Revue d'Evidence-Based Medicine



Programme de soutien en première ligne de soins pour l’identification et la référence de femmes victimes de violence intrafamiliale



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 7 Page 88 - 89

Professions de santé


Analyse de
Feder G, Davies RA, Baird K, et al. Identification and Referral to Improve Safety (IRIS) of women experiencing domestic violence with a primary care training and support programme: a cluster randomised controlled trial. Lancet 2011;378:1788-95.


Question clinique
Un programme de formation et de soutien concernant les violences intrafamiliales (VIF) destiné aux médecins généralistes leur permet-il de meilleures identification et référence de femmes qui en sont victimes versus médecins ne bénéficiant pas de ce programme ?


Conclusion
Cette étude bien élaborée montre qu’une formation intensive au niveau d’une pratique de médecine générale pour les médecins et ses collaborateurs, avec affiches, dépliants et personne de référence, est utile pour une meilleure identification de la VIF et une référence plus aisée pour ce problème vers un centre spécialisé. L’intensité de l’intervention en rend difficile l’extrapolation vers la médecine générale en Belgique.


Texte publié sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

 

Contexte

Les violences intrafamiliales sont nuisibles à la santé (1,2). Les victimes en subissent les conséquences directes mais présentent aussi plus de risque d’affections chroniques telles que la douleur chronique, de problèmes neurologiques, gastro-intestinaux et gynécologiques et, principalement, de maladies psychiques (3). Tous les médecins généralistes actuellement en activité n’ont pas pu bénéficier, au cours de leur formation, d’un apprentissage concernant les VIF. Nous supposons qu’en Belgique comme à l’étranger trop peu de cas de VIF sont identifiés. Une étude d’observation (4) a montré la variabilité et souvent l’insuffisance de la gestion du domaine de la VIF par le médecin généraliste belge.

 

Résumé

Population étudiée

  • inclusion de 51 pratiques de médecine générale et centres de soins de première ligne sur 82 invités dans 2 villes anglaises (Bristol et Londres)
  • critères d’exclusion : absence de Dossier Médical Electronique (DME), chercheur de l’étude actif au sein de la pratique concernée.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, avec randomisation en grappes
  • stratification selon la proportion de femmes médecins dans la pratique, le nombre de patients enregistrés, le pourcentage de patients avec de faibles revenus et la formation postuniversitaire des médecins
  • le groupe de recherche participe au programme d’apprentissage IRIS (Identification and Referral to Improve Safety) qui consiste en :
    • 2 séances d’apprentissage de 2 heures pour les collaborateurs de la pratique, abordant l’identification, le soutien et la référence des victimes de VIF, séance menée par un psychologue ou par un médecin lié à un centre spécialisé auquel la personne peut être ensuite référée ; remise d’un manuel d’aide
    • formation supplémentaire de 8 heures pour un des membres de l’équipe médicale devant ensuite assumer le rôle de personne de référence pour la pratique
    • apprentissage d’une heure pour le personnel administratif concernant le secret professionnel et la sécurité des patients
    • sessions de retour des données concernant l’identification et la référence
    • avis ad-hoc par téléphone ou via mail
    • canevas spécifique de consultation de VIF dans le DME
    • affiches et dépliants dans la salle d’attente
  • le groupe de contrôle est gratifié de la même intervention après la fin de l’étude
  • pas d’insu pour les collaborateurs de la pratique ni pour les formateurs
  • les données des DME sont extraites par un chercheur indépendant en insu de la randomisation.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : nombre de références vers un centre spécialisé pour VIF, mentionnées dans le DME, à partir de 12 mois avant la 1ère session de formation jusqu’à 12 mois après la 2ème
  • critère secondaire : nombre d’identifications de VIF mentionnées dans le DME
  • critère secondaire post-hoc : nombre de contacts enregistrés dans le centre spécialisé, aussi bien référés par les pratiques de médecine générale concernées par l’étude, que les présentations spontanées, que les références par d’autres instances
  • résultats corrigés pour l’effet randomisation en grappes.

Résultats

  • sortie d’études de 3 pratiques ; données disponibles pour 24 pratiques (soit 7 000 femmes) dans chaque bras d’étude
  • nombre de références : après 12 mois, 21 fois plus de références enregistrées dans les DME dans le groupe intervention versus groupe contrôle : 223 versus 12 soit un Rapport de Fréquence de 22,1 (IC à 95% de 11,5 à 42,4); sur les 223 références évoquées, seules 184 se sont présentées dans le centre spécialisé
  • nombre de cas de VIF: 3 fois plus de cas rapportés dans les DME dans le groupe intervention versus contrôle : 641 versus 236 soit un Rapport de Fréquence de 3,1 (IC à 95% de 2,2 à 4,3)
  • consultations enregistrées dans le centre d’aide : 7 fois plus de consultations de patientes issues des pratiques avec intervention versus contrôle : 238 versus 40 avec Rapport de Fréquence de 6,4 (IC à 95% de 4,2 à 10,0) ; pas de distinction possible entre référence faite par le médecin de la pratique évaluée, présentation spontanée, référence par une autre instance.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un programme d’apprentissage et de soutien pour les médecins et leurs collaborateurs administratifs en première ligne de soins améliore la référence en service spécialisé et l’identification de VIF envers les femmes. Ils estiment aussi que leurs observations diminuent les incertitudes concernant les programmes d’apprentissage et de soutien pour la VIF en première ligne de soins et montrent qu’un dépistage de VIF pour les femmes n’est pas une condition pour améliorer l’identification et la référence en service spécialisé.

Financement

The Health Foundation, financée par le UK National Health Service et effectuant des recherches financées par le National Institute of Health Research

Conflits d’intérêt

Les formateurs des sessions sont également les chercheurs de cette publication.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

L’intervention évaluée dans cette étude est unique. Elle est effectuée de manière hiérarchisée pour tous les collaborateurs d’un centre de médecine générale et vise à fournir les outils nécessaires afin de faire face à la VIF. Elle peut contribuer à rompre le tabou concernant l’assistance à offrir dans ce domaine de la santé chargé d’émotion.

Pour pouvoir évaluer correctement l’efficacité de cette intervention en termes d’identification de VIF et de référence pour VIF par les médecins généralistes, les chercheurs devaient avoir recours à une randomisation par grappes entre pratiques. Les résultats sont analysés à un niveau individuel après l’intervention, avec correction pour la randomisation en grappes. Une correction pour ce type de randomisation a également été effectuée lors du calcul de la puissance. Le nombre de patientes à inclure pour pouvoir montrer une différence a rapidement été atteint. La stratification a permis d’avoir des groupes plus homogènes, mais présente le désavantage d’occulter l’influence de facteurs confondants possibles. La nature de l’intervention ne permet pas de respecter l’aveugle des collaborateurs de la pratique et formateurs pour l’intervention. Ces biais ont peut-être quelque peu été compensés par l’extraction des données du DME par un chercheur externe, en insu de la randomisation. Le fait que les formateurs soient liés au centre spécialisé de référence constitue un risque de biais et limite l’extrapolation des résultats.

Interprétation des résultats

Cette étude montre l’efficacité d’un programme d’apprentissage nommé IRIS (Identification and Referral to Improve Safety) en termes d’identification et de référence de cas de VIF par le médecin généraliste. Cette formation diminue clairement le délai de consultation médicale pour cette problématique. Il faut bien sûr tenir compte du fait que cette intervention est effectuée au R.-U. où les patients doivent être inscrits chez un médecin généraliste fixe. En raison du tabou couvrant le problème de la VIF, les victimes de cette VIF consultent fréquemment en Belgique un service d’urgence ou un autre médecin généraliste pour des problèmes liés à la violence, ce qui peut compliquer la coordination de la prise en charge. D’autre part, la consultation préalable indispensable d’un médecin désigné avant de pouvoir trouver une aide à un échelon supérieur peut constituer un obstacle insurmontable, amenant les patients à ne finalement chercher aucune aide. Les centres d’aide pour VIF étaient directement accessibles dans cette étude et une référence par d’autres instances était possible.

Vingt pour cent des personnes référées ne consultent pas le centre spécialisé. Il existe donc encore d’autres barrières empêchant les victimes de bénéficier de l’aide spécialisée. Des cas beaucoup plus fréquents de VIF sont identifiés que ceux qui ont consulté le centre pour une aide. Cette observation n’est pas en soi perturbante : comme le mentionne le guide de pratique (5), lors de la mise en route d’une assistance complémentaire il est important de suivre l’agenda du patient et, en attendant, de suivre soi-même activement le problème de violence, en tant que dispensateur de soins de première ligne. Il est dommage que cette étude n’ait pas analysé la réussite du médecin, après cet apprentissage, en termes d’aide complémentaire aux patientes identifiées mais non référées.

Cette étude ne mentionne également pas du tout l’effet en termes de santé et de bien-être pour les familles d’une prise en charge ultérieure dans les centres spécialisés. Ce domaine reste imprécis. Une synthèse méthodique (6) incluant 10 études hétérogènes (1 527 femmes) montre qu’un suivi intensif versus soins courants de femmes en foyers d’accueil permet une diminution de la violence physique mais avec des incertitudes quant à l’effet sur les perturbations émotionnelles, la dépression, la qualité de vie et le stress psychologique. Un bénéfice franc, à long terme, n’est pas prouvé pour des programmes de traitement ambulatoire ou une thérapie de couple.

Une dernière remarque : le type d’apprentissage offert dans ce domaine de la VIF n’est pas de même nature en Belgique que celui qui est évalué dans cette étude. La RBP de Domus Medica a été rédigée en 2009. Un apprentissage pour les réunions de GLEM a ensuite été proposé par Domus Medica. Cet apprentissage de 2 heures environ se déroule en collaboration avec un membre d’un Centre d’Aide aux Personnes (CAW en Flandre). La RBP est disponible pour tout médecin généraliste mais, sans l’apprentissage associé possible (www.ifgeweld.be) n’a sans doute pas la même valeur d’aide dans l’identification et la référence vers des centres spécialisés. Les différents Centres d’Aide aux Personnes provinciaux ont instauré une cellule VIF en 2004, cellule qui offre une aide pour les couples référés.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude bien élaborée montre qu’une formation intensive au niveau d’une pratique de médecine générale pour les médecins et ses collaborateurs, avec affiches, dépliants et personne de référence, est utile pour une meilleure identification de la VIF et une référence plus aisée pour ce problème vers un centre spécialisé. L’intensité de l’intervention en rend difficile l’extrapolation vers la médecine générale en Belgique.

 

Pour la pratique

La RBP belge (5) concerne le dépistage et la prise en charge de la violence intrafamiliale par le médecin généraliste. Elle recommande d’informer les personnes concernées quant à une assistance possible en cas de suspicion de violence intrafamiliale. Elle souligne aussi l’importance de tenir compte en tant que dispensateur de soins de ses propres limites et de chercher des collaborations. Cette RBP est confortée par un consensus international sur la nécessité pour les médecins et les collaborateurs en soins de santé d’aider à identifier et à aider les victimes de VIF (7). La présente étude montre l’intérêt d’un programme d’apprentissage intensif pour les médecins généralistes et autres travailleurs de la santé de première ligne, qui peut représenter une stimulation importante dans l’intensification d’une offre d’apprentissage pour le médecin généraliste belge.

 

Références

  1. WHO Multi-country study on women’s health and domestic violence against woman Report – Initial results on prevalence, health outcomes and women’s responses 2005.
  2. Campbell JC. Health consequences of intimate partner violence. Lancet 2002;359:1331-6.
  3. Bonomi AE, Anderson ML, Reid RJ, et al. Medical and psychosocial diagnoses in women with a history of intimate partner violence. Arch Intern Med 2009;169:1692–97.
  4. Bossuyt B, van Casteren V. Domestic Violence: variation in case-management by the general practitioner in Belgium. Int J Public Health 2009;54:106-11.
  5. De Deken L, Pas L, Hillemans K, et al. Detectie van partnergeweld. Een aanbveeling voor de huisarts. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. Huisarts Nu 2010;39:S57-S63.
  6. Ramsay J, Carter Y, Davidson L, et al. Advocacy interventions to reduce or eliminate violence and promote the physical and psychosocial well-being of women who experience intimate partner abuse. Cochrane Database Syst Rev 2009; Issue 3:
  7. Ramsey J, Richardson J, Carter YH, et al. Should health professionals screen women for domestic violence? BMJ 2002,325:314.
Programme de soutien en première ligne de soins pour l’identification et la référence de femmes victimes de violence intrafamiliale

Auteurs

Tilley L.
Huisarts, tutor LOK IFG bij Domus Medica
COI :

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