Revue d'Evidence-Based Medicine



Antibiothérapie prophylactique en cas de brûlure ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 7 Page 82 - 83

Professions de santé


Analyse de
Barajas-Nava LA, López-Alcalde J, Roqué i Figuls M, et al. Antibiotic prophylaxis for preventing burn wound infection. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 6.


Question clinique
Quel est l’effet d’une prophylaxie par antibiotiques sur la fréquence des infections des plaies par brûlure ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique d’études pour la plupart à haut risque de biais n’apporte pas de preuves de l’intérêt d’un traitement antibiotique en prévention d’une infection d’une brûlure et montre, au contraire, une probable augmentation du risque avec le sulfadiazine d’argent topique.



Contexte

L’infection des brûlures est une complication sérieuse qui en retarde la guérison, nécessite des interventions chirurgicales avec risque de cicatrices résiduelles et peut parfois être mortelle. Parmi les interventions qui visent à prévenir l’infection, divers types de prophylaxies par antibiotiques ont été proposées.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • bases de données : Cochrane Wounds Group Specialised Register, Cochrane Central Register of Controlled Trials, Ovid Medline, Ovid Embase, EBSCO CINAHL (jusqu’en janvier 2013)
  • consultation de listes de référence des articles pertinents
  • pas de restriction de langue, de date, de contexte de l’étude.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : études contrôlées randomisées évaluant l’efficacité et la sécurité d’une prophylaxie par antibiotiques dans la prévention de l’infection des plaies par brûlures ; prise d’antibiotiques per os ou parentéral, par voie respiratoire, décontamination intestinale, antibiotiques topiques
  • critères d’exclusion : études quasi-randomisées ; plaies par brûlures persistantes ; autre prophylaxie
  • inclusion finale de 36 RCTs (antibiotiques topiques (N=26), par voie systémique (N=7), antibiotiques non absorbables (N=2) et par voie respiratoire (N=1)).

Population étudiée

  • 2 117 patients de tout âge avec tout type de brûlure (épiderme, derme, tissus sous-cutanés, vaisseaux, nerfs, tendons, os).

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : mesure objective d’infection de brûlure, infection invasive, mortalité spécifique, effets indésirables du traitement prophylactique
  • critères de jugement secondaires : mesure objective de la guérison de la blessure, résistance à un antibiotique, mortalité globale, durée d’hospitalisation
  • analyse en ITT.

Résultats

  • antibiotique topique (N=26 ; n=1329) :
  • sulfadiazine d’argent versus pansement ou substitut de peau : augmentation des infections des brûlures OR de 1,87 avec IC à 95% de 1,09 à 3,19 et I²=0% ; plus longue durée d’hospitalisation : DM de 2,11 jours avec IC à 95% de 1,93 à 2,28 et I²=36%
  • antibioprophylaxie par voie systémique chez des patients non chirurgicaux (N=3 ; n=119) :
    • pas de preuve de différence d’effet sur le taux d’infections des brûlures
    • triméthoprime-sulfaméthoxazole : réduction des cas de pneumonie (N=1) : RR de 0,18 avec IC à 95% de 0,05 à 0,72) mais pas du sepsis (N=2)
  • prophylaxie antibiotique systémique péri-opératoire (N=4 ; n=390) : pas d’efficacité montrée
  • décontamination sélective du tube digestif avec des antibiotiques non résorbables par voie digestive (N=2 ; n=140) : pas d’efficacité mais augmentation significative du taux de MRSA en cas d’association avec du céfotaxime versus placebo : RR de 2,22 avec IC à 95% de 1,21 à 4,07
  • prophylaxie par antibiotique inhalé versus placebo (N=1; n=30) : pas de preuve d’une différence en termes de décès ou de cas de sepsis 
  • risque d’effets indésirables plus important dans le groupe antibiotique que dans le groupe contrôle dans 1 méta-analyse de 4 études : RR de 3,12 avec IC à 95% de 1,22 à 7,97.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’effet de la prophylaxie par antibiotiques des infections des brûlures sont limitées par le volume et la qualité des études existantes (petit nombre de petites études avec risques de biais importants ou peu clairs pour chaque comparaison). Le plus grand degré de preuve suggère que le sulfadiazine d’argent topique est associé à un risque accru d’infection des brûlures et d’hospitalisation plus longue, comparé à des pansements ou des substituts de peau, mais cette preuve reste peu solide ou est à risque de biais important. Actuellement, les effets des autres formes de prophylaxie par antibiotiques ne sont pas clairs. Une petite étude rapporte une diminution de l’incidence de pneumonie suite à une antibiothérapie spécifique systémique.

Financement

Iberoamerican Cochrane Centre, Université Autonome de Barcelone, l’Agence de Qualité du Système National de Santé. CIBERESP. CONACYT, NIHR/Department of Health (England).

 

Conflits d’intérêt 

Aucun conflit d’intérêt déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude est très méticuleusement décrite, de telle façon qu’on pourrait la reproduire pas à pas, même si parfois les informations sont données en ordre dispersé. La synthèse répond bien aux items de la checklist PRISMA. De façon indépendante, 2 auteurs ont sélectionné les études, avec avis d’un troisième en cas de désaccord, ils ont extrait les données avec contact des auteurs en cas de données non claires ou manquantes. Ils ont analysé de façon systématique et approfondie les risques des différents types de biais selon les critères de la Cochrane Collaboration. L’analyse est faite en intention de traiter. Les auteurs ont évalué l’hétérogénéité des études (test I²), et recherché un biais de publication (funnel plot).

L’étendue de l’étude a nécessité un grand nombre d’indicateurs de résultats : cela constitue une de ses difficultés. Les études ont été groupées en 6 catégories avec parfois dans une catégorie jusqu’à 10 types de résultats relevés !

Les études ont été sélectionnées sur une période allant de 1968 à 2010. La variété des caractéristiques des études analysées (causes, étendue et degrés des brûlures, lieux d’intervention (ambulatoire, salle d’opération…)), les différences dans les unités d’allocation (le patient ou la brûlure), les différences dans la définition des infections et les méthodes de diagnostic (clinique, analyse microscopique) ont compliqué le travail de synthèse. Une méta-analyse n’a souvent pas été possible et les résultats ont été présentés sous forme narrative.

Les études étaient souvent de petite taille, hétérogènes au niveau des indicateurs de résultats ou du temps de suivi. Les auteurs ont relevé que 28 études étaient à haut risque de biais et les 8 autres à risque de biais non clair. La plupart des études ne respectaient pas les recommandations du « CONSORT statement » (1).

Mise en perspective des résultats

Les infections sont la première cause de décès chez les patients avec des brûlures sévères (2). Cette synthèse méthodique n’apporte pas de preuves de l’intérêt d’un traitement prophylactique par sulfadiazine d’argent ou autre antibiotique local, systémique ou inhalé pour la prévention de l’infection de brûlures. Le seul bénéfice observé concerne la prévention d’une pneumonie avec du triméthoprime-sulfaméthoxazole chez des patients non chirurgicaux, mais l’intervalle de confiance à 95% est très large (0,05 à 0,72).

Un guide de pratique australien pour la prise en charge des brûlures sévères (3) insiste sur le fait que le tissu brûlé nécrotique fournit un environnement favorable à la prolifération de micro-organismes et que la réduction du risque d’infection est une priorité. Ces recommandations, peu précises, proposent des mesures environnementales, le maintien d’une surveillance étroite, des prélèvements réguliers, une utilisation d’antibiotiques systémiques uniquement avec indication spécifique et en concertation avec des infectiologues.

Le guide de pratique néo-zélandais (4) recommande une prophylaxie antitétanique (recommandation C, basée sur l’opinion d’ « expert international »), une application d’antibiotique comme du sulfadiazine d’argent dans les 72 heures, tout en reconnaissant la faiblesse des preuves et en signalant qu’un usage prolongé de sulfadiazine d’argent (plus de 7 jours) pourrait retarder la guérison (recommandation B, basée sur des preuves relativement bonnes).

Une méta-analyse sur l’usage prophylactique des antibiotiques en cas de brûlures, publiée dans le BMJ en 2010 (5) remettait déjà fortement en question toute une série de recommandations antérieures. Les auteurs, qui n’avaient pas montré d’effet positif des antibiotiques topiques, concluaient : « la prophylaxie par antibiotiques systémiques a un effet bénéfique sur les patients brûlés, mais la qualité méthodologique de ces études est faible et donc cette prophylaxie n’est actuellement pas recommandée chez les patients avec des brûlures sévères autres qu’en périopératoire ; il faut des études randomisées pour évaluer cette question ».

En 2013, une revue Cochrane (6) concluait : “…il y a beaucoup de types de pansements disponibles pour traiter ces brûlures, mais aucun n’a de preuve solide de son efficacité… Il n’y a pas de preuve pour appuyer l’utilisation du sulfadiazine d’argent ». Cela confirme les conclusions d’une autre revue de la Cochrane Collaboration publiée en 2010 (7).

La Commission de Transparence française, à propos des indications de l’autorisation de mise sur le marché de la sulfadiazine d’argent, reconnaît que le Service Médical Rendu (SMR) est faible (Avis du 18 septembre 2013) (8).

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique d’études pour la plupart à haut risque de biais n’apporte pas de preuves de l’intérêt d’un traitement antibiotique en prévention d’une infection d’une brûlure et montre, au contraire, une probable augmentation du risque avec le sulfadiazine d’argent topique.

 

Pour la pratique

Il n’existe pas de guide de pratique de méthodologie adéquate avec des preuves suffisantes pour recommander un traitement antibiotique prophylactique de l’infection en cas de brûlure. Cette synthèse méthodique de bonne qualité, mais reposant sur des études de faible qualité, montre que les preuves en faveur de la prophylaxie antibiotique des brûlures sont actuellement limitées et que le sulfadiazine d’argent en usage topique provoque une probable augmentation du risque.

 

Références

  1. Consolidated Standards of Reporting Trials. http://www.consort-statement.org/
  2. Fitzwater J, Purdue GF, Hunt JL, O’Keefe GE. The risk factors and time course of sepsis and organ dysfunction after burn trauma. J Trauma 2003;54:959-66.
  3. NSW Department of Health. NSW Severe Burn Injury Service. Model of Care. 2004.
  4. New Zealand Guidelines Group. Management of burns and scalds in primary care. The Accident Compensation Corporation, June 2007.
  5. Avni T, Levcovich A, Ad-El DD, et al. Prophylactic antibiotics for burns patients: systematic review and meta-analysis. BMJ 2010;340:c241.
  6. Wasiak J, Cleland H, Campbell F. Dressings for superficial and partial thickness burns. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 3.
  7. Storm-Versloot MN, Vos CG, Ubbink DT, Vermeulen H. Topical silver for preventing wound infection. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 3.
  8. Commission de la Transparence. Haute Autorité de Santé. Avis 18 septembre 2013. (consulté le 15/01/14).

 

 

 

Antibiothérapie prophylactique en cas de brûlure ?

Auteurs

Crismer A.
Département Universitaire de Médecine Générale, Université de Liège
COI :

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