Revue d'Evidence-Based Medicine



Fracture proximale déplacée de l’humérus chez l’adulte : traitement chirurgical ou conservateur ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 1 Page 13 - 17

Professions de santé


Analyse de
Rangan A, Handoll H, Brealey S, et al. Surgical vs nonsurgical treatment of adults with displaced fractures of the proximal humerus: the PROFHER randomized clinical trial. JAMA. 2015;313:1037-47.


Question clinique
Faut-il opérer les fractures déplacées de l’extrémité proximale de l’humérus chez l’adulte?


Conclusion
Cette étude pragmatique, excluant cependant de nombreuses situations cliniques courantes, ne montre pas de bénéfice clinique pertinent de la chirurgie versus traitement conservateur durant un suivi de 2 ans après une fracture déplacée de l’extrémité proximale de l’humérus chez l’adulte et confirme la mise en garde contre l’extension abusive des indications opératoires.


Contexte

Les fractures de l’extrémité proximales de l’humérus sont fréquentes. Elles surviennent principalement suite à des chutes, chez des sujets âgés ostéoporotiques. En ce qui concerne les fractures non déplacées, le traitement conservateur est la règle. Les fractures déplacées représentent quant à elles plus ou moins 50% des fractures proximales de l’humérus (1). Une synthèse de la Cochrane Collaboration publiée en 2012 (2) avait conclu qu’il n’y avait pas assez de preuves issues de RCTs de bonnes qualités méthodologiques pour pouvoir conclure à un avantage ou non de la prise en charge chirurgicale versus traitement conservateur. Les résultats issus d’une étude de bonne qualité méthodologique comparant les 2 approches en cas de fracture déplacée de l’extrémité proximale de l’humérus étaient donc attendus.

  

Résumé

 

Population étudiée

  • 32 services de traumatologie aiguë de Grande Bretagne ont participé à l’étude pendant une période de 2 ans et demi (de septembre 2008 à avril 2011)
  • critère d’inclusion : patients âgés > 16 ans avec fracture déplacée de l’extrémité proximale de l’humérus incluant le col de l’humérus depuis moins de 3 semaines, sévérité de la fracture laissée à l’appréciation du chirurgien
  • critères d’exclusion : lésions spécifiques (fractures-luxations, fractures ouvertes), incapacité mentale (pour comprendre l’étude ou les instructions de revalidation), comorbidités (contre-indiquant l’anesthésie, la chirurgie), indication chirurgicale indiscutable (atteinte sévère des tissus mous), polytraumatismes et fractures pathologiques (par exemple sur métastase osseuse), maladie en phase terminale
  • inclusion finale de 250 patients sur les 1250 blessés dont 563 étaient éligibles
  • l’âge moyen était de 66 ans (24 à 92 ans), dont 77% de femmes.

 

Protocole d’étude

  • étude clinique pragmatique, randomisée (RCT) multicentrique, ouverte, en groupes parallèles
  • 125 patients ont été dirigés vers le traitement chirurgical (fixation interne dans la plupart des cas) dont 109 (87%) ont finalement été opérés
  • 125 patients ont été dirigés vers le traitement conservateur (écharpe et rééducation) (groupe non opéré) dont 2 ont dû être opérés peu après la randomisation
  • les 109 opérations ont été pratiquées par 66 chirurgiens différents dans 30 institutions différentes. Il y a eu 90 ostéosynthèses par plaque et vis, 10 arthroplasties, 4 enclouages et 5 autres techniques
  • sur base des clichés radiologiques, les fractures ont été classifiées a posteriori selon la classification de NEER (3) : 18 fractures dites à 1 fragment (9 dans chaque groupe), 128 fractures à 2 fragments (65 vs 63), 93 fractures à 3 fragments (46 vs 47) et 11 fractures à 4 fragments (5 vs 6)
  • revalidation proposée aux 2 groupes
  • suivi subjectif basé sur un questionnaire envoyé par voie postale aux participants à 6, 12 et 24 mois ; il n’y a pas eu d’examen clinique ni radiologique de suivi.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire: évaluation de la douleur et la fonction de l’épaule durant 2 ans sur le score de l’OSS (Oxford Shoulder Score - l’échelle s’étend de 0 à 48 (plus le score est élevé, plus l’issue est meilleure) (4))
  • critères de jugement secondaires :
    • évaluation de la qualité de vie sur base des questionnaires SF-12 (échelle de qualité de vie en relation avec les composantes mentale et physique ; échelle de 0 à 100 -100 étant le meilleur niveau de santé) et EuroQol 5D (évaluation économique)
    • les complications « chirurgicales » (infections, pseudarthroses, nécroses de la tête humérale)
    • complications nécessitant un traitement chirurgical de seconde intention ou un traitement médical
    • mortalité.

Résultats

  • évaluation de la douleur et la fonction de l’épaule : pas de différence statistiquement significative de l’OSS entre les deux groupes durant les 2 ans, ni au terme de l’étude (39,07 points dans le groupe chirurgical versus 38,32 points dans le groupe non-opéré)
  • critères de jugement secondaires :
    • pas de différence statistiquement significative à l’index global moyen des SF-12 et EuroQol 5D
    • les complications médicales sont toutes survenues dans le groupe chirurgical (n = 10 : 2 accidents cardio-vasculaires, 2 problèmes respiratoires, 2 problèmes gastro-intestinaux et 4 autres)
    • les complications mécaniques ont été plus fréquentes dans le groupe chirurgical (30/125 ; 24%) que dans le groupe non opéré (23/125 ; 18%) (p = 0,28). 11 patients ont dû être réopérés dans chaque groupe
    • mortalité : 9 décès parmi les patients opérés (dont un dû à une complication thromboembolique) versus 5 décès dans le groupe non-opéré (p = 0,27).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que cette étude clinique randomisée chez des patients présentant une fracture déplacée de l’extrémité proximale de l’humérus ne montre pas de différence entre les patients opérés et les patients non-opérés plus de 2 ans après la survenue de la fracture.

Ils en concluent que la tendance à augmenter les indications chirurgicales n’est pas justifiée.

Financement de l'étude

L’étude a été financée par le National Institute for Health Research, Health Technology Assessment Programme (Royaume-Uni).

Conflits d’intérêts des auteurs

L’auteur principal a déclaré avoir reçu des honoraires de la firme DePuy et de JRI et avoir un brevet en suspens pour une prothèse d’épaule. Les autres auteurs ont déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette étude multicentrique randomisée est de bonne qualité méthodologique. Randomisation correctement décrite et réalisée, critères d’exclusion bien décrits, critères de jugement simples et cliniques, utilisation d’échelles d’évaluation validées. Pragmatique, elle répond à la plupart des recommandations (5,6) : question clinique relative à une performance thérapeutique, respect de la décision clinique et thérapeutique des praticiens, analyse en intention de traiter, résultats directement pertinents pour la pratique.

Les principales limites concernent l’absence d’évaluation clinique en aveugle et l’absence d’évaluation radiologique, ce qui, même si cela permet de se rapprocher (peut-être) d’une pratique courante, n’assure pas un suivi optimal. En effet, des défauts anatomiques post-traumatiques peuvent être générateurs de complications dégénératives à long terme.

De plus, si cette étude concerne des patients adultes sans distinguer spécifiquement les patients gériatriques, il faut remarquer qu’un grand nombre de patients sont éliminés de l’étude sur base des critères d’exclusion, et en particulier les comorbidités, ce qui est peu en adéquation avec l’intérêt d’une étude pragmatique. Enfin, les patients opérés ont pu « bénéficier » de diverses techniques chirurgicales sans que la rationalité du choix ne soit jamais évoquée.

 

Interprétation des résultats

Les différences de mortalité liée à la chirurgie sont considérées comme « non significatives » sur le plan statistique, mais 9 patients dans le groupe chirurgie sont décédés versus 5 dans le groupe traitement conservateur. Une attention plus particulière dans le futur à ce constat devrait être donnée. Enfin, des complications mécaniques du traitement conservateur (5 cal-vicieux, 5 pseudarthroses et 5 raideurs) ne sont pas discutées en termes d’une éventuelle possibilité de les prévenir et de leurs conséquences à moyen et long terme.

Autres études

Dans la littérature orthopédique classique, les fractures de l’extrémité proximale de l’humérus sont classées en fonction du nombre de fragments libérés. La classification de NEER (3) est universellement admise depuis les années ’70. Sur base de cette classification les chirurgiens ont élaboré des lignes de conduite pour le traitement de ces fractures qui peuvent être traitées conservativement (par une simple immobilisation), par ostéosynthèse percutanée ou à foyer ouvert et par arthroplastie prothétique. Les indications spécifiques sont basées sur la nature du traumatisme, le type de fracture, l’âge du patient et ses exigences fonctionnelles.

En 2012, la publication de la mise à jour de la Cochrane Collaboration (2) concluait qu’il n’y avait pas assez de preuves pour pouvoir conclure à un avantage ou non de la prise en charge chirurgicale versus traitement conservateur ou pour définir une population plus à même de bénéficier d’une prise en charge chirurgicale versus une autre. L’étude de Rangan et al. explore donc ces questions. En 2015, la Cochrane Collaboration (7) a publié une nouvelle mise à jour incluant 31 RCTs. Les conclusions sont plus précises : il existe des preuves fortes à modérées que, versus un traitement conservateur, la chirurgie n’apporte pas de bénéfice, ni à un an, ni à 2 ans, chez les patients présentant une fracture déplacée de l’extrémité proximale de l’humérus, et qu’elle est susceptible de se traduire par un plus grand recours à une chirurgie ultérieure. De nombreuses questions restent cependant en suspens relatives aux types de fractures, aux caractéristiques des populations atteintes ou aux types de techniques utilisées. Cette conclusion confirme celle d’une autre méta-analyse publiée en 2014 (8). Il reste également la question de définir quand il faut opérer (9). En juin 2015, Launonen et al. (10) ont publié une synthèse méthodique des études randomisées sur les fractures proximales déplacées de l’humérus : elle confirme qu’il n’est pas prouvé que l’ostéosynthèse apporte un bénéfice dans le traitement. Le rédacteur s’interrogeait dans l’éditorial sur la raison qui fait qu’un grand nombre de ces fractures continue à être opérées (11). Il a émis l’hypothèse que les blessés et les chirurgiens n’acceptaient pas un déficit fonctionnel inéluctable en cas de traitement conservateur mais qu’ils acceptent au contraire des risques opératoires et techniques pour un bénéfice fonctionnel hypothétique, voire aléatoire de la chirurgie reconstructrice. De nombreuses questions et hypothèses restent donc à explorer sur ce sujet complexe.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude pragmatique, excluant cependant de nombreuses situations cliniques courantes, ne montre pas de bénéfice clinique pertinent de la chirurgie versus traitement conservateur durant un suivi de 2 ans après une fracture déplacée de l’extrémité proximale de l’humérus chez l’adulte et confirme la mise en garde contre l’extension abusive des indications opératoires.

 

Pour la pratique

Selon le guide de pratique clinique d’EBMPracticeNet (12), une fracture proximale déplacée de l’humérus chez l’adulte peut être traitée de façon conservatrice si le déplacement initial est minime ou lorsqu’une position acceptable est atteinte par réduction (déplacement de moins de 1 cm, angulation de moins de 30 à 45°). De 0 à 3 semaines après l'accident, une immobilisation en écharpe et une mobilisation de l'articulation du coude, du poignet et des doigts est préconisée. De 3 à 6 semaines après l'accident, un kinésithérapeute qualifié supervisera des exercices pendulaires, une flexion passive, des exercices d'abduction jusqu'à la position horizontale et une rotation externe à 50°, tandis qu’une écharpe sera également portée la nuit. Au-delà de 6 semaines après l'accident, une mobilisation progressive libre sera encouragée. Les radiographies sont à répéter 1, 3 et 6 semaines après l'accident. En cas de fractures avec déplacement important, un chirurgien orthopédiste sera consulté concernant la prise en charge chirurgicale. Nous pouvons ajouter qu’il faut néanmoins tenir compte des limites de l'EBM quand il s'agit de prendre en charge un problème traumatologique complexe et qu’il est impossible de recommander une attitude univoque. L’étude discutée ici renforce ces propositions.

Le médecin généraliste doit pouvoir informer correctement le patient sur les choix qui auront été posés par les spécialistes, et devra s’assurer qu’un suivi adéquat est assuré, tant radiologique que par les kinésithérapeutes. Les kinésithérapeutes veilleront à ce que les différentes étapes de la prise en charge soient respectées.

 

Références

  1. Court-Brown CM, Garg A, McQueen MM. The epidemiology of proximal humeral fractures. Acta Orthop Scand 2001;72:365-71.
  2. Handoll HH, Ollivere BJ, Rollins KE. Interventions for treating proximal humeral fractures in adults. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 12.
  3. Neer CS 2nd. Displaced proximal humeral fractures. I. Classification and evaluation. J Bone Joint Surg Am 1970;52:1077-89.
  4. Dawson J, Fitzpatrick R, Carr A. Questionnaire on the perception of patients about shoulder surgery. J.Bone Joint Surg Br 1996;78:593-600
  5. Michiels B. Quelle est la grande particularité des essais cliniques pragmatiques ? MinervaF 2014;13(10):129.
  6. Raymond J, Darsaut TE, Altman DG. Pragmatic trials can be designed as optimal medical care: principles and methods of care trials. J Clin Epidemiol 2014;67:1150-6.
  7. Handoll HH, Brorson S. Interventions for treating proximal humeral fractures in adults. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 11.
  8. Mao Z, Zhang L, Zhang L et al. Operative versus nonoperative treatment in complex proximal humeral fractures. Orthopedics 2014;37:e410-9.
  9. Tamimi I, Montesa G, Collado F, et al. Displaced proximal humeral fractures: When is surgery necessary? Injury 2015;46:1921-9.
  10. Launonen AP, Lepola V, Flinkkilä T, et al. Treatment of proximal humerus fractures in the elderly: a systematic review of 409 patients. Acta Orthop 2015;86:280–5.
  11. Aspenberg P. Why do we operate proximal humeral fractures? Editorial. Acta Orthop 2015;86:279.
  12. Fractures de l'humérus et de l'avant-bras. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour le 10/12/2009. Site consulté le 05/01/2015.

 

 




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