Revue d'Evidence-Based Medicine



Plus-value d’une thérapie familiale a près une hospitalisation pour anorexie mentale chez des adolescentes ?



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 8 Page 97 - 98

Professions de santé


Analyse de
Godart N, Berthoz S, Curt F, et al. A randomized controlled trial of adjunctive family therapy and treatment as usual following inpatient treatment for anorexia nervosa adolescents. PLos One 2012;7:e28249.


Question clinique
L’ajout d’une thérapie familiale à un traitement individualisé, structuré et multidisciplinaire pour des adolescentes et jeunes femmes (13 à 21 ans) au sortie d’une hospitalisation pour anorexie mentale, est-il bénéfique en termes de prise de poids et de normalisation des règles ?


Conclusion
Sur base de cette étude, nous pouvons conclure qu’une thérapie familiale comme élément ajouté aux soins après une hospitalisation pour anorexie mentale peut représenter une plus-value chez les adolescentes. La population de cette étude est cependant trop faible pour pouvoir montrer une différence statistiquement significative. Une amélioration clinique est observée pour le poids corporel et le cycle menstruel, mais le risque de réhospitalisation n’est pas diminué. Cette étude ne permet pas de conclusions à propos des processus efficaces dans la thérapie familiale.


Texte publié sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

 

Contexte

Une thérapie familiale est un traitement reconnu efficace pour l’anorexie mentale chez de (jeunes) adolescentes (1,2), mais le motif de cette efficacité n’est pas clair. Est-il dû à l’implication effective des parents dans la prise en charge du trouble alimentaire ou plutôt aux changements importants dans le fonctionnement familial (3,4) ? Dans la majorité des études, il s’agit d’un programme thérapeutique impliquant effectivement les parents dans la prise en charge du trouble alimentaire. Cette étude vise à évaluer la plus-value potentielle de l’ajout d’une thérapie familiale ciblant la dynamique familiale après une hospitalisation, en ajout à un traitement individualisé, structuré et multidisciplinaire.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • recrutement : toutes les patientes hospitalisées entre janvier 1999 et juillet 2002 dans un hôpital parisien, dans un service pour les affections à risque vital ou pour des pathologies psychiques (IMC<14 et/ou perte de poids rapide et/ou atteinte des fonctions vitales, dépression sévère, risque suicidaire élevé, sous-alimentation chronique avec déficit en poids et échec des soins ambulatoires)
  • critères d’inclusion : jeunes femmes âgées de 13 à 21 ans, diagnostic suivant le DSM IV d’anorexie mentale débutant avant l’âge de 19 ans, avec une durée d’évolution de maximum 3 ans, habitant la région parisienne, n’ayant pas reçu de thérapie familiale
  • critères d’exclusion : incapacité de parler le français ou de comprendre l’enquêteur, affection métabolique interférant avec le comportement alimentaire ou l’assimilation des aliments, trouble psychotique  (de l’adolescent ou d’un parent).

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée avec insu des évaluateurs
  • intervention : traitement individualisé, structuré, multidisciplinaire + thérapie familiale (n = 30)
  • contrôle : traitement individualisé, structuré, multidisciplinaire (n = 30)
  • sessions de thérapie familiale d’une durée de 1h1/2, toutes les 3 à 4 semaines durant 18 mois, ciblant les processus intrafamiliaux et non les symptômes de troubles alimentaires ; participation de la patiente, de ses parents et de la fratrie âgée de plus de 6 ans
  • intervention déjà initiée avant la sortie de l’hôpital
  • suivi à 6, 12 et 18 mois.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : différence entre les 2 bras pour le nombre de patientes avec score de Morgan & Russell bon à moyen
  • critères secondaires : Mini interview neuropsychiatrique (MINI); Global Outcome Assessment Scale (GOAS), Eating Disorder Inventory (EDI), Weissman’s Social Adjustment Scale (SAS), Indice de Masse Corporelle (IMC), calendrier menstruel, recours à une contraception, nombre d’hospitalisations durant le suivi
  • analyse en intention de traiter (ITT) et par protocole (PP).

 

Résultats

  • critère primaire : meilleur résultat avec la thérapie familiale en ajout (voir tableau)
  • critères secondaires :
    • IMC ≥10ème percentile : significativement plus de patientes sous thérapie familiale
    • aménorrhée : significativement moins de patientes sous thérapie familiale
    • autres : pas de différences entre les 2 groupes.

 

 

Tableau. Nombre (pourcentage) de patients avec un score de Morgan & Russell (MR) bon à moyen dans le groupe traitement multidisciplinaire + thérapie familiale (TM + TF) versus groupe traitement multidisciplinaire seul (TM), avec différence entre les 2 groupes (valeur p, différence absolue (DA) (avec IC à 95%) et Odds Ratio (OR) (avec IC à 95%).

 

 

TM + TF

TM

p

DA (IC à 95%)

OR (IC à 95%)

Score MR bon à moyen (n=59)*

12/30 (40,0)

5/29 (17,2)

0,054

22,8

(-0,4 à 42,9)

3,2

(0,9 à 10)

Score MR bon à moyen (n=53)**

12/26 (46,2)

4/27 (14,8)

0,013

31,3

(6,5 à 51,8)

4,9

(1,3 à 18,3)

*en analyse en intention de traiter; **en analyse par protocole

 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une thérapie familiale, ciblant la dynamique intrafamiliale plutôt que les symptômes des troubles alimentaires, en ajout à un programme de traitement multidimensionnel, améliore l’efficacité du traitement chez des jeunes femmes avec anorexie mentale sévère.

 

Financement 

Projet Hospitalier de Recherche Clinique (Ministère français de la santé publique)

 

Conflits d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

L’idée de se baser sur un traitement multidisciplinaire de base est bonne (souvent aussi la seule méthode accessible dans la pratique) mais il faut bien songer que l’ajout d’une intervention complémentaire (ici la thérapie familiale) conduit à un traitement renforcé (12 sessions supplémentaires) dans le groupe intervention versus groupe contrôle. La différence entre les résultats des 2 groupes pourrait être due à un traitement plus important, quel que soit le traitement ajouté. Il aurait été préférable que, dans le groupe contrôle, en plus du traitement multidisciplinaire, un traitement non spécifique ait été administré, avec donc un nombre de sessions thérapeutiques comparable dans les 2 groupes. L’attribution de l’efficacité additionnelle observée aurait pu alors être faite au contenu spécifique de la thérapie familiale ajoutée.

Une autre faiblesse du protocole d’étude est l’absence de mesure des modifications dans les processus familiaux, ce qui ne nous permet pas de déterminer si la thérapie familiale décrite a effectivement eu une influence sur les interactions au sein des familles concernées. D’autres études concernant l’efficacité de la thérapie familiale chez des adolescentes souffrant d’anorexie mentale n’ont également pas permis de conclure quant au facteur spécifiquement efficace : les résultats positifs sont-ils une conséquence de l’implication parentale dans la prise en charge concrète du comportement alimentaire de l’adolescente plutôt qu’une conséquence des modifications intrafamiliales intervenues (5) ?

Une dernière limite de cette étude est l’absence d’un protocole thérapeutique clair, ce que les auteurs reconnaissent eux-mêmes.

Le restant de la méthodologie de l’étude est bien décrit. La randomisation s’est déroulée correctement, le groupe de recherche est décrit de façon détaillée et, à l’initiation de l’étude, il n’y a pas de différence significative entre les 2 groupes pour ce qui concerne les caractéristiques sociodémographiques et les propriétés cliniques. Le taux de sorties d’étude est faible et l’équipe mesurant les résultats était en insu de l’intervention. Finalement, une mesure de la puissance a été effectuée avant l’étude.

 

Interprétation des résultats

La différence au score Morgan & Russell entre les deux groupes est en faveur du groupe avec traitement multidisciplinaire + thérapie familiale. Cette différence n’est cependant significative qu’en analyse par protocole et non en analyse en intention de traiter. En outre, les intervalles de confiance pour les différences sont très larges. Ces éléments peuvent indiquer un manque de puissance, ce qui empêche de prouver statistiquement une plus-value de la thérapie familiale dans cette étude. Ce résultat décevant est peut-être aussi lié au fait que le traitement multidisciplinaire de base est déjà si large que la thérapie familiale ne peut plus créer de différence.

L’absence d’une différence d’effet sur le plan psychologique ou pour le nombre de réhospitalisations est expliquée par les auteurs par le fait qu’il s’agit d’adolescentes avec une anorexie mentale sévère. Cette explication semble fort faible et met en question l’impact réel de la thérapie familiale. Un meilleur fonctionnement dans la famille (un but en effet de la thérapie familiale) devrait justement conduire à une amélioration psychologique et à une diminution du risque de rechute.

Cette étude semble montrer qu’en thérapie familiale, il ne faut pas cibler spécifiquement la prise en charge des symptômes alimentaires, mais que la discussion d’autres thèmes familiaux peut contribuer au processus de guérison. Il reste important d’examiner dans chaque situation comment il est possible d’impliquer les parents et la fratrie dans le traitement. Dans certains cas, il est en effet préférable d’accompagner séparément les parents, parallèlement au traitement individuel de l’adolescente en question. Ceci est, par exemple, recommandé quand un parent s’oppose très négativement à l’enfant « malade » ou quand une atmosphère destructrice règne dans la famille (6-8).

 

Conclusion de Minerva

Sur base de cette étude, nous pouvons conclure qu’une thérapie familiale comme élément ajouté aux soins après une hospitalisation pour anorexie mentale peut représenter une plus-value chez les adolescentes. La population de cette étude est cependant trop faible pour pouvoir montrer une différence statistiquement significative. Une amélioration clinique est observée pour le poids corporel et le cycle menstruel, mais le risque de réhospitalisation n’est pas diminué. Cette étude ne permet pas de conclusions à propos des processus efficaces dans la thérapie familiale.

 

Pour la pratique

La thérapie familiale est connue comme un traitement efficace pour les (jeunes) adolescents avec anorexie mentale (1,2). Cette étude n’apporte pas de preuve qu’une thérapie familiale soit plus efficace qu’un autre traitement mais montre un intérêt possible mais insuffisamment prouvé de l’ajout d’une thérapie familiale à un traitement multidisciplinaire structuré.

 

 

Références

  1. Bulik CM, Berkman ND, Brownley, et al. Anorexia nervosa treatment: a systematic review of randomized controlled trials. Int J Eat Dis 2007;40:310-20.
  2. National Institute for Clinical Excellence. Eating disorders: core interventions in the treatment and management of anorexia nervosa, bulimia nervosa and related eating disorders. Clinical Guideline 9. London: NICE;2004.
  3. Russell GF, Szmukler GI, Dare C, Eisler I. An evaluation of family therapy in anorexia nervosa and bulimia nervosa. Arch Gen Psychiatry 1987;44:1047-56.
  4. Loeb KL, le Grange D. Family-based treatment for adolescent eating disorders: current status, new applications and future directions. In: Y. Latzer& D. Stein (Eds.),Treatment and recovery of eating disorders. New York: Nova Science Publishers; 2012 (p 157-170).
  5. Lock J, le Grange D. Can family-based treatment of anorexia nervosa be manualized? J Psychotherapy Pract Res 2001;10:253-61.
  6. Fairburn CG. Evidence-based treatment of anorexia nervosa. Int J Eat Dis 2005;37(Suppl): S26-30; discussion S41-2.
  7. Eisler I, Dare C, Hodes M, et al. Family therapy for adolescent anorexia nervosa: the results of a controlled comparison of two family interventions. J Child Psychology Psychiatry 2000;41:727-36.
  8. Eisler I, Simic M, Russell GF, Dare C. A randomised controlled treatment trial of two forms of family therapy in adolescent anorexia nervosa: a five-year follow-up. J Child Psychology Psychiatry 2007;48:552-60.
Plus-value d’une thérapie familiale a près une hospitalisation pour anorexie mentale chez des adolescentes ?

Auteurs

Depestele L.
gezinstherapeute Psychiatrische Kliniek Broeders Alexianen, Tienen
COI :

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