Revue d'Evidence-Based Medicine



Modifier son intention de traiter c’est amplifier l’efficacité du traitement



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 1 Page 26 - 27

Professions de santé


Un autre regard sur l'effet de l'édoxaban (NAO) versus warfarine dans la FA

 

Dans ce numéro de la revue Minerva, nous présentons une analyse critique d’une étude concernant l’édoxaban versus warfarine en cas de fibrillation auriculaire (1,2). Les auteurs nous donnent des résultats significatifs en analyse en intention de traiter « modifiée » (ITTm) (l’analyse n’inclut qu’une partie des patients randomisés), mais des résultats non significatifs en analyse en intention de traiter « classique » (ITT) (tous les patients randomisés sont concernés par l’analyse). Ils ne mentionnent par ailleurs pas d’analyse par protocole (qui exclut de l’analyse tous les patients qui ne satisfont pas strictement aux critères précisés par le protocole d’étude), pourtant indispensable en cas d’étude de non-infériorité. Le type d’analyse en ITT (classique ou modifiée) peut-il modifier les résultats de l’étude ?

 

 

Analyse en ITT et en ITTm

Une analyse en intention de traiter consiste à analyser les résultats des patients dans leur groupe de randomisation initiale, quel que soit le traitement qu’ils aient réellement reçu et quelle que soit leur évolution par rapport à l’étude. Nous en avons précisé les détails dans un précédent article (3). Nous avons également insisté sur la nécessité d’ajouter les données manquantes lors d’une analyse en ITT, en suivant une méthode d’imputation multiple correcte (4,5).

Toute exclusion de l’analyse d’un certain nombre de patients randomisés signifie qu’il s’agit d’une analyse en intention de traiter modifiée (ITTm). Nous avons précédemment décrit les différentes possibilités de modification et souligné que les modifications sont fréquemment multiples (6). Toute modification de l’intention de traiter entraîne le risque de rompre l’équilibre pronostique entre les groupes aléatoires de traitement ; plus le nombre de modifications est important, plus ce risque est élevé.

Dans leurs publications, certains auteurs mentionnent clairement avoir utilisé une analyse en ITTm. D’autres ne le mentionnent pas, tout en précisant avoir dévié d’une analyse en ITT stricte (par exemple en n’incluant que les patients ayant reçu au moins une dose du médicament à évaluer ou de son comparateur). D’autres auteurs encore ne mentionnent pas si l’analyse des résultats est faite en ITT.

Analyse en ITTm versus en ITT : ampleur de plus-value augmentée

Une analyse en ITTm modifie-t-elle les résultats par rapport à une analyse en ITT ? Abraha et al. nous montrent dans un article publié en 2015 (7) que les études qui ont recours à une analyse en ITTm surestiment l’efficacité d’un traitement par rapport aux études respectant une analyse en ITT stricte. Ils ont recours à une étude méta-épidémiologique, technique que nous avons précédemment décrite dans d’autres de nos analyses (8,9), et qui vise à évaluer si une caractéristique d’une étude originale (primaire) peut représenter un risque de biais. La caractéristique ici étudiée est l’ITTm versus ITT (ou absence de mention d’une ITT). Les auteurs ont effectué une sélection aléatoire (5% par année) de toutes les synthèses avec méta-analyses (publiées) reprises dans Pubmed permettant de comparer des RCTs en ITTm versus ITT pour des critères binaires. Parmi les 310 études primaires incluses dans leur évaluation, 27% sont en ITT, 38% en ITTm et 35% non en ITT ; 322 comparaisons ont pu être réalisées.

Les résultats des différentes études sont exprimés en « rapport de cotes » (odds ratio) et les auteurs réalisent ensuite un « rapport moyen de ces rapports de cotes » (ratio of odds ratio – ROR). Un ROR < 1 indique une estimation d’une efficacité plus grande, par exemple des études avec analyse en ITTm par rapport aux études en ITT.

Après ajustement des comparaisons en fonction d’un placebo comme comparateur, de la taille de l’échantillon, du type de centre, des items de risque de biais, des exclusions post randomisation, du financement, des biais de publication, les auteurs calculent un ROR de 0,80 (avec IC à 95% de 0,69 à 0,94 ; p = 0,005) pour l’efficacité du traitement dans les études en ITTm versus l’efficacité mentionnée dans les études en ITT, soit une surestimation de l’ordre de 20%. La comparaison entre études avec analyse en ITTm et études non en ITT ne montre pas de différence significative.

 

Exemple : dans  l’étude  « FA : plus-value de l’édoxaban versus warfarine »

Dans l’étude commentée dans ce numéro « FA : plus-value de l’édoxaban versus warfarine », les auteurs ont recours à une analyse en ITT et à une analyse en ITTm. Dans l’analyse en ITTm, ils incluent uniquement les patients qui ont reçu au moins une dose du médicament avec une analyse sur la durée du traitement (et non sur la durée totale de l’étude comme pour l’analyse en ITT). Les auteurs ont publié dans un tableau les résultats des analyses en ITT et ITTm. Ci-dessous les résultats pour le critère de jugement primaire d’efficacité.

 

 

Type d’analyse

 

intention de traiter

intention de traiter modifiée

Haute dose d’édoxaban versus warfarine

HR 0,87

IC à 95% de 0,73 à 1,04

p = 0,08

HR 0,79

IC à 95% de 0,63 à 0,99

p < 0,001

Faible dose d’édoxaban versus warfarine

HR 1,13

IC à 95% de 0,96 à 1,34

p = 0,10

HR 1,07

IC à 95% de 0,87 à 1,31

p = 0,005

Dans leur résumé, les auteurs mentionnent une tendance à la supériorité au point de vue efficacité pour la haute dose d’édoxaban versus warfarine, tout en donnant, en analyse ITT pour la période totale d’étude, un HR de 0,87 avec IC à 95% de 0,73 à 1,04 et p = 0,08 ce qui n’est pas statistiquement significatif.

 

Conclusion

Cette analyse méta-épidémiologique de bonne qualité nous montre l’intérêt de regarder si l’analyse des résultats d’une étude est bien faite en ITT et si les auteurs d’une méta-analyse font une distinction (analyse de sensibilité) entre les résultats des études en ITTm et ceux des études en ITT. Elle montre que les analyses en ITTm donnent, en moyenne, des résultats plus favorables que les analyses en ITT.

 

 

Références

  1. Giugliano RP, Ruff CT, Braunwald E, et al; ENGAGE AF-TIMI 48 Investigators. Edoxaban versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2013;369:2093-104
  2. Chevalier P. FA : plus-value de l’édoxaban versus warfarine ? MinervaF 2016;15(1):5-8.
  3. Chevalier P. Analyse en intention de traiter. MinervaF 2010;9(2):28.
  4. Chevalier P. Concepts et outils en EBM : LOCF ou pas LOCF ? Quand les données manquent… MinervaF 2008;7(8):128.
  5. Chevalier P. Comment gérer les données manquantes dans une RCT ? MinervaF 2015;14(5):63.
  6. Chevalier P. Analyse en intention de traiter modifiée. MinervaF 2011;10(2):25.
  7. Abraha I, Cherubini A, Cozzolino F, et al. Deviation from intention to treat analysis in randomised trials and treatment effect estimates: meta-epidemiological study. BMJ 2015;350:h2445.
  8. Chevalier P. Etude uni ou multicentrique : efficacité thérapeutique différente ? MinervaF 2011;10(10):129.
  9. Chevalier P. Critères intermédiaires et critères d’évènements cliniques pertinents : ampleur d’effet différente. MinervaF 2014;13(9):116.

 




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