Revue d'Evidence-Based Medicine



Antihistaminiques H1 pour l’urticaire chronique spontanée?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 1 Page 18 - 21

Professions de santé


Analyse de
Sharma M, Bennett C, Cohen SN, Carter B. H1-antihistamines for chronic spontaneous urticaria. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 11.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité des antihistaminiques H1 sur les symptômes de l’urticaire chronique spontanée?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, de bonne qualité méthodologique, montre que la prise d’un antihistaminique H1 améliore la symptomatologie de l’urticaire chronique spontanée versus placebo, mais sans mettre en évidence un antihistaminique H1 en particulier. Une amélioration de la qualité de vie reste à démontrer. Au vu des limites méthodologiques et du nombre insuffisant de RCTs de qualité, cette synthèse méthodique ne permet pas de formuler de recommandations de niveau de preuve élevé pour la pratique.


 


Contexte

L’urticaire chronique spontanée (UCS) est caractérisée par l’apparition d’une urticaire migrant pendant une durée d’au moins six semaines et dont la cause précise est inconnue. Elle peut s’accompagner d’un angioedème (yeux, bouche). La sévérité des symptômes varie selon les patients, mais ceux-ci peuvent être très handicapants (1). Les antihistaminiques H1 sont souvent proposés dans cette indication. Une synthèse méthodique était la bienvenue pour en évaluer l’efficacité et la sécurité.

Les patients atteints d'UCS peuvent être difficiles à traiter. Des directives claires sont nécessaires sur le type d’antihistaminiques à utiliser, les schémas posologiques appropriés et les effets indésirables probables avant d’envisager un autre traitement.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

Sources consultées

  • Cochrane Skin Group Specialised Register, Cochrane Central Register of Controlled Trials, MEDLINE via OVID (à partir 1946), EMBASE via OVID (à partir de 1974), PsycINFO (à partir de 1806), jusqu’au 3 juin 2014
  • recherche d’études non publiées jusqu’au 9 juin 2014
  • recherche manuelle dans les listes de références des articles trouvés
  • pas de restriction de langue.

Études sélectionnées

  • inclusion de RCTs évaluant l’efficacité des antihistaminiques H1 sur l’UCS versus soit un placebo, soit un autre traitement (y compris un autre antihistaminique), soit avec des doses différentes d’antihistaminique H1
  • 73 RCTs sélectionnées d’une durée du traitement de < 2 semaines (N = 18 ; court terme, alias CT) ou de 2 semaines à 3 mois (N = 55 ; moyen terme, alias MT).

Population étudiée

  • 9759 patients de plus de 12 ans chez qui une UCS a été cliniquement diagnostiquée depuis au moins 6 semaines, dont une majorité de femmes, exclusivement en 2e ligne de soins
  • exclusion des patients présentant une urticaire de moins de 6 semaines, une urticaire due aux complexes immuns, une urticaire papuleuse, un angioedème sans papules ou une urticaire de contact, une urticaire cholinergique, ou tout autre urticaire avec une cause clairement identifiable (par ex. médicamenteuse), et patients avec un syndrome auto-inflammatoire (rare).

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires :
    • proportion de patients avec une disparition complète de l’urticaire pendant la prise des antihistaminiques
    • proportion de participants dont la réponse a été « bonne » ou « excellente » pendant la prise des antihistaminiques
    • proportion de patients qui ont eu une amélioration d’au moins 50% de leur qualité de vie pendant la prise des antihistaminiques
  • critères de jugement secondaires :
    • effets indésirables sévères (nécessitant l’arrêt du traitement)
    • effets indésirables mineurs rapportés mais n’ayant pas nécessité l’arrêt du traitement
    • proportion de rechutes endéans le mois qui suit l’arrêt des antihistaminiques H1.

Résultats

  • critères de jugement primaires :
    • proportion de patients avec une disparition complète de l’urticaire : versus placebo, proportion plus importante pour la cétirizine 10 mg à CT et MT (RR de 2,72, avec IC à 95% de 1,51 à 4,91) (niveau de preuve : fort), la lévocétirizine 20 mg à CT (niveau de preuve : faible), la lévocétirizine 5 mg à MT (niveau de preuve : faible), la desloratadine 20 mg à CT (niveau de preuve : faible) et 5 mg à MT (niveau de preuve : faible)
    • proportion de participants dont la réponse a été « bonne » ou « excellente » : versus placebo, proportion plus importante pour la rupatadine 10 et 20 mg à MT (niveau de preuve : faible) ; versus autres antihistaminiques H1, pas de différence statistiquement significative pour la loratadine 10 mg vs cétirizine 10 mg (à CT et MT), desloratadine 5 mg (à MT), mizolastine 10 mg (à MT), émédastine 2 mg (à MT), ou hydroxyzine 25 mg (à CT) ; meilleure efficacité de la lévocétirizine (5 à 20 mg) vs desloratadine (5 à 20 mg) avec p < 0,02 ainsi que de la cétirizine vs féxofénadine (p < 0,01)
    • proportion de patients qui ont eu une amélioration d’au moins 50% de leur qualité de vie (N = 2) : pas de différence significative constatée pour la loratadine 10 mg versus la mizolastine 10 mg
  • critères de jugement secondaires : pas de différence significative constatée pour le nombre d’effets indésirables sévères ou mineurs ; aucune donnée sur le nombre de rechutes.

Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent qu’à des posologies standards, plusieurs antihistaminiques sont efficaces versus placebo pour mener à la disparition des symptômes de l’USC, mais qu’aucun antihistaminique H1 ne se distingue comme le plus efficace. Le niveau de preuve est considéré comme faible vu le nombre réduit d’études pour chaque comparaison et la taille limitée des échantillons en rapport avec les critères de jugement. La cétirizine à la posologie de 10 mg une fois par jour à court et moyen termes s’est avérée être efficace pour la disparition complète de l’USC. Aucune différence significative dans les taux d’arrêt de traitement à cause d'effets indésirables n'a été observée entre les groupes actifs et placebo. La preuve d’une amélioration de la qualité de vie était insuffisante.

Financement de l’étude

Queen’s Medical Centre, UK, National Institute for Health Research (NIHR), UK qui est le principal donateur du Cochrane Skin Group.

Conflits d’intérêts des auteurs 

L’auteur principal déclare plusieurs potentiels conflits d'intérêts, un autre était employé du Systemic Research et un troisième a reçu des honoraires de Novartis, Uriach, FAES, MSD et UCB. Deux auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Trois auteurs ont consulté indépendamment l’un de l’autre plusieurs bases de données sans restriction de langue (traducteurs consultés si nécessaire) pour les RCTs publiées, non publiées et en cours. 2 auteurs ont analysé la qualité des études incluses. Ils ont contacté les auteurs des RCTs en cas de données manquantes. Les termes utilisés sont bien décrits, ainsi que les critères d’inclusion et d’exclusion, hormis pour 2 RCTs où des patients souffrant de dermatite atopique avaient été inclus. Le risque de biais a été évalué par au moins deux auteurs indépendamment l’un de l’autre selon l'outil validé de la Cochrane Collaboration et les désaccords ont été résolus par un troisième chercheur après discussions. Les auteurs n’ont pas réalisé de funnel plot. Les études incluses n’étaient que des RCTs (pas obligatoirement en double aveugle). Seules 12 RCTs sur 73 décrivent clairement la randomisation, 14 respectent le double aveugle, et 37 sont considérées à haut risque de biais (d'attrition, de détection, de notification). L’extraction des données est bien décrite et les critères de jugement primaires, à savoir l’impact du traitement sur les symptômes sont bien définis. L’analyse statistique est correctement décrite, l’hétérogénéité des études a été évaluée par test I²(considérée comme importante si I² > 50%). Si une analyse des données en ITT n’était pas possible, les auteurs réalisaient une analyse par protocole. Des analyses de sous-groupes ont été réalisées selon la durée de l’intervention (CT, MT). Les analyses de sensibilité sur les critères de jugement primaire n’ont pas pu être réalisées vu le trop petit nombre d’études incluses à faible risque de biais. Plusieurs auteurs déclarent des conflits d’intérêts. Le rapport de synthèse a été rédigé selon les recommandations PRISMA (2).

 

Interprétation des résultats

La terminologie de l’UCS reflète la symptomatologie et non la pathogénèse (1).

La plupart des RCTs se sont déroulées dans des centres de seconde ligne (hôpital, cliniques de recherche, centres dermatologiques) d’Europe et des USA. La plupart des études japonaises incluaient des UCS à partir de 4 semaines de symptomatologie : elles ont donc logiquement été exclues de la synthèse méthodique de Sharma et al. La taille des échantillons variait de < 25 patients/étude à 886, ce qui a posé un problème d’homogénéité entre les études. 12 antihistaminiques H1 ont été évalués (hydroxyzine, phéniramine, cétirizine, desloratadine, ébastine, émédastine, féxofénadine, lévocétirizine, loratadine, kétotifène, mizolastine, rupatadine). Peu de RCTs ont rapporté les critères de jugement prédéfinis par les auteurs. Seules 5 RCTs ont mesuré la qualité de vie. Sur les 23 comparaisons d’intervention effectuées par les auteurs, une méta-analyse n’a pu être réalisée que pour 10 d’entre elles, ce qui implique que la plupart des conclusions des auteurs ne sont basées que sur une seule étude. Aucune RCT n’a poursuivi l’intervention au-delà de 3 mois alors que l’UCS peut persister des années (10 ans pour 20%) avec une hétérogénéité individuelle (plusieurs crises par mois ou par an, de durées variables..), ce qui ne nous permet pas de faire de recommandations pour la prise en charge des patients à long terme. Un biais de sélection a été identifié pour 8 RCTs qui avaient exclus les patients non répondants aux antihistaminiques H1 : une hypothèse plausible est que ces patients présentaient une UCS plus sévère. Chaque niveau de preuve est qualifié de faible à modéré pour la plupart des critères de jugement, ce qui implique que de nouvelles études, correctes d’un point de vue méthodologique, pourraient (fortement) modifier les conclusions actuelles.

Aucune conclusion solide ne peut être tirée de cette méta-analyse par l’hétérogénéité clinique des RCTs incluses (populations, interventions, critères de jugement) et par manque d’un outil standardisé de comparaison de l’UCS (3,4) ainsi que par manque de données relatives aux effets indésirables, ce qui ne permet pas de se faire une idée correcte de la balance bénéfice-risque.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, de bonne qualité méthodologique, montre que la prise d’un antihistaminique H1 améliore la symptomatologie de l’urticaire chronique spontanée versus placebo, mais sans mettre en évidence un antihistaminique H1 en particulier. Une amélioration de la qualité de vie reste à démontrer. Au vu des limites méthodologiques et du nombre insuffisant de RCTs de qualité, cette synthèse méthodique ne permet pas de formuler de recommandations de niveau de preuve élevé pour la pratique.

 

Pour la pratique

La première démarche est de rechercher une cause à l’urticaire et de réaliser un diagnostic différentiel. Selon 2 guides de pratique clinique (5,6), en cas d’urticaire spontanée chronique, la prise en charge du patient passe par une information correcte et un plan de soins individualisé. Le premier choix pharmacologique porte sur les antihistaminiques H1 non sédatifs, à débuter aux doses courantes, mais pouvant être augmentées jusqu’à 4 fois la posologie habituelle. En cas de non réponse, le patient sera adressé vers un milieu spécialisé. Parfois, le recours à un corticoïde par voie orale, sur une courte période, sera nécessaire. Un guide pratique clinique propose la prescription des antihistaminiques H1 pour une amélioration de la qualité de vie (5). Les résultats de cette synthèse méthodique avec méta-analyse ne remet pas en question ces recommandations, mais met en évidence le faible niveau de preuve associé à celles-ci. De nouvelles recherches, correctes d’un point de vue méthodologique, s’avèrent indispensables et pourraient modifier les recommandations actuelles.

 

Références

  1. Saini S. Chronic urticaria: clinical manifestations, diagnosis, pathogenesis, and natural history. Uptodate. Dernière mise à jour : janvier 2015.
  2. Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses (PRISMA) website.
  3. Zuberbier T. A Summary of the New International EAACI/GA2LEN/EDF/WAO guidelines in urticaria. World Allergy Organ J 2012;5 Suppl 1:S1–5.
  4. Jáuregui I, Ortiz de Frutos FJ, Ferrer M, et al. Assessment of severity and quality of life in chronic urticaria. J Investig Allergol Clin Immunol 2014;24:80-6.
  5. Zuberbier T, Asero R, Bindslev-Jensen C, et al. EAACI/GA2LEN/EDF/WAO guideline: management of urticaria. Allergy 2009;64:1427–43.
  6. Powell RJ, Leech SC, Till S, et al; British Society for Allergy and Clinical Immunology. BSACI guideline for the management of chronic urticaria and angioedema. Clin Exp Allergy 2015;45:547-65.

 




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