Revue d'Evidence-Based Medicine



Douleur en cas de cancer : efficacité d’interventions psychosociales ?



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 8 Page 95 - 96

Professions de santé


Analyse de
Sheinfeld GS, Krebs P, Badr H, et al. Meta-analysis of psychosocial interventions to reduce pain in patients with cancer. J Clin Oncol 2012;30:539-47.


Question clinique
Quelle est l’efficacité des interventions psychosociales portant sur la réduction de la douleur chez les patients adultes souffrant d’un cancer ?


Conclusion
Cette méta-analyse de bonne qualité montre les effets positifs des interventions psychosociales sur la douleur des patients adultes souffrant d’un cancer sans pouvoir montrer de résultats statistiquement significatifs pour un type d’intervention, peut-être par manque de puissance.


Texte publié sous la responsabilité de la rédaction francophone

 

 

Contexte 

La douleur est un symptôme commun, pénible et craint chez les patients cancéreux. Dans leur méta-analyse, van den Beuken et coll. (1) estiment que la douleur est présente chez 53% des patients cancéreux. Parmi les interventions non pharmacologiques permettant de soulager la douleur, figurent les interventions psychosociales soit basées sur le développement de compétences (notamment le changement de la manière avec laquelle le patient interprète sa douleur ainsi que des approches spécifiques de gestion de la douleur telles que la relaxation profonde des muscles), soit sur des approches éducationnelles (qui ont pour objectif une formation à l’utilisation des analgésiques ainsi que la communication efficace avec le clinicien en ce qui concerne la douleur persistante) (2). Cinq méta-analyses ont précédemment évalué l’efficacité des interventions psychosociales chez les patients cancéreux (3-7). Les résultats de ces méta-analyses comportent d’importantes limites que ce soit en ce qui concerne la prise en considération d’un seul type d’approche ou de cancer ainsi que le petit nombre d’études incluses dans l’analyse. La présente méta-analyse a pour objectif de faire une estimation actuelle, complète et robuste de l’efficacité des interventions psychosociales dans la gestion de la douleur cancéreuse.

 

Résumé 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse

 

Sources consultées

MEDLINE, PsycInfo, CINAHL, EMBASE et la Cochrane Library, de 1983 jusqu‘en 2010.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion :
    • études portant sur des adultes (plus de 18 ans) chez lesquels un cancer a été diagnostiqué ou en cours de procédure diagnostique pour un cancer, publiées en anglais
    • études randomisées évaluant la douleur et utilisant une intervention psychosociale (définie comme toute approche impliquant des techniques cognitivo-comportementales, la gestion du stress, la relaxation, l'éducation, l'hypnose, ou d'autres techniques expérimentales) 
  • critères d’exclusion :
    • études utilisant des thérapies alternatives comme traitement primaire telles que les massages ou le Reiki
    • 37 études incluses sur 1 681 identifiées.
     

Population étudiée

  • 4 199 patients adultes (plus de 18 ans), principalement des femmes (66%), blanches (72%)
  • dans 65% des études, les patients étaient atteints de cancers à différents stades ; plus de la moitié sous chimiothérapie soit seule soit en combinaison avec d’autres traitements ; 1/3 des patients sans aucun traitement
  • 71% des patients en soins ambulatoires
  • patients recrutés essentiellement dans des centres de traitement oncologique (67%)
  • les interventions étudiées comprennent le développement de compétences (48%) et l’éducation (50%) appliquées à des individus (90% des études), à un groupe ou à un couple ; par téléphone ou via internet.

Mesure des résultats

  • critère primaire : intensité de la douleur, critère primaire dans 95% des études
  • deuxième critère le plus fréquemment rapporté : interférences de la douleur (avec le sommeil, les activités de la vie quotidienne, la joie de vivre, la capacité de travail, les interactions sociales) (1/3 des études seulement)
  • analyse en au hasard mais aussi à des variations réelles entre les études. L’hypothèse d’un modèle d’effet aléatoire est qu’il existe une «population» d’effets éventuels avec une répartition précise autour d’un effet global moyen.">modèle d’effets aléatoires et correction par le différence moyenne dans une méta-analyse est donnée avec son erreur standard. Trois formules sont couramment utilisées pour calculer cette erreur standard. Le Hedges’ adjusted g se sert d’un facteur g qui corrige pour le biais de faible échantillon. Le g de Hedges permet de déterminer l’ampleur de l’effet. Un g de Hedges = 0,8 signifie que les deux groupes diffèrent l’un de l’autre avec un écart-type de 0,8, ce qui indique un effet important. Un g de Hedges = 0,2 correspond à un petit effet ; un g de Hedges = 0,5 correspond à un effet modéré.">facteur g d’ajustement de Hedges.

Résultats

  • critère primaire : ampleur d’effet pondérée des 38 comparaisons pour la sévérité de la douleur  de 0,34 (IC à 95% de 0,23 à 0,46 ; p<0,001) ; ampleur d’effet plus importante (mais non significativement) pour les interventions basées sur les compétences versus approches éducationnelles
  • critère d’interférences de la douleur (4 comparaisons) : ampleur d’effet pondérée de 0,40 (IC à 95% de 0,21 à 0,60 ; p<0,001)
  • effet non statistiquement influencé par le milieu dans lequel se déroule l’intervention (hôpital ou domicile) (p=0,08), le nombre de fois où l’intervention a lieu (p=0,76), le pourcentage de femmes participant à l’intervention (p=0,77) ou le pourcentage de participants issus de minorités ethniques (p=0,50).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les interventions psychosociales ont une ampleur d’effet de taille moyenne sur l’intensité et les interférences de la douleur. Ces constatations robustes étayent l’implantation systématique d’interventions psychosociales de qualité contrôlée comme un pan de l’approche multimodale du traitement de la douleur chez les patients cancéreux.

Financement de l’étude 

Northwestern University dont sont issus deux auteurs de la méta-analyse. 

Conflits d’intérêt 

Aucun conflit d’intérêt n’est mentionné. 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse repose sur une bonne méthodologie. La recherche des études a été large ; les études incluses dans la méta-analyse ont été examinées par trois paires d’évaluateurs qui ont utilisé une grille d’évaluation (issue de la base de données PEDro). Ce procédé permet d’inclure des études généralisables, comprenant une validité interne et des données interprétables. Lorsque le texte intégral n'a pu être localisé ou s’il ne présentait pas de données suffisantes, les auteurs ont été contactés pour de plus amples informations. Les divergences entre évaluateurs ont été résolues par consensus. Ces éléments démontrent une volonté de rigueur dans la sélection des études, premier garant d’une méta-analyse de qualité. Cette méta-analyse a utilisé des critères d'inclusion spécifiques des interventions psychosociales et de la douleur ainsi qu’une évaluation rigoureuse des études par plusieurs évaluateurs indépendants.

Les biais ont été évalués pour l’inclusion des études dans la méta-analyse, notamment les biais de publication. Ceux-ci ont été évalués par le funnel plot ainsi que par lebiais de publication dans une méta-analyse. Quand un funnel plot présente une asymétrie, les études asymétriques (situées à droite dans l’entonnoir sans correspondant à gauche de celui-ci) sont gommées (trim). Le funnel plot devenu symétrique peut fournir une nouvelle moyenne. Le funnel plot est ensuite à nouveau complété (fill) avec les études gommées avec leur image en miroir et un 'intervalle de confiance corrigé' peut ainsi être calculé."> trim and fill.

Ces deux analyses ont révélé une absence de biais de publication.

La taille de l’effet a été mesurée avec recours au facteur g d’ajustement de Hedges. De plus, l’hétérogénéité des études incluses dans la méta-analyse a été examinée en utilisant le test I² de Higgins. Enfin, des analyses modératrices ont été menées pour déterminer l’influence des caractéristiques de l’intervention, du devis de recherche et des caractéristiques sociodémographiques sur la douleur.

Une des limites importantes de cette méta-analyse est la définition très variable de l’intervention psychosociale et de ses composantes selon les auteurs. Ce manque de standardisation a des conséquences sur l’inclusion des études dans la méta-analyse ainsi que sur les comparaisons de l’efficacité des approches entre les différentes études et les sous-groupes de patients cancéreux, avec finalement une population globale cliniquement hétérogène. Cet élément explique probablement en partie le fait que cette méta-analyse ne montre pas de différence statistiquement significative entre les différentes approches psychosociales.

Interprétation des résultats

Cette étude met en avant l’efficacité des interventions psychosociales chez le patient cancéreux. Ce type d’intervention appartient entre autres au rôle autonome de l’infirmière, rôle trop souvent oublié dans la pratique clinique au bénéfice du rôle prescrit. Les infirmiers sont les professionnels de santé les plus impliqués dans la mise en place de ces interventions (63%). Les interventions psychosociales sont par ailleurs reprises et décomposées en activités infirmières dans le Nursing Interventions Classification (8) sous le domaine comportemental. Les interventions en lien avec l’éducation du patient y sont notamment reprises en grand nombre. Nous ne pouvons que nous réjouir qu’une méta-analyse mette en avant l’efficacité d’interventions relevant du rôle relationnel, champ que devraient probablement plus investiguer les infirmières pratiquant au chevet des patients.

Les résultats de la méta-analyse sont en accord avec les précédentes méta-analyses sur le sujet (3-7) ainsi qu’avec les recommandations d’un récent rapport de l’Institute of Medicine (9) et de l’American Pain Society (2).

La méta-analyse met en avant l’efficacité des interventions psychosociales sur la douleur des patients cancéreux. Une analyse plus fine des résultats permet de distinguer une tendance vers une différence d’efficacité selon le type d’approche étudiée : les interventions basées sur le développement des compétences (telles que le changement des croyances sur la douleur et la promotion de l’utilisation de compétences spécifiques permettant de la gérer (distraction, relaxation)) montrent une ampleur d’efficacité plus grande que les approches éducationnelles sur la réduction de l’intensité de la douleur, mais ces résultats ne sont pas statistiquement significatifs, peut-être à cause de l’hétérogénéité entre les groupes évalués.

Comme le soulignent les auteurs, très peu d’études (et cette synthèse également) décrivent les autres traitements reçus (dont les analgésiques) ce qui est un biais majeur lors de l’interprétation des résultats.

Un aspect important non pris en considération dans cette étude est l’importance du choix du patient pour une approche  thérapeutique, d’autant plus si la préférence du patient peut influencer l’effet du traitement, observation déjà soulignée dans la revue Minerva (10).

 

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse de bonne qualité montre les effets positifs des interventions psychosociales sur la douleur des patients adultes souffrant d’un cancer sans pouvoir montrer de résultats statistiquement significatifs pour un type d’intervention, peut-être par manque de puissance.

 

Pour la pratique

Les recommandations de pratique clinique portant sur la gestion de la douleur des patients cancéreux (2) reconnaissent que la douleur peut être soulagée par des approches pharmacologiques et non pharmacologiques. Parmi ces dernières, deux types d’intervention sont préconisées : les interventions basées sur le développement des compétences (notamment le changement de la manière avec laquelle le patient interprète sa douleur ainsi que des approches spécifiques de gestion de la douleur telles que la relaxation profonde des muscles) et les approches éducationnelles qui ont pour objectif une formation à l’utilisation des analgésiques ainsi que la communication efficace avec le clinicien en ce qui concerne la douleur persistante.

Cette méta-analyse-ci conforte l’intérêt d’interventions psychosociales pour diminuer la douleur, sans pouvoir apporter de preuve de l’intérêt d’une technique particulière. 

 

Références

  1. van den Beuken-van Everdingen MH, de Rijke JM, Kessels AG, et al. Prevalence of pain in patients with cancer: A systematic review of the past 40 years. Ann Oncol 2007;18:1437-49.
  2. Gordon DB, Dahl JL, Miaskowski C, et al. American pain society recommendations for improving the quality of acute and cancer pain management. American Pain Society Quality of Care Task Force. Arch Intern Med 2005;165:1574-80.
  3. Bennett MI, Bagnall AM, José Closs S. How effective are patient-based educational interventions in the management of cancer pain? Systematic review and meta-analysis. Pain 2009;143:192-9.
  4. Devine EC, Westlake SK. The effects of psychoeducational care provided to adults with cancer. Oncol Nurs Forum 1995;22:1369-81.
  5. Devine EC. Meta-analysis of the effect of psychoeducational interventions on pain in adults with cancer. Oncol Nurs Forum 2003;30:75-89.
  6. Luebbert K, Dahme B, Hasenbring M. The effectiveness of relaxational training in reducing treatment-related symptoms and improving emotional adjustment in acute non-surgical cancer treatment: a meta-analytical review. Psychooncology 2001;10:490-502.
  7. Tatrow K, Montgomery GH. Cognitive behavioral therapy techniques for distress and pain in breast cancer patients: a meta-analysis. J Behav Med 2006;29:17-27.
  8. Bulechek GM, Butcher, HK, McCloskey, Dochterman JC. Classification des interventions de soins infirmiers. CISI, NIC/ Issy-les-Moulineaux : Elsevier-Masson, DL 2010.
  9. Institute of Medicine. Relieving pain in America. A blueprint for transforming prevention, care, education, and research. June 2011.
  10. Desplenter F, Laekeman G. Le choix du patient déterminant pour l’efficacité du traitement. MinervaF 2011;10(9):105.
Douleur en cas de cancer : <strong><a style="font-size:medium" data-toggle="popover" data-trigger="hover" title="efficacité" data-content="L'efficacité d'un médicament ou d'une intervention se réfère à l'effet favorable dans les circonstances optimales. Idéalement, l'efficacité est déterminée au cours d'études cliniques contrôlées (RCT). ">efficacité</a></strong> d’interventions psychosociales ?



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