 

Références 

  1. Leconte S, Ferrant D, Dory V, Degryse J. Validated methods of cough assessment: a systematic review of the literature. Respiration 2011;81:161-74.

  2. Eccles R. Importance of placebo effect in cough clinical trials. Lung 2010;188Suppl1:S53-S61.

  3. Kai J. What worries parents when their preschool children are acutely ill, and why: a qualitative study. BMJ 1996;313:983-6.

  4. Paul IM, Beiler JS, King TS, et al. Vapor rub, petrolatum, and no treatment for children with nocturnal cough and cold symptoms. Pediatrics 2010;126:1092-9.

  5. Laekeman G. Pommade contre la toux ? MinervaF 2011;10(5):60-1.

  6. Oduwole O, Meremikwu, Oyo-ita A, Udoh EE. Honey for acute cough in children. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 12.

  7. Cohen HA, Rozen J, Kristal H, et al. Effect of honey on nocturnal cough and sleep quality: a double-blind, randomized, placebo-controlled study. Pediatrics 2012;130:465-71.

  8. Shadkam MN, Mozaffari-Khosravi H, Mozayan MR. A comparison of the effect of honey, dextromethorphan, and diphenhydramine on nightly cough and sleep quality in children and their parents. J Altern Complement Med 2010;16:787-93.

  9. Paul IM, Beiler J, McMonagle A, et al. Effect of honey, dextromethorphan, and no treatment on nocturnal cough and sleep quality for coughing children and their parents. Arch Pediatr Adolesc Med 2007;161:1140-6.

  10. Leconte S, Paulus D, Degryse J. Prolonged cough in children: a summary of the Belgian primary care clinical guideline. Prim Care Respir J 2008;17:206-11.

  11. Mulholland S, Chang AB. Honey and lozenges for children with non-specific cough. Cochrane Database Syst Rev 2009, Issue 2.

  12. Acute cough. NHG guideline (summary). Update 2013: revision of the 2011 version.

  13. Médicaments contre la toux et le rhume: balance bénéfices-risques chez l’enfant. Folia Pharmacotherapeutica 2013;40:27.


Auteurs

Leconte S.
Centre Académique de Médecine Générale, Université Catholique de Louvain
COI :

Glossaire

échelle de Likert

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires