Revue d'Evidence-Based Medicine



HBPM chez des patients avec pathologie médicale aiguë



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 4 Page 45 - 46

Professions de santé


Analyse de
Kakkar AK, Cimminiello C, Goldhaber SZ, et al; LIFENOX Investigators. Low-molecular-weight heparin and mortality in acutely ill medical patients. N Engl J Med 2011;365:2463-72.


Question clinique
L’ajout d’énoxaparine au port de bas élastiques à compression étagée apporte-t-il versus port de bas seul un bénéfice en termes de mortalité globale chez patients âgés d’au moins 40 ans hospitalisés pour affection médicale aiguë et à risque de thromboembolie ?


Conclusion
Cette RCT montre l’absence d’intérêt de l’ajout d’énoxaparine au port de bas élastiques à compression étagée comparé au seul port de ces bas en termes de diminution des décès de toute cause chez des patients hospitalisés pour une maladie aiguë et à risque de TEV.


 

 

Contexte

Une prévention des thromboembolies chez des patients à risque et hospitalisés pour une pathologie médicale aiguë, prévention à l’hôpital et lors de leur retour (rapide) au domicile était recommandée (1). A trois mois de distance (novembre 2011 (2) et janvier 2012 (3)), 2 guides de pratique étatsuniens font des recommandations peu concordantes, ce qui nous invite à comparer les preuves sur lesquelles ils sont basés. Dans ce cadre, une RCT évaluant l’intérêt des héparines à bas poids moléculaire en ajout au port de bas de contention chez des patients médicaux alités - soit les 2 moyens préventifs les plus utilisés dans cette indication -, représente une source de données complémentaires dans cette recherche.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 8 307 patients âgés d’au moins 40 ans, 37,3% de femmes, hospitalisés pour au moins une des causes suivantes : décompensation aiguë d’une insuffisance cardiaque (31%), cancer en évolution (sauf hospitalisation pour chimiothérapie) (4%), infection systémique sévère (64,4% dont ½ = BPCO) ; ET avec au moins une des conditions suivantes : affection pulmonaire chronique (maladie obstructive chronique, fibrose pulmonaire, syndrome restrictif), obésité (IMC >30), antécédent de thromboembolie veineuse (TEV), âge d’au moins 75 ans (25%) ; ET hospitalisation prévue pour au moins 6 jours, score ≤3 sur une échelle de 1 à 6 (6 = maladie la plus sévère) ou, pour les patients souffrant d’un cancer, un score ≤ 2 sur une échelle de 0 à 5 (5 = maladie la plus sévère)
  • critères d’exclusion : e.a. chirurgie ou traumatisme majeur dans les 6 dernières semaines, TEV symptomatique à l’enrôlement, insuffisance multiorganique, saignement pathologique actif documenté, contre-indication à une anticoagulation, AVC à l’inclusion ou dans les 10 jours précédents, prothèse valvulaire cardiaque, métastases cérébrales confirmées, clairance de créatinine <30 ml/min, anémie sévère, ponction lombaire dans les 24 heures.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en triple aveugle, contrôlée avec double placebo, multicentrique, internationale (hors USA et Europe, Chine et Inde principalement)
  • intervention : pour tous les patients, port de bas jusqu’aux genoux, avec contention étagée (15 mmHg aux chevilles et 10 mmHg aux genoux) et soit énoxaparine 40 mg 1x/j en SC (n=4 171) soit un placebo (n=4 136) pendant 10 ± 4 jours
  • analyse en ITT pour l’efficacité, en ITT modifiée (prise d’au moins 1 dose) pour la sécurité.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire d’efficacité : décès de toute cause au J30
  • critères secondaires d’efficacité : décès aux J14 et J90, décès cardiopulmonaire, critère composite (mort subite + embolie pulmonaire aux J14, J30 et J90)
  • critère primaire de sécurité : saignement majeur à 48 h post fin du traitement
  • critères secondaires de sécurité : saignements non majeurs cliniquement pertinents, effets indésirables non sévères, saignements mineurs. 

 

Résultats

  • sorties d’étude : 0,5% au J30, 0,9% au J90
  • davantage d’arrêts de traitement pour effets indésirables sous énoxaparine (3,6%) que sous placebo (2,8%)
  • critère primaire d’efficacité : au J30, 4,9% de décès sous énoxaparine versus 4,8% sous placebo ; Rapport de Risque (RR) de 1,0 avec IC à 95% de 0,8 à 1,2 et p=0,83
  • critères secondaires d’efficacité : pas de différences significatives, e.a. pour les décès au J90
  • critère primaire de sécurité : 0,4% versus 0,3% ; RR de 1,4 avec IC à 95% de 0,7 à 3,1 et p=0,35
  • critères secondaires de sécurité : tous les saignements : RR 1,5 (IC à 95% de 1,1 à 2,1 ; p=0,01)
  • 3 décès par hémorragie sont enregistrés sous énoxaparine.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’ajout d’énoxaparine au port de bas élastiques à compression étagée comparé au seul port de ces bas n’était pas associé à une réduction de la proportion de décès de toute cause chez des patients avec une maladie aiguë et hospitalisés.

 

Financement 

firme Sanofi.

 

Conflits d’intérêt 

1 seul des 6 auteurs ne déclare pas de liens d’intérêt ; consultance et/ou subsidiation par une ou souvent plusieurs firmes pour les 5 autres.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le protocole de cette étude semble à première vue correct : randomisation avec séquence et secret d’attribution dans les règles établies, triple aveugle, définition claire des critères d’inclusion et d’exclusion, des critères de jugement, analyse en ITT. Par contre, d’autres questions importantes sont soulevées : le choix des patients, des traitements et des pays d’investigation. Le choix des patients est analysé dans le paragraphe suivant. Pour les traitements choisis, le choix d’imposer le port de bas dans les 2 groupes n’est pas argumenté. Dans leur introduction, les auteurs ne mentionnent pas l’efficacité habituelle d’un tel traitement. Dans leur protocole, ils envisageaient une incidence de décès de 7% avec ce type de traitement seul, risque espéré réduit de 25% avec l’énoxaparine, mais sans préciser le risque sans traitement du tout, autrement dit, jugeaient-ils ce traitement efficace ou non ? Dans leur discussion, ils semblent bien admettre le manque de preuve d’une efficacité du type de bas utilisés dans cette étude … sur base d’études publiées après la réalisation de celle-ci ! La question reste donc sans réponse. Le choix des pays d’investigation pose également la question de l’extrapolabilité des conditions de prise en charge de cette prévention dans des pays non occidentaux.

 

Interprétation des résultats

Les caractéristiques individuelles mais aussi ethniques des patients méritent attention. Les patients ne sont pas décrits comme devant être alités, mais hospitalisés pour 6 jours au moins. Il s’agit majoritairement de patients présentant une infection (dont la moitié sur fond de BPCO), de patients en insuffisance cardiaque. Ces caractéristiques sont similaires à celles des patients de l’étude ADOPT (4). Ce qui est différent, c’est l’inclusion dans cette étude LIFENOX de patients présentant un cancer (4%), état accompagné d’un risque thromboembolique accru (5). Il ne s’agit cependant pas de patients très sévèrement atteints : (scores ≤ 3 et ≤ 2 pour les patients présentant un cancer, sans précision sur le motif du choix de ce seuil). Dans l’étude ADOPT par contre, n’étaient inclus que des patients présentant une mobilité modérément ou sévèrement réduite (6). En analyse de sensibilité, les auteurs soulignent que les facteurs indépendamment associés avec une augmentation des décès sont un cancer, la BPCO, l’existence d’au moins 2 pathologies aiguës, une insuffisance rénale. La survenue d’une TEV n’est étonnamment pas reprise dans les critères de jugement. Sa survenue est faible versus chiffres obtenus lors d’examens échographiques systématiques : au J90, 0,5% sous énoxaparine et 0,7% sous placebo, et respectivement 0,2% et 0,1% pour les événements documentés, sans intérêt substantiel pour l’énoxaparine.

 

Autres publications

Une précédente étude (5) montrait qu’en prévention secondaire de la TEV chez des patients cancéreux qui en ont présenté récemment une, les héparines à bas poids moléculaires sont plus efficaces et aussi sûres que les anticoagulants oraux. Le débat actuel concerne plus généralement la prophylaxie thromboembolique chez des patients hospitalisés pour raison médicale et à risque de TEV. Comme déjà mentionné dans la revue Minerva (6), une synthèse rigoureuse (7) concluait fin 2011 à une efficacité non significative d’une prophylaxie héparinique sur la mortalité, probable sur l’embolie pulmonaire chez des patients médicaux ou post AVC, avec davantage de saignements et de saignements majeurs, avec donc un bénéfice net faible ou absent selon les auteurs de cette recherche. Cette même synthèse concluait à une absence de bénéfice d’une prophylaxie mécanique, par contre fort nuisible chez des patients post AVC. En ne reprenant, dans cette publication, que la méta-analyse des études concernant les patients médicaux (N = 10, n = 20 717), il n’y a pas de bénéfice pour l’héparine (différents types inclus) en termes de mortalité (RR 0,94 ; IC à 95% de 0,84 à 1,04), mais bien pour la prévention de l’embolie pulmonaire, avec une tendance à davantage de saignements majeurs (RR 1,49 ; 0,91 à 2,43). Pour ce dernier critère c’est l’ajout des résultats des études post AVC (70% du poids de cette méta-analyse-ci) qui rend le risque significatif (RR 1,61 ; 1,13 à 2,10). Une autre recherche systématique dans la littérature (8), contemporaine de la précédente, n’a pas repris les études originales mais les résultats de 3 synthèses méthodiques de bonne qualité (une de la Cochrane collaboration mais retirée depuis, Dentali 2007 (N=9, n=19 957) (9) et Lloyd 2008 (N=4, n=5 516) (10)). Elle montre également des différences non significatives pour les saignements majeurs (OR 1,32 ; 0,73 à 2,37), pour la mortalité globale (OR 0,97 ; 0,79 à 1,19), pour les embolies pulmonaires non fatales. Pour la prévention des TVP, si le RR est à la limite de la signification statistique (0,47 ; 0,22 à 1), une répartition suivant le risque est fort instructive : pour un risque initial bas (2/1 000), sous héparine 1 TVP symptomatique en moins pour 1 000 traités (IC à 95% de 1 en moins à 0 en plus) ; pour un risque initial élevé (67/1 000) 34 TVP symptomatiques en moins pour 1 000 patients traités (de 51 en moins à 0 en plus). Les auteurs donnent 2 échelles de scores de référence, l’une pour le risque de thromboembolie veineuse (Padua Prediction Score), l’autre (non validée), basée sur des données d’observation (11) pour le risque de saignement chez des patients hospitalisés pour raison médicale.

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT montre l’absence d’intérêt de l’ajout d’énoxaparine au port de bas élastiques à compression étagée comparé au seul port de ces bas en termes de diminution des décès de toute cause chez des patients hospitalisés pour une maladie aiguë et à risque de TEV.

 

Pour la pratique

Pour des patients hospitalisés pour raison médicale (situation aiguë), un guide de pratique étatsunien (3,8) recommande une anticoagulation thromboprophylactique en cas de risque thrombotique accru (Padua Prediction Score ≥ 4 points - GRADE 1B) mais non en cas de bas risque (GRADE 1B) ou en cas de haut risque de saignement (GRADE 1B). En cas de bas risque, le port de bas n’est pas recommandé (GRADE 1B) mais bien en cas de haut risque de saignement et de thromboembolie et d’absence d’anticoagulation (GRADE 2C).

Une analogie pourrait être faite pour des situations aiguës d’alitement pour des pathologies médicales en dehors de l’hôpital mais non pour des situations d’immobilisation chronique au domicile ou dans des maisons de repos et de soins (recommandation contre une thromboprophylaxie systématique dans ce dernier cas (GRADE 2C)).

De par son dessin, cette étude LIFENOX n’apporte aucun élément pouvant remettre ces recommandations en cause.

 

 

Références

  1. Geerts WH, Bergqvist D, Pineo GF, et al. Prevention of venous thromboembolism: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines (8th Edition) Chest 2008;133;381S-453S.
  2. Qaseem A, Chou R, Humphrey LL, et al; Clinical Guidelines Committee of the American College of Physicians. Venous thromboembolism prophylaxis in hospitalized patients: a clinical practice guideline from the American College of Physicians. Ann Intern Med 2011;155:625-32.
  3. Guyatt GH, Akl EA, Gutterman DD, et al; for the American College of Chest Physicians Antithrombotic Therapy and Prevention of Thrombosis Panel. Executive Summary: antithrombotic Therapy and Prevention of Thrombosis, 9th ed: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest 2012;141;7S-47S.
  4. Goldhaber SZ, Leizorovicz A, Kakkar AK, et al; ADOPT Trial Investigators. Apixaban versus enoxaparin for thromboprophylaxis in medically Ill patients. N Engl J Med 2011;365:2167-77.
  5. Lannoy J. Prévention de la récidive thrombo-embolique chez le patient cancéreux. MinervaF 2005;4(4):63-5.
  6. Chevalier P. Pas d’apixaban pour les patients immobilisés par une pathologie médicale. MinervaF 2012;11(2):23-4.
  7. Lederle FA, Zylla D, MacDonald R, Wilt TJ. Venous thromboembolism prophylaxis in hospitalized medical patients and those with stroke: a background review for an American College of physicians clinical practice guideline. Ann Intern Med 2011;155:602-15.
  8. Kahn SR, Lim W, Dunn AS, et al ; American College of Chest Physicians. Prevention of VTE in nonsurgical patients: antithrombotic therapy and prevention of thrombosis, 9th ed: American College of Chest Physicians evidence-based clinical practice guidelines. Chest 2012;141(suppl):e195S-226S.
  9. Dentali F, Douketis JD, Gianni M, et al. Meta-analysis: anticoagulant prophylaxis to prevent symptomatic venous thromboembolism in hospitalized medical patients. Ann Intern Med 2007;146:278-88.
  10. Lloyd NS, Douketis JD, Moinuddin I, et al. Anticoagulant prophylaxis to prevent asymptomatic deep vein thrombosis in hospitalized medical patients: a systematic review and meta-analysis. J Thromb Haemost 2008;6:405-14.
  11. Mahé I, Bergmann JF, d’Azémar P, et al. Lack of effect of a low-molecular-weight heparin (nadroparin) on mortality in bedridden medical in-patients: a prospective randomised double-blind study. Eur J Clin Pharmacol 2005;61:347-51.
HBPM chez des patients avec pathologie médicale aiguë



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