Revue d'Evidence-Based Medicine



Prise d’au moins un antihypertenseur le soir ?



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 1 Page 6 - 7

Professions de santé


Analyse de
Hermida RC, Ayala DE, Mojón A, Fernández JR. Influence of time of day of blood pressure-lowering treatment on cardiovascular risk in hypertensive patients with type 2 diabetes. Diabetes Care 2011;34:1270-6.


Question clinique
Chez des patients présentant une hypertension artérielle et un diabète de type 2, quel est l’effet de la prise d’au moins un antihypertenseur le soir plutôt que le matin sur le contrôle des chiffres tensionnels et en termes de diminution du risque cardiovasculaire ?


Conclusion
Cette étude montre, chez des patients présentant un diabète de type 2 bien contrôlé et une hypertension, sans antécédent cardiovasculaire, que la prise vespérale d’au moins un des antihypertenseurs diminue le nombre d’événements cardiovasculaires sévères. Elle ne permet pas de préciser les antihypertenseurs à prendre en considération pour cette modification.


 

Contexte

Une étude a montré une différence cliniquement pertinente en termes d’ampleur de diminution des chiffres tensionnels et de prévention des effets indésirables entre une prise matinale et une prise vespérale de différentes classes d’antihypertenseurs (1). D’autres études ont observé un lien entre une pression artérielle plus élevée la nuit et une augmentation des événements cardiovasculaires (2). La prise vespérale des antihypertenseurs permet-elle de mieux contrôler la pression artérielle nocturne et diminue-t-elle ainsi l’incidence des événements cardiovasculaires ? Cette recherche fait l’objet de l’étude MAPEC (3) dont les résultats spécifiques aux patients présentant un diabète sont rapportés dans la publication ici analysée.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 448 patients (255 hommes, 193 femmes) âgés en moyenne de 62,5 ans (ET 10,8), hypertendus (PA moyenne de 133/74 mmHg sur 48 heures de monitoring ambulatoire) et diabétiques (HbA1c moyenne de 6,8-6,9%) ; étude effectuée en Espagne chez des patients référés par leur médecin généraliste à un centre de consultation des pathologies vasculaires de deuxième ligne
  • critères d’exclusion : grossesse, travail en équipe, abus de médicaments ou d’alcool, diabète de type 1, hypertension secondaire, pathologie cardiovasculaire (angor instable, insuffisance cardiaque, trouble du rythme à risque vital, néphropathie, rétinopathie de grade III-IV).

 

Protocole d’étude

  • RCT en protocole ouvert, avec évaluation en insu, unicentrique
  • 2 bras d’étude : soit prise matinale de tous les antihypertenseurs au lever (n = 232), soit prise d’au moins un antihypertenseur au coucher (n = 216)
  • suivi de la pression artérielle au moins une fois par an ou plus fréquemment (après 3 mois en cas de modification du traitement) grâce à une mesure ambulatoire de 48 heures (PA diurne mesurée toutes les 20 minutes et nocturne toutes les 30 minutes), précédée de 6 mesures conventionnelles
  • suivi des événements cardiovasculaires via un relevé annuel des dossiers médicaux.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires composites : morbimortalité cardiovasculaire totale (décès de toute cause, infarctus du myocarde, angor, revascularisation coronaire, insuffisance cardiaque, ischémie aiguë des membres inférieurs, thrombose artérielle de la rétine, AVC ischémique ou hémorragique, AIT) ; événements cardiovasculaires majeurs (décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde, AVC)
  • critères de jugement secondaires : les différents composants des critères primaires, les antihypertenseurs utilisés, l’évolution de la pression artérielle
  • analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • suivi moyen de 5,4 ans (écarts de 0,5 à 8,4)
  • critères primaires :
    • décès et morbidité cardiovasculaire : 68 événements dans le groupe « matin » versus 23 dans le groupe « soir » : rapport de hasards désigne le risque relatif de survenue d’un résultat dans une analyse réalisée à l’aide du modèle de régression de Cox. Il s’agit d’un risque relatif « instantané » tenant compte de la durée de présence dans l’étude.">HR 0,33 avec IC à 95% de 0,21 à 0,54 et p<0,001
    • événements cardiovasculaires majeurs : 22 dans le groupe « matin » et 6 dans le groupe « soir » : HR 0,25 avec IC à 95% de 0,10 à 0,61 et p=0,003
  • critères secondaires : significativement moins de décès cardiovasculaires (p=0,038), d’événements cardiovasculaires (p=0,008) et cérébrovasculaires (p=0,010), d’insuffisance cardiaque (p=0,020) dans le groupe « soir » ; pas de différence pour la mortalité globale
  • PA moyenne et nocturne sous contrôle chez davantage de patients dans le groupe « soir » (respectivement 62,5 vs 50,9% et 70,8 vs 54,7%) ; pas de différence pour la PA diurne.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les patients diabétiques qui prennent au moins un antihypertenseur le soir au lieu de prendre tous les antihypertenseurs le matin ont un meilleur contrôle de leur pression artérielle et voient leur morbimortalité cardiovasculaire significativement diminuer.

 

Financement

Différentes institutions officielles espagnoles et Université de Vigo, Espagne

 

Conflits d’intérêt

les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits en rapport avec cet article.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude est dans l’ensemble bien élaborée. Les caractéristiques initiales et les médicaments utilisés (classes d’antihypertenseurs, nombre d’antihypertenseurs par patient, recours à une statine et à l’aspirine) sont semblables entre groupes, indiquant une randomisation correcte. En fonction de la nature de l’intervention (prise matinale ou vespérale), les auteurs ont fait le choix d’un protocole ouvert. Un double aveugle aurait été théoriquement possible mais beaucoup plus difficile à organiser. L’évaluation des critères est faite en insu mais les chercheurs ne mentionnent pas si les évaluateurs étaient informés par les patients du schéma de prise médicamenteuse. Même si c’est le cas, ceci n’a probablement pu influencer les résultats que fort faiblement, la mesure de la PA étant automatisée. Les auteurs ne nous donnent aucune information concernant le nombre de patients nécessaire pour atteindre une puissance suffisante dans la différence pour les critères. Le nombre d’événements reste limité et le nombre de patients diminue au fil de l’étude. Après 6 ans, seuls 153 des 448 patients initiaux restent suivis. L’analyse est faite en intention de traiter et le nombre de sujets reste semblable dans les 2 groupes (77 et 76). Un autre point faible est l’absence de mention de l’observance thérapeutique. Une répartition des médicaments entre le matin et le soir pourrait, en théorie, diminuer l’observance dans le groupe « soir », mais les résultats meilleurs dans ce groupe rendent cette éventuelle différence d’observance d’influence peu importante.

 

Interprétation des résultats

Cette étude montre que la prise vespérale des antihypertenseurs diminue les événements cardiovasculaires chez les patients hypertendus diabétiques de type 2. Ses résultats montrent qu’un meilleur contrôle de la pression nocturne joue dans cette observation probablement un rôle important. L’interprétation des résultats est cependant difficile au vu de l’utilisation de différents antihypertenseurs, à différentes posologies, avec durées d’action et profils d’interactions également différents. Ceci ne nous permet pas de déterminer quelles classes d’antihypertenseurs doivent être de préférence prises le soir. Seuls 25% des patients inclus ne prenaient qu’un seul antihypertenseur ; nous ne pouvons donc également pas conclure quant à l’utilité de ce passage à une prise vespérale en cas de monothérapie. Le nombre de patients présentant une pression nocturne plus élevée atteint 70% dans cette étude. Les résultats ne peuvent donc être extrapolés aux patients hypertendus non diabétiques chez lesquels la prévalence d’une pression artérielle nocturne plus élevée est moindre (4).

 

Autres études

La chronopharmacologie recherche le meilleur moment de la journée pour la prise d’un médicament précis pour en optimaliser l’efficacité. Un exemple bien connu : les corticostéroïdes oraux qui doivent être pris de préférence le matin. Certains auteurs plaident pour des médicaments à libération nocturne lente (5). Par exemple, le méthotrexate en une prise quotidienne vespérale en cas d’arthrite rhumatoïde présente une plus-value thérapeutique versus une présentation plus concentrée à prise hebdomadaire (6). Des patients souffrant d’hypothyroïdie verront leur taux sanguin d’hormone thyroïdienne mieux normalisé avec une prise vespérale plutôt que matinale de leur thyroxine (7). Des recherches pharmacologiques sont actuellement en cours pour une mise au point de techniques nouvelles permettant de mieux adapter la disponibilité des médicaments en concordance avec le rythme circadien des paramètres biologiques (8-10).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude montre, chez des patients présentant un diabète de type 2 bien contrôlé et une hypertension, sans antécédent cardiovasculaire, que la prise vespérale d’au moins un des antihypertenseurs diminue le nombre d’événements cardiovasculaires sévères. Elle ne permet pas de préciser les antihypertenseurs à prendre en considération pour cette modification.

 

Pour la pratique

Les RBP belges ne formulent aucune recommandation quant au moment de la prise des antihypertenseurs dans la journée, ni en cas d’hypertension (11), ni en cas de diabète (12). Les RCP des médicaments antihypertenseurs ne sont également pas toujours explicites à ce propos. Quand plusieurs médicaments antihypertenseurs sont administrés chez une même personne présentant un diabète de type 2, les résultats de cette étude montrent l’intérêt de l’administration vespérale d’au moins un de ces antihypertenseurs, sans pouvoir préciser de quel antihypertenseur il s’agit. Pour des raisons pratiques, ce ne sera pas le diurétique.

 

 

Références

  1. Smolensky MH, Hermida RC, Ayala DE, et al. Administration-time-dependent effects of blood pressure-lowering medications: basis for the chronotherapy of hypertension. Blood Press Monit 2010;15:173-80.
  2. Boggia J, Li Y, Thijs L, et al; International Database on Ambulatory blood pressure monitoring in relation to Cardiovascular Outcomes (IDACO) investigators. Prognostic accuracy of day versus night ambulatory blood pressure: a cohort study. Lancet 2007;370:1219-29.
  3. Hermida RC, Ayala DE, Mojón A, Fernández JR. Influence of circadian time of hypertension treatment on cardiovascular risk: results of the MAPEC study. Chronobiol Int 2010;27:1629-51.
  4. Eguchi K, Pickering TG, Hoshide S, et al. Ambulatory blood pressure is a better marker than clinic blood pressure in predicting cardiovascular events in patients with/without type 2 diabetes. Am J Hypertens 2008;21:443-50.
  5. Alten R, Döring G, Cutolo M, et al. Hypothalamus-pituitary-adrenal axis function in patients with rheumatoid arthritis treated with nighttime-release prednisone. J Rheumatol 2010;37:2025-31.
  6. To H, Yoshimatsu H, Tomonari H, et al. Methotrexate chronotherapy is effective against rheumatoid arthritis. Chronobiol Int 2011;28:267-274.
  7. Bolk N, Visser TJ, Nijman J, et al. Effects of evening vs. morning levothyroxine intake. A randomized double-blind crossover trial. Arch Intern Med 2010;170:1996-2003.
  8. De Geest BG, Mehuys E, Laekeman G, et al. Pulsed drug delivery. Expert Opin Drug Deliv 2006;3:459-462.
  9. Mandal AS, Biswas N, Karim KM, et al. Drug delivery system based on chronobiology – A review. J Control Release 2010;147:314-25.
  10. Takeda N, Maemura K. Circadian clock and cardiovascular disease. J Cardiol 2011;57:249-56.
  11. De Cort P, Christiaens T, Philips H, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering Hypertensie (herziening). Huisarts Nu 2009;9:340-61.
  12. Wens J, Sunaert P, Nobels F, et al. Diabète sucré de type 2. Recommandations de Bonne Pratique. SSMG 2007.
Prise d’au moins un antihypertenseur le soir ?



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