Revue d'Evidence-Based Medicine



Douleur neuropathique : un patch de capsaïcine à forte concentration ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 6 Page 73 - 74

Professions de santé


Analyse de
Mou J, Paillard F, Turnbull B. Qutenza (Capsaicin) 8% patch onset and duration of response and effects of multiple treatments in neuropathic pain patients. Clin J Pain 2013 30:286-94.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité d’un patch de capsaïcine à forte concentration (8 %) versus un patch de capsaïcine à faible concentration (0,04 %) chez des patients présentant une douleur neuropathique ?


Conclusion
Cette méta-analyse montre que l’application d’un patch de capsaïcine à concentration élevée (8 %) sur la zone cutanée douloureuse chez les patients présentant une névralgie post-herpétique ou associée au VIH apporte un meilleur soulagement de la douleur qu’un patch de capsaïcine à faible concentration (0,04 %) et s’accompagne d’une légère augmentation des effets indésirables mineurs (comme irritation de la peau). Cette étude ne nous permet pas de situer ce traitement par rapport à d’autres traitements locaux, ni par rapport à des traitements oraux.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

 

Contexte

L’infection par le virus herpès zoster (HZ) et l’infection par le VIH peuvent provoquer une douleur neuropathique (1,2). En plus des traitements oraux, il existe aussi des analgésiques topiques, comme la lidocaïne, la kétamine et la capsaïcine. La capsaïcine en crème doit être appliquée jusqu’à quatre fois par jour, ce qui conduit souvent à une mauvaise observance du traitement (3). Le bénéfice pour le patient de l’utilisation d’un patch à concentration supérieure en capsaïcine dans le but de mieux contrôler les douleurs neuropathiques doit encore être démontré (4,5).

 

Résumé

 

Méthodologie

Méta-analyse

 

Sources consultées

  • Qutenza Clinical Trials Database.

 

Études sélectionnées

  • 7 études randomisées contrôlées menées en double aveugle, comparant l’utilisation d’un patch de capsaïcine à 8 % à un patch de capsaïcine à 0,04 % chez des patients présentant une douleur neuropathique
  • 3 des 7 études cliniques randomisées (n = 389) sont en protocole ouvert.

Population étudiée

  • 2 114 patients présentant une douleur neuropathique associée à l’infection par le virus Herpès zoster (n = 1313 ; âge moyen de 70,8 ans (DS : 11,6 ans) ; 47,1 % d’hommes) ou associée à l’infection par le VIH (n = 801 ; âge moyen de 49 ans (DS : 8,4 ans) ; 89,6 % d’hommes).

Mesure des résultats

  • différence entre les deux groupes quant au nombre de patients qui présentaient une diminution de 30 % de l’intensité moyenne de la douleur sur l’échelle numérique de la douleur NPRS (Numeric Pain Rating Scale) entre le début de l’étude et la semaine 2 à 12
  • différence entre les deux groupes quant au nombre de patients chez qui la douleur avait disparu (score moyen sur l’échelle NPRS ≤ 1 de la semaine 2 à 12)
  • proportion de patients qui présentaient une diminution de 30 % de la douleur et proportion de patients chez qui la douleur avait disparu entre le début de l’étude et la fin du suivi en ouvert
  • délai jusqu’à la diminution de 30 % de la douleur après l’application du patch
  • délai entre la diminution de 30 % de la douleur et le retour de la douleur à son niveau d’intensité du début de l’étude
  • nombre de traitements et intervalle entre eux, intensité maximale de la douleur au cours des 24 heures suivant chaque traitement
  • modifications de la sensibilité (diminution ou augmentation) de la zone douloureuse, modifications des caractéristiques de la douleur neuropathique.

 

Résultats

  • diminution de 30 % de l’intensité moyenne de la douleur : 552 patients (43 %) du groupe capsaïcine à 8% versus 258 patients (34 %) du groupe témoin : RR de 1,27 avec IC à 95 % de 1,13 à 1,43 ; dans le sous-groupe avec infection par le virus HZ : 44 % versus 35 % : RR de 1,29 avec IC à 95 % de 1,10 à 1,45 ; dans le sous-groupe avec infection par le VIH : 41 % versus 31% : RR de 1,31 avec IC à 95 % de 1,06 à 1,63
  • nombre de patients chez qui la douleur avait disparu après 12 semaines : 9% versus 6% (statistiquement significatif) ; 11 % versus 6 % dans le sous-groupe avec infection par le virus HZ (statistiquement significatif) et 7 % versus 6 % dans le sous-groupe avec infection par le VIH (statistiquement non significatif)
  • 9,2 % dans le sous-groupe avec infection par le virus HZ et 9,8 % dans le sous-groupe avec infection par le VIH n’avaient plus de douleur après un suivi médian de 336 jours
  • le délai jusqu’à l’obtention d’une diminution de 30 % de la douleur était plus court avec la capsaïcine à 8% qu’avec le contrôle dans le sous-groupe avec infection par le virus HZ, et plus long dans le sous-groupe avec infection par le VIH
  • le délai entre la diminution de 30 % de la douleur et le retour de la douleur à son niveau d’intensité du début de l’étude était de 157 ± 124,9 jours pour les patients traités avec la capsaïcine à 8 %
  • l’intensité maximale de la douleur au cours des 24 heures après chaque traitement a diminué en moyenne de 25 et 26 %
  • le délai entre deux traitements avec un patch de capsaïcine était de 84 à 88 jours (médiane) ; pour 37 % des patients, un seul traitement a suffi ; 28,6 % ont nécessité deux traitements ; 26 % en ont nécessité trois ; 11,6% quatre ; et 0,2% cinq
  • pas de différence statistiquement significative dans la diminution ou l’augmentation de la sensibilité et dans les modifications des caractéristiques de la douleur neuropathique entre le groupe capsaïcine à 8% et le groupe capsaïcine à 0,04 %.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la capsaïcine à 8 % est efficace pour une proportion importante de patients. Chez les patients qui réagissent positivement à la capsaïcine à 8 %, le soulagement de la douleur débute quelques jours après le traitement et dure environ cinq mois.

Financement 

Astellas Pharma Global Development (Pays-Bas).

 

Conflits d’intérêt 

Aucun auteur n’en déclare.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse ne s’appuie pas sur une recherche systématique dans la littérature scientifique. Les chercheurs se sont limités à une banque de données spécifique qui n’est pas totalement claire. Néanmoins, hormis une étude comptant seulement 38 patients, le résultat de la recherche correspond à celui de la synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration publiée en 2009 (6). Un biais de notification est donc peu probable. Les chercheurs n’ont pas évalué la qualité méthodologique des études. Dans sa conclusion, le rapport de la Cochrane Collaboration souligne le niveau de qualité élevé des études incluses. Pourtant, aucune étude n’a décrit la méthode de randomisation, et, pour une étude sur quatre, le secret d’attribution n’est pas clair. Toutefois, 75 % décrivent correctement la manière dont l’intervention est réalisée en aveugle. Le patch de capsaïcine à faible concentration peut être considéré comme un « traitement actif placebo » ; il permet de reproduire les effets locaux indésirables de la capsaïcine topique (érythème, sensation de brûlure, douleur locale).

Les auteurs de la revue ont opté pour une diminution de 30 % de l’intensité de la douleur comme critère de jugement parce que toutes les études incluses ont rapporté ce résultat. On ignore dans quelle mesure cette diminution de la douleur est cliniquement pertinente. Les auteurs de la synthèse Cochrane ont opté pour une diminution de 50% de la douleur comme critère de jugement, mais ils n’ont trouvé que 3 études avec ce critère de jugement.

L’analyse des résultats et leur description n’ont pas toujours été effectuées de manière claire. Pour certaines comparaisons, il n’y a pas eu d’analyse statistique.

 

Interprétation des résultats

Trois mois après son application, un patch de capsaïcine à forte concentration utilisé une seule fois a apporté un soulagement de la douleur plus important qu’un patch de capsaïcine à faible concentration utilisé une seule fois. Il faut traiter 9 patients avec un patch de capsaïcine à forte concentration pour obtenir, après trois mois, chez un patient de plus, une diminution de 30 % de l’intensité de la douleur. Ce NST est a priori comparable aux autres traitements de la douleur neuropathique, tels que la prégabaline orale (7) ou la gabapentine (8). Une étude comparative est cependant nécessaire pour que l’on puisse se prononcer clairement sur ce sujet.

Une méta-analyse de 3 études avec une période de suivi plus longue a montré que le patch de capsaïcine à 8% est également efficace à long terme. Pour plus de 50 % des patients, il suffit d’une ou deux applications pour obtenir, à long terme, un soulagement suffisant de la douleur. Cependant, ce suivi étant mené en ouvert, un effet placebo ne peut être exclu, et l’évolution naturelle du syndrome douloureux ne peut pas être évalué, or il pourrait expliquer pourquoi un patch faiblement dosé peut également être efficace à long terme. Ayant été mené en ouvert, ce suivi ne permet pas non plus d’exclure que la tolérance croissante, après la reprise du traitement, soit due à un biais de sélection (les patients qui tolèrent bien le patch resteront probablement plus longtemps dans l’étude). Dans l’évaluation de la douleur neuropathique, seuls deux tableaux cliniques sont évalués : la névralgie post-herpétique et celle associée au VIH. Les caractéristiques de la douleur ne sont pas suffisamment décrites : s’agit-il d’une hyperpathie, d’une allodynie, d’une anesthésie, d’élancements, de picotements, d’une douleur provoquée ou spontanée ?

Les auteurs ont également accordé peu d’attention aux effets indésirables. Selon le rapport de la Cochrane Collaboration (6), seules 3 études ont signalé correctement des réactions cutanées locales. La rougeur, la douleur, les papules, le prurit et l’œdème sont tous survenus plus fréquemment dans le groupe recevant le patch à forte concentration. Il n’y avait toutefois pas de différences dans les effets indésirables systémiques ni dans les sorties d’étude en raison d’effets indésirables. Une autre synthèse méthodique a montré que l’utilisation de capsaïcine à faible dosage est liée à un NNN de 2,5 (avec IC à 95 % de 2,1 à 3,1) (9).

 

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse montre que l’application d’un patch de capsaïcine à concentration élevée (8 %) sur la zone cutanée douloureuse chez les patients présentant une névralgie post-herpétique ou associée au VIH apporte un meilleur soulagement de la douleur qu’un patch de capsaïcine à faible concentration (0,04 %) et s’accompagne d’une légère augmentation des effets indésirables mineurs (comme irritation de la peau). Cette étude ne nous permet pas de situer ce traitement par rapport à d’autres traitements locaux, ni par rapport à des traitements oraux.

 

Pour la pratique

Le patch de capsaïcine à forte concentration ne fait pas (encore) partie de l’arsenal thérapeutique de référence des douleurs neuropathiques. Le CKS mentionne cependant le traitement par crème de capsaïcine à faible concentration (3 ou 4 fois par jour) pour les personnes souffrant de névralgie post-herpétique qui ne souhaitent pas de traitement oral ou ne peuvent pas en prendre (10). Toutefois, peu de preuves étayent cette recommandation (9). Les deux patchs, à faible et à forte concentration, sont enregistrés en Belgique. Le patch à faible concentration est disponible sans ordonnance et peut être appliqué deux fois par jour pour le traitement de la douleur musculaire. Le patch à forte concentration est réservé à l’usage hospitalier et ne peut être appliqué que pendant 60 minutes maximum (30 minutes au niveau des pieds). Il ressort de la présente méta-analyse que ce patch à forte concentration appliqué une seule fois présente de meilleurs résultats qu’un patch à faible concentration appliqué une seule fois. Il faut poursuivre la recherche pour évaluer si ce traitement onéreux est plus efficace, plus sûr et plus rentable que les autres traitements oraux et topiques recommandés dans la gestion des douleurs neuropathiques.

 

 

Références

  1. Ragozzino MW, Melton LJ, Kurland LT, et al. Population based study of herpes zoster and its sequelae. Medicine (Baltimore)1982;61:310-6.
  2. So YT, Holtzman DM, Abrams DI, Olney RK. Peripheral neuropathy associated with acquired immunodeficiency syndrome: prevalence and clinical features from a population based survey. Arch Neurol 1988;45:945-8.
  3. Mason L, Moore RA, Derry S, et al. Systematic review of topical capsaicin for the treatment of chronic pain. BMJ 2004;328:991.
  4. Backonja M, Wallace MS, Blonsky ER, et al; NGX-4010 C116 Study Group. NGX-4010, a high-concentration capsaicin patch, for the treatment of postherpetic neuralgia: a randomized, double-blind study. Lancet Neurol 2008;7:1106-12.
  5. Simpson DM, Brown S, Tobias J; NGX-4010 C107 Study Group. Controlled trial of high-concentration capsaicin patch for treatment of HIV neuropathy. Neurology 2008;70:2305-13.
  6. Derry S, Sven-Rice A, Cole P, et al. Topical capsaicin (high concentration) for chronic neuropathic pain in adults. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 2.
  7. Moore RA, Straube S, Wiffen PJ, Derry S, McQuay HJ. Pregabalin for acute and chronic pain in adults. Cochrane Database Syst Rev 2009, Issue 3.
  8. Moore RA, Wiffen PJ, Derry S, McQuay HJ. Gabapentin for chronic neuropathic pain and fibromyalgia in adults. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 3.
  9. Derry S, Moore RA. Topical capsaicin (low concentration) for chronic neuropathic pain in adults. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 9.
  10. Neuropathic pain – drug treatment. NICE Cinical Knowledge Summaries, February 2014.

 

 

Noms de marque 

Patch de capsaïcine 4,8 mg/216 cm² : Hansamedic®

Patch de capsaïcine 179 mg/280 cm² (8 %) : Qutenza®

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Douleur neuropathique : un patch de capsaïcine à forte concentration ?

Auteurs

Devulder J.
Pijnkliniek Universitair Ziekenhuis Gent, Vakgroep Anesthesiologie Universiteit Gent
COI :

Glossaire

NPRS

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