Revue d'Evidence-Based Medicine



Dépression de la personne âgée : prise en charge coordonnée en première ligne



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 6 Page 67 - 68

Professions de santé


Analyse de
Gallo JJ, Morales KH, Bogner HR, et al. Long term effect of depression care management on mortality in older adults: follow-up of cluster randomized clinical trial in primary care. BMJ 2013;346:f2570.


Question clinique
Chez la personne âgée dépressive, quel est l’effet d’une prise en charge coordonnée versus soins habituels en première ligne sur la mortalité totale ?


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

Contexte

Les études prospectives montrent une relation entre la dépression et l’augmentation de la mortalité chez les personnes âgées (1,2). Une mauvaise observance pourrait en être une des causes. L’effet positif de la collaboration entre un coordinateur de soins de la prise en charge de la dépression, un médecin généraliste et un psychologue sur l’amélioration des symptômes dépressifs, des capacités fonctionnelles et de la qualité de vie chez les personnes âgées dépressives a déjà été montré (3). Aucune étude clinique randomisée n’avait encore été menée pour examiner si ce soutien au niveau de la pratique s’accompagne d’une baisse de la mortalité.

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • inclusion de 1 238 patients âgés en moyenne de 70 ans, , anglophones, recrutés à New York City, Philadelphie ou Pittsburgh dans 20 cabinets de médecine générale, avec un score au test de Folstein (Mini-Mental State Examination) > 17 et un score à l’échelle CES-D (Centers for Epidemiologic Studies Depression Scale) > 20.
  • 396 patients présentaient une dépression majeure selon les critères DSM IV, 203 une dépression mineure et 627 ne présentaient pas de dépression.

Protocole d’étude

  • étude clinique, contrôlée, pragmatique, avec randomisation par grappes
  • groupe intervention (n = 616) : les médecins généralistes ainsi que les familles des patients ont reçu des informations concernant la dépression ; les médecins généralistes ont en outre été soutenus par un coordinateur de soins (assistant social, infirmier ou psychologue). Ces coordinateurs étaient eux-mêmes supervisés par un psychiatre (1x/ semaine) et ils suivaient par contact direct (en face-à-face) ou par téléphone, les symptômes dépressifs des patients, les effets indésirables des médicaments, l’observance et, selon un algorithme, augmentaient la dose des médicaments, changeaient le traitement ou offraient une psychothérapie en complément au traitement
  • groupe soins habituels (n = 622) : les médecins généralistes ont uniquement reçu les informations concernant la dépression
  • chaque groupe inclut des patients présentant soit une dépression majeure, soit une dépression mineure, soit pas de dépression (= témoins)
  • décès répertoriés par le biais de la base de données du centre national de la santé des statistiques des décès (NDIPlus).

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : mortalité
  • visualisation au moyen des courbes de Kaplan Meier selon l’âge, le sexe, le niveau de formation, l’état civil, les habitudes de tabagisme, les maladies cardiovasculaires, l’AVC, le diabète, le cancer, les fonctions cognitives et les pensées suicidaires.

Résultats

  • suivi médian de 98 mois (écarts de 0,8 à 116,4 mois)
  • 405 patients sont décédés : 215 avec dépression versus 190 sans dépression
  • mortalité totale :
    • les patients atteints de dépression majeure dans le groupe soins habituels présentent un risque de décès significativement plus important que les patients qui n’ont pas de dépression (HR 1,90 avec IC à 95 % de 1,57 à 2,31) 
    • les patients atteints de dépression majeure dans le groupe intervention ne présentent pas de risque de décès plus important que les patients ne présentant pas de dépression (HR 1,09 avec IC à 95 % de 0,83 à 1,44)  
    • les patients atteints de dépression majeure dans le groupe intervention versus groupe témoin présentent un risque de décès 24 % plus faible (HR 0,76 avec IC à 95 % de 0,57 à 1,00 et p = 0,05) 
    • pour les patients atteints de dépression mineure : pas de différence statistiquement significative entre le groupe intervention et le groupe témoin
  • décès de cause spécifique des patients dépressifs majeurs versus patients sans dépression : seul le risque de décès par cancer est majoré.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les personnes âgées souffrant de dépression majeure traitées de manière intensive par des interventions coordonnées, versus prise en charge habituelle, présentent un risque de mortalité plus faible, comparable au risque que l’on observe chez les personnes âgées sans dépression.

Financement 

National Institute of Mental Health (NIMH), qui n’était pas impliqué dans la conception et le déroulement de l’étude, ni dans la collecte, le traitement et la publication des résultats.

 

Conflits d’intérêt

Aucun.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

En raison de la nature de l’intervention, les investigateurs ont, avec raison, opté pour une étude clinique randomisée par grappes avec randomisation au niveau des cabinets. À cet égard, la situation et la taille du cabinet ont été prises en compte, de même que l’affiliation académique et le type de population de la patientèle. Les patients qui n’avaient pas de dépression ont également été inclus dans la population de l’étude afin de déterminer le lien entre la dépression et la mortalité au sein de chaque groupe d’étude et de l’utiliser comme contrôle pour la différence quant à la mortalité entre le groupe intervention et le groupe témoin (voir plus loin). Nous ne pouvons pas affirmer que la puissance de l’étude ait été suffisante. Les patients ont été suivis pendant une durée médiane de 98 mois. On ignore la proportion de patients sortis d’étude. Le choix de la méthode de Kaplan-Meier pour répondre à la question de la mortalité spécifique est idéal.

 

Interprétation des résultats

Plusieurs études prospectives (1,2) avaient déjà montré une association entre la dépression et une mortalité plus importante chez les personnes âgées, ce qui justifie ce choix comme critère de jugement primaire. Cette étude confirme un lien statistiquement significatif entre mortalité accrue et dépression majeure, telle qu’observée dans le groupe témoin. Le risque de décès des patients souffrant de dépression majeure est réduit de 24 % dans le groupe intervention versus groupe témoin. Bien que présenté par les auteurs comme un résultat cliniquement intéressant, il faut remarquer que ce résultat est à la limite de la signification statistique (HR 0,76 avec IC à 95 % de 0,57 à 1,00). Une erreur de type I n’est donc pas exclue. L’intervention est sans effet significatif sur la mortalité en cas de dépression mineure, mais ceci peut s’expliquer par une erreur de type II. Une étude antérieure a en effet montré en 2002 que le risque de mortalité est accru non seulement en cas de dépression majeure, mais aussi dans les formes de dépression infraclinique (1).

Les 15 coordinateurs de soins du groupe intervention étaient des assistants sociaux, des infirmiers et des psychologues. Les auteurs n’expliquent cependant pas la raison du choix de ces groupes professionnels et ne disent pas s’il y a eu une différence dans les résultats en fonction du type de coordinateur de soins. Nous ignorons s’ils font concrètement partie de la pratique et à quelle fréquence précise ils ont eu recours au soutien du psychiatre puisqu’ils étaient organisés à la demande. Il est impossible d’évaluer précisément la valeur ajoutée que représentent spécifiquement les coordinateurs de soins. Parmi les actions (ajout d’une psychothérapie, augmentation de la dose des médicaments et suivi des symptômes, des effets indésirables des médicaments et de l’observance), nous ne pouvons pas savoir si une intervention plus spécifique a déterminé les résultats.

Nous devons aussi faire remarquer que le recrutement s’est fait par le biais d’un dépistage et non sur la base de plaintes de dépression. Plusieurs guides de bonne pratique recommandent l’identification précoce des personnes âgées atteintes de dépression comme mesure préventive (4). Finalement, nous ignorons si les pratiques de médecine générale incluses (la plupart disposant de personnel infirmier, de psychiatres, de gériatres…) correspondent à celles de notre pays, ce qui pose un problème d’extrapolabilité des résultats.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude clinique, pragmatique, randomisée par grappes, à la limite de la signification statistique, tend à montrer que les personnes âgées souffrant de dépression majeure traitées de manière intensive et coordonnées (ajout d’un coordinateur de soins intervenant directement auprès du patient et du médecin généraliste) pourraient présenter un risque de mortalité plus faible que ceux suivi de manière habituelle, et retrouver un risque comparable à celui que l’on observe chez les personnes âgées sans dépression. On ne peut pas savoir si une intervention plus spécifique de cette prise en charge complexe a eu un impact prépondérant sur le résultat observé.

 

Pour la pratique

Dans le suivi de la personne âgée souffrant de dépression, le guide de pratique Duodecim recommande de donner des informations appropriées sur la nature, le déroulement et le traitement de la dépression, tant au patient qu’à sa famille et aux soignants. À cet effet, un soutien du personnel soignant peut être utile (5). L’intervention de coordinateurs de soins en première ligne pourrait non seulement être efficace pour diminuer les symptômes dépressifs (3), mais aussi, comme le tend à montrer cette étude, pour réduire la mortalité des personnes âgées souffrant de dépression majeure. Il reste beaucoup de questions relatives à l’intégration dans la pratique actuelle belge de coordinateurs de soins, à leur formation et à leurs interactions avec les médecins généralistes. Une autre option consisterait à renforcer le rôle des prestataires de soins existants. Les pharmaciens (cliniques) pourraient, eux aussi, contribuer au suivi des patients dépressifs. En effet, il a déjà été démontré que les pharmaciens sont à même d’améliorer la qualité des soins de santé mentale grâce à des adaptations posologiques et au suivi de l’observance et des effets indésirables (6-8).

 

 

Références

  1. Cuijpers P, Smit F. Excess mortality in depression: a meta-analysis of community studies. J Affect Disord 2002;72:227-36.
  2. Schulz R, Drayer RA, Rollman BL. Depression as a risk factor for non-suicide mortality in the elderly. Biol Psychiatry 2002;52:205-25.
  3. Hunkeler EM, Katon W, Tang L, et al. Long term outcomes from the IMPACT randomised trial for depressed elderly patients in primary care. BMJ 2006;332:259-63.
  4. Heyrman J, Declercq T, Rogiers R, et al. Depressie bij volwassenen: aanpak door de huisarts. Aanbeveling voor medische praktijkvoering. Huisarts Nu 2008;37:284-317.
  5. Depressie op oudere leeftijd. Duodecim Medical Publications Ltd 16/8/2010. Available at : https://www.ebmpracticenet.be/nl/paginas/default.aspx?ebmid=ebm00472
  6. Capoccia KL, Boudreau DM, Blough DK, et al. Randomized trial of pharmacist interventions to improve depression care and outcomes in primary care. Am J Health Syst Pharm 2004;61:364-72.
  7. Bell S, McLachlan AJ, Aslani P, et al. Community pharmacy services to optimise the use of medications for mental illness: a systematic review. Aust New Zealand Health Policy 2005;2:29.
  8. Bultman DC, Svarstad BL. Effects of pharmacist monitoring on patient satisfaction with antidepressant medication therapy. J Am Pharm Assoc (Wash) 2002;42:36-43.

.

 

 

 

Dépression de la personne âgée : prise en charge coordonnée en première ligne

Auteurs

Foulon V.
Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, Departement Farmaceutische en Farmacologische Wetenschappen, KU Leuven
COI :

Laekeman G.
em. Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, KU Leuven
COI :

Liekens S.
Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, Departement Farmaceutische en Farmacologische Wetenschappen, KU Leuven
COI :

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