Revue d'Evidence-Based Medicine



Surveillance active d’un cancer de la prostate : le dutastéride utile ?



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 5 Page 60 - 61

Professions de santé


Analyse de
Fleshner NE, Lucia MS, Egerdie B, et al. Dutasteride in localised prostate cancer management: the REDEEM randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet 2012;379:1103-11.


Question clinique
Versus placebo quel est le bénéfice du dutastéride, un inhibiteur de la 5-alpha-réductase, en termes de progression de la pathologie chez des hommes en surveillance active d’un cancer de prostate à bas risque ?


Conclusion
Cette étude montre que le dutastéride administré durant 3 ans à des hommes en surveillance active d’un cancer de prostate de bas grade diminue faiblement le risque absolu de progression pathologique évalué par des biopsies systématiques de la prostate. Elle inclut cependant une population trop peu importante, sur une durée trop courte et sans critères de jugement suffisamment forts pour conclure à un bénéfice clinique plus important que les inconvénients et effets indésirables potentiels.


 

Contexte

L’évolution d’un cancer de la prostate est, contrairement à celle d’autres tumeurs, généralement indolente. Les hommes qui en sont atteints (d’un âge moyen de 69 ans en Belgique (1)) décèdent en général pour une autre cause. Un traitement radical pour l’ensemble de ces patients conduirait à un surtraitement important, d’où l’apparition du concept de surveillance active, stratégie consistant en un suivi étroit du patient avec instauration d’un traitement curatif en cas de progression de la pathologie (PSA, biopsie). Une temporisation (watchful waiting) consiste, par contre, à instaurer un traitement plus retardé, à visée palliative, en cas de progression symptomatique (2).

Les inhibiteurs de la 5-alpha-réductase, le finastéride et le dutastéride, inhibent, au niveau des organes cibles (prostate, follicules pileux), la transformation de testostérone en dihydrotestostérone (DHT) qui est plus puissante, le dutastéride bloquant les 2 isoformes de la 5-alpha-réductase. Les cellules tumorales peuvent cependant développer une résistance à ce blocage androgénique (3). Ces inhibiteurs provoquent une baisse du taux de PSA, ce qui peut en compliquer l’interprétation. Ils sont déjà utilisés par certains experts en cas de cancer de la prostate (off-label). Cette RCT est la première à évaluer leur utilité en cas de surveillance active de ce cancer.

 

Résumé  

Population étudiée

  • inclusion de 302 hommes sur 403 recrutés dans 65 hôpitaux académiques au Canada et aux USA, âgés de 48 à 82 ans (moyenne de 65), 90% de race blanche, avec diagnostic clinique récent (<14 mois) de cancer de la prostate à bas risque (stade 1c-T2a), score de Gleasson ≤6, PSA≤11 ng/ml et espérance de vie > 5 ans, en surveillance active
  • critères d’exclusion : antécédent de radio-, chimio- ou hormonothérapie prostatique, recours à des glucocorticoïdes systémiques ou à des analogues de la gonadoréline dans les 3 mois précédents, volume prostatique >80 ml, antécédent de chirurgie prostatique, hypertrophie prostatique bénigne sévère.

 

Protocole d’étude 

  • étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo
  • intervention : 0,5 mg de dutastéride (n=147) versus placebo (n=155) durant 3 ans
  • suivi tous les 3 mois durant la 1ère année puis tous les 6 mois : mesure du PSA à chaque contrôle, toucher rectal à l’inclusion dans l’étude, à 1,5 et 3 ans, biopsie prostatique à 1,5 et 3 ans sauf réalisation de celle-ci dans les 6 mois précédents (indication clinique).

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire composite : délai de progression de la pathologie ou du traitement (initiation d’un traitement « définitif » : prostatectomie, irradiation, hormonothérapie)
  • critères secondaires : éléments du critère primaire composite, caractéristiques histologiques, anxiété liée au cancer de la prostate (anxiété générale, spécifiquement pour une rechute et pour le test PSA)
  • analyse en intention de traiter modifiée : au moins une biopsie ou évaluation de la progression thérapeutique après inclusion.

 

Résultats 

  • critère primaire :
    • après 3 ans : 48% dans le groupe placebo, 38% dans le groupe dutastéride : HR 0,62 avec IC à 95% de 0,43 à 0,89 et p=0,009
    • après 1,5 ans : HR de 0,56 avec IC à 95% de 0,36 à 0,87
  • critères secondaires :
    • progression de la pathologie après 3 ans : 51 patients sous placebo, 43 sous dutastéride ; au score de Gleasson, progression de 41% sous placebo et de 44% sous dutastéride
    • progression thérapeutique après 3 ans : 19 versus 11
    • score global d’anxiété liée au cancer : significativement diminué dans le groupe dutastéride et légèrement augmenté sous placebo (p=0,036), sans différence pour les scores partiels (sauf une moindre crainte de rechute sous dutastéride)
    • effets indésirables : pas de différence statistiquement significative, en raison de faibles nombres cependant numériquement plus élevés sous dutastéride pour les troubles de la libido et de l’éjaculation, pour des plaintes de gynécomastie ; aucun décès lié au cancer de la prostate.
     

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le dutastéride pourrait être un complément bénéfique à une surveillance active chez des hommes présentant un cancer de la prostate à bas risque.

 

Financement de l’étude

Firme GlaxoSmithKline qui commercialise le dutastéride ; la firme est impliquée dans tous les stades de l’étude, du protocole à la récolte des résultats.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs mentionnent différents conflits d’intérêts avec des firmes pharmaceutiques, principalement GlaxoSmithKline.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La limite la plus importante de cette étude est la taille de l’échantillon. Le calcul de la puissance est correctement effectué afin d’atteindre un résultat statistiquement significatif pour le critère primaire composite mais la population est trop faible pour montrer une différence dans la progression de la pathologie ou du traitement, ou pour les effets indésirables. Le recrutement a pourtant été rapide et la population est plus importante que celle de la précédente étude REDUCE (4). Un deuxième point faible est le fait que le dutastéride provoque, par son mécanisme d’action, une baisse du taux de PSA, les patients comme les médecins traitants suivant l’évolution de ce paramètre, ce qui pouvait leur permettre de déterminer le traitement réellement reçu ; le maintien réel de l’insu n’est pas rapporté. Ceci représente un risque de biais important, un traitement pouvant être plus rapidement instauré dans le groupe placebo en cas d’augmentation du taux de PSA. Les auteurs ne mentionnent malheureusement pas l’effet du traitement sur le taux de PSA. La troisième faiblesse est la durée de suivi (relativement) courte dans cette étude (voir plus loin). Enfin, le mode de diagnostic initial du cancer de prostate chez les patients inclus n’est pas précisé : après dépistage systématique ? Sur recherche de cas (case finding) ? Suite à la survenue de plaintes ?

 

Interprétation des résultats

Un médicament permettant de ne pas devoir recourir à une intervention thérapeutique en cas de cancer de la prostate, le patient décédant d’une autre cause, serait le bienvenu. L’efficacité du dutastéride sur le critère primaire composite est plus faible que ce que les auteurs attendaient et l’ampleur d’effet s’amenuise entre 1,5 et 3 ans. Les courbes de Kaplan-Meier montrent clairement que l’évolution de ce critère primaire est principalement liée à la progression de la pathologie au moment des biopsies systématiques à 1,5 et 3 ans, avec une survenue plutôt faible d’événements cliniques. Pour le critère le plus objectif de cette étude (la progression pathologique), la différence entre les groupes n’est pas statistiquement significative (29 versus 33%).

Une importante question demeure : quel est l’effet (favorable ou défavorable) d’un traitement précoce avec le dutastéride sur un développement ultérieur de tumeurs prostatiques agressives ? Les résultats de l’étude REDUCE (4) incitent une telle réflexion. Dans cette étude randomisée, contrôlée versus placebo, effectuée par la même firme, chez 6 729 hommes traités pendant 4 ans, les biopsies prostatiques montrent d’une part une réduction significative du nombre de carcinomes prostatiques de bas grade (score de Gleasson de 5-6 : 13,2% vs 18,1%), mais, d’autre part, une absence d’effet pour des scores de Gleasson de 7-10 et un nombre plus élevé de tumeurs de grade élevé (score de Gleasson 8-10), non significativement au vu du nombre faible de cas (29 dans le groupe traité versus 19 dans le groupe contrôle, p=0,15). Ce glissement vers un nombre plus élevé de tumeurs avec score de Gleasson supérieur est encore plus franc dans l’étude plus importante avec le finastéride, Prostate Cancer Prevention Trial (5,6).

L’intérêt de cette stratégie pharmacologique dépendra naturellement de différents facteurs. Si le patient est âgé ou est atteint d’affections avec espérance de vie réduite, la progression naturelle de la tumeur peut être à ce point lente qu’un ralentissement pharmacologique de la progression pathologique ne présente aucun avantage. Chez des patients très jeunes, en principe à plus long terme un risque plus élevé de survenue de tumeurs paradoxalement plus agressives est possible (cfr les résultats de l’étude REDUCE). Les patients qui se situent entre ces deux extrêmes pourraient eux tirer profit de cette stratégie thérapeutique, ce qui reste à prouver dans des études incluant plus de patients et à plus long terme. Il faut aussi mieux préciser les caractéristiques de ce groupe, avec une meilleure stratification des risques. Des tests permettant de mieux faire une différence entre des tumeurs de nature indolente et des tumeurs agressives seraient en théorie utiles. Les auteurs y font allusion, mais ne l’évaluent pas dans leur étude. D’autres analyses post hoc ont cependant montré que les inhibiteurs de la 5-alpha-réductase augmentaient la sensibilité du dépistage PSA pour la détection de tumeurs de haut grade (6,7).

L’effet du traitement sur l’anxiété liée à la pathologie dans cette étude est influencé probablement aussi principalement par les résultats pathologiques et les différences pour le taux de PSA. L’effet d’un traitement médicamenteux sur des variables psychologiques devrait être évalué dans une étude gratifiant tous les participants d’une aide psychologique soutenue. Un accompagnement psychosocial plus large, pour tous les patients, semble de première importance, avant toute approche pharmacologique.

Les inhibiteurs de la 5-alpha-réductase sont tératogènes (nécessité d’utiliser un préservatif en cas de rapport sexuel avec une femme en âge et situation de procréer) et peuvent provoquer des interactions médicamenteuses par la voie du CYP3A4.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude montre que le dutastéride administré durant 3 ans à des hommes en surveillance active d’un cancer de prostate de bas grade diminue faiblement le risque absolu de progression pathologique évalué par des biopsies systématiques de la prostate. Elle inclut cependant une population trop peu importante, sur une durée trop courte et sans critères de jugement suffisamment forts pour conclure à un bénéfice clinique plus important que les inconvénients et effets indésirables potentiels.  

 

Pour la pratique

Selon le guide de pratique de NICE (8), pour les hommes présentant un cancer de la prostate à bas risque chez lesquels un traitement curatif est envisagé (T1c, score de Gleasson 3+3, densité de PSA < 0,15 ng/ml/ml, < 50% de biopsies positives, avec < 10 mm invasion, sur tous les échantillons biopsiques), c’est une surveillance active qui est recommandée. Lors de ce suivi régulier avec tests PSA et biopsies prostatiques, si une progression est constatée, un traitement radical est recommandé. La décision d’initier ce traitement pour un individu dépend de son espérance de vie, de ses comorbidités et de ses souhaits. A l’heure actuelle, nous disposons de trop peu de preuves pour utiliser des inhibiteurs de la 5-alpha-réductase chez (certains sous-groupes) des patients atteints d’un cancer de la prostate et en surveillance active.

 

 

Références

  1. Cancer Incidence in Belgium, 2008 – Belgian Cancer Registry. http://www.kankerregister.org/media/docs/StK_publicatie.pdf
  2. Doelmatige behandelingen van benigne en maligne prostaatpathologieën. Consensusconferentie Brussel, 12 mei 2011.
  3. Mostaghel EA, Nelson PS. Intracrine androgen metabolism in prostate cancer progression: mechanisms of castration resistance and therapeutic implications. Best Pract Res Clin Endocrinol Metab 2008;22: 243-58.
  4. Andriole GL, Bostwick DG, Brawley OW et al; REDUCE Study Group. Effect of dutasteride on the risk of prostate cancer. N Engl J Med 2010;362:1192-202.
  5. Wilt TJ, MacDonald R, Hagerty K et al. Five-alpha-reductase Inhibitors for prostate cancer prevention. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 2.
  6. Thompson IM, Chi C, Ankerst DP et al. Effect of finasteride on the sensitivity of PSA for detecting prostate cancer. J Natl Cancer Inst 2006;98:1128-33.
  7. Andriole GL, Bostwick D, Brawley OW et al; REDUCE Study Group. The effect of dutasteride on the usefulness of prostate specific antigen for the diagnosis of high grade and clinically relevant prostate cancer in men with a previous negative biopsy: results from the REDUCE study. J Urol 2011;185:126-31.
  8. National Collaborating Centre for Cancer. Prostate cancer: diagnosis and treatment. February 2008.
Surveillance active d’un cancer de la prostate : le dutastéride utile ?

Auteurs

Claessens F.
Laboratorium voor Moleculaire Endocrinologie, KU Leuven
COI :

Joniau S.
Dienst Urologie, UZ Leuven
COI :

Laurent M.
Laboratorium voor Moleculaire Endocrinologie, KU Leuven; Dienst Inwendige Geneeskunde, UZ Leuven
COI :

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires