Revue d'Evidence-Based Medicine



Traitement initial et préventif secondaire d’une thromboembolie veineuse symptomatique : intérêt de l’édoxaban ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 1 Page 9 - 12

Professions de santé


Analyse de
Büller HR, Décousus H, Grosso MA, et al; Hokusai-VTE Investigators. Edoxaban versus warfarin for the treatment of symptomatic venous thromboembolism. N Engl J Med 2013;369:1406-15.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité en termes de prévention des récidives et la sécurité en termes de risque hémorragique de l’administration d’édoxaban versus warfarine sur 3 à 12 mois de traitement de l’épisode aigu et préventif secondaire d’une thromboembolie veineuse symptomatique (TVP ou EP avec ou sans TVP) ?


Conclusion
Cette RCT montre une non infériorité en efficacité préventive de récidive de l’édoxaban versus warfarine après un traitement initial d’une médiane de 7 jours par héparine chez des patients présentant une thromboembolie veineuse (récidive dans 20% des cas).


Contexte

En cas de thrombose veineuse profonde (TVP) proximale ou d’embolie pulmonaire (EP), c’est classiquement une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) en SC qui était recommandée avec un relais par antagoniste de la vitamine K (AVK) (1). Une anticoagulation par un nouvel anticoagulant oral non antagoniste de la vitamine K a été plus récemment proposée comme alternative pour le traitement aigu comme pour le traitement intermédiaire (2). L’édoxaban est le quatrième nouvel anticoagulant oral (NAO), après le rivaroxaban, le dabigatran et l’apixaban, à avoir été évalué pour le traitement aigu et la prévention des récidives d’une thromboembolie veineuse post thromboembolie veineuse. L’édoxaban est-il plus performant qu’un autre anticoagulant oral dans cette indication ?

 

Résumé

Population étudiée

  • 4921 patients présentant une TVP aiguë symptomatique (poplitée, fémorale ou iliaque)  et 3319 une embolie pulmonaire (EP avec ou sans TVP)
  • critères d’exclusion : entre autres : contre-indication à l’héparine ou à la warfarine, héparine à dose thérapeutique pendant plus de 48 heures, plus d’une dose d’AVK reçue, cancer avec traitement par HBPM prévu, autre indication d’un AVK, aspirine > 100 mg/j ou bithérapie antiagrégante, clairance de créatinine < 30 ml/min
  • caractéristiques des patients inclus : âge moyen de 56 ans, 13% de patients ≥ 75 ans (n = 1104), 57% d’hommes, 13% ≤ 60 kg, 7% avec clairance de créatinine 30-50 ml/min, 66% de TVP non provoquée, 20% d’antécédent de TEV.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle et double placebo, multicentrique (439) et internationale (37), en groupes parallèles, de non infériorité et supériorité
  • traitement : après minimum 5 jours d’énoxaparine ou d’héparine non fractionnée (durée médiane de 7 jours post randomisation), soit édoxaban (n = 4118) 1 x 60 mg/j (ou 30 mg 1 x/j si clairance de créatinine de 30 à 50 ml/min ou poids corporel ≤ 60 kg ou administration d’un inhibiteur puissant de la P-glycoprotéine = total de 18% des patients inclus), soit warfarine (titrée pour un INR compris entre 2 et 3) (n = 4122), avec placebos correspondants pour un minimum de 3 mois et un maximum de 12 mois (40% des patients)
  • durée d’anticoagulation déterminée par le médecin traitant sur base des éléments cliniques et des préférences du patient
  • détermination de l’INR (factice pour l’édoxaban)
  • stratification suivant le diagnostic (TVP ou EP), les facteurs de risque temporaires présents ou non, la dose d’édoxaban 
  • adjudication centrale des évènements cliniques
  • borne de non infériorité fixée pour atteindre au moins 70% de l’effet de la warfarine.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire pour l’efficacité : incidence de récidive de thromboembolie (critère composite incluant TVP ou EP fatale ou non) à 12 mois de suivi quelle que soit la durée du traitement
  • critères de jugement secondaires : critère primaire combiné avec un décès d’origine cardiovasculaire ou de toute cause
  • critère principal de sécurité composite : incidence d’hémorragie majeure ou cliniquement pertinente mais non majeure
  • analyse en ITT modifiée (au moins une dose prise).

Résultats

  • arrêt de suivi : <0,2%
  • pourcentage de temps à dosage thérapeutique (alias TTR) pour l’INR sous warfarine de 63,5%
  • critère de jugement primaire pour l’efficacité : 3,2% sous édoxaban versus 3,5% sous warfarine soit un HR de 0,89 avec IC à 95% de 0,70 à 1,13 ; p<0,001 de non infériorité ; différence absolue de risque de -0,39% avec IC à 95% de -1,16 à 0,39 ; résultat similaire pour la période sous traitement.
  • en cas d’embolie pulmonaire et de dysfonction ventriculaire : HR en faveur de l’édoxaban si diagnostic sur NT-proBNP ≥ 500 pg/ml (HR de 0,52 avec IC à 95% de 0,28 à 0,98), mais non significatif si diagnostic par CT-scan (HR de 0,42 avec IC à 95% de 0,15 à 1,20)
  • critères de jugement secondaires composites : pas de différence statistiquement significative pour les différents critères ; pas de différence pour le nombre de décès (3,2% versus 3,1%)
  • critère principal de sécurité : 8,5% sous édoxaban et 10,3% sous warfarine avec HR à 0,81 avec IC à 95% de 0,71 à 0,94 ; p = 0,004 pour la supériorité ; différence absolue de risque de -1,8% avec IC à 95% de -3,04 à -0,53 ; absence de différence statistiquement significative en termes d’hémorragies majeures ; moins d’hémorragies intracrâniennes (fatales ou non) avec édoxaban, pas de différence significative pour les hémorragies digestives fatales (1 vs 2)
  • absence de différence pour le bénéfice clinique net (récidive symptomatique de TEV + hémorragie majeure).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’édoxaban administré une fois par jour après un traitement initial par héparine est non inférieur à un traitement de référence de haute qualité et provoque significativement moins de saignements dans un large spectre de patients présentant une thromboembolie veineuse, y compris ceux qui présentent une embolie pulmonaire sévère.

Financement de l’étude

La firme Daiichi-Sankyo qui était impliquée dans le dessin d’étude, sa supervision, l’élaboration du protocole, la récolte des données.

Conflits d’intérêts des auteurs 

Parmi les 13 auteurs listés, 4 sont employés par la firme Daiichi-Sankyo et tous les autres déclarent de (nombreux) conflits d’intérêts potentiels.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT, fortement sous contrôle de la firme commercialisant l’édoxaban, semble à première vue de bonne qualité méthodologique : randomisation correcte avec stratification initiale, avec double placebo et détermination de l’INR dans les 2 bras (factice pour l’édoxaban) et adjudication centrale des évènements cliniques. Plusieurs limites sont cependant à souligner. Les auteurs ne mentionnent pas analyse par protocole pourtant indispensable en non infériorité. Le critère primaire de sécurité est composite et il doit donc être interprété avec prudence (voir ci-dessous). Contrairement à la majorité des autres publications d’étude, surtout de RCTs, cette publication-ci ne mentionne dans sa discussion aucune limite reconnue par les auteurs pour leur recherche.

Interprétation des résultats

Cette étude montre à 12 mois de suivi que, après un traitement par héparine durant une médiane de 7 jours post randomisation, l’édoxaban est non inférieur à la warfarine en termes de prévention d’une récidive de thromboembolie, sans différence pour les différents sous-groupes analysés sauf, à la limite de la significativité, pour les personnes âgées d’au moins 75 ans (plus-value de l’édoxaban) versus les plus jeunes.

Pour ce qui est d’une meilleure sécurité rapportée, soulignons que, pour le critère primaire de sécurité composite, le résultat est statistiquement significatif en faveur de l’édoxaban, mais seule sa composante « hémorragies cliniquement pertinentes mais non majeures » montre un résultat statistiquement significatif en faveur de l’édoxaban, l’autre composante (« hémorragie majeure ») ne montrant pas de différence significative. Les auteurs mentionnent une absence de différence pour le bénéfice clinique net (récidive symptomatique de TEV + hémorragie majeure).

Mise en perspective des résultats

En l’absence de comparaisons directes entre les différents NAOs, quels enseignements pouvons-nous tirer des comparaisons entre résultats et entre différentes populations incluses dans les études pivots (ou études de phase 3) de ces différents NAOs dans cette indication « traitement et prévention secondaire d’une thromboembolie veineuse » ? Nous n’aborderons pas ici la question d’un traitement préventif à long terme (plus d’un an), détaillée dans notre dossier thématique (3). Pour les NAOs déjà sur le marché, les études pivots avec le dabigatran (4-7), avec le rivaroxaban (8-11) et l’apixaban (12,13) montrent toutes une non infériorité versus warfarine en termes d’efficacité préventive de récidives. En termes de sécurité, elles ne montrent pas de différence significative sauf pour l’apixaban. Il faut cependant souligner les différences de protocole entre ces différentes études, principalement au niveau de la durée du traitement par héparine avant la comparaison entre NAO et warfarine : 1 à 2 jours pour l’apixaban et le rivaroxaban, une dizaine de jours pour le dabigatran, pour une médiane de 7 jours avec l’édoxaban. Dans ces études avec les autres NAOs, l’efficacité est évaluée sous traitement, alors que dans cette étude Hokusai-VTE, elle est évaluée à 12 mois de suivi quelle que soit la durée du traitement. 66% des patients présentent ici une TVP initiale non provoquée qui justifie un traitement plus prolongé. C’est moins que dans l’étude EINSTEIN (73%) sur le rivaroxaban (10). Le pourcentage de tels patients inclus dans les autres études pivots précitées n’est pas donné dans leur publication originale.

En l’absence de comparaison directe entre les différents NAOs dans les mêmes conditions d’étude et au vu de ces différences entre protocoles d’étude, il n’est donc pas possible de déterminer une plus-value d’un NAO versus un autre dans cette indication. C’est la conclusion que nous avions formulée lors dans nos commentaires d’une précédente méta-analyse n’incluant pas l’édoxaban (14,15). 

Les précautions d’utilisation et de surveillance des NAOs sont par ailleurs rappelées dans une autre analyse de Minerva (16) et dans notre dossier thématique (3).

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT montre une non infériorité en efficacité préventive de récidive de l’édoxaban versus warfarine après un traitement initial d’une médiane de 7 jours par héparine chez des patients présentant une thromboembolie veineuse (récidive dans 20% des cas).

 

Pour la pratique

En cas de thrombose veineuse profonde (TVP) proximale ou d’embolie pulmonaire (EP), c’est une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) en SC qui est recommandée avec un relais par anticoagulant (1). C’est également la recommandation du consensus de l’INAMI(2) avec un relais par AVK (GRADE B, forte recommandation), consensus qui mentionne que les NAOs pourraient représenter une alternative. Nous disposons cependant pour ces médicaments, non inférieurs à la warfarine en termes d’efficacité, de beaucoup moins d’expérience, avec une sécurité à long terme à déterminer et avec les incertitudes quant à des antidotes disponibles et accessibles.  

 

Références

  1. Guyatt G, Akl E, Crowther M, et al; American College of Chest Physicians Antithrombotic Therapy and Prevention of Thrombosis Panel. Executive summary: antithrombotic therapy and prevention of thrombosis, 9th ed : American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest 2012;141:7S-47S.
  2. INAMI. Prévention et traitement des thromboembolies veineuses. Réunion de consensus du 21-11-2013. Rapport du jury.
  3. Minerva. Anticoagulation orale : nouveaux médicaments. Dossier thématique. Synthèse. Dernière mise à jour le 29/03/2014.
  4. Schulman S, Kearon C, Kakkar AK, et al; RE-COVER Study Group. Dabigatran versus warfarin in the treatment of acute venous thromboembolism. N Engl J Med 2009;361:2342-52.
  5. Chevalier P. Dabigatran pour la thromboembolie veineuse. Minerva bref 28/08/2010.
  6. Schulman S, Kakkar AK, Goldhaber SZ; RE-COVER II Trial Investigators. Treatment of acute venous thromboembolism with dabigatran or warfarin and pooled analysis. Circulation 2014;129:764-72.
  7. Duyver C, Verstraete B. Dabigatran versus warfarine pour le traitement des thromboembolies veineuses ? Minerva bref 15/04/2015.
  8. Bauersachs R, Berkowitz SD, Brenner B, et al; EINSTEIN Investigators. Oral rivaroxaban for symptomatic venous thromboembolism. N Engl J Med 2010;363:2499-510.
  9. Chevalier P. TVP : rivaroxaban ? MinervaF 2011;10(3):36-7.
  10. Büller HR, Prins MH, Lensing AW, et al; EINSTEIN-PE Investigators. Oral rivaroxaban for the treatment of symptomatic pulmonary embolism. N Engl J Med 2012;366:1287-97.
  11. LRM. Rivaroxaban pour traiter une embolie pulmonaire symptomatique ? Minerva bref 28/01/2013.
  12. Agnelli G, Buller HR, Cohen A, et al; AMPLIFY Investigators. Oral apixaban for the treatment of acute venous thromboembolism. N Engl Med 2013;369:799-808.
  13. Chevalier P. Apixaban pour le traitement de la thromboembolie veineuse. MinervaF 2013;12(9):114-5.
  14. Castellucci LA, Cameron C, Le Gal G, et a l. Efficacy and safety outcomes of oral anticoagulants and antiplatelet drugs in the secondary prevention of venous thromboembolism : systematic review and network meta-analysis. BMJ 2013;347:f5133.
  15. Chevalier P. Quel traitement antithrombotique en prévention secondaire post thromboembolie veineuse ? MinervaF 2014;13(5):56-7.
  16. Chevalier P. FA : plus-value de l’édoxaban versus warfarine ? MinervaF 2016;(15)1:5-8.

 




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